(Alain Corneau / France / 2007)
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Défense d'un film descendu en flammes un peu partout pour crime de lèse-Majesté-Melville, casting de stars et esthétisme forcené (délit gravissime au pays du cinéma naturaliste).
Je pourrai jouer la provocation en avançant que cette adaptation du Deuxième souffle de José Giovanni est meilleure que celle réalisée par Jean-Pierre Melville en 66. Mais l'honnêteté me pousse à préciser que j'ai vu cette dernière il y a bien trop longtemps pour en garder des souvenirs précis. Et c'est probablement un avantage que de ne pas l'avoir trop en tête en regardant la relecture proposée par Corneau. Cela permet en tout cas de se laisser porter à nouveau par l'histoire du retour du vieillissant Gustave Minda au pays des truands et de savourer les quelques retournements de situation inattendus, puisque là est le premier plaisir du film : suivre un récit policier particulièrement bien ficelé.
L'esthétique du film a déplu, on parle de kitsch. Alors la photographie de Christopher Doyle pour les derniers Wong Kar-wai l'est aussi. Car on pense par moments à In the mood for love pour la façon d'éclairer ces intérieurs des années 60, sans que la similitude soit gênante, le travail d'Yves Angelo à l'image baignant la totalité de l'oeuvre dans cette ambiance quasi-irréelle. Ce choix radical permet également à Corneau de ne pas trop en rajouter du côté de la reconstitution et de tous les signes de l'époque. La photographie suffit à faire ressentir le décalage temporel. L'effet est souligné, a contrario, par le tout dernier plan, seul moment où le réalisateur laisse ostensiblement quantité de figurants envahir le cadre d'une ruelle sous une lumière tout à coup naturelle, belle manière de raccompagner en douceur le spectateur vers le monde réel après la fiction.
Les critiques se plaignent également de ne voir que des acteurs momifiés, de visiter un musée du polar (soit dit en passant, ce sont les mêmes reproches qui étaient adressés, en son temps, à Melville pour ses polars, devenus maintenant intouchables). Corneau veut faire passer le sentiment de la fin d'une époque (celle des truands "d'honneur"), l'engourdissement des figures, le ballet de spectres. Fallait-il qu'il fasse gesticuler ses interprètes pour ne pas risquer de s'entendre dire que tout cela manque de vie ? Et parlons-en des acteurs, tiens. Les vedettes abondent et jusqu'aux rôles secondaires, les têtes sont connues. Chacun est à sa place et fait ce qu'il sait faire de mieux : Duvauchelle, Dutronc, Duval, Melki, Nahon etc... Le personnage du commissaire joué par Michel Blanc est un peu trop univoque et omniscient, avec un dialogue farci de mots d'auteurs (dont la plupart sont cependant efficaces). Auteuil est bon, excellent dans certaines scènes, comme celles qui suivent le hold up où fébrile et inquiet il guette le grain de sable qui ne manquera pas de tout faire dérailler. Restent les deux choix qui fâchent : Monica Bellucci et Eric Cantona. Leur duo dans le night club du début fait peur, mais les choses s'arrangent par la suite. Bellucci n'est toujours pas une actrice convaincante, mais cette Manouche est ici une pure image, sans profondeur. Passant sur les scènes les plus intimes, on s'en accommode donc assez bien. Cantona s'impose sur la longueur. Sobre, il donne des instants justes face à Daniel Auteuil et rend crédible son dévouement. Et c'est finalement l'un de ceux qui font vivre le mieux la langue de l'époque.
Le deuxième souffle n'est pas sans défauts non plus dans sa mise en scène, mais ceux-ci résultent plutôt d'une joie de filmer mal contrôlée. Ainsi, aux deux extrémités du film, deux ratages sont évidents : la séquence du night club déjà évoquée et celle du règlement de comptes final entre gangsters, introduite par un effet visuel grossier et poursuivie dans une débauche de ralentis. Pour le reste, Corneau s'en sort remarquablement, ménageant nombre de surprises, visuelles, verbales ou scénaristiques, tenant jusqu'au bout son parti pris esthétique et offrant une magnifique scène de hold up, longue séquence enveloppée par la partition de Bruno Coulais et montée avec précision. Plastiquement ambitieux et cohérent, gardant un intérêt constant le long de ses 2h30, ce très bon policier français, déjà handicapé par une affiche atroce et une bande-annonce à faire fuir, n'avait pas besoin de subir les attaques sans discernement d'une critique toujours prompte à descendre les cinéastes post-Nouvelle Vague.
Cutter's way (titre original, plus utilisé que La blessure) est un étrange film noir, signé par un cinéaste d'origine tchèque, ayant suivi une trajectoire parallèle à celle de Milos Forman, le succès public en moins (des débuts remarqués dans son pays à une série d'oeuvres en exil aux Etats-Unis). Les premières scènes rendent hommage au genre avec la découverte par Bone (Jeff Bridges) d'un cadavre dans une ruelle battue par la pluie, mais par la suite, Passer ne cessera de s'écarter des codes établis. Difficile de parler de véritable enquête tant les digressions abondent, tant la véracité des faits est peu démontrée. C'est Cutter, ami de Bone et ancien du Vietnam, qui se charge de faire avancer l'intrigue. Il y a bien des événements scénaristiques mais l'ambiance est plutôt celle d'une chronique, d'une ballade avec ses ruptures de tons, dans la veine des Huston et Altman des années 70. Le monde décrit est étrange, entre loose et opulence, sous le climat de Miami. Les rapports entre les personnages sont d'une honnêteté rare. Jamais leur passé respectif n'est explicité. Un ménage à trois (Bone, Cutter et sa femme) semble en place depuis longtemps, plus ou moins accepté par chacun. Une impression de flottement se dégage; toute l'affaire ne pourrait finalement être que délire d'imagination de la part de Cutter. Jusqu'à la fin, nous ne savons pas à quoi nous en tenir. Cela se termine sur un coup de feu coupé par le noir tombant tout à coup sur l'écran, laissant le spectateur dans l'expectative, comme le feront plus tard Tarantino ou Kassovitz. Autre attrait de ce faux polar très attachant : Jeff Bridges, cool, poussé sans cesse à l'action par son acolyte et y allant à contre-coeur.
Avec les deux Election (vus en salles au printemps), To creuse son sillon et tente son Parrain à lui à travers l'histoire d'une lutte pour le pouvoir au sein d'un clan de la pègre hong-kongaise. Dans le premier volet, tout est enrobé d'obscurité, et ce dès les premières scènes de tractations entre les "oncles" en vue de l'élection du nouveau parrain, où les visages sont volontairement sous-éclairés. Un des règlements de comptes se fera l'après-midi dans un restaurant, mais le store sera tiré pour prendre au piège et pour faire le noir. L'exception arrive au dénouement, au cours de la partie de pêche. Ce brutal éclairage se fait alors aussi sur la personnalité de Lok, jusque là le personnage qui attirait la sympathie du spectateur face au chien fou Big D, mais dont on sentait bien qu'il était, lui aussi, capable des pires horreurs. Johnnie To connaît sa grammaire et montre donc, bien sûr, l'ambiguïté inhérente à ces récits de gangsters. Roi des scènes d'action, il innove constamment, sans en faire trop, d'où l'impression grisante de voir celles-ci filmées exactement comme il le faut. Dense et sec, Election 1 ne dévie pas de son propos : la lutte pour acquérir un pouvoir absolu et le néant qui en découle.
Si Election 2 me déçoit quelque peu, c'est que le style ne varie guère et que les personnages ne sont pas spécialement approfondis (alors que de ce côté-là, la deuxième partie du Parrain, c'est quand même quelque chose...). Passant sur les deux ans du mandat de Lok, qui nous auraient bien intéressés, Johnnie To concentre son récit sur la nouvelle élection et reproduit son schéma des règlements de comptes entre candidats. Les ramifications du scénario sont moins complexes (moins de protagonistes entrent en jeu) et les affrontements sont plus systématiques (mais on n'oublie pas la scène dans le chenil). Une dimension politique est ajoutée en traitant des rapports avec la Chine, qui semble in fine tirer toutes les ficelles. Le diptyque (provisoire ?) se clôt toujours plus sombre (nous sommes passé d'une partition plutôt pop à une musique lancinante) et plus violent.
David Fincher est connu pour ses constructions scénaristiques complexes et pour sa mise en scène virtuose. Pour ma part, je trouvais que ce talent visuel fonctionnait à plein dans Seven, un peu moins dans The game, puis plus du tout dans Fight club (je n'avais rien trouvé de particulier à son volet d'Alien et je n'ai pas vu Panic room). C'est avec plaisir que j'ai donc constaté dans son récent Zodiac la maîtrise d'une mise en scène plus classique. Fincher n'y abuse pas d'effets gratuits, ni de retournements douteux.