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  • L'Aube (Miklos Jancso, 1986)

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    Très curieux film de Jancso tourné en France avec, entre autres, Philippe Léotard, Christine Boisson et Michael York, coproduit par Israël et adapté d'un roman d'Elie Wiesel. Il raconte l'engagement d'un jeune juif dans le mouvement sioniste en Palestine et le choix moral qu'il doit faire lorsqu'il lui est demandé d'exécuter un gradé britannique. La transposition dans un style très littéraire est pleinement assumée par le cinéaste-adaptateur qui utilise la voix off de façon très régulière, jusqu'à la mêler parfois, avec originalité, aux dialogues directs eux-mêmes. Ce parti-pris prolonge parfaitement les choix esthétiques, à nouveau basés sur des plans-séquences en mouvement qui peuvent embrasser, toujours de manière assez impressionnante, des espaces-temps différents sans rupture de la continuité. Le jeune Redjep Mitrovitsa est convaincant dans ces deux importantes tâches lui incombant : porter la majorité du texte et aimanter la caméra tournoyante de Jancso. Les trajets de celle-ci parviennent encore à surprendre, guidés par un simple ballon dans une rue ou tracés dans un décor unique. Car le film est en grande partie un huis-clos. L'économie de moyens pour rendre le contexte historique, le jeu des violences, le léger écart obtenu avec la réalité, rappellent étrangement certains Godard comme Les Carabiniers. Cependant, si la poésie du texte se laisse accepter grâce aux choix de mise en scène apportant une belle fluidité (jusqu'à un étonnant détour imaginaire du récit), l'abondance de réflexions sur le sionisme et le rapport à la loi et à la foi peuvent finir par lasser quelque peu. De même que la caméra admirablement digressive ne peut éviter l'impression de répétition au bout d'un moment passé dans cet immeuble délabré où sont cachés ces combattants juifs. Après une belle première moitié, le film ne brille plus alors que par intermittence.

  • Un condé (Yves Boisset, 1970)

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    "À l'américaine" est l'expression qui vient à l'esprit, du pré-générique qui balance à la figure sans prévenir un sanglant passage à tabac jusqu'à un dénouement nocturne en bord d'étang, agrémenté de l'habituelle cruelle ironie du sort lestant la plupart des grands films noirs. Boisset filme donc nerveux et direct, réaliste et froid, tentant de rendre la trame policière des vengeances successives la plus limpide possible tout en prenant le pouls de la société française du juste-après 68. L'une des conséquences en est la simplification de tous les enjeux. Une autre la représentation incessante de la violence. D'abord attribuée au "milieu", elle est ensuite utilisée par le flic reprenant l'enquête de son ami et collègue tué sous ses yeux. La partie centrale est ainsi constituée d'une suite de scènes dans lesquelles ce condé vengeur harcèle, torture, tue les malfrats liés à l'affaire. Jouant sur la longueur, les séquences n'échappent pas, alors, à une certaine complaisance. Cette dérive fasciste du flic structure la dramaturgie sans nuance (non pas que la dénonciation de l'impunité policière doive se faire du bout de lèvres mais dans le sens notamment où lorsqu'il y a chez un personnage, des évolutions, ce qui est rare, elles sont toujours brutales, sans graduation). Si Michel Bouquet commence par impressionner avec peu (une façon d'écouter, un sourire en ponctuation), il se fige par la suite, bloc de rage perdant toute ambiguïté et devenant donc bien moins intéressant.

  • Contre-enquête (Sidney Lumet, 1990)

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    Le film appartient à ce qui est probablement la meilleure veine de l'œuvre de Lumet, celle qui montre New York avec un scrupuleux réalisme. Timothy Hutton, en jeune juge, y enquête sur Nick Nolte, flic bossant à la dure et venant d'abattre un dealer noir. Le premier est plutôt bon, le second fout vraiment les jetons. La ville, dans un ambiance pluvieuse, monochrome, presque terne, est décrite, à travers sa police, comme gangrénée par la violence et bouffée par les antagonismes communautaires. Le constat n'est pas neuf à cette époque mais intéresse (atterre) toujours. Pétri de qualités de fabrication, Contre-enquête se révèle cependant moins passionnant que prévu, souvent trop bavard, soumis à des chutes de rythme, légèrement répétitif. Son défaut principal tient à la (louable) double obsession qui le guide, la dénonciation de la corruption et du racisme, dans le sens où la moindre scène, le moindre dialogue, se trouvent chargés d'y renvoyer (jusqu'au passé sentimental du petit juge héroïque, rattaché assez artificiellement à l'intrigue). En découle une impression d'efficacité mais aussi de pesanteur didactique. 
     

  • Le Voyage de la peur (Ida Lupino, 1953)

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    Ayant enfin pu découvrir un film d'Ida Lupino cinéaste et l'ayant trouvé remarquable, je m'étonne de voir qu'il est ou qu'il fut considéré par la plupart comme mineur dans sa carrière (Coursodon/Tavernier ou Claude Chabrol, très déçu dans sa note de l'époque pour les Cahiers). Au moins, cela me promet d'autres merveilles... The Hitch-Hiker frappe d'abord par la tension qui le parcourt, cela dès son texte préliminaire, très anxiogène. Le tueur auto-stoppeur présenté est une incarnation marquante du Mal (William Talman, inquiétant). Mais en même temps, Lupino se garde d'aller au-delà du fait divers, dans le sens où elle réalise une œuvre sèche, resserrée et pleine d'éléments factuels, sans digressions. Le fait d'avoir pris pour couple de victimes non pas, justement, un couple "classique" mais deux amis, tous deux mariés et en virée au Mexique, assure une originalité et un éloignement des conventions particulièrement appréciables (j'ignore s'il s'agit d'un changement apporté par Lupino, co-scénariste, au livre original). Bien sûr, même sur la courte durée du film, on perçoit la limite de l'exercice, dans son aspect "terre-à-terre". Il n'empêche que l'alternance de temps forts et de temps faibles est très bien gérée, notamment par l'utilisation intelligente du son, pouvant passer d'une musique angoissante à un silence propice au rendu précis des actions qui ne l'est pas moins. Plusieurs idées de mise en scène se succèdent, dont la meilleure est sans doute le handicap du tueur tourné en terrible avantage : un œil droit qui ne peut pas se fermer, pas même lors du sommeil, laissant ainsi dans le doute les otages. 

  • Le Cri du sorcier (Jerzy Skolimowski, 1978)

    Réalisé en 1978 par Jerzy Skolimowski et récompensé par un Grand Prix du Jury à Cannes, Le Cri du sorcier est un film très caractéristique de cette période où le genre fantastique accueillit les hautes ambitions de plusieurs cinéastes de renom, tels Kubrick ou Boorman. C'est surtout l'un des plus singuliers qui soient. Pleinement ancré dans le genre, il est cependant anti-spectaculaire au possible, ne reposant aucunement sur les effets associés habituellement à ce type de cinéma. Le cadre est celui de la charmante campagne anglaise : herbe verte, paysages harmonieux, villages accueillants, dunes de sable fin, intérieurs chaleureux... L'histoire débute dans un asile de fous ? Oui mais pendant un match de cricket réunissant sans soucis patients, médecins et villageois. Le décor est réel, les actes n'ont pas en eux-mêmes une grande originalité et les images montrées ne sont pas de nature fantastique. Celles-ci, hormis lorsque s'insèrent quelques jeux visuels sur le flou, le ralenti ou le surcadrage, n'accèdent à ce statut particulier que par leur montage et le mixage du son qui les recouvre.

    Particulièrement déstabilisant dans le premier tiers du film, le montage de Skolimowski (qui a toujours aimé les rythmes syncopés) traduit un déséquilibre mental, une confusion. Les passages d'un plan à l'autre surprennent toujours, les liaisons entre les séquences perturbent. Cet éclatement est amplifié par le travail sur le son. Le titre anglais, The Shout, claque plus encore que le français et annonce mieux le but du cinéaste : adapter une nouvelle fantastique de Robert Graves de 1929 pour en tirer un film littéralement porté par le son. C'est en apportant de brusques changements de niveau sonore, en effectuant des expérimentations, des altérations et des amplifications dénaturant les sources originelles, que Skolimowski obtient son ambiance fantastique, au moins autant que par ses étranges coutures de plans hétérogènes. Il faut ajouter à cela l'utilisation d'une musique électronique, signée par deux membres de Genesis, le fait que la victime de cette histoire de forces maléfiques aborigènes soit un musicien en pleine recherche de sons nouveaux et que son bourreau, bien sûr, soit un homme ayant trouvé le moyen de tuer en poussant un cri terrible. Ainsi, certaines séquences ne semblent naître que de cette volonté de saisir l'essence et l'effet d'un son.

    En janvier 1979, le futur écrivain Emmanuel Carrère, alors critique à Positif, s'enthousiasmait pour le film et écrivait dans un long et brillant texte pour la revue : "Dans cette œuvre solidement et prosaïquement construite, où l'intrigue suit son chemin en se ménageant de confortables marges d'incertitude, tout peut arriver. Car l'événement dans le récit, est constamment doublé par l'événement, infiniment plus fluide, capricieux, injustifié, dans la mise en scène. Tout se vide de signification, sans accéder pour autant à la signification, purement négative, du récit absurde. Celui-ci aurait encore un caractère démonstratif. Au contraire, The Shout, qui a sa cohérence interne, ne veut, littéralement, rien dire." Il est vrai que les associations libres auxquelles se livre Skolimowski tissent un fil ténu et que la perte de sens totale n'est jamais très loin. Le pari est assez fou. Dès lors, si l'inquiétude est présente tout le long, la peur véritable ne s'installe jamais vraiment au cœur de cet affrontement entre l'opportunément ténébreux et massif Alan Bates et le forcément troublé et fragile John Hurt Tel est le prix à payer, sans doute, dans cette œuvre étrange cherchant à subvertir la bonne vieille tradition anglaise et à libérer les instincts primaires des hommes et des femmes en en passant par les carambolages des visions et des sensations sonores.

    Chronique DVD pour les Fiches du Cinéma (juillet 2015)