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polar

  • The chaser

    On peut adresser un reproche à Na Hong-jin, celui de n'être arrivé qu'après Park Chan-wok et Bong Joon-ho pour œuvrer à son tour au cœur du cinéma coréen, soit à la croisée maintenant bien connue des chemins du film policier, du thriller horrifique, du mélodrame et du politique (sans oublier la petite piste humoristique). Replacé dans la chronologie, ce mélange des genres ne fait donc pas décrocher à The chaser la palme de l'originalité. Cela n'en reste pas moins, à mes yeux, une belle réussite.

    Des filles disparaissent dans Séoul. Un tueur en série sévit. La police, qui a d'autres chats (politiques) à fouetter, enquête mollement et maladroitement. Le boulot est donc plutôt fait par Joong-ho, ancien flic devenu proxénète et comptant quelques unes de ses filles parmi les disparues.

    La première impression est celle d'un cinéaste assez sûr de son scénario, aussi tordu que prenant, pour ne pas l'enfouir sous une mise en scène tape-à-l'œil. On l'apprécie, à quelques ralentis près, pour son efficacité, son rythme, ses savantes alternances entre pauses et courses, son économie musicale, ses tours de vis et ses mystères non élucidés. Surtout, elle rend compte d'une topographie très particulière, celle d'un dédale de petites rues dans un quartier de la capitale sud-coréenne. A la suite du héros, nous sommes toujours ramenés au même endroit, un croisement où les ruelles et impasses semblent changeantes. A notre grande surprise, sans pour autant nous faire tomber dans l'irréel, ce coin peut se remplir ou se vider en un clin d'œil. En pleine nuit, un embouteillage impromptu peut soudain permettre une arrestation et l'un des plus horribles événements a lieu dans la journée, en un lieu trop tranquille où il devrait pourtant y avoir du passage.

    Flirtant avec le thème de la vengeance de manière bien plus fine que ne l'a fait récemment Tarantino, Na Hong-jin fait de son personnage principal un maquereau a priori douteux voyant cependant sa carapace se fissurer petit à petit, perdant sa contenance, ses repères et ses nerfs, et surtout semblant progressivement bouffé par une culpabilité jamais réellement pointée mais bien présente, en sourdine.

     

    THE CHASER de Na Hong-jin (Chugyeogja, Corée du Sud, 125 min, 2008) ****

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  • Ocean's eleven

    Cool la musique agréablement funky et rétro (nous sommes bien dans un remake) de David Holmes, agrémentée de pincées de Handsome Boy Modeling School, Quincy Jones ou Elvis Presley. Résultat d'un mood assez proche de celui de Tarantino (entre le pastiche, l'hommage, le clin d'œil et le pur fun), elle s'avance toutefois de manière moins tambourinante (et s'il faut comparer, nous pouvons dire cela de toutes les composantes du film).

    Cool le casting. Les cinq stars, George, Brad, Matt, Andy et Julia, font le job, c'est-à-dire qu'elles ne donnent pas l'impression de faire grand chose d'autre qu'être là, ce qui s'avère la plupart du temps suffisant puisque les "présences" sont évidentes et les personnages clairement dessinés. Derrière eux, les featuring sont aussi agréables, mention spéciales aux "vieux", Carl Reiner, dont le cœur est prêt à flancher à tout moment (occasion d'une jolie petite manipulation du cinéaste qui nous fait croire que le malaise du personnage, au plus fort du suspense, est réel et non feint), et Elliott Gould, en "parrain" d'un mauvais goût réjouissant (un peu gay, peut-être).

    Cool le décor de Las Vegas, rendu par Soderbergh plus élégant qu'il n'est certainement. La remarque peut s'étendre à l'apparence des personnages : même les aspects les plus bling-bling n'attirent pas les quolibets du spectateur.

    Cool la mise en scène, le cinéaste faisant preuve d'un flow ondoyant et chaleureux. Le montage et les mouvements d'appareil sont vifs sans excès, le rythme, égal, est assuré d'un bout à l'autre de ces presque deux heures d'horlogerie, le film est hautement musical, aussi bien dans ses transitions que dans ses morceaux de bravoure, l'humour est bien dosé, l'accumulation des péripéties défie la vraisemblance avec un grand smile.

    Nevertheless, trop de cool peut aussi, sinon tuer le cool ou couler le truc, au moins coller le trouble. Ce n'est pas désagréable cette coolitude au carré (et on ne peut pas parler non plus "d'ennui") mais on en sort avec l'impression que le film a glissé sur nous comme le surfboard sur la vague océane. Aucun effort n'est réalisé pour placer des choses derrière la surface, dans la profondeur. Si l'opération qui est détaillée ici est éminemment complexe (et si elle impose à certains des protagonistes de "jouer" plusieurs rôles), le récit, les caractères et les enjeux ne le sont guère. Catchy, brillant et amusant, Ocean's eleven, c'est l'histoire d'un casse spectaculaire, et seulement cela, ce qui en limite quelque peu la portée (y compris dans la filmographie de Soderbergh). Une phrase sortie par Clooney est symptomatique par la façon dont elle désamorce toute inquiétude ou tension future. Devant son pack, ses onze complices réunis pour la première fois, il lance la soirée par un "si vous voulez laisser tomber, il est encore temps : mangez un morceau et tchao, sans rancune". Alors je veux bien que l'on fasse un film criminel sans une goutte de sang (la seule blessure est purement accidentelle) et avec des gangsters sympas, mais bon, ça c'est quand même un peu trop cool. Isn't it ?

     

    OCEAN'S ELEVEN de Steven Soderbergh (Etats-Unis, 116 min, 2001) ****

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  • Six courts métrages de D.W. Griffith

    (un programme diffusé en son temps par Le Cinéma de Minuit)

     

    The battle (1911, 19 min) ****

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    Une des méthodes qu'utilise Griffith pour s'affranchir de la contraignante présentation en tableaux indépendants qui caractérise le cinéma des premiers temps, c'est le prolongement, grâce au découpage (et à un cadrage très précis), de ces tableaux par les bords. Par un bord, plus exactement. Les plans s'assemblent ainsi les uns aux autres. C'est flagrant, presque schématique, ici. Dans la pièce principale de la maison de The battle se trouve l'héroïne et y entrent des soldats blessés cherchant un abri. A droite, une porte s'ouvre sur l'extérieur. De l'autre côté, on passe sur la terrasse en bois qui délimite à la fois l'entrée de la maison et le début du champ de bataille. Les axes et les échelles de plans sont toujours les mêmes et nous avons donc bien à gauche de la collure du plan l'intérieur et à droite l'extérieur. L'organisation de l'espace est claire, visant à la compréhension immédiate du spectateur.

    Le découpage fait penser à la pliure d'un livre ou mieux, d'un dépliant, car Griffith propose plus que deux volets. L'espace se prolonge en effet au-delà du mur servant de charnière aux plans (charnière très visible, mécanique, grinçante : peu à peu, au fil des films, Griffith va huiler tout ça). "Sur la droite", le champ de bataille s'étend assez loin. La ligne de front où combattent sudistes et nordistes est vue sous deux ou trois angles différents et même quelques coups d'éclats sont décrits à proximité du lieu.

    Cependant, la vision reste plutôt étroite, pas assez étendue en tout cas pour, à nos yeux d'aujourd'hui, englober la guerre. Le dispositif filmique est trop simple, comme l'est l'interprétation d'ensemble. Les acteurs principaux et les figurants montrent bien qu'ils sont tourmentés, qu'ils meurent ou qu'ils sont blessés, se tournant par exemple face à la caméra lorsqu'ils sont atteints par les balles de l'ennemi. De plus, le scénario est convenu : le jeune soldat couard, pris de panique lors de son baptême du feu, se ridiculise aux yeux de sa belle avant d'effectuer un acte de bravoure qui décidera du sort de la bataille. Tout de même, le rythme est des plus vifs, réglé comme du papier à musique.

     

    One is business, the other crime (1912, 15 min) ****

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    Le fonctionnement par "volets", qui atténue sérieusement la force de The battle, constitue l'attrait, le principe même, très réfléchi, de One is business, the other crime. Deux couples nous sont présentés : l'un riche, l'autre pauvre. S'opposent misère et bonne société, et, bientôt, vol et... corruption. Car l'ouvrier ne vaut pas moins que le grand bourgeois, il n'est pas plus condamnable, au contraire dira-t-on. Griffith traite de la réconciliation possible, de la tolérance, de l'entraide, l'homme riche donnant finalement du travail au pauvre qui a tenté de le voler.

    Le découpage tient ici de l'effet de miroir. Les pauvres sont montrés dans leur petit appartement avec fenêtre à rideaux sur la droite. Les riches le sont dans leur vaste salon avec de grandes ouvertures sur la gauche. Et nous passons sans cesse d'un lieu à l'autre. Le dispositif garde son évidence mais apparaît moins rigide, l'éloignement entre les deux habitations permettant l'insertion de plans de rues intermédiaires. Ceci va de pair évidemment avec l'usage du montage parallèle qui montre deux actions simultanées et qui précisément ici permet de faire tenir ensemble dans l'espace du film deux pièces de la belle demeure : le salon où s'introduit le voleur et la chambre à coucher depuis laquelle la femme seule entend ce dernier, s'empare d'un revolver et s'en va le surprendre.

     

    Death's marathon (1913, 17 min) ****

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    On sait que chez Griffith, le montage parallèle est souvent associé au "sauvetage de dernière minute". L'usage du procédé est déjà assez complexe dans Death's marathon, au cours d'un final qui relève l'intérêt un peu faible de la première partie de ce film. L'histoire est celle d'une rivalité amoureuse entre collègues qui restent loyaux, et de la dérive du "gagnant" jusqu'au suicide que l'autre essaye d'éviter. La dernière séquence (avant l'épilogue) distribue trois espaces : le bureau où s'est retranché le désespéré, sa maison où sa femme le retient par téléphone interposé, et, entre les deux, les lieux traversés à toute allure par son ami décidé à le sauver.

    Le téléphone est un véritable objet dramatique et "suspensif", ici admirablement utilisé. Y passe toute l'émotion, intense, de la scène (on fait s'exprimer le bébé pour que le père, au bout de fil, n'appuie pas sur la gâchette) et c'est à travers lui que la femme entendra le coup de feu si redouté. Car non, en effet, chez Griffith, le sauvetage ne réussit pas toujours ! Cela, on ne le sait pas forcément et la surprise est grande devant ce dénouement dramatique, à peine atténué par la formation d'un nouveau couple. C'est que, ayant établi ce modèle de figure cinématographique, Griffith veut en jouer à loisir pour mieux surprendre son spectateur.

     

    The miser's heart (1911, 18 min) ****

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    Lorsque le temps est ainsi étiré par la mise en scène, la cruauté peut s'installer d'autant mieux. Il faut voir celle dont font preuve les malfrats de Miser's heart pour obtenir le code du coffre fort où un vieil avare garde ses pièces. Ils n'hésitent aucunement à suspendre dans le vide une fillette venant de sympathiser avec ce dernier et, pire encore, à placer une bougie sous la corde retenant la gamine afin qu'elle se consume progressivement sous les yeux de leur prisonnier. Ce qui est très fort ici, et efficace narrativement, c'est que Griffith montre l'émergence de l'idée dans la tête du gangster, les étapes de sa réflexion.

    Esthétiquement, les "volets" se dépliant et se rabattant dominent encore dans The miser's heart, mais l'échelle semble plus grande, laissant observer, vraiment, un quartier. Partant d'un plus petit sujet, de l'écriture d'une chronique sociale passant par le fait divers, on aboutit, par rapport à la guerre de sécession de The Battle, à une œuvre paradoxalement plus ample. L'espace y est mieux parcouru, les caractères y sont mieux dessinés, la palette comportementale y est plus riche, le regard y est plus proche. Tout paraît plus spontané, moins appuyé.

     

    The musketeers of Pig Alley (1912, 17 min) ****

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    Mais, notamment en termes de jeu d'acteurs, dans cet ensemble de courts métrages griffithiens, voici venu le pic, l'éclair, la brûlure. The musketeers of Pig Alley est seulement le quatrième film de Lillian Gish (les trois premiers étant aussi des Griffith, réalisés cette même année 1912). Pourtant, dès sa première apparition, elle irradie par son extraordinaire capacité à préserver son naturel, à vivre la scène quand tant d'autres à l'époque, y compris chez Griffith, miment et jouent la comédie. Chaque geste et chaque regard de Mademoiselle Gish sonne juste et émeut par sa précision, sa vérité, sa grâce. Pour autant, la fameuse thématique de l'innocence en danger n'a que faire ici et on se rend compte que l'œuvre du cinéaste ne se réduit pas à cela non plus. Dans The musketeers, Lillian Gish épate par sa façon de tenir tête au gangster qui la courtise. Douce et attentionnée avec son homme, musicien les poches vides, elle devient sèche et inflexible face au mauvais garçon jusqu'à lui décocher une fulgurante et jolie baffe dans la poire. Elle figure finalement le rempart du couple.

    Ce court est l'un des Griffith les plus célèbres. Plusieurs atouts ont contribué à sa pérennité, en plus de la présence de la géniale actrice. La légende le présente comme le premier film policier ou criminel. Si c'est certainement abusif d'un point de vue strictement historique, ça ne l'est plus si l'on parle esthétique et naissance du mythe. Griffith présente une histoire de gangsters dans un quartier chaud de New York. Suivant avec autant de plaisir le bad guy que le couple positif, il montre une véritable jungle urbaine, un pullulement de pauvres gens et de voleurs dans des rues étroites. Le format de l'image et le retour à l'écran de certains lieux toujours cadrés de la même façon rendent ce monde étouffant et les trajectoires qui s'y dessinent pré-déterminées. Cependant, ce n'est plus une contrainte subie, c'est une organisation, un dispositif très pensé, destiné à diriger les protagonistes avec la précision d'un maître de ballet.

    Cet arpentage donne naissance à une formidable séquence au cours de laquelle deux gangs se suivent l'un l'autre à travers les ruelles, rasant avec précaution les murs de briques. C'est une poursuite au ralenti, une approche quasi-animale, pendant laquelle le temps se dilate avant l'explosion, l'échange de tirs en une poignée de secondes et quelques nuages de fumée. Ce double rythme, on le retrouvera ensuite partout jusque dans les plus modernes de nos polars.

    La séquence contient un plan iconique ayant lui aussi beaucoup fait pour la réputation du film. Celui de Snapper Kid (personnage excellemment "typé" par Elmer Booth), devançant deux acolytes, remontant vers nous le long d'un mur depuis le fond de l'image jusqu'au gros plan. Griffith a fait une nouvelle conquête : la profondeur, la transversalité. L'espace ne se parcourt plus uniquement dans deux dimensions, les gangsters, le plus souvent, s'avancent, s'enfoncent dans la foule. L'espace s'élargit encore.

    Ce gros plan sur le visage d'Elmer Booth n'est pas une invention cinématographique. Griffith n'a pas tout trouvé tout seul. Mais il est sans doute celui qui parvient alors à rendre ces trouvailles visuelles plus efficaces, à les insérer au mieux dans le récit, à s'en servir pour enrichir et exacerber l'expression. De là vient le sentiment d'assister à la naissance d'un langage, à une articulation nouvelle.

     

    The massacre (1914, 30 min) ****

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    L'image forte s'élevant au symbolique tout en restant parfaitement maintenue par la narration, on la trouve à nouveau dans The massacre, fresque westernienne réalisée trois ans après The battle, avec quel souffle supplémentaire ! Dans la dernière partie, les membres d'un convoi sont attaqués et encerclés par des indiens. Parmi eux, l'héroïne tient fiévreusement son bébé dans les bras. Des coups de feu sont tirés en tous sens, les corps tombent un à un. Au cœur de la séquence, un plan se signale effrontément : on y voit le visage apeuré de la jeune femme, à droite un pistolet qui vise le hors-champ, à gauche une main tenant une bible et, derrière, l'agitation.

    Le groupe est donc encerclé. La conquête de l'espace par Griffith se poursuit : ici, le cercle. Certes, la caméra ne tourne pas sur des rails mais elle s'éloigne et peut alors embrasser les vastes paysages, observer les courbes et les lignes droites que les chevauchées provoquent. On est définitivement débarrassé de l'exiguïté et de la frontalité de The battle.

    Après un prologue classique dans son alternance entre intérieur et extérieur et dans sa présentation d'un triangle amoureux, le film prend son envol avec l'attaque sauvage d'un campement indien. Et oui, l'ultime massacre évoqué plus haut est une vengeance... Le premier agresseur est l'armée et la description de son action est ponctuée par un plan saisissant, jeté avec une insistance inhabituelle. Inhabituelle parce qu'il ne s'y passe rien. On y voit "seulement" des braises volantes et un chien errant autour du corps d'une jeune indienne et de celui de son bébé resté sur elle. "Massacre" serait donc à mettre au pluriel, le second répondant au premier.

    Sur le plan de la morale griffithienne, la vision de ces courts métrages confirme une chose : Naissance d'une nation fut bel et bien une étonnante aberration. La façon dont sont traités les Noirs dans ce célèbre film devient effectivement incompréhensible en voyant comment apparaissent les nobles indiens dans The massacre, comment l'union des bonnes volontés se réalise dans One is business, comment la rédemption de l'avare ou de l'ancien voleur devient possible dans The miser's heart et comment le système est le premier responsable du pourrissement des valeurs dans The Musketeers.

  • Retour de La Rochelle (11/12) : Raoul Walsh (4/4 : l'auto-remake)

    Rétrospective Raoul Walsh au 40e Festival International du Film de La Rochelle, suite (et fin).

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    La grande évasion

    Roy Earle (Bogart) sort de prison, retrouve ses anciens contacts, est embarqué dans un nouveau coup et fait connaissance avec ses partenaires. Raoul Walsh commence par construire sèchement, il épure et va direct au fait... avant de prendre un peu plus son temps. L'attente du braquage est en effet assez longue, mais elle permet de modeler les personnages et le mythe. Celui du gangster (Bogart giffle un sous-fifre pas plus de cinq minutes après être apparu sur l'écran).

    La grande évasion, film criminel qui délaisse la ville pour le grand air, s'attache donc à décrire la dernière ligne droite suivie par un homme qui voit ses ex-complices ou commanditaires passer les uns après les autres la main, quand ce n'est pas l'arme à gauche. Et Earle voit parallèlement monter une nouvelle génération dont les membres semblent se soucier très peu des règles et des codes en vigueur dans le milieu. Nous sommes là au tout début des années quarante. Le thème du vieux gangster qui a fait son temps, celui d'une "noblesse" perdue du crime organisé, ne date donc pas d'hier.

    Le style sans fioriture ni faux-semblant de Walsh, la droiture et la loyauté dans les comportements (le nouveau triangle walshien est cette fois composé d'Humphrey Bogart, Ida Lupino et Joan Leslie et cultive des rapports toujours clairs), l'excellence du Bogey dans l'un de ses meilleurs rôles et la vigueur narrative maintenue malgré une longue pause centrale font du film l'un de mes préférés du cinéaste.

    A peine est-il affaibli par quelques ingrédients (le jeune noir et son chien) et scènes sentimentales. Encore faut-il noter que ces dernières peuvent être balayer d'un revers de main, brutalement, comme lorsque Roy comdamne tout à coup le mode de vie qu'est en train de choisir Velma (Leslie) au bras de son assureur de petit ami. Ici, dans cette scène "domestique", éclate la radicale rebellion habitant le couple Bogart-Lupino, en lutte contre l'ordre établi. L'évasion, la rupture de ban sont tentés mais le nœud se resserre immanquablement. Le dénouement, dans le relief montagneux, est très connu et reste logiquement dans les mémoires.

     

    La fille du désert

    Huit ans après la réalisation cette Grande évasion, Walsh en propose un remake, La fille du désert, en déplaçant l'histoire du terrain du film noir périurbain au territoire moins peuplé du western. La vision rapprochée des deux se révèle bien sûr passionnante, la correspondance se faisant quasiment terme à terme, mais un inconvénient apparaît : il devient quasiment impossible de juger le second uniquement pour ce qu'il est, sans entrer dans un jeu de balance avec le premier.

    Du point de vue du style, il était donc possible d'économiser encore, de purifier, de ciseler, d'assécher. Ce western est carré, noir et blanc, refusant le grand format et l'éclat des décors. Il est minéral et désertique. Si Joel McCrea met aussi peu de temps que Bogart à cogner, il s'émeut beaucoup moins tout au long de cette aventure, La fille du désert étant une œuvre bien moins sentimentale que la précédente. Son final est froidement démesuré et particulièrement violent (physiquement et moralement, ce qui le rend, lui aussi, inoubliable).

    La tonalité est désespérée, malgré une ultime touche religieuse (elle ne suffit pas à contrebalancer le reste). Le couple incarné par McCrea et Virginia Mayo n'est plus un couple rebelle à une société peu attirante mais "vivable". Ce sont cette fois deux personnes qui se retrouvent seules face à un monde repoussant. La différence de caractérisation du troisième personnage, celui de la jeune femme que le héros aimerait d'abord séduire et épouser, est significative. Dans La grande évasion, si Joan Leslie se choisit un autre mari que Bogart, c'est une affaire de goût et de préférence. Son choix est petit-bourgeois mais certainement animé d'un sentiment sincère. Dans La fille du désert, Dorothy Malone s'avère purement vénale, jusqu'à tromper la confiance de McCrea. Elle va probablement, elle aussi, à sa perte, en compagnie de son pauvre père, dans ce lieu déserté.

    La grande évasion racontait la fin d'une génération, La fille du désert raconte la fin du monde.

     

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    etats-unis,walsh,polar,western,40setats-unis,walsh,polar,western,40sLA GRANDE ÉVASION (High Sierra)

    LA FILLE DU DÉSERT (Colorado Territory)

    de Raoul Walsh

    (Etats-Unis / 96 min, 94 min / 1941, 1949)

  • Retour de La Rochelle (10/12) : Raoul Walsh (3/4 : les années 50)

    Rétrospective Raoul Walsh au 40e Festival International du Film de La Rochelle, suite.

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    La femme à abattre

    La femme à abattre est une production Warner entamée par Bretaigne Windust avant d'être reprise en main, pour cause de maladie, par Walsh, à la demande d'Humphrey Bogart, vedette du film. Le critique Edouard Waintrop, qui présentait ce cycle Walsh à La Rochelle, a profité de cette projection pour moquer une nouvelle fois le choix d'un titre français totalement inadéquat. Mais il a surtout signalé que ce film criminel était très représentatif du changement opéré chez le cinéaste au cours des années cinquante, la tonalité générale se faisant beaucoup plus sombre qu'auparavant.

    Effectivement, si cet Enforcer ne tient pas toutes ses promesses (ni celles de Waintrop qui le tient pour l'un des meilleurs Raoul Walsh), il s'avance vers nous de manière assez peu amène. Le flic Martin Ferguson (Bogart) et ses hommes ont coffré un chef de bande et protègent un témoin apeuré dans l'espoir qu'il tienne le lendemain au moment du procès. Mais la nuit s'avère dramatique et l'enquête doit repartir de zéro. L'originalité consiste donc à nous faire prendre l'histoire en cours de route, très près de sa fin même (mais cela nous ne le savons pas encore), et à nous proposer au bout d'un certain temps un nouveau départ.

    On rembobine donc, en suivant un flashback dans lequel viendront se loger plusieurs autres, donnant naissance à un récit-gigogne mais toujours clair. Cependant, le compte rendu de l'enquête est un peu trop répétitif par sa manière de nous faire rebondir d'un suspect à l'autre, d'un cadavre à l'autre. La mécanique est bien huilée mais peu productive en termes d'action et de psychologie (celle-ci est assez limitée, surtout en ce qui concerne le personnage principal).

    Heureusement, le film se signale par un dénouement aussi surprenant qu'astucieux et par sa représentation de la violence. Une violence sèche, terrible, cinglante. Dans La femme à abattre, les meurtres se font au rasoir de barbier ou au couteau et les ellipses qui caractérisent leur mise en scène démultiplient leurs effets, leur préparation nous laissant aisément imaginer le reste, le pire.

     

    Les implacables

    Les implacables, c'est un western de plus de deux heures composé de larges séquences au cours desquelles, bien qu'elles soient ponctuées de belles choses, la tension retombe parfois. C'est plus précisément un film de convoi. Il met toutefois assez longtemps à se mettre en marche, passant par de multiples étapes préparatoires (entre autres, une longue scène de romance dans une cabane).

    Décrivant à nouveau la vie d'un groupe, il offre son lot de sorties verbales et physiques mais les confrontations entres les personnages y ont de racines moins profondes, les caractères y sont plus tranchés, les revirements y sont plus rapides (parfois jusqu'au comique) que, par exemple, dans L'entraîneuse fatale. Entre Robert Ryan, l'homme qui "rêve grand", le capitaliste dur calculant tout afin d'en tirer le plus grand profit, et Clark Gable, l'homme qui se "contente de peu", l'individualiste vaincu (car sudiste) mais digne, têtu, pragmatique, vif et doté du sens de l'honneur, Jane Russell va devoir choisir après avoir réalisé (beaucoup moins rapidement que nous) que l'homme destiné à "aller le plus loin", celui qu'il faut admirer, n'est finalement pas celui qu'elle croyait.

    Ainsi, la piste suivie est plutôt balisée, au gré des tunnels habituels que sont les séquences de passage d'une rivière ou d'une étendue désertique par un immense troupeau, les indiens, quant à eux, comptant comme les obstacles naturels ou les intempéries. Walsh privilégie les plans longs et descriptifs (il en abuse de temps à autre). Dans le canyon où le piège indien a été tendu sont lancés à toute allure chevaux et bovins mêlés, sous les tirs croisés : voilà le morceau de bravoure, désorde visuel pas très heureux esthétiquement.

    Malgré ses qualités, Les implacables, est, à mon goût, un film qui s'étire trop et qui donne au final une leçon un peu trop simple. Il me semble destiné en premier lieu aux purs et durs parmi les amateurs de westerns.

     

    L'esclave libre

    Une fois le décor planté et le temps de l'enfance passé, un premier coup de tonnerre survient. Par la suite, au fil du récit de cette Esclave libre, ces coups ne manqueront pas. Pour commencer, donc, Amantha Starr, jolie fille du Kentucky, apprend la mort de son grand propriétaire de père, se voit spoliée de son héritage et découvre que sa mère était en fait une esclave. Immédiatement, elle se trouve réduite à ce rang infâme.

    Avec une Yvonne De Carlo moitié blanche-moitié noire, ce point de départ peut paraître tiré par les cheveux. Il propulse pourtant à l'intérieur d'une œuvre ambitieuse, intelligente, prenant à bras-le-corps son sujet, sans faux-fuyants. Une interrogation surgit : cette impression de densité vient-elle du fait que le roman adapté (de Robert Penn Warren) est un roman "sudiste" ? Plus précisément : le point de vue du vaincu ne serait-il pas (toujours ?) plus proche de la réalité que celui du vainqueur, tout à sa célébration ? Dans L'esclave libre, ne s'opposent pas les bons Nordistes et les mauvais Sudistes, les gentils Noirs et les méchants Blancs. En fait, on y trouve aussi bien des maîtres chassant et fouettant leurs esclaves que des personnes plus généreuses. Mais il y a plus complexe encore : ces dernières apparaissent parfois, aux yeux des Noirs, "pire" que les autres (car bardés de leur bonne conscience). Le plus compréhensif, le plus respectueux des sudistes avouera avoir été un négrier responsable de massacres en Afrique, tandis que le bon pasteur abolitionniste sera prêt à violer la désirable mulâtresse.

    Hamish Bond (Clark Gable) l'affirme à un moment donné : "L'égalité pour les Noirs, on en parlera encore dans cent ans !" Si la belle légende d'un Nord s'engageant dans la guerre civile pour libérer le peuple noir a perduré, un documentaire récent, The civil war, nous a rappellé, après d'autres, que la vérité était plus complexe et moins noble, notamment lorsqu'il a fallu intégrer les anciens esclaves dans les bataillons yankees. Et cela, L'esclave libre le montrait déjà clairement.

    Mais le film n'a pas qu'une qualité de clairvoyance historique. Dans ce mélodrame fiévreux, Walsh organise de fortes oppositions successives, en les modulant d'une scène à l'autre, jusqu'à les renverser parfois. D'où cette sensation de richesse narrative, d'approfondissement du sujet, de maintien d'un cap sous les éclairs mélodramatiques et les coups de vent scénaristiques, ceux-ci ne gênant ni Yvonne De Carlo ni Clark Gable ni Sidney Poitier (qui n'a rien ici de l'alibi holywoodien mais qui mène au contraire superbement une troupe d'acteurs noirs proposant un éventail de caractères beaucoup plus large que d'ordinaire).

     

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    walsh,etats-unis,polar,western,50swalsh,etats-unis,polar,western,50swalsh,etats-unis,polar,western,50sLA FEMME À ABATTRE (The enforcer)

    de Bretaigne Windust et Raoul Walsh

    LES IMPLACABLES (The tall men)

    L'ESCLAVE LIBRE (Band of angels)

    de Raoul Walsh

    (Etats-Unis / 85 min, 125 min, 125 min / 1951, 1955, 1957)

  • Miss Bala

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    Laura Guerrero vit à Tijuana avec son père et son frère en revendant des vêtements. Avec une amie, elle veut tenter de se présenter à un concours de beauté. Au-delà de ses espérances, elle deviendra Miss Basse Californie. Mais, propulsée dans un univers violent dont tous les codes lui échappent, elle doit cette victoire au chef du gang de narcotrafiquants entre les griffes duquel elle est tombée.

    Avec Miss Bala, Gerardo Naranjo donne un beau coup de fouet au genre, essentiellement grâce à deux partis pris intimement liés, l'un touchant au point de vue, l'autre à l'espace.

    Le point de vue adopté est celui de l'héroïne, que l'on ne lâche pas d'une semelle pendant tout le film. A tout moment, on voit ce qu'elle voit et on ignore ce qu'elle n'est pas en mesure de percevoir elle-même. Découlent de ce principe une vision parcellaire des actions et l'impression d'une grande inventivité dans le traitement de celles-ci. L'attachement au personnage est également facilité par cette proximité et par la convergence des regards. Certes, Laura ne cesse de subir, mais persiste tout de même chez elle une résistance, un désir de fuite, une faculté de faire des choix. Malgré les violences auxquelles elle assiste et celles qui lui sont faites, on décèle un noyau inaltérable, une pulsion de vie (celle qui lui fait se jeter à terre lorsque les balles fusent). L'épreuve traumatisante lui dessille les paupières : devant la violence partagée des gangs et des forces de l'ordre, groupes difficiles à différencier, ou devant l'inanité des concours de beauté. L'énergie vitale (et solaire) qui parcoure le film l'empêche de tomber dans les ténèbres, mais le constat est effrayant.

    En resserrant ainsi sur son personnage principal, Naranjo se permet un intéressant jeu sur le flou et le net, sur la perception des choses. Quand Laura se réfugie dans la voiture d'un flic, le point est fait sur elle tandis que l'homme n'est pas net. Et pour cause... Mais ailleurs, cela peut être Lino, le chef de bande, qui, installé au premier plan, apparaît avec précision quand Laura se déshabille plus loin, dans le vague. Le corps de la femme forcé ou exposé, dont on se sert pour le plaisir ou l'utilité criminelle (superbe séquence de la pose, autour de la taille, des liasses de billets, qui répond à celle de la présentation au concours) : c'est l'un des thèmes forts du film. Or cette idée d'exposition ne sert jamais au cinéaste à nous entraîner sur le terrain du voyeurisme, sa mise en scène étant à la fois directe et respectueuse, brutale sans rabaisser.

    Elle est aussi précise sans être rigide, nette sans être contraignante. Dans Miss Bala, l'espace est balayé par de longs et fluides travellings. Pour autant, cette forme particulière ne verse pas dans le tape-à-l'œil. La caractérisent plutôt la souplesse, la présence de la vie sur chaque bords (les scènes de rue sont nombreuses) et la durée de certains plans allant un petit peu au-delà de ce qui serait attendu afin de donner l'impression d'un temps "vrai", de ponctuer par un détail ou un regard qui échappe. Le film apparaît dès lors comme un continuum, espace et temps idéalement mêlés. Trois ou quatre jours seulement se passent mais beaucoup d'événements surviennent, la vraisemblance n'étant rendue possible que par la remarquable manière dont ces longs plans sont reliés.

    Et après tout, elle importe peu, puisque l'univers décrit est terriblement, violemment, absurde. Flics et voyous, on l'a dit, vont jusqu'à se confondre. Quant à Laura, ses échappées la font régulièrement revenir au même point. Cependant, les plans larges sur lesquels s'appuie la mise en scène montrent bien la possibilité d'une ligne de fuite, la nécessité d'une tentative, l'existence d'un espace autre. Il faut toujours en profiter, quitte à répéter l'effort encore et encore.

     

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    missbala00.jpgMISS BALA

    de Gerardo Naranjo

    (Mexique / 115 min / 2011)

  • The player

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    Bien sûr, The player c'est d'abord ce fabuleux plan-séquence de huit minutes en ouverture. Il permet de suivre les arrivées successives des gens du studio, dont le producteur Griffin Mill, personnage principal du film. Ce plan sert à l'inscription dans le genre policier puisqu'il en reprend des procédés caractéristiques : passages musicaux imposant un rythme de suspense, caméra visant soudain un objet dont personne ne semble se soucier mais ô combien important (une carte postale), actions et dialogues perçus à travers des persiennes anticipant sur le thème du voyeurisme... Et en même temps, il nous plonge dans un flux cinématographique proprement altmanien : des gens traversent le champ en offrant des bribes de conversations, sérieuses ou comiques, primordiales ou anecdotiques ; les mouvements à l'intérieur d'un groupe sont orchestrés ; l'acidité des dialogues se coule dans la fluidité du tempo. Cette fluidité, cette virtuosité, elles s'affichent clairement et Altman en joue, faisant parler l'un de ses protagonistes des plus fameux plans-séquences de l'histoire du cinéma (l'homme ne connaît cependant que des exemples américains, Altman s'amusant ainsi de l'hollywoodo-centrisme de ce milieu).

    Mais, passée cette introduction grisante, c'est une autre figure de style qui semble s'imposer de manière particulièrement pertinente dans The player. Une figure déjà plus tellement utilisée dans ces années quatre-vingt-dix, j'ai nommé le zoom. Très fréquemment convoqué ici, il est un outil formidable dans les mains du cinéaste pour filmer les groupes, pour y intégrer ou en extraire ses protagonistes (au cours de la séquence de déjeuner où apparaît Burt Reynolds, Altman remplace même un instant son zoom optique par un très étonnant effet de "zoom sonore" en passant d'une conversation à une autre). Ensuite, il traduit la paranoïa qui envahit l'esprit de Griffin Mill en resserrant le cadre sur son visage fébrile, en amplifiant le rendu de sa perception. Il signale également l'importance du voyeurisme, de façon très directe lorsque Mill observe en cachette la femme avec qui il est en train d'avoir une conversation téléphonique pour la première fois, situation qui le trouble et qui le fait verser dans la passion. Enfin, il nous rappelle que nous sommes bien à notre place de spectateur. Car le zoom est peut-être l'effet cinématographique qui se dénonce lui-même avec le plus de force, l'effet le moins naturel qui soit. Avec malice, Altman y a à nouveau recours pour son tout dernier plan. Il filme le happy end, le couple uni et le héros débarrassé de son angoisse, sous une lumière solaire et une musique adéquate, et cette focalisation marque en même temps une distance, accentuée par la présence de branchages en amorce. Il y a là tout à la fois une manière d'accuser l'artifice et le don de ce qu'il souhaite au spectateur. Nous avons pleine conscience de notre statut mais nous nous délectons aussi de cette fin. Altman gagne sur les deux terrains.

    Cette double victoire, réflexion et croyance, elle est possible parce que d'une part l'ironie et les jeux de miroirs ne transforment pas pour autant les personnages en pantins et d'autre part parce que le cinéaste n'a pas fait l'économie d'un scénario serré et prenant. Ce Griffin Mill que nous ne lâchons pas d'une semelle a, sur le papier, tout pour déplaire mais l'art d'Altman, conjugué à l'interprétation de haut vol de Tim Robbins (récompensé à Cannes), nous le rend attachant. Rongé par l'inquiétude consécutive au harcèlement dont il est victime et bouleversé par une rencontre amoureuse, il se voit au fil du récit dépouillé de son costume pour se retrouver en maillot de corps et disparaître quasiment en se plongeant nu dans un bain d'argile. Si il revêt à nouveau son habit pour se rendre à une convocation chez l'enquêtrice, celle-ci, le voyant avancer comme un zombie, lui demande aussitôt si il "dort dans ce costume". De plus en plus hagard, il nous fait penser, au bout de sa mésaventure, au Paul Hackett de l'After hours de Scorsese. Autour de Robbins, personne de dépare (surtout pas une Greta Scacchi qui, en une poignée de films en ce temps-là, nous tourneboula assez), en charge d'un personnage ou se représentant soi-même à l'écran puisque certaines stars apparaissent sous leur vrai nom (c'est un autre "jeu" proposé par le cinéaste : ces acteurs et actrices connus vont ils jouer leur propre rôle ou pas ?). Enfin, à travers cette histoire criminelle située dans ce monde-bulle qu'est Hollywood, où les gens ne cessent de se raconter des films à longueur de journée, histoire imaginée et extrêmement bien menée par Michael Tolkin (adaptant son propre roman), Altman rend un magnifique hommage aux scénaristes, à ceux qui tiennent le spectateur en éveil avec leurs récits.

    The player est une charge, une satire. Mais, démontrant que la revitalisation de l'art cinématographique est toujours possible, il est aussi une célébration.

     

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    theplayer00.jpgTHE PLAYER

    de Robert Altman

    (Etats-Unis / 120 min / 1992)

  • Bullhead

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    J'étais très curieux, après avoir lu et entendu tant d'éloges, de découvrir Bullhead mais au final, si je comprends que ce film puisse faire son effet et que l'on salue le belge Michael Roskam pour ce premier long métrage, je renâcle à suivre ses laudateurs.

    La plupart des critiques ont applaudi l'audace du cinéaste. Certes, des ralentis à la caméra renversée, des flash-backs à la musique quasi-sacrée, il ne se refuse pas grand chose. Pour autant, cet usage décomplexé des divers procédés cinématographiques s'accompagne tout de même d'une grande lourdeur, chaque effet de mise en scène étant destiné à forcer le regard et la pensée du spectateur, tout comme l'écriture du scénario. On peut toujours dire que le style s'accorde au sujet, une histoire criminelle dans un milieu agricole où la mafia a ses entrées grâce au trafic d'hormones, mais à ce moment-là, allons au bout de cette logique et admettons que Bullhead est bel et bien un film gonflé aux produits dopants, soit une œuvre rendue artificiellement productive, boursouflée dans sa construction, interminable (plus de deux heures) et avançant d'un pas de pachyderme.

    Le début du film promet une structure éclatée mais de cette dispersion ne découle aucune liberté pour le spectateur. Aucune image ni aucun dialogue ne se livre délesté d'intention voyante, aucun plan ne s'étire pour laisser cheminer autre chose que ce que veut absolument nous dire le cinéaste. Le récit progressant par révélations et éclaircissements successifs, nous nous rendons compte que finalement, il n'y a pas de séquence qui ne serve à fournir une explication. Il est assez étrange de constater à quel point ce film sur l'instinct et le désir repose sur des données psychologiques, étalées notamment à partir de l'illustration, longue et répétée, d'un traumatisme initial subi par le héros, alors enfant, et remuant toujours son entourage. Ce fondement narratif n'a rien de neuf et n'échappe pas plus qu'ailleurs à la balourdise. De plus, cette manière d'appréhender le personnage se retrouve avec tous les autres : le moindre caractère se doit d'être éclairé crûment, à un moment ou un autre, par un geste significatif, une situation ou une réminiscence. Le plus souvent, c'est une frustration sexuelle qui est dévoilée.

    Bien sûr, Michael Roskam sait filmer et sait ce qu'il veut. Avec ces corps qui remplissent le cadre jusqu'à ressembler effectivement à du bétail, le film en impose. La performance physique est la règle. L'animalité est la grande affaire. Mais je me suis demandé devant ce spectacle s'il était utile ou souhaitable de dépenser tant d'énergie à vouloir raconter avec beaucoup d'intelligence l'histoire de gens qui, manifestement, en manquent cruellement. Roskam a certainement pensé s'en sortir par la voie du symbolisme. Son naturalisme veut s'élever (voir la séquence, "brutalement convenue", de la naissance du veau) mais ne procure que du choc.

    Viscéral, Bullhead pèche aussi dans le rendu de la violence, omniprésente. On a déjà vu de plus grandes horreurs sur un écran. Mais elles passaient mieux quand elles étaient réellement cadrées, quand elles étaient intégrées à un système qui interrogeait l'idée de représentation (chez Thomas Clay, chez Ulrich Seidl ou chez Haneke parfois). Ici, c'est de la sensation brute, de l'effet qui ne vise qu'à une seule chose. Décrivant un univers en état de déliquescence intellectuelle et morale, installant une ambiance de fin du monde, Bullhead me semble faire du chantage à la noirceur et se transformer en véritable film dirigiste, ce qui, en soi, n'est pas forcément condamnable si le contrat passé avec le spectateur le stipule dès le départ. Ici, ce n'est pas le cas. L'œuvre se présente comme ouverte et nouvelle, alors qu'elle est en fait totalement refermée, rigide et contraignante.

    Bref, j'en suis désolé mais je ne vois pas en quoi Michael R. Roskam serait le fils de Martin Scorsese, le frère de Jacques Audiard ou le cousin de Nicolas Winding Refn. Selon moi, Bullhead est seulement, l'Incendies de 2012.

     

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    bullhead00.jpgBULLHEAD (Rundskop)

    de Michael R. Roskam

    (Belgique / 125 min / 2011)

  • Solo

    mocky,france,polar,70s

    Bien que je savais la réputation de ce film-là bonne, la découverte de Solo a été pour moi, assez peu familier du cinéma de Jean-Pierre Mocky, une excellente surprise. Laisser-aller technique, facilité des caricatures, raccourcis narratifs... tout ce qui est habituellement retenu, à tort ou à raison, pour poser les limites du travail du bonhomme s'effacent ici ou bien sont retournées à son avantage.

    Solo, tourné en très peu de temps, est un film qui va vite, toujours en mouvement. Devant une caméra extrêmement mobile, soumise à un découpage nerveux, l'histoire racontée est celle d'une course poursuite entre la police et un groupe d'anarchistes ayant décidé de passer à l'action terroriste. A cette poursuite s'ajoute une autre : Vincent, violoniste et arnaqueur de bourgeois(es), court après le chef de la bande, qui n'est autre que son jeune frère, Virgile, dans le but de limiter les dégats et le protéger. Le sentiment d'urgence est donc redoublé. Régulièrement, le montage se fait parallèle et montre deux actions en cours simultanément, entrelaçant ainsi les trajectoires et préparant une fin douloureusement ironique, au cours de laquelle les retrouvailles ne pourront se faire malgré la proximité. D'une séquence à l'autre ou d'un plan à l'autre, nous sautons souvent par ellipses et ces accélérations libèrent presque un parfum d'irréalité. Les personnages, qui ne cessent d'utiliser des moyens de locomotion (voiture, bateau, train, camion...), sont élevés par moments au rang de figures, comme lors des affrontements entre les deux frères séparés et les deux policiers en charge de l'enquête, en retard mais finalement toujours là où les choses se passent. L'ambiance nocturne (l'histoire se déroule en une seule nuit) accentue l'étrangeté.

    Le film est double à bien des égards. Il est par exemple à la fois décalé et en plein dans son époque. Il évoque, à travers ses seconds rôles notamment, le cinéma français des années trente et aborde pourtant un sujet alors brûlant d'actualité (68 et après ?). Un leitmotiv musical de Moustaki l'enveloppe de manière nostalgique, pesante (au bon sens du terme), laissant peu d'espoir. Solo est une course à perdre haleine dans laquelle ce sont les cadavres qui égrènent le compte à rebours. Les protagonistes vont à leur perte en toute conscience mais ne peuvent s'empêcher de rester en mouvement, pour se sentir vivre. Un duel entre deux hommes du même groupe provoque un double effondrement, de part et d'autre d'un revolver tombé au sol. La mise en scène de Mocky est inspirée, expressive mais aussi, parfois et de manière assez inattendue, subtile (pour ce qui est des touches humoristiques, entre autres).

    Comme la musique calme le jeu, apporte une épaisseur, une ombre et une émotion, les personnages ont le temps de discourir. Et ces discours, le cinéaste les désamorce parfois mais les écoute toujours. Si des aberrations et des sottises sont proférées par ces gens, ceux-ci sont sauvés par leurs convictions et leur énergie. On sait pertinemment à qui va sa sympathie mais il ne tape pas aveuglément : dans Solo, Mocky ne se moque pas. Cette attitude se vérifie jusque dans la description du travail des flics, jamais montrés comme étant des imbéciles. Quant aux bourgeois, ils ne font de toute façon que (tré)passer. S'il fait sourire parfois, Mocky ne rabaisse pas.

    A l'écran, il joue lui-même Vincent, séduisant, de noir vêtu, s'exprimant d'une voix faussement neutre qui va à merveille avec le personnage, solo... ce qui ne veut pas dire sans morale, ni sans fidélité, ni sans cœur.

     

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    mocky,france,polar,70sSOLO

    de Jean-Pierre Mocky

     (France - Belgique / 83 min / 1970)

  • L.A. Confidential

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    ****

    Adaptation, saluée par l'écrivain lui-même, du roman de James Ellroy, L.A. Confidential se distingue logiquement par sa richesse thématique, par la largeur de sa palette de caractères, par son ampleur romanesque. Qualités d'écriture, donc, relayées par l'excellence des interprètes qui imposent tous avec assurance leur personnage respectif (Russell Crowe, Kevin Spacey, Guy Pearce, Kim Basinger, Danny DeVito, James Cromwell, David Strathairn). Presque désordonnée au départ, l'œuvre est habilement polyphonique et éclatée avant de tendre, au fil des disparitions et des révélations, vers un seul point de convergence.

    L'univers décrit est celui du Los Angeles des années cinquante, gangréné par la corruption et la violence. Rarement aura été montrée aussi clairement la connivence existant entre les sphères mafieuses, politiques, policières, journalistiques et artistiques (hollywoodiennes) de l'époque. Si le film est bien centré sur l'activité de trois inspecteurs de police, il fait se croiser en tous lieux les représentants de ces différents corps. Il signale même que tous appartiennent finalement à au moins deux de ces groupes, en toute conscience ou pas (par les méthodes qu'ils utilisent, empruntées à d'autres) et que la plupart de leurs actions ont le même moteur, la vengeance. Ainsi se dessine un cercle vicieux.

    Cette société est d'autant plus mal en point qu'elle est totalement refermée sur elle-même. Un ailleurs possible n'est évoqué que par le couple romanesque qui va se former au cours du récit et les deux personnages qui le composent seront les seuls à parvenir à s'extraire de ce cercle. Dans l'autre sens, un bloquage se fait aussi : les truands qui souhaitent tenter leur chance à L.A. sont stoppés dès les portes de la ville, dans ce motel qui semble à l'écart, juste au bord. Une sorte de consanguinité caractérise donc cette société et le mal s'y retrouve partout. Personne ne peut racheter l'autre : si par exemple un flic se distingue de ses collègues en refusant les pots-de-vin, c'est qu'il agit ainsi, avant tout, par calcul carriériste.

    Toutefois, on observe dans le dernier mouvement du film une fâcheuse bascule qui fait de L.A. Confidential "seulement" un film soigné et solide. Une triple prise de conscience souffre de se faire exactement au même moment alors qu'elle n'a, jusque là, pas du tout suivi le même chemin. Puis le rapprochement soudain, provoqué par les circonstances, de deux personnages se détestant (peu) cordialement transforme quasiment le film en buddy movie. La distinction entre bons et mauvais flics, au final, devient possible et avec la quête des bons, la transgression de la loi est rendue acceptable, elle est même "souhaitée" par le spectateur.

    Au-delà de ces seules dernières minutes, L.A.Confidential, si sombre soit-il paraît tout de même un peu lisse, ne libérant pas de véritable terreur. Par ailleurs, si la distribution de Kim Basinger en sosie affirmé de Veronika Lake est une bonne idée, la dimension "méta-filmique" n'est pas poussée bien loin (elle se limite quasiment à la projection privée de quelques œuvres de l'époque). La mise en scène est classique, efficace (elle l'est trop dans les scènes d'action, la musique de Jerry Goldsmith se faisant de surcroît peu subtile). Il est cependant arrivé un moment où je me suis senti complètement paumé. Mais sur la fin, un long monologue explicatif se charge de remettre sur les rails ceux qui ont été largués. Ce qui me fait dire que Curtis Hanson n'a pas su choisir et a donc partiellement échoué à nous donner le vertige comme à nous faire clairement comprendre les choses par sa seule mise en scène.

     

    laconfidential.jpgL.A. CONFIDENTIAL

    de Curtis Hanson

    (Etats-Unis / 138 min / 1997)