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90s - Page 2

  • Simple Men (Hal Hartley, 1992)

    ****

    "Simple Men", ça tient toujours. Parce qu'il y a posé au centre, dès le début, cette base, la relation entre les deux frères (et Robert Burke et William Sage, on y croit aussitôt). Solide, ça fait un double pilier (ou une ligne de basse/batterie). Et alors autour, tout peut commencer à tourner, à zigzaguer, à aller-venir, à vriller (comme des guitares). Les comportements bizarres, les dialogues absurdes (où les notes s'intercalent entre les mots), les hasards étonnants, les tournures paradoxales (un cinéma tout en arrêts dynamiques, des types drôlement tristes, des gens en décalage mais les pieds bien dans le réel américain), c'est accepté parce qu'on a ce repère, auquel on revient toujours. C'est exactement comme avec les morceaux de Sonic Youth et Yo La Tengo : on sait que sous les passages bruitistes, la chanson continue et va finir par remonter à la surface. Après, on peut profiter du silence et se poser (comme Bill, qui n'était pas si stable et qui avait besoin d'un appui en toute confiance - trust -, trouvé chez la femme qui replante des arbres).

  • Showgirls (Paul Verhoeven, 1995)

    ***
    Bravo à ceux qui l'ont défendu dès le début. Pour ma part, comme beaucoup, je m'étais trompé en le trouvant mauvais. La mise en scène est fluide et dynamique, le regard honnête. Verhoeven ne triche ni avec le sexe, ni avec le reste, en racontant son histoire, assez classique à la base, d'ascension dans le monde impitoyable du spectacle. Le film doit beaucoup à Elizabeth Berkley. On voit rarement une actrice jouer ainsi, presque toujours un cran au-dessus dans l'intensité ("presque", parce qu'elle sait aussi redescendre), surenchère qui, étrangement, atteint une certaine vérité et même une émotion. D'ailleurs, les traces d'amitié, d'entraide et de bienveillance disséminées dans ce monde à la limite de la déshumanisation préparent logiquement au dénouement, Verhoeven faisant bien de ne pas condamner son personnage. La musique elle-même passe sans problème, allant jusqu'à proposer du Swell, du Bowie, du Siouxsie. Décidément, la carrière américaine de Verhoeven, ce n'est pas rien. Ce n'était pas évident pour moi à l'époque. Dans 20 ans, j'aimerai peut-être la période française. 

  • Blue Steel (Kathryn Bigelow, 1990)

    **
    Jamie Lee Curtis, en femme-flic à la fois proie, appât et chasseuse, au regard toujours bleu mais aux traits se durcissant ou s'adoucissant selon les situations, est l'attraction principale du film, devant sa photographie, dont les jeux de lumière parviennent à ne pas apparaître gratuits ni clipesques, et ses cadrages, de nombreux et assez beaux plans rapprochés sur les visages s'intercalant entre ceux plus généraux pour rendre l'ambiance new-yorkaise. Dommage que les scènes d'action soient si chargées de ralentis, que les tirages de cheveux scénaristiques soient si évidents dans chaque rebondissement et que la figure du psychopathe tueur en série ne soit pas aussi renouvelée, malgré le fait d'en avoir fait un trader, que celle de l'héroïne. 

  • Slacker (Richard Linklater, 1990)

    **
    Un essai cinématographique poussant à l'extrême le principe de mise en scène altmanien faisant passer d'un personnage à l'autre, bifurquer la ligne narrative et topographier un lieu. Sur une journée, à Austin, nous suivons de jeunes habitants, seulement le temps d'une conversation (souvent en forme de monologue déguisé), sans jamais les retrouver plus tard, la caméra changeant de sujet à chaque groupe ou individu croisé. Il n'y a donc pas de véritable récit et les segments se révèlent d'intérêt inégal, paraissant devenir de plus en plus absurdes. Parfois, les transitions ont quelque chose de forcé, comme dans les dialogues/discours que l'on entend. Car c'est évidemment l'état de la jeunesse d'alors que Linklater souhaite radiographier, et il n'est pas brillant. Le film vaut pour cet "arrêt sur image" sociologique, mais en le découvrant aujourd'hui, on peut aussi y voir germer tout ce qui sera bien développé 30 ans après, des écrans multiples au discrédit total des élites, en passant par le complotisme et la culture de la rumeur, ce qui le rend étonnement prophétique. 

  • Lost Highway (David Lynch, 1996)

    ****
    Ça y est, la linéarité, déjà passablement mise en danger dans les Twin Peaks, est définitivement fracturée, jusqu'à faire se retourner le tracé sur lui-même. La cassure principale est aisément localisable, lorsque Pete "remplace" Fred. Mais pour qu'il y ait une boucle, il faut d'autres plis, replis, retours. Or, même après plusieurs visions, ceux-ci sont quasi-impossibles à repérer, parce que le récit n'est justement structuré que sur des points susceptibles de lâcher, parce que la ligne est dessinée de pointillés pouvant chacun potentiellement provoquer un changement de direction. Rien n'est certain. Les identités valsent, les personnages se substituent les uns aux autres. Sous une musique, la plupart du temps, sommeille une autre, qui ne tarde pas à prendre le dessus. Extraordinaire est également le travail sur le décor. Pour mieux se propulser ailleurs, Lynch semble repartir d'Eraserhead. Même vision angoissante du couple et même oppression par l'environnement, réduit à un appartement, que la mise en scène rend inoubliable jusque dans ses recoins. Blue Velvet et Twin Peaks montraient que les mondes noirs grouillaient derrière les belles façades et les jardins proprets. Lost Highway va plus loin. L'espace lui-même absorbe, se tord, se contracte. L'horreur ne surgit pas des nombreuses trouées sombres. Elle naît de cette impression récurrente d'être avalé par celles-ci, vers on ne sait où. En découle notamment la justification, comme jamais sans doute, de ces cadrages en plongée ou contre-plongée très appuyée, l'aspiration se faisant dans tous les sens. Et quand l'espace n'avale pas, les objets pénètrent violemment les corps, comme le coin de la table basse qui s'invite dans le front d'Andy (Dick Laurent, mafieux et pornographe, se délecte de détourner ainsi, de manière pénétrante, l'usage de sa voiture et de son flingue, emboutissant le véhicule d'un quidam et menaçant indirectement Pete de lui faire sauter la cervelle par le trou de balle). Ou encore, comme lors de l'explosion inversée, ou annulée, du bungalow dans le désert (effet répété une fois, "en toute logique"), les lieux se reconstruisent eux-mêmes, en autonomie, au-delà de l'entendement, à rebours de la loi naturelle. Le cinéma de Lynch est aussi un cinéma de l'impossible.

  • Les Trois Frères (Les Inconnus, 1995)

    *
    Sur la totalité, une poignée de gags fonctionnent, assez équitablement répartis (si généralement la supériorité de Bourdon sur les deux autres est évidente, c'est sans doute notamment parce qu'il se réserve le registre efficace du type comiquement odieux). Mais le film est assez laid visuellement et totalement impersonnel. C'est médiocrement réalisé, beaucoup trop près, festival de têtes parlantes et grimaçantes, calé uniquement sur le rythme, rapide, des répliques, ignorant toute notion de mise en scène de l'espace et ne prenant un peu de recul que le temps de l'escapade dans le Sud, soit de la manière la plus scolaire et la plus convenue. 

  • Le Dernier des Mohicans (Michael Mann, 1992)

    *
    Le premier handicap est sonore, les 100 minutes que dure le film étant presque intégralement recouvertes de tambours et de violons assourdissants. Ensuite, l'esthétique clinquante de Michael Mann s'accorde mal avec le film de pleine nature, les scènes de la grotte sous la cascade et de l'attaque nocturne du fort restant d'ailleurs, peut-être, les plus intéressantes. Mais comme une belle mise en place d'embuscade est vite gâchée par les habituelles mêlées et les sempiternels ralentis, ces passages regorgent d'images plus joliment publicitaires qu'intensément cinématographiques. Rien de très original du côté de l'aventure guerrière, donc (le nombre élevé de personnages d'origines différentes n'apporte pas grand chose de stimulant, surtout pas la variété des langues parlées, assez mal rendue), ni du côté des rapports humains, malgré le couple Daniel-Day Lewis/Madeleine Stowe, Mann n'étant ni le plus subtil ni le plus profond des cinéastes.

  • Cube (Vincenzo Natali, 1997)

    °

    Ce premier film canadien avait créé son petit effet à sa sortie, véhiculant apparemment quelques promesses aux yeux des amateurs de SF et de fantastique. C'est pourtant très mauvais. Si l'argument est des plus intriguants, l'audace supposée est vite balayée. L'usage régulier de courtes focales pour cadrer ces pièces cubiques est révélateur : il faut arrondir les angles. Pour ne pas faire passer son film pour un objet trop théorique ou abstrait, l'auteur l'a surchargé de psychologie, en saupoudrant d'un vague parfum politique. Il l'a rendu ainsi atrocement bavard et excessivement lourd (il n'y a aucune variation : la "tension" psychologique saute aux yeux et aux oreilles dès le début). Finalement, ce ne sont pas les gestes, les actions, qui font avancer le récit mais les conflits incessants entre les personnages, par ailleurs médiocrement campés par l'ensemble des comédiens.

  • Last Action Hero (John McTiernan, 1993)

    *
    L'autodérision dont fait preuve Schwarzenegger est plutôt sympathique mais ne masque pas le fait que sa démarche reste publicitaire. Le film est assez mal ficelé, bien que le trajet qu'il propose soit celui attendu (réalité, fiction, retour "accompagné", dénouement heureux). L'effet d'accumulation des citations, des vannes, des bastons et cascades fatigue. La dimension réflexive ne va vraiment pas loin, quasiment réduite au jeu des miroirs, évocant une magie du cinéma qui ne serait liée qu'au plaisir de l'action (les autres dimensions ne sont pas convoquées ailleurs que dans deux ou trois phrases prononcées par le vieux projectionniste). Peut-être est-ce voulu (on ne sait pas toujours si ce que l'on voit relève de la parodie ou pas) mais on voit Schwarzie constamment doublé par un mec moins épais que lui dès que les scènes sont un peu trop agitées. 

  • Les Aventures d'un homme invisible (John Carpenter, 1992)

    **
    Cette comédie fantastique de Carpenter est ma foi bien agréable. Elle n'est pas hilarante mais elle est régulièrement drôle, la gamme, de l'humour subtil au gag vulgaire, étant parcourue avec la même tenue. L'invisibilité dans le quotidien produit son lot d'étonnements et d'amusements visuels (jusqu'au cauchemar du personnage qui découvre que son sexe est invisible). Et comme Carpenter s'y connaît en récit, la conduite est sans faille (c'est même mieux huilé que certains autres de ses films, plus sérieux, plus personnels). Enfin, le casting est des plus adaptés : Chevy Chase, Darryl Hannah, Sam Neill. Ce qui fait que ce n'est pas pour autant un grand film (au-delà de la folle scène sexuelle que l'on pourrait imaginer et qui est encore une fois évitée), c'est le choix (l'obligation ?) de montrer si souvent Chase à l'écran, même s'il est tout à fait bon. Carpenter fait le maximum pour justifier les apparitions/disparitions du corps de l'acteur en jouant des points de vue, mais l'alternance n'en paraît pas moins arbitraire dans bien des scènes et empêche celles-ci de basculer dans une véritable folie ou une véritable étrangeté. On en reste donc au niveau du divertissement de qualité.