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rosi

  • C'était mieux avant... (Mars 1984)

    Février est passé vite. Voici déjà le retour de notre chronique mensuelle. Voyons donc se qui se passait dans les salles de cinéma françaises en Mars 1984...

    badboys.jpgLes jeunots Sean Penn et Tom Cruise commençaient à faire parler d'eux. Le premier tenait le rôle principal de Bad boys réalisé par Rick Rosenthal, film de prison dont l'affiche, pleine de promesses ultra-violentes, impressionna beaucoup nos yeux de pré-adolescent. Le deuxième plongeait dans le monde plus aisé mais non moins trouble de Risky business (Paul Brickman). Je n'ai jamais vu ni l'un ni l'autre. En revanche, je me rappelle très vaguement être tombé un jour sur Les copains d'abord, signé par un cinéaste resté estampillé eighties, Lawrence Kasdan. Celui-ci surfait sur la vague du film de groupe : sept amis de lycée (dont Tom Berenger, William Hurt, Kevin Kline, Jeff Goldblum et Glenn Close) se retrouvaient à l'occasion de l'enterrement d'un huitième et faisaient le point sur leur vie.

    Continuons du côté des Etats-Unis. Tiré de l'affaire Rosenberg, Daniel est un Sidney Lumet de petite réputation. A propos de L'enfer de la violence (Jack Lee Thompson), tout est dit par le pitch américain : "In the execution of justice there is no executioner like BRONSON". Arthur Hiller, vieux routier de la comédie US, proposait La fille sur la banquette arrière, avec Dudley Moore. D.C. Cab est une comédie d'action avec Mister T. Seul intérêt (si on peut dire) de le mentionner : c'est le premier long-métrage de Joel Schumacher. Female trouble de John Waters, datant de 1974, sortait enfin (?) en France. Parallèlement, cinq ans après, des producteurs retentaient le coup de Grease en réunissant à nouveau Olivia Newton-John et John Travolta (Seconde chance de John Herzfeld).

    hotdog.jpgAutres films sortis ce mois-là et dont je ne sais pas grand chose : Le crime de Cuenca (espagnol, de Pilar Miro et plutôt conseillé par la presse à l'époque), Femmes de personne (de Christopher Frank, apparemment plus recommandable que son film suivant : L'année des méduses), Le léopard (de Jean-Claude Sussfeld avec Brasseur et Lavanant), Laisse béton (Serge Le Péron), Un amour interdit (Jean-Pierre Dougnac). Deux titres sont à découvrir certainement : Sans témoin était le nouveau Nikita Mikhalkov. Le cinéaste était à la veille d'une reconnaissance internationale (à partir des Yeux noirs en 1987) mais avait déjà proposé quelques joyaux dans les années 70 (Quelques jours dans la vie d'Oblomov, Partition inachevée pour piano mécanique, Cinq soirées). Mauvaise conduite est un documentaire du chef opérateur Nestor Almendros et d'Orlando Jimenez Leal, sur la chasse aux homosexuels menée par le régime cubain dans les années 60. D'autre part, il serait bête d'oublier de mentionner Hot dog film de campus olé-olé se déroulant au ski (Peter Markle) et, parmi la bonne demie-douzaine de films d'arts martiaux du mois, L'exécuteur défie l'empire du kung-fu (titre original Haegyeolsa) de Godfrey Ho et Doo-yong Lee avec Jang Lee Wang et Jim Norris (le frère de Chuck ?).

    Passons à ce que je connais. Je vis bien sûr en leur temps Les Morfalous d'Henri Verneuil. Bébel y enfilait le treillis alors qu'il venait tout juste de quitter le cuir du Marginal. A chaque rediffusion, Télérama est là pour nous rappeler que l'on y trouve cette merveilleuse réplique, dîte par Marie Laforêt à propos de son mari, mort électrocuté : "C'est bien la première fois qu'il fait des étincelles avec sa bite...". Cela nous amène assez logiquement à Vive les femmes ! (adaptation de Reiser par Claude Confortes, avec Roland Giraud et Maurice Rich). Tombant dessus par hasard à la télévision il y a peu, j'ai été troublé en réalisant que je connaissais par coeur au moins un des passages du film (toute la "célèbre" séquence de drague de Giraud sur la plage). Tenant à garder ma dignité, j'avais tout de suite éteint mon poste. Quoi qu'il en soit, ces deux films sont certainement les seuls de la liste que j'ai pu voir à peu près à l'époque de leur sortie.

    localhero.jpgJ'ai un excellent souvenir du Temps suspendu, chronique adolescente signée Peter Gothar, l'un des premiers films non-anglophone (puisque hongrois) à m'avoir séduit (découvert à la télévision). C'est en mars 1984 qu'a été également distribué en France le premier Jim Jarmusch, Permanent vacation. Peu de choses me restent en tête à son propos, si ce n'est que j'avais plutôt apprécié. Le britannique Local hero (Bill Forsyth) est une agréable fable à la Capra dans laquelle Burt Lancaster, employé d'un grand groupe pétrolier, débarque dans un petit village écossais afin de négocier le rachat de l'ensemble des terres. Francesco Rosi donnait à son tour dans le film-opéra de prestige avec sa version  "réaliste" de Carmen. Cela m'avait plongé dans un ennui sans nom. Peu à l'aise face au genre, je préfère à la rigueur les plus stylisés Don Giovanni de Losey et La flûte enchantée de Bergman.

    polar.jpgDead zone n'est pas mon Cronenberg de chevet (les chefs d'oeuvres viendront un peu plus tard), le cinéaste y gagnant en efficacité ce qu'il perd un peu en mystère et en trouble, mais cette adaptation de Stephen King, portée par le grand Christopher Walken reste fichtrement bien en mémoire, et pas seulement pour telle image de paire de ciseaux plantée dans une bouche. En parlant d'images traumatisantes, la sortie du mois était sans aucun doute celle du Scarface de Brian DePalma. Je l'ai découvert assez tardivement (redoutais-je inconsciemment de me frotter à l'ultra-violence dont tout le monde parlait ?) et je ne l'ai pas revu depuis, mais il me passionna bien plus que les thrillers tordus que le cinéaste filmait à l'époque, comme Furie, Pulsions ou Body double (je mets de côté Blow out, plus intéressant). Je termine ce tour d'horizon du mois sur un coup de coeur : Polar de Jacques Bral, adaptation d'un roman de Patrick Manchette (et peut-être la plus réussie, donnant en tout cas, à mon sens, un meilleur film que le Nada de Chabrol). Oeuvre somnanbulique et pessimiste, à la trame tortueuse et bénéficiant d'une extraordinaire interprétation de Jean-François Balmer, Polar est un modèle du genre, à la Française.

    cinema84.JPGLe film de Bral se retrouvait en couverture de Positif (277) quand Scarface faisait la une de Starfix (13), illustrant un dossier "Spécial violence urbaine". Première (84) s'entretenait avec Claude Brasseur. Cinématographe (98) revenait sur le Hitchcock des années 50 (L'homme qui en savait trop en couve). Enfin, trois films sortis en février étaient mis en avant par les autres revues : La femme flambée (et le cinéma des deux Allemagnes) pour Cinéma 84 (303), Star 80 pour la Revue du Cinéma (392) et A mort l'arbitre ! pour les Cahiers du Cinéma (357).

    Voilà pour mars 1984. La suite le mois prochain...

  • Lucky Luciano

    (Francesco Rosi / Italie / 1973)

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    Lucky Luciano 09.jpgLucky Luciano en est un parfait exemple : les titres patronymiques des films-enquêtes de Francesco Rosi annoncent plutôt des portraits en creux que des biographies classiques de bandits, politiques ou mafiosi célèbres. Si l'approche du protagoniste principal est ici moins allusive que celle à l'oeuvre dans Salvatore Giuliano, l'oeuvre fondatrice du cinéma de Rosi, où du héros nous ne voyions guère que le cadavre, la distance mise entre le cinéaste et son sujet reste importante. Ainsi, nous en apprenons plus sur Lucky Luciano en étant à l'écoute de conversations entre tiers qu'en entrant dans son intimité, nous en savons plus sur lui quand il est absent que quand il est présent à l'écran, sous les traits impénétrables de Gian Maria Volonte. Adepte du réalisme historique, Rosi, en avançant par cercles concentriques, semble se refuser à aller au-delà des faits connus et prouvés. Le mystère Luciano reste entier : comme l'homme, drapé dans sa respectabilité, ne se laisse jamais compromettre aux yeux des enquêteurs, le personnage ne se laisse jamais percé par le regard de la caméra.

    La psychologie du boss sicilien intéresse de tout façon beaucoup moins Rosi que le système dont il est l'un des plus efficaces rouages, un sytème éclairé par tous les côtés possibles : économiques, politiques, historiques, sociaux. Dans une chronologie bousculée, le récit s'arrête sur une dizaine de dates, entre 1931 et 1961. Le film demande beaucoup d'attention au spectateur, par le va-et-vient temporel imposé et la quantité de noms et de références évoqués. Le risque d'égarement n'est jamais très loin.

    Parmi toutes les informations accumulées, les liens historiques tissés entre les Etats-Unis et l'Italie deviennent le véritable fil conducteur du film. Rosi décrit très précisément les mécanismes à l'origine de la terrifiante expansion mafieuse des années d'après-guerre : renvoi des gangsters devenus indésirables en Amérique vers leur Sicile natale dans le sillage des forces alliées débarquant à partir de 1943, installation au pouvoir, dans les localités libérées, de mafiosi du cru, avec l'assentiment des Américains, et plus tard, internationalisation des trafics depuis l'Italie. Avec pertinence, Francesco Rosi double son analyse historique d'une réflexion d'ordre culturel et artistique. Pour résumer dans son introduction le parcours criminel fulgurant de Luciano dans le New York des années 30, le cinéaste monte une longue séquence où se succèdent les exécutions sanglantes, filmées de manière graphique et enrobées de ralentis, effets de lumière et chanson traditionnelle. Une violence toute hollywoodienne donc. Le reste du récit, situé en grande partie en Italie, se distinguera au contraire par son refus du spectaculaire. Une seule exception à cela, une seule fusillade qui retrouve alors les codes cinématographiques américains : celle de l'assassinat de Giannini, tué bien sûr... dans une rue de New York.

    Lucky Luciano avait commencé son ascension en commanditant le meurtre de son propre boss, Masseria. On voit celui-ci se faire cribler de balles alors que le premier se lave consciencieusement les mains aux toilettes. Pendant des années, Luciano assurera ainsi sa position au sommet de la pyramide mafieuse grâce à sa discrétion, sa façade d'homme tranquille, son obsession de ne pas faire de vagues. Sa chute n'adviendra que tardivement et elle sera essentiellement due aux imprudences de ses associés. Le film s'ouvre sur un bateau amarré à New York et se termine dans un hall d'aéroport. Le récit est borné par ces lieux de transit, façon de rappeler que derrière le masque du calme entrepreneur rétif aux voyages se cache bien le principal responsable d'une tentaculaire organisation internationale.

    Oeuvre engagée et documentée Lucky Luciano a les défauts de ses qualités. Les multiples informations passent essentiellement par de longs dialogues, filmés dans des cadres institutionnels, des bureaux, des restaurants... Si le travail sur la photographie et les décors est remarquable (les personnages sont souvent filmés dans de grands volumes, signes d'une société déshumanisante), il ne compense pas toujours le manque de dramaturgie. On ne trouve ici ni le lyrisme de Salvatore Giuliano, ni l'inquiétude kafkaïenne de Cadavres exquis. Lucky Luciano reste tout de même un solide film-dossier. Et si cette appellation est souvent utilisée de manière péjorative en sous-entendant l'abandon de l'esthétique au profit unique du message, les oeuvres de Francesco Rosi n'ont, quant à elles, jamais manqué d'ambition, qu'elle soit esthétique ou narrative.

    (Chronique dvd pour Kinok)

  • Salvatore Giuliano

    (Francesco Rosi / Italie / 1962)

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    salvatoregiuliano.jpgSalvatore Giuliano, film-enquête de Francesco Rosi, se base tout entier sur un mouvement analytique. Un mouvement de rapprochement allant du général au particulier, du paysage aux individus. Mais contrairement à l'habitude, ce resserrement ne fait qu'épaissir et complexifier le mystère de départ. Démarrant sur la découverte du cadavre du célèbre bandit sicilien au cours de l'été 1950, le récit se déploie en deux lignes temporelles. De la fin de la guerre, où lui et ses hommes, instruments des indépendantistes, se battent contre l'armée italienne, à son assassinat, nous suivons les principales étapes du parcours de Giuliano, dont le massacre de Portella delle Ginestre (une dizaine de personnes assistant à une réunion organisée par les communistes, le 1er mai 1947, abattue par la bande à Giuliano, sur demande d'un commanditaire resté inconnu). Parallèlement, nous sont montrés quelques événements suivant sa mort, jusqu'au procès de ses compagnons.

    Francesco Rosi a choisi une esthétique radicale, d'abord basée sur une multitude de plans larges au détriment des plans rapprochés. Ni Giuliano, ni ses camarades ne sont réellement individualisés par l'image (le "héros" n'est même jamais vu de près autrement qu'allongé mort). C'est bien plutôt le peuple sicilien qu'a voulu filmer Rosi. De longs panoramiques circulaires décrivent les lieux, ces montagnes, ces villages, ces fiefs ratissés sans succès par les forces de l'ordre. La focalisation se fait par moments, à l'aide de zooms rapides, lors des attaques des convois de carabiniers. Plus tard, ce sont plutôt de brusques raccords, des changements d'échelles saisissants qui prennent le relais pour saisir la réalité de plus près (la conversation entre Pisciotta et le mafioso dans la carrière).

    Adepte du réalisme, le cinéaste tourne sur les lieux mêmes, avec des acteurs non-professionnels et seulement une dizaine d'années après les faits. Mais réalisme ne veut pas dire pauvreté d'expression. Salvatore Giulianose fait démystificateur tout en gardant son lyrisme. Une scène pivot montre si besoin en était que la quête de la vérité menée par Rosi passe aussi par la composition plastique : celle de la reconnaissance du corps de Giuliano par sa mère. Ce moment marque l'emploi plus régulier des gros plans qui nous étaient refusé pendant une heure. Et lors du procès, les panoramiques ne seront plus destinés à embrasser la campagne sicilienne mais les visages des accusés dans leur box.

    Du combat bipolaire entre bandits séparatistes siciliens et soldats italiens, on passe ensuite à une partie à joueurs multiples. Et plus la vision devient précise et proche des hommes, plus le réseau se révèle dense et indémélable. Si la caméra parvient à mieux cerner les protagonistes, ceux-ci ne cessent de renvoyer vers d'autres, de citer de nouveaux noms, de mettre à jour des liens insoupçonnables entre chaque entité : bandits, mafia, politiciens, magistrats, carabiniers... A tous les niveaux, les choses se compliquent. Car l'analyse se fait aussi par le montage : Giuliano est celui qui prenait aux riches pour donner aux pauvres, dit un témoin local (et la mémoire populaire) et Rosi de coller l'un à l'autre la révolte des femmes du village, la douleur de la mère de Giuliano et les images du massacre des militants communistes. De tout cela ne ressort qu'une victime véritable : le paysan sicilien.

    L'épilogue, situé en 1960, reprend la figure du début : un homme abattu au milieu de la foule. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Rosi ne boucle pas la boucle. Franchement pessimiste, il montre plutôt que la gangrène n'en finit pas de bouffer la société sicilienne. Salvatore Giuliano est bien un acte fondateur, tant pour son auteur que pour tout un cinéma politique européen et jusqu'aux films de complots américains des années 70. C'est aussi, peut-être, un bonne préparation avant de découvrir cette semaine en salles Gomorra.