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lynch

  • Lost Highway (David Lynch, 1996)

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    Ça y est, la linéarité, déjà passablement mise en danger dans les Twin Peaks, est définitivement fracturée, jusqu'à faire se retourner le tracé sur lui-même. La cassure principale est aisément localisable, lorsque Pete "remplace" Fred. Mais pour qu'il y ait une boucle, il faut d'autres plis, replis, retours. Or, même après plusieurs visions, ceux-ci sont quasi-impossibles à repérer, parce que le récit n'est justement structuré que sur des points susceptibles de lâcher, parce que la ligne est dessinée de pointillés pouvant chacun potentiellement provoquer un changement de direction. Rien n'est certain. Les identités valsent, les personnages se substituent les uns aux autres. Sous une musique, la plupart du temps, sommeille une autre, qui ne tarde pas à prendre le dessus. Extraordinaire est également le travail sur le décor. Pour mieux se propulser ailleurs, Lynch semble repartir d'Eraserhead. Même vision angoissante du couple et même oppression par l'environnement, réduit à un appartement, que la mise en scène rend inoubliable jusque dans ses recoins. Blue Velvet et Twin Peaks montraient que les mondes noirs grouillaient derrière les belles façades et les jardins proprets. Lost Highway va plus loin. L'espace lui-même absorbe, se tord, se contracte. L'horreur ne surgit pas des nombreuses trouées sombres. Elle naît de cette impression récurrente d'être avalé par celles-ci, vers on ne sait où. En découle notamment la justification, comme jamais sans doute, de ces cadrages en plongée ou contre-plongée très appuyée, l'aspiration se faisant dans tous les sens. Et quand l'espace n'avale pas, les objets pénètrent violemment les corps, comme le coin de la table basse qui s'invite dans le front d'Andy (Dick Laurent, mafieux et pornographe, se délecte de détourner ainsi, de manière pénétrante, l'usage de sa voiture et de son flingue, emboutissant le véhicule d'un quidam et menaçant indirectement Pete de lui faire sauter la cervelle par le trou de balle). Ou encore, comme lors de l'explosion inversée, ou annulée, du bungalow dans le désert (effet répété une fois, "en toute logique"), les lieux se reconstruisent eux-mêmes, en autonomie, au-delà de l'entendement, à rebours de la loi naturelle. Le cinéma de Lynch est aussi un cinéma de l'impossible.

  • C'était mieux avant... (Février 1985)

    Janvier est déjà passé depuis un moment, non ? Alors il faudrait peut-être penser à poursuivre notre odyssée temporelle et voir ce qui se tramait dans les salles obscures de notre doux pays en Février 1985 :

    bodydouble.jpgLe film du mois ? Certains, que l'on qualifiera de De Palmophiles, vous diront à coup sûr qu'il s'agit de Body double. Malgré la craquante Melanie Griffith, ce titre de l'inégal barbu n'a jamais provoqué chez moi autre chose qu'un léger soupir, que ce soit au moment de sa sortie ou à la revoyure, une dizaine d'années plus tard. Bizarrement (ou pas), j'ai fini par le confondre avec le clip de Frankie Goes To Hollywood, Relax. Non, le film du mois, qui l'est resté pour moi de 1985 à aujourd'hui, est bien le Brazil de Terry Gilliam, aventure plus orwellienne encore que le 1984 de Michael Radford (sorti peu de temps auparavant) et pierre angulaire de ma cinéphilie. Pour la première fois, l'ex-Monty Python semblait trouver les moyens de concrétiser ses incroyables visions et proposait un phénoménal ballet futuriste noir et hilarant, dont l'hallucinant final allait longtemps faire mon bonheur de possesseur de magnétoscope.

    Dune aurait dû créer le même choc. A l'époque, j'étais plutôt attiré par la présence de Sting sur l'écran (de David Lynch, il me semble que je ne connaissais même pas encore Elephant Man) et me trouvais vaguement déçu. Revu au début des années 2000, le film m'a paru une catastrophe à peu près totale. Quelques fulgurances, un baron volant, un son très travaillé et c'est tout. Le reste n'est que charabia, forces invisibles, laideur généralisée, narration à la ramasse, musique abominable (Toto !). Tant que je suis au rayon SF, je dois mentionner quelques titres, laissés passer sans regret : L'aventure des Ewoks de John Korty (production LucasFilm dérivée du Retour du Jedi, à destination des enfants et dont même les fans hardcore de Star Wars semblent vouloir oublier), C.H.U.D. (Cannibale. Humanoïde. Usurpateur. Dévastateur.) de Douglas Cheek (tout est dans le sous-titre) et Star Trek III : A la recherche de Spock, signé par Leonard Nimoy en personne.

    purplerain.jpgOn était aussi, en ce temps-là, A la recherche de Garbo. Sans que cela paraisse ajouter à sa gloire, Sidney Lumet filmait Anne Bancroft qui se mourait d'un cancer et rêvait de rencontrer la Divine. Des États-Unis parvenaient également quelques produits plus indépendants comme Alphabet City (Amos Poe) et Variety (Bette Gordon), une sorte de bêtisier hollywoodien titré Hollywood Graffiti (Ron Blackman et Bruce Goldstein) et un retour classique sur la grande dépression avec Les saisons du cœur (de Robert Benton, avec Sally Field et Ed Harris). Mais n'oublions pas Purple rain d'Albert Magnoli, film supposé lancer le chanteur Prince au cinéma. Le but ne fut pas atteint, seule la B.O. restant dans les mémoires.

    Deux dessins animés sortaient sur les écrans en ce mois de février. Le Suédois Peter le chat, de Stig Lasseby et Jan Gissberg, n'a guère laissé de traces. En revanche, il semble qu'avec Gwen, le livre de sable, Jean-François Laguionie ait offert une belle réussite dans le genre SF.

    perilenlademeure.jpgSur notre lancée, abordons les films français. Découvert pour ma part bien après sa sortie, Péril en la demeure, le polar voyeuriste de Michel Deville (avec Christophe Malavoy, Nicole Garcia, Michel Piccoli, Anémone et Richard Bohringer) me séduisit. Il en va de même pour La vie de famille de Jacques Doillon, probablement le premier film de cet auteur que j'ai pu voir et qui me surprit alors totalement devant ma télévision avec ce fragile récit d'une relation père-fille. L'événement national était cependant à chercher plutôt du côté de L'amour braque. Andrzej Zulawski y faisait tournoyer Sophie Marceau entre Francis Huster et Tcheky Karyo, apparemment de manière plus ou moins scandaleuse (je n'ai malheureusement jamais vérifié). Parmi les autres sorties du mois battant pavillon français, on notera L'amour en douce d'Edouard Molinaro (comédie assez bien reçue, avec Jean-Pierre Marielle et Daniel Auteuil, et révélant Emmanuelle Béart), Les Nanas d'Annick Lanoë (avec Marie-France Pisier, Anémone, Dominique Lavanant, Macha Méril, Juliette Binoche... et pas un seul mec), La part des choses de Bernard Dartigues (un documentaire sur une famille d'agriculteurs), Le thé à la menthe d'Abdelkrim Bahloul (comédie dramatique entre France et Algérie), Tranches de vie de François Leterrier (film à sketches d'après Gérard Lauzier, de bien mauvaise réputation). Enfin, une convergence semble se faire entre trois œuvres, trois films-jeu aux trames relâchées et ludiques : Signé Charlotte de Caroline Huppert, Rouge-gorge de Pierre Zucca, et, le plus allêchant du lot, Les favoris de la lune, premier film français du Géorgien Otar Iosseliani.

    heimat.jpgLe film de kung-fu mensuel se nommait La conspiration de Shaolin (de Roc Tien), du Brésil, débarquait O amuleto de Ogum, un thriller de 1974 signé par l'ancienne gloire Nelson Perreira dos Santos et deux propositions ouest-allemandes étaient faites : comme son nom l'indique, Out of order... En dérangement (de Carl Schenkel, un huis-clos dans un ascenseur) et, d'un tout autre intérêt, Heimat, la chronique fort réputée d'Edgar Reitz initialement concue pour la télévision (affichant une durée totale de 15h). Enfin, il reste dans cette liste un titre, et non des moindres, vu le succès qu'il obtint à l'époque : La déchirure du Britannique Roland Joffé. Bien qu'elle ne soit probablement pas dépourvue de quelques qualités, je n'ai guère envie de revoir aujourd'hui cette œuvre édifiante sur les atrocités des Khmers Rouges. Il faut dire que son final est susceptible de dégoûter à jamais de la musique de John Lennon, tout le contraire de Gilliam et son Braaaaziiiiil....

    ecranfantastique53.jpgEn ce qui concerne les couvertures des revues et autres magazines cinéma, les choix étaient variés. Dune apparut "monumental" à L'Ecran Fantastique (53), La vie de famille fut mis en avant par La Revue du Cinéma (402), Les favoris de la lune eurent les honneurs des Cahiers du Cinéma (368), après avoir profité de ceux de Positif un mois plus tôt, lesquels prenaient un peu d'avance en saluant Théo Angelopoulos et son Voyage à Cythère (288). Deux films de janvier se retrouvaient par ailleurs à la une : The element of crime de Lars Von Trier sur celle de Cinéma 85 (314), et le Razorback de Mulcahy sur celle de Starfix (23). Enfin, Cinématographe (107) publiait un dossier sur "Les écrivains et le cinéma" tandis que Première (94) mettait en couverture Isabelle Adjani (pour l'imminent Subway).

    Voilà pour février 1985. La suite le mois prochain...

     

    Pour en savoir plus : C.H.U.D., Dune et Star Trek III vus par Mariaque, Heimat vu par Eeguab.

  • The grandmother

    (David Lynch / Etats-Unis / 1970)

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    grandmother.jpgThe grandmotherest le premier ouvrage conséquent de David Lynch, un film de 34 minutes réalisé en 1970, après deux très courts métrages (Six figures, 1967, 1', animation et The alphabet, 1968, 4', animation et prises de vues réelles) et avant l'entrée dans l'aventure du tournage de Eraserhead.

    J'ai essayé de voir ce coup d'essai avec les yeux de l'innocence, en tentant de faire abstraction de ma connaissance de la suite du parcours de l'Américain. Autant l'avouer tout de suite, c'est mission impossible. Tout d'abord, l'univers de Lynch est si singulier, son imaginaire tellement fort, que le moindre signe renvoie fatalement à l'ensemble de l'oeuvre. Ensuite, The grandmother pose clairement les bases de la plupart des figures, des thèmes et des obsessions lynchiennes.

    Mike est un petit garçon né "végétalement" d'un couple perturbé. Maltraité par son père et mal aimé par sa mère, il aime se réfugier dans son grenier, là où il a découvert un sac de graines. L'une d'elles, suite à ses soins, a germé, grandi en prenant une forme indéfinissable, pour finalement donner naissance à une vieille dame. Auprès de cette grand-mère, Mike apprend la tendresse et parvient à s'émanciper, du moins par l'imaginaire, de ses parents. Cette femme mourra, probablement, mais laissera le garçon définitivement changé.

    David Lynch crée pour la première fois l'un de ses étonnants monde parallèle à l'intérieur même de la maison familiale. Toutes les pièces baignent dans le noir, seuls quelques éléments du décor et les visages pâles des personnages se détachent du fond obscur. Des touches plus colorées dénotent ici ou là. Ce film est-il en noir et blanc ou en couleurs ? A l'instar de la lumière, Lynch triture également les vitesses de défilement et multiplie les gros plans déformants, faisant sentir ainsi toute la monstruosité de ces êtres et ajoutant encore une couche d'angoisse. Il alterne aussi, comme dans The alphabet, prises de vues réelles et séquences d'animation primitives, entre schémas scientifiques enfantins et peintures de théâtre grand-guignol.

    L'expérimentation porte également sur la texture sonore. Les coupes brutales dans la bande-son déstabilisent d'autant plus qu'elles ne coïncident pas forcément avec un changement de plan. Entre les personnages, pas un mot n'est échangé. Les parents se contentent d'aboyer "Mike ! Mike !". A la musique originale (signée d'un certain groupe (?) Tractor) ne manque même pas, vers la fin, le moment d'apaisement apporté par une ballade chantée d'une voix féminine éthérée à la Julee Cruise.

    Avec trois fois rien, Lynch nous fait basculer dans son cerveau brousailleux, là où la distinction entre végétal et animal n'a plus lieu d'être, là où la surface de la cellule familiale semble toujours prête à se fissurer et laisser remonter les pires horreurs. Sur-évaluation et sur-interprétation que tout cela ? En tous cas, vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévénu dès le début...