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  • Haute Société (Charles Walters, 1956)

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    Le remake d'Indiscrétions de Cukor se veut un sommet de classe et d'élégance mais n'est, en fait, qu'une comédie mollassonne et parfaitement soporifique. On bâille lors des chansons de Cole Porter interprétées par Frank Sinatra ou Bing Crosby (qui ne semble bouger à l'écran, à peine, que lorsqu'il partage un numéro sur scène avec Louis Armstrong) et on bâille entre celles-ci, en suivant les hésitations de Grace Kelly, dans le rôle attendu du glaçon à faire fondre, entre les deux sus-cités et John Lund en dindon de la sinistre farce. Tout ce petit monde est bien meilleur ailleurs qu'ici. Après une dynamique introduction par Armstrong et son groupe (qui annonce malicieusement face caméra : "End of the song, beginning of the story"), nous, on déchante très vite, tant la réalisation de Walters s'avère décorative et fonctionnelle. Le message passé n'arrange rien, au contraire, puisqu'il est demandé au spectateur (comme au personnage de Sinatra) de faire le maximum pour comprendre les riches, pour prendre conscience de tous les problèmes auxquels ils doivent faire face (les réceptions, les mariages, l'entretien des demeures qui coûte un pognon de dingue... voilà qui explique le fait qu'ils boivent autant de champagne, jusqu'à en perdre provisoirement le sens commun, avant de se reprendre heureusement le lendemain matin en reconnaissant les leurs).

  • La Sonate à Kreutzer (Éric Rohmer, 1956) & Présentation ou Charlotte et son steak (Éric Rohmer, 1960)

    L'un des courts métrages fondateurs de la Nouvelle Vague et un étrange drame de la jalousie inédit en salles constituent un premier programme Rohmer. Ces curiosités éclairent l'œuvre future plutôt qu'elles ne s'affirment comme deux spectaculaires exhumations.

    Critique vite reconnu, Rohmer eut des débuts de cinéaste difficiles. Présentation ou Charlotte et son steak fut tourné en 1951 mais sonorisé seulement en 1960 et La Sonate à Kreutzer réalisé en 1956 mais mis sous clé par l'auteur lui-même après une unique projection. Ces deux essais parmi d'autres sont déjà précis socialement et géographiquement et offrent une alternance, plus tard typique de la Nouvelle Vague, de scènes de rues et d'appartements. Les constructions sont très rohmériennes dans le sens où situations et enjeux sont posés d'emblée, liés aux rapports entre un homme et une femme, avant que l'on observe l'évolution des stratagèmes et les caprices du hasard. Par sa plaisante ironie, sa brièveté, sa simplicité annonciatrice de la suite et l'interprétation d'un Jean-Luc Godard sans lunettes, Charlotte charme sans trop de peine. La Sonate, adaptée de Tolstoï, déstabilise plus, avec ses plans courts en 16 mm, documentaires ou expressionnistes. Rohmer fait l'acteur avec un sérieux qui s'oppose aux facéties de Jean-Claude Brialy, et sa voix-off, seul son présent avec la musique de Beethoven, déroule un texte-confidence assez monotone. Etrangement excessif, avec bagarre et meurtre, l'objet éclaire brutalement les deux faces de Rohmer, classique et moderne à la fois. Peut-être se retrouvait-il dans ce personnage déplacé, lui le leader d'un groupe de chiens fous de la critique ayant dix ans de moins et que l'on croise tous ici dans une précieuse scène tournée dans les bureaux des Cahiers du Cinéma. Il est en tout cas étonnant de voir quelqu'un qui brillera ensuite par sa discrétion se donner aussi entièrement à l'écran.

    Texte publié dans les Fiches du Cinéma (mai 2016)

  • Le Lendemain du crime (Sidney Lumet, 1986)

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    Thriller des années 80, comme il y en eut pas mal, typique sur le plan de l'esthétique (ne manquent ni la couleur bleue ni le saxophone ni le brushing) sans pour autant verser dans le tape-à-l'œil, qui n'est pas le genre de Lumet. Bien sûr, il ne s'agit pas de l'un des grands titres du cinéaste. Le récit n'a rien de très personnel, ne captive pas follement, déçoit forcément un peu à l'heure de la résolution du mystère criminel et se laisse parfois trop guider par une musique insistante. C'est en premier lieu un film noir à la gloire de Jane Fonda qui assume alors crânement sa presque cinquantaine dans un rôle d'ex-actrice alcoolique se réveillant à côté d'un cadavre. Face à Jeff Bridges, elle assure, jusqu'à l'efficace cabotinage. Finalement, si Le Lendemain du crime se suit tout de même agréablement, c'est grâce à la "croyance" qu'il véhicule constamment, à son absence de second degré facile, à son amour des personnages, si imparfaits soient-ils. 

  • Arènes sanglantes (Rouben Mamoulian, 1941)

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    Œuvre ambitieuse produite par Selznick et réalisée par Mamoulian. Ce dernier excelle sur le plan visuel. D'une part, il filme des décors admirablement éclairés et rendant la couleur locale, espagnole (bien que le film soit essentiellement nocturne). D'autre part, il insère quantité de détails ne faisant a priori pas avancer le récit mais le densifiant cinématographiquement, avec un apport réaliste : une main saisissant une bouteille en attendant une réponse, une chute d'un balcon sans conséquence, une bague que l'on rend en signe de rupture, un endormissement lors d'une sérénade, une mèche de cheveux qu'on replace en souvenir du passé... Côté dialogues, en revanche, c'est moins brillant car puissant, certes, mais souvent lourd. Après trois quarts d'heure remarquables, on se rend compte malheureusement que l'univers de la tauromachie ne va rester qu'une toile de fond. Sur 2 heures au total, seules deux corridas sont montrées, l'une triomphale, l'autre dramatique, et Tyrone Power n'a jamais le moindre plan le mettant en présence d'un taureau dans le cadre (alors que la séquence de l'entraînement clandestin, de nuit, du personnage jeune, au tout début, est très belle et crédible). Finalement, c'est un itinéraire moral des plus conventionnels qui est décrit dans une ambiance de mélo, entre gloire et déchéance, entre femme aimante et tentatrice fatale. Ç'aurait pu être bien plus. 

  • Visite ou Mémoires et Confessions (Manoel de Oliveira, 1982)

    L’ÉTRANGE TESTAMENT DE MANOEL

    ***

    En 1982, à l’âge de 73 ans, Manoel de Oliveira décide de réaliser un film qu’il ne veut visible par le public qu’après sa mort. Il le tourne à une occasion précise, au moment où il doit vendre la grande maison qu’il habite, avec sa famille, à Porto, depuis 40 ans. Visite ou mémoires et confessions est donc un testament filmé, ouvert à tous après la disparition de son auteur.

    Le premier sujet est donc la maison, là où tout commence. Une caméra agile pénètre en douceur dans cette demeure si particulière. Elle s’y faufile, du jardin à l’étage. L’habitation est représentative de l’architecture des années 1930, surprenante, faite de recoins, presque labyrinthique. Cet aspect est souligné par Oliveira lui-même à plusieurs reprises, à la fois dans les propos qu’il tient et dans la façon dont il a décidé de filmer le lieu, en utilisant notamment des fondus au noir qui nous font passer d’une pièce à une autre sans nous permettre de nous repérer vraiment. Bizarre, bizarre… La maison semble d’abord vide, alors que l’on se déplace sur la pointe des pieds entre les murs ornés de tableaux et les meubles présentant de vieilles photos de famille.

    C’est que le mode de visite est original. La caméra est subjective : elle semble épouser le point de vue d’un couple que l’on entend dialoguer mais qui n’apparaît jamais à l’image (pas même dans les miroirs). Les voix de Teresa Madruga et Diogo Doria se répondent au rythme des tournures poétiques qu’Agustina Bessa-Luis a imaginées pour l’occasion. La femme et l’homme se disent aussi que, peut-être, puisque personne n’est là, ils se sont trompés de lieu de rendez-vous. Mais tout à coup, Manoel de Oliveira apparaît assis à son bureau, se tourne vers l’objectif et s’adresse directement non pas au couple de visiteurs mais au spectateur.

    Drôle d’histoire de fantômes, Visite, comme plusieurs autres films d’Oliveira, touche par moments au fantastique, en prenant le chemin le plus simple : un couple invisible, des pièces vides, des fondus au noir, des portes qui s’ouvrent toutes seules. Pour rehausser, pas seulement par le parfum de fantastique, l’intérêt de cet essai qui pourrait se limiter à l’anecdote personnelle, il est fait usage de quelques notes de Beethoven et, donc, des mots recherchés de Bessa-Luis.

    Le jeu d’alternance entre déambulations au rythme des visiteurs imaginaires et interventions directes du cinéaste dure tout le film. Face à la caméra, Manoel de Oliveira se raconte, se souvient et nous informe sur quelques moments déterminants de sa déjà longue existence. Sa jeunesse, ses parents, sa femme (qui passe brièvement devant la caméra, entourée de fleurs, le temps de dire quelques mots sur cinquante ans de vie commune avec un artiste), ses enfants, son parcours atypique de réalisateur et de gérant d’usine sont évoqués, parfois à l’aide de photographies ou de petits films. Bourgeois bien né au sein d’une famille catholique, l’homme semble attaché à la tradition et aux valeurs humanistes d’attention aux autres. Il explique avoir été arrêté en 1963 par la police politique de Salazar, après la sortie de son film Acte de printemps, sans trop savoir pourquoi. Il nous parle de la notion de pureté, des différences complémentaires entre l’homme et la femme, et de cinéma, bien sûr, la passion de sa vie (avec l’architecture et l’agriculture). Le cinéma qui est pour lui, avant tout, fiction et studio (on connaît, et on apprécie, sa théâtralité assumée depuis longtemps).

    Visite est testamentaire par son choix de production (ou plus exactement de distribution) et par sa teneur même puisqu’il est question de lointains souvenirs, de retour sur une longue vie et de mort. Celle-ci signale sa présence partout : dans le décor déserté de la maison, dans les propos tenus par le cinéaste concernant les disparus de sa famille, dans le voile de ressentiment qui passe sur son visage lorsqu’il évoque la douleur provoquée par la mise en vente de sa maison… Raconter l’histoire d’une famille, c’est raconter beaucoup de drames. L’homme assis face à nous, qui nous regarde dans les yeux et qui met quelques fois en route un projecteur de salon, a 73 ans et a eu une vie bien remplie. Les derniers mots qu’il prononce, alors que des photos de lui défilent à rebours du temps, sont : « je m’éclipse ».

    Et pourtant ! Nous avons découvert ce film ces jours-ci en DVD, ou en 2016 en salles. Lorsqu’il l’a conçu, Oliveira avait six longs métrages à son actif et pensait réfléchir ainsi à la fin d’une vie et d’une œuvre. Chose impensable en 1982, Visite ouvrait en fait sur une bonne trentaine d’années d’activité et autant de nouveaux films. Ce bon tour que le temps a joué produit un effet unique et accentue l’émotion ressentie. Il est en quelque sorte donné raison au cinéaste qui avance que la peur de la douleur donne le goût de vivre. En ces jours difficiles, comment l’artiste aurait-il pu penser que le projet qu’il regrette alors de ne pas avoir pu mener à terme allait finalement devenir en 2010 L’Étrange Affaire Angélica, l’un des sommets de sa filmographie ? Pour sûr, Manoel de Oliveira aura soigné sa sortie de scène, la rendant aussi belle et étrange que son œuvre cinématographique.

    Cette belle édition DVD concoctée par Epicentre Films se complète de témoignages de collaborateurs, du Vieillard de Restelo, ultime court métrage du cinéaste et variation assez hermétique autour de la figure de Don Quichotte, de Le cinéma, Manoel de Oliveira et moi, film hommage parfois ardu mais très représentatif, signé par João Botelho, et enfin d’un entretien très éclairant avec le critique et universitaire Hervé Aubron.

    (Mai 2017 - Chronique DVD pour les Fiches du Cinéma)

  • Piège mortel (Sidney Lumet, 1982)

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    Souvent très sévèrement jugé depuis sa sortie, en partie pour sa trop grande proximité (délibérée, de par la présence de Michael Caine) avec le génial Limier de Mankiewicz, Deathtrap n'est pourtant pas si catastrophique et se laisse revoir assez facilement. Sa première moitié est en tout cas plaisante, grâce à la mise en scène dynamique de Lumet, sa direction d'acteurs (Caine est très bon, comme Dyan Cannon, alors que Christopher Reeve est un peu encombré mais plutôt touchant), ses pincées d'humour, le caractère méta-dramatique du huis clos. Les choses se gâtent toutefois, c'est certain, dans la seconde. La première intrusion de la medium hollandaise alourdissait déjà la construction et accusait encore l'arbitraire d'une intrigue déjà suffisamment alambiquée. Les suivantes sont de plus en plus gênantes et le film fatigue à force de rebondissements et de retournements de situation. De plus, à la réflexion amusée sur le spectacle théâtral, Lumet ajoute, sur la fin, celle sur le cinéma en ayant recours à quelques effets visuels et sonores trop appuyés (l'orage du dénouement). Dommage, car le couple formé par Caine et Reeve a, avant qu'il ne se déchire, quelque chose de vraiment intriguant. 

  • Banzaï (Claude Zidi, 1983)

    °
    Comédie à succès cinématographique (3,7 millions d'entrées dont la mienne tout gamin) et télévisuel qui n'a pour elle que le métier et les moyens de Zidi pour filmer correctement les décors traversés, de New York à Hong Kong. Le fait de reprendre, en l'édulcorant forcément, le personnage de français moyen créé par Coluche, amateur de vannes et ayant peur de tout, pose problème dans le sens où toute distance disparaît alors que dans les sketches, sur scène, l'ironie est tout de suite évidente. Ainsi, la xénophobie n'est ici jamais vraiment étudiée au-delà du ressort comique, jamais mise en contradiction (ou alors trop gentiment et sans conséquence, voir l'épisode avec les flics arabes). Le personnage n'évolue pas du tout et, alors que le rapport à l'étranger devrait être le thème principal (dans un film ayant une petite visée sociologique via notamment la description du monde du travail), la seule question est celle du maintien du mariage entre Coluche et Mairesse. Rien ne fait vraiment rire (trop usé par le temps ?), hormis les deux ou trois gags burlesques les plus basiques. 

  • La Fille en noir (Michael Cacoyannis, 1956)

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    Néoréalisme à la grecque et donc irrigué par la noire tragédie. Les séquences documentaires du début et la façon de poser la situation (deux amis débarquent d'Athènes sur une île et sont hébergés par une famille marquée par le deuil) sont sensibles et prometteuses mais le film est un peu trop souvent sujet aux excès mélodramatiques, aux idées appuyées (par exemple, quand la mère de "mauvaise vie" rentre chez elle, c'est toute la ville qui fait soudain silence). Le scénario n'est pas des plus novateurs et nous mène bien vers le drame, avec au final une catastrophe inattendue quant aux victimes innocentes qu'elle touche (en conséquence, la fin heureuse n'est pas illogique, célébrant la force de l'amour, mais balaie trop facilement la douleur commune qui la précède immédiatement). Il y a pourtant des qualités certaines de mise en scène, de beaux personnages, de bons interprètes (Ellie Lambeti donne à voir l'une des plus belles et des plus crédibles défaillances sous le coup d'un baiser craint/espéré) et l'impression que des vérités sont dites sur la Grèce des années 50 (les différences de classes, l'opposition entre Athènes et le reste du pays, la domination masculine, le poids des traditions). 

  • L'Explorateur en folie (Victor Heerman, 1930)

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    C'est le deuxième véritable film des Marx Brothers, mieux connu sous le titre original d'Animal Crackers, et comme le premier, The Cocoanuts, une adaptation d'un spectacle qu'ils jouaient à Broadway. Victor Heerman le met en scène, ou plutôt, l'enregistre, puisqu'il n'y a guère de cinéma là-dedans. On suit une revue et non une histoire (ou à peine : une party dans une riche villa donnée pour le retour d'Afrique d'un explorateur, joué par Groucho, un vol de tableau, et c'est à peu près tout). Des moments tordants, beaucoup d'intermèdes musicaux, des tirades incompréhensibles laissant sceptique, des tunnels ennuyeux, des adresses à la caméra, de l'absurde à chaque coin de dialogue impliquant les frères... Guère de cinéma donc, mais parce que les Marx s'en foutent peut-être du cinéma, qu'ils ne cherchent même pas à en faire, qu'ils ne veulent que renverser, casser, piétiner verbalement et physiquement sans raison valable. Le film paraît long, ennuie plusieurs fois, et l'on se dit pourtant que ces désintérêts passagers participent de la totale destruction marxienne, qui reste très étonnante. Pour qu'elle soit mise en valeur plus cinématographiquement, il faut passer à Monkey Business et surtout Duck Soup

  • La Bête (Walerian Borowczyk, 1975)

    ***
    Le premier Boro que j'aime sans réserve. Ici, il assouplit sa mise en scène en imposant moins sa rigueur picturo-théâtrale, en ne créant pas tout de suite de l'étrangeté par ses choix esthétiques. Ainsi, il se concentre avec assez d'humour et de naturel sur la description des habitants de ce château, en tête, les remarquablement bien choisis Guy Tréjan et Marcel Dalio. Cette noblesse en perdition s'entredéchire dans un décor où abondent les portes et les volets que l'on ferme. Dans cette ambiance morbide, l'étrange émerge peu à peu, en même temps qu'entrent en jeu les femmes, porteuses, elles, de vie. Il y a double mouvement et le film lui-même fascine de plus en plus, autant qu'il dérange. Annoncé dès le départ, le thème de la bestialité est pris à bras-le-corps. Il permet à Borowczyk d'une part de verser encore une fois dans le conte et d'autre part d'aborder la sexualité frontalement mais en se jouant de la censure. Dans son dernier tiers, le film garde sa cohérence interne et sa logique, mais tout devient fou, dans une déflagration érotique sidérante, pornographique sans l'être exactement (puisque le jeu sexuel principal implique la Bête). Les nobles crèvent, les curés se perdent dans leurs vices et leur délire moralisateur, les femmes (et le serviteur noir) sortent gagnantes, magnifiées, corps désirants et esprits libres (Lisbeth Hummel, Sirpa Lane, Pascale Rivault, Elisabeth Kaza).