(Arthur Penn / Etats-Unis / 1969)
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Un peu écrasé, coincé entre les deux films les plus reconnus d'Arthur Penn (Bonnie and Clyde, 1967, et Little Big Man, 1970), Alice's restaurant est une chronique s'attachant à la vie d'une petite communauté hippie du Massachussets. Le scénario est inspiré par un récit autobiographique du chanteur-compositeur Arlo Guthrie, qui joue ici son propre rôle. Arlo est le fils de Woody Guthrie, mythe de la musique populaire américaine, grand chroniqueur de l'époque de la dépression et père spirituel de tous les musiciens de folk et de country modernes, Bob Dylan en tête. Woody Guthrie est décédé en 1967, des suites d'une longue maladie lui ayant fait perdre toute autonomie dans les dernières années de sa vie. D'un côté, nous suivons donc son fils, ses visites au père malade, ses amours, son activité musicale et surtout son amitié avec Ray et Alice. Ce couple plus âgé, offrant dans une église transformée en squat ou dans un restaurant, des refuges pour tous les hippies de la région, est l'autre pôle du film.
La trame du film de Penn est particulièrement lâche. Son hétérogénéité est très déstabilisante et son manque de dramaturgie met sacrément à l'épreuve le spectateur. De grandes différences de rythme se font sentir, conséquence en particulier de la façon qu'a Arthur Penn de monter ses plans. La manière est des plus abruptes, coupant à la limite des phrases, cassant les mouvements, pulvérisant les raccords, lançant des brefs gros plans des visages. Le film ne marche donc que par éclats (la visite médicale pour l'armée, le remariage de Ray et Alice). Des séquences de pur cinéma comme cette échappée nocturne à moto qui raccorde brusquement avec un plan sur un cercueil côtoient des moments où le théâtre, par le décor ou le jeu d'acteur, se fait trop langoureux ou appuyé.
Si Arthur Penn filme avec empathie cette communauté, son pessimisme le pousse à mettre en scène un grand désenchantement, preuve de sa lucidité alors qu'il tourne en 69, donc "à chaud". Car cette utopie est bien belle et respectable, mais elle ne mène à rien. Ca ne marche pas : l'amour libre ne se libère pas de la jalousie, l'éclatement communautaire est inévitable. Le sentiment d'impuissance, de quasi-inutilité est très bien rendu par le monologue d'Arlo en face de ce père allité qui s'est tant engagé 30 ans auparavant, qui a bouleversé la musique de son pays et qui a su parler si intimement au peuple. La scène est d'autant plus forte qu'on la sait peut-être rejouée pour le cinéma par Arlo Guthrie quelques années après (précisons que tout chantage à l'émotion facile est repoussé par le jeu distancié de ce chanteur professionnel mais acteur amateur au physique et à la psychologie si particuliers). Dans cette chambre d'hôpital, peu de temps avant, avait eu lieu un autre beau moment, que l'on peut comparer à une scène similaire du récent I'm not there où est évoqué le bref passage du tout jeune Bob Dylan au chevet du célèbre malade. Chez Todd Haynes, la séquence arrive sans crier gare et n'est qu'une vignette illustrative. Elle se veut émouvante (le jeune acteur pleure en jouant son morceau de guitare aux côtés de Woody Guthrie) mais le mouvement de caméra est trop lêché, la musique trop surplombante et le malade est réduit à une silhouette furtive. Le traitement et le résultat sont à l'opposé chez Penn : Arlo Guthrie et Pete Seeger entament un duo dans la chambre, la musique envahit la pièce dans toute sa fraicheur et sa spontanéité, le père paralysé lance deux ou trois regards vers les deux, ses yeux brillent...

Si le nom de Robert Enrico fait pas mal frémir à cause du Vieux fusil, de Au nom de tous les miens, de Zone rouge ou de La Révolution Française, il faudrait se pencher sur ses débuts, de La rivière du hibou (1962) aux Aventuriers (1967), où il tentait une approche physique, ample et singulière du cinéma, avec en tête le classicisme hollywoodien.
Après Romero, un autre petit maître de l'horreur : Terence Fisher. Pour Dracula, prince des ténèbres (Dracula, prince of darkness), ce cinéaste brodait pour la troisième fois sur le mythe du comte-vampire, en moins de dix ans, toujours au sein de la fameuse firme Hammer. Ce volet est le moins réputé de la série, qui, elle-même, semble moins fertile que celle réalisée à la même époque et par les mêmes équipes autour de l'autre grande figure du genre : Frankenstein.
L'argument de Tatouage pourrait donner un petit conte horrifique et érotique de série B. L'amour contrarié d'une jeune femme pour le commis de son père la pousse à s'enfuir. Enlevée, poussée vers la prostitution, elle se fait tatouer de force une gigantesque araignée dans le dos. Dès lors, les cadavres s'accumuleront autour d'elle. Masumura place audacieusement la scène du tatouage en tout début de film avant de revenir en arrière, sans crier gare, et de déployer tout son récit, procédé intriguant et déstabilisant. Autre qualité qui éloigne le film du tout-venant : le soin apporté aux cadrages (et sur-cadrages : d'innombrables plans sont obstrués dans leur partie gauche par un élément du décor).
Moins abouti, La bête aveugle révèle des comportements tout aussi tordus. L'aveugle du titre kidnappe une top model afin de réaliser une sculpture unique dans son atelier-prison. Bien réalisé, la partie séquestration développe des étapes trop classiques (rébellion, duperies pour s'échapper...). La psychologie des personnages n'est pas le point fort du film non plus, l'aveugle vivant par exemple reclus avec sa mère. Ce ménage à trois produit tout de même des moments troublants ou étonnants (la scène de séduction sous le regard de la mère, le retournement de celle-ci pour aider à une évasion).