(Alain Cavalier / France - Italie / 1964)
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L'insoumisdémarre en Kabylie en 1959 avec une embuscade dans laquelle des soldats sont pris sous le feu de tireurs algériens. Thomas, l'un des légionnaires, tente un coup d'éclat en allant porter secours à un camarade amoché en contrebas. Arrivé difficilement à ses côtés, il s'aperçoit que l'homme est déjà mort. Le deuxième long-métrage d'Alain Cavalier, dès son introduction, annonce la couleur : noire. A ses débuts, le cinéaste, comme Claude Sautet à la même époque, oeuvrait dans le film noir (avec Le combat dans l'île en 1962, puis Mise à sac en 1967). L'insoumisest en plein dans le genre, mais son argument de départ, lié à la guerre d'Algérie, change déjà beaucoup de choses (et ce film, avec d'autres, tord encore le cou à la légende tenace selon laquelle le cinéma français aurait traîné pour traiter de la question).
En 1961, Thomas (Alain Delon) a déserté l'armée française. Son ancien lieutenant a fait le même choix et lui propose de participer à une action sous ses ordres et, devine-t-on, ceux de l'OAS. Il s'agit de kidnapper une avocate ayant l'habitude de défendre des Algériens, de manière à faire pression sur son entourage et obtenir de nouveaux noms de "terroristes", comme les nomme le lieutenant. Le rapt se déroule comme prévu, mais Thomas, qui a la garde de Dominique, l'avocate (Lea Massari), finit par la laisser partir après avoir tué, en étât de légitime défense, l'autre gardien, non sans recevoir lui aussi une balle dans le ventre. Grièvement blessé, il parvient à quitter l'Algérie et commence à traverser la France pour rentrer chez lui. Arrivé à Lyon, il s'arrête pourtant et sonne à la porte de Dominique. Elle lui vient en aide. Une histoire d'amour naît entre eux, malgré que la femme soit mariée. Les anciens amis de Thomas, toujours menés par le lieutenant, retrouvent leurs traces et la cavale reprend. Thomas, de plus en plus faible, verra son chemin s'arrêter dans la ferme familiale.
Le scénario d'Alain Cavalier et Jean Cau est tiré d'une histoire bien réelle. Sachant que le film date de 1964, on imagine les tracasseries qu'il a pu rencontrer. De fait, quelques semaines après la sortie, une plainte de l'avocate en question eu pour effet son retrait de l'affiche. C'est en 1967 qu'il réapparut, mais avec vingt-cinq minutes coupées. Fort heureusement, des années après, Cavalier a retrouvé une copie américaine complète du film. L'épilogue judiciaire de 1965 arrangeait beaucoup de monde. En effet, le film aborde la guerre d'Algérie d'une façon particulièrement claire. Si l'OAS n'est pas citée directement et si Thomas n'est pas Français mais Luxembourgeois, ces petites précautions n'abusent personne.
Cette clarté et cette lucidité impressionne, tant au niveau des dialogues qu'au niveau de la mise en scène du quasi-débutant Cavalier. Les échanges sont simples, concis. Les mots pitorresques du pied noir qui accompagne Thomas se font vite haineux (c'est Robert Castel, fameux second rôle, que l'on croisera ensuite dans bien des pantalonnades). Tous les inteprètes sont remarquables : Delon (producteur courageux du film) est insaisissable et Lea Massari dégage une belle sensibilité. Avec cette oeuvre de facture plutôt classique, on est certes loin du type de cinéma que Cavalier proposera à partir du Plein de super et plus encore après Thérèse. On peut cependant apprécier déjà le soin apporté aux gestes (Delon tient toujours quelque chose dans ses mains : ventilateur, bouteille de Coca ou revolver), la présentation des hommes à l'ouvrage et un certain goût pour la fragmentation, pour les gros plans de mains ou de visages.
De fait, Cavalier se révèle finalement un excellent metteur en scène d'action. La fulgurance des règlements de comptes laisse pantois. La façon dont Delon élimine celui qui le tient en joue dans l'appartement est digne des plus beaux gestes vus dans les grands films noirs ou westerns américains (l'ombre de Huston plane beaucoup sur le film). Autant qu'une touchante et adulte histoire d'amour, L'insoumis est un film sur un corps, celui de Thomas. Un corps d'abord bondissant, puis de plus en plus souffrant, traînant une blessure inguérissable (ou voulue par lui-même comme telle). Un corps déjà mort lorsqu'il atteint son but. Un corps qui ne peut finalement que s'écrouler.
Ce dernier plan, admirable, on en trouve une trace, un instantané, sur la pochette de mon disque de chevet depuis vingt ans :

Un Roger Corman pour enfants ? Quasiment. Et il y a, malheureusement, peu de choses à ajouter à propos de ce tout petit Corbeau (The raven). Comptant parmi les nombreuses adaptations d'Edgar Allan Poe écrites par Richard Matheson pour le pape de la série B, celle-ci est ouvertement comique et aussi peu inquiétante que possible. On y trouve bien des châteaux imposants, des cercueils qu'il faut rouvrir, une main qui s'aggrippe à une épaule et un dénouement dans les flammes, mais ces éléments ont plus valeur de clin d'oeil qu'autre chose.
Salvatore Giuliano, film-enquête de Francesco Rosi, se base tout entier sur un mouvement analytique. Un mouvement de rapprochement allant du général au particulier, du paysage aux individus. Mais contrairement à l'habitude, ce resserrement ne fait qu'épaissir et complexifier le mystère de départ. Démarrant sur la découverte du cadavre du célèbre bandit sicilien au cours de l'été 1950, le récit se déploie en deux lignes temporelles. De la fin de la guerre, où lui et ses hommes, instruments des indépendantistes, se battent contre l'armée italienne, à son assassinat, nous suivons les principales étapes du parcours de Giuliano, dont le massacre de Portella delle Ginestre (une dizaine de personnes assistant à une réunion organisée par les communistes, le 1er mai 1947, abattue par la bande à Giuliano, sur demande d'un commanditaire resté inconnu). Parallèlement, nous sont montrés quelques événements suivant sa mort, jusqu'au procès de ses compagnons.

Troisième long de Godard, après A bout de souffle et Le petit soldat (ce dernier sorti plus tard, suite aux problèmes que l'on sait), Une femme est une femmeest une petite chose au milieu d'oeuvres bien plus consistantes. Abordant la couleur pour la première fois, JLG annonce une comédie, parfois musicale, sous les auspices de René Clair et de Ernst Lubitsch (convoqués dans l'un de ces génériques aussi percutants que succincts dont notre homme a le secret).
Je n'avais jamais vu Un homme et une femme. L'ensemble de la filmographie de Claude Lelouch m'est d'ailleurs inconnu. Les seules exceptions sont Itinéraire d'un enfant gâté et Il y a des jours et des lunes, vus à l'époque de leurs sorties en salles. A 16 ans, facilement impressionnable, en général on trouve ça bien Lelouch. Et souvent on abandonne ensuite, en suivant, à tort ou à raison, les conseils de contournement des critiques.
Quatrième et dernier film de cette série Shinoda, où l'on voit malheureusement qu'indépendance et radicalité ne sont pas forcément synonymes d'extase. A la fin des années 60, le cinéaste avait quitté la célèbre maison de production de la Shochiku. L'une de ses premières réalisations hors-système est ce Double suicide à Amijima (Shinju ten no Amijima), tiré d'une pièce du dramaturge Monzaemon Chikamatsu, grand écrivain de théâtre de marionnettes et de kabuki de la fin du XVIIe siècle. Lassé d'oeuvrer dans des genres bien définis comme le film noir ou le film de sabre, Shinoda décida de partir dans l'expérimentation en adaptant ce récit. Le générique s'égrène au fil des préparatifs pour un spectacle de marionnettes. Dans un style documentaire, on voit s'affairer les artistes dans les coulisses : préparation des costumes et des accessoires et habillage dans des tenues entièrement noires pour les manipulateurs qui auront à se fondre dans le décor de la scène. Parmi eux, Masahiro Shinoda lui-même, en conversation téléphonique avec sa scénariste, s'inquiète de l'avancement de l'histoire et évoque quelques choix de mise en scène (que l'on découvrira effectivement plus tard).
Troisième temps de mon périple chez Masahiro Shinoda. Si Assassinat ployait quelque peu sous le poids de la politique, La guerre des espions (Ibun Sarutobi Sasuke) doit sa réussite au fait qu'il soit d'abord une enthousiasmante variation sur un genre avant de distiller ses réflexions.
Deuxième étape de ma visite chez Masahiro Shinoda : Assassinat (Ansatsu).
Plaisir de la découverte. Voici la première des quatre galettes d'un coffret dvd consacré au cinéaste japonais Masahiro Shinoda, qui m'était jusque là parfaitement inconnu. L'homme, né en 1931 et ayant signé en 2003 son trente-deuxième long-métrage, a débuté en 1960, soit au moment où le cinéma mondial commençait à bouger dans tous les sens. Shinoda appartient donc à la Nouvelle Vague japonaise et Fleur pâle (Kawaita hana) prend place dans ce mouvement grâce à, au moins, deux caractéristiques : un fort sentiment de vie rendu par le plaisir communicatif de filmer les rues et, conjointement, un désir d'expérimentation esthétique.