Un petit exercice comptable m'ayant quelque peu retardé dans mon planning, il est plus que temps, histoire de poursuivre notre voyage mensuel dans le passé, de tourner la page de Décembre et de s'intéresser à l'offre cinématographique qui était proposée aux spectateurs français en Janvier 1985 :
Malgré quelques navets, le plat servi était particulièrement consistant. Passons rapidement, de A à R, sur A nous les garçons (de Michel Lang, une comédie avec le jeune Franck Dubosc), Apocalypse dans l'océan rouge (de John Old Jr alias Lamberto Bava, un film de monstre marin), L'arbre sous la mer (une tentative de cinéma fantastique par Philippe Muyl), L'aube rouge (de John Milius, film d'anticipation tendance propagande anti-communiste), Boléro (John Derek filmant les aventures érotiques de sa femme Bo - souvenir ému d'une affiche affolante), Brigade des mœurs (polar de Max Pecas, interdit aux moins de 18 ans), Ça n'arrive qu'à moi (de et avec Francis Perrin), Le défi du tigre (de Walter Gordon avec Mister T), Glamour (de François Merlet), Horror kid (de Fritz Kiersch d'après Stephen King), Les orgies de Caligula (série Z italienne de Frank Kramer et Laurence Webber), Rendez-vous à Broad Street (film de Peter Webb, interprété et écrit à la gloire de lui-même par Paul McCartney) et Les rues de l'enfer (avec Linda Blair, film de Danny Steinman).
On s'interroge un peu plus longuement sur quelques propositions françaises : Les enragés de Pierre-William Glenn (avec Fanny Ardant et François Cluzet), L'été prochain de Nadine Trintignant, Ni avec toi ni sans toi d'Alain Maline (mélodrame avec Philippe Léotard et Evelyne Bouix), Palace d'Edouard Molinaro (les aventures, en 1944, du duo Auteuil-Brasseur), Le téléphone sonne toujours deux fois de Jean-Pierre Vergne (écrit et interprété par les cinq - à l'époque - Inconnus), Un film (Autoportrait), essai autobiographique de Marcel Hanoun.
En ce temps-là, les néo-nazis n'avaient qu'à bien se tenir : Roger Hanin (Train d'enfer) et Gilles Béhat (Urgence) les avaient à l'œil. L'espagnol Mario Camus connaissait le succès avec ses (académiques ?) Saints innocents, chronique campagnarde des années 60. Pour Le Pape de Greenwich Village, Stuart Rosenberg, réunissait (en vain ?) un casting très huppé (Mickey Rourke, Eric Roberts, Darryl Hannah). El Norte de Gregory Nava traitait de l'émigration clandestine des Mexicains vers les States.
Gravissons une nouvelle marche et évoquons Les amants terribles de la critique des Cahiers, Danièle Dubroux (chassé-croisé amoureux et distancié dans un hôtel romain), Another country, un regard sur le système social anglais des années 30, réputé d'honnête facture (par Marek Kanievska, avec Rupert Everett et Colin Firth), Le crime d'Ovide Plouffe de Denys Arcand et Sœurs de scène, classique du cinéma chinois datant de 1965 et signé par Xie Jin. En ce mois de janvier 85, trois films, reliés plus ou moins solidement au fantastique ou à la SF, firent sur nous, adolescents, leur petit effet : Philadelphia experiment de Stewart Raffill, Razorback du videoclippeur Russell Mulcahy et La compagnie des loups de Neil Jordan (cités ici dans un ordre allant probablement du moins intéressant à revisiter aujourd'hui au plus résistant face aux aléas du temps).
Six mois après avoir assisté au Retour de l'inspecteur Harry, nous retrouvions Clint Eastwood, lequel déléguait (apparemment très relativement) la mise en scène de La corde raide à Richard Tuggle, pour un résultat pour le moins troublant ("Flic ou violeur ?" assenait l'inquiétante affiche de ce film peu confortable dans lequel la star rudoyait allègrement son image). Les frères Taviani, Paolo et Vittorio, alors valeurs sûres du cinéma italien proposaient leur Kaos (Contes siciliens), une suite de récits adaptés de Luigi Pirandello. Le film me glissa personnellement un peu dessus, mais il a ses défenseurs. Plus ébouriffant fut le retour de Francis Ford Coppola, après la récréation Outsiders/Rusty James : avec Cotton Club, le cinéaste déballait un nouvel objet visuel fascinant, mélange de film de gangster et de musical se terminant dans un long feu d'artifice éblouissant. Et le tour des auteurs n'est pas fini puisque Jean-Luc Godard et John Cassavetes étaient aussi au rendez-vous : Je vous salue Marie se frottait au sacré et reveillait les intégristes (petit scandale à la clé) et Love streams était une nouvelle occasion (et finalement la dernière) de voir le cinéaste américain (se) diriger (avec) Gena Rowlands (ici dans le rôle de sa sœur). Malgré leur force, ils ont été tous deux, dans ma mémoire, totalement éclipsés par quelques autres Godard et Cassavetes.
Finalement, ce mois de janvier n'a-t-il pas été avant tout le grand moment d'une double révélation ? La première, pleine de douceur, est celle de Jim Jarmusch, dont sortait le deuxième film, Stranger than paradise, très supérieur à un premier essai (Permanent vacation) pourtant déjà stimulant. Les images et les sons de cette déambulation à trois s'achevant en Floride, imposaient un style et allaient nous accompagner longtemps. La seconde, plus tonitruante, est celle d'un Lars Von Trier débutant dans le long-métrage, mais déjà aussi arrogant que génial. Element of crime, c'est le souvenir d'un néo-polar à l'aspect poisseux, pourrissant, et pourtant particulièrement revigorant (tous comme deux titres que j'ai omis de mentionner jusque là, James Band 069, agent secret pour obsédées sexuelles et Sexfinger ?).
Du côté de la presse cinéma, Première (94) mettait en couverture Lanvin et Giraudeau, "ensemble pour la première fois" (pour Les spécialistes, qui allaient casser la baraque en mars) et Cinéma 85 (313), Michel Bouquet. Cinématographe (106) proposait un dossier spécial "box office" tandis que les autres se répartissaient équitablement les titres à mettre en vedette : Kaos pour Jeune Cinéma (164), La compagnie des loups pour L'Ecran Fantastique (52), Love streams pour les Cahiers du Cinéma (367), Les favoris de la lune (d'Otar Iosseliani, film sorti le mois suivant) pour Positif (287), L'été prochain pour La Revue du Cinéma (401) et Cotton Club pour Starfix (22).
Voilà pour janvier 1985. La suite le mois prochain...
Pour en savoir plus : La corde raide, La compagnie des loups & Stranger than paradise vus par Mariaque, La mort en direct vue par Raphaël.
Commentaires
Belle période. Plutôt de bon souvenirs de "Another country", "Compagny of the wolves", "Philadelphia experiment" que j'ai revu avec plaisir il y a peu. Et même souvenirs légers mais pas désagréables de "Palace" et "Urgence" quoique je doute que ça ait bien vieillit.
"Razorback", à l'époque on en disait beaucoup de bien chez Starfix mais je ne l'ai découvert qu'en DVD et bof, bof. Pareil pour le second Jarmush vu plus tard.
"La corde raide" m'avait fait grosse impression. Il fait partie des films qui m'ont fait apprécier Eastwood à l'époque.
Le gros morceau, ça reste le Coppola. J'adore ce film. A sa sortie, je l'ai vu deux fois et je l'ai même un temps préféré au "Parrain". J'étais fou de Diane Lane et j'avais acheté la BO dont je ne me suis jamais lassé.
Toujours pas vu les deux pointures, le dernier Cassavetes et le Godard.
Oui, un assez joli mois de janvier...
"Razorback", je ne me rappelle plus si je l'ai découvert en salles à l'époque ou quelques mois plus tard en vhs. Son effet s'est vite dissipé et au bout de quelques temps, j'ai dû dire moi aussi, "bof, bof".
D'accord avec toi, aussi, à propos du Coppola. Mon souvenir s'était un peu laissé recouvrir par la réputation d'objet un peu vain qu'a eu à un moment donné le film, or, je l'ai revu il y a quatre ou cinq ans et j'ai été absolument scotché.
Bonjour Ed, je retiens de cette année là: Another country et Love Streams (film magnifique). Pour les autres, je me rends compte que je ne les ai pas vus. Bonne journée.