Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Film - Page 32

  • Lost Highway (David Lynch, 1996)

    ****
    Ça y est, la linéarité, déjà passablement mise en danger dans les Twin Peaks, est définitivement fracturée, jusqu'à faire se retourner le tracé sur lui-même. La cassure principale est aisément localisable, lorsque Pete "remplace" Fred. Mais pour qu'il y ait une boucle, il faut d'autres plis, replis, retours. Or, même après plusieurs visions, ceux-ci sont quasi-impossibles à repérer, parce que le récit n'est justement structuré que sur des points susceptibles de lâcher, parce que la ligne est dessinée de pointillés pouvant chacun potentiellement provoquer un changement de direction. Rien n'est certain. Les identités valsent, les personnages se substituent les uns aux autres. Sous une musique, la plupart du temps, sommeille une autre, qui ne tarde pas à prendre le dessus. Extraordinaire est également le travail sur le décor. Pour mieux se propulser ailleurs, Lynch semble repartir d'Eraserhead. Même vision angoissante du couple et même oppression par l'environnement, réduit à un appartement, que la mise en scène rend inoubliable jusque dans ses recoins. Blue Velvet et Twin Peaks montraient que les mondes noirs grouillaient derrière les belles façades et les jardins proprets. Lost Highway va plus loin. L'espace lui-même absorbe, se tord, se contracte. L'horreur ne surgit pas des nombreuses trouées sombres. Elle naît de cette impression récurrente d'être avalé par celles-ci, vers on ne sait où. En découle notamment la justification, comme jamais sans doute, de ces cadrages en plongée ou contre-plongée très appuyée, l'aspiration se faisant dans tous les sens. Et quand l'espace n'avale pas, les objets pénètrent violemment les corps, comme le coin de la table basse qui s'invite dans le front d'Andy (Dick Laurent, mafieux et pornographe, se délecte de détourner ainsi, de manière pénétrante, l'usage de sa voiture et de son flingue, emboutissant le véhicule d'un quidam et menaçant indirectement Pete de lui faire sauter la cervelle par le trou de balle). Ou encore, comme lors de l'explosion inversée, ou annulée, du bungalow dans le désert (effet répété une fois, "en toute logique"), les lieux se reconstruisent eux-mêmes, en autonomie, au-delà de l'entendement, à rebours de la loi naturelle. Le cinéma de Lynch est aussi un cinéma de l'impossible.

  • Le Voyage de Chihiro (Hayao Miyazaki, 2001)

    **
    L'un des Miyazaki les plus réputés et les plus primés, que je découvre (trop ?) tardivement. C'est sans doute, dans son écriture, le plus libre de tous, frappant aussi par la profusion dont il fait preuve sur le plan de l'imaginaire, avec ses créatures étranges et ses décors étonnants. Le rêve y est borné exactement, comme des parenthèses s'ouvrant et se fermant vraiment aux deux extrémités d'une phrase. Il n'y a donc pas d'aller-retour entre le réel et l'irréel et le dénouement ne fait guère de doute, sinon concernant la façon dont il sera enclenché. Sans dialogue entre deux mondes, sans l'inquiétude pouvant naître du passage de l'un à l'autre (ou de son impossibilité), l'émotion a du mal à se libérer. Au fil de scènes parfois belles mais aux enjeux toujours flous (tout peut s'y passer et le sens échappe régulièrement), sinon dans les effets de miroir qu'elles peuvent produire (sur la condition féminine, l'industrie et la nature, la cupidité...) et dans les références qu'elles semblent convoquer (de Lewis Carroll à Magritte, et tout le versant oriental qui nous est inconnu), le film avance, labile, insaisissable. 

  • Stalingrad (Jean-Jacques Annaud, 2001)

    °
    Il n'y a évidemment rien de russe là-dedans. Et pas seulement parce que tout le monde parle en anglais, y compris les Allemands (sauf bien sûr quand ils aboient leurs ordres puisque ça impressionne plus). Surtout parce que l'on ne dépasse jamais la petite notation pitorresque et que la vision soviétique est bien celle de l'époque de réalisation, celle d'Annaud, celle qui sert de socle à un discours critique contemporain et non pas celle qui émanerait du vécu des personnages. Devant cette schématisation des enjeux et des figures, on se dit d'abord qu'après tout, ce n'est pas plus mal que le cinéaste resserre son propos sur un duel de snipers, incapable qu'il est de peintre une fresque convaincante mais plutôt compétent dans le domaine de l'action (les scènes de guerre sont correctes, sans innovation mais sans carence). Malheureusement, plus son film avance, plus il devient mauvais, affreusement handicapé par une histoire d'amour rapiécée et ne se relevant pas d'une série d'approximations pour faire passer l'énormité des tours de scénario successifs supposés nous faire croire à cette histoire de confrontation de deux tireurs d'élite dans les ruines de Stalingrad. 

  • Les Trois Frères (Les Inconnus, 1995)

    *
    Sur la totalité, une poignée de gags fonctionnent, assez équitablement répartis (si généralement la supériorité de Bourdon sur les deux autres est évidente, c'est sans doute notamment parce qu'il se réserve le registre efficace du type comiquement odieux). Mais le film est assez laid visuellement et totalement impersonnel. C'est médiocrement réalisé, beaucoup trop près, festival de têtes parlantes et grimaçantes, calé uniquement sur le rythme, rapide, des répliques, ignorant toute notion de mise en scène de l'espace et ne prenant un peu de recul que le temps de l'escapade dans le Sud, soit de la manière la plus scolaire et la plus convenue. 

  • La Salamandre (Alain Tanner, 1971)

    ***
    A Genève, un journaliste et un écrivain doivent fournir à la télévision un scénario basé sur un petit fait divers ayant impliqué une jeune femme. Tanner tisse trois fils séparément, qu'il va ensuite entremêler : le journaliste enquête, l'écrivain imagine, la fille vit sa vie. Ce qui est tout d'abord très intéressant, c'est la façon dont ces trois approches dialoguent, se complètent, se contredisent parfois, en un assemblage très musical de blocs. Le montage parallèle donne sa vigueur au film, qui pourtant repose sur les silences, les temps d'arrêt ou de réflexion, autant que sur les dialogues. L'interprétation aidant (Bulle Ogier, Jean-Luc Bideau, Jacques Denis), l'œuvre devient de plus en plus émouvante, le lien avec et entre les personnages de plus en plus attachant. C'est un petit miracle qui se produit quelques fois avec ces "nouveaux cinémas" (ici, comme on se trouve entre la France et l'Allemagne, on est exactement entre la Nouvelle Vague et Wenders) : en cherchant une nouvelle façon de raconter, un cinéaste fait mine de laisser son récit se déliter et ses personnages s'égarer dans leur époque mais parvient à nous toucher infiniment. 

  • Bienvenue Mr Marshall (Luis Garcia Berlanga, 1953)

    ***
    La longue présentation, avec la voix off de Fernando Rey, prévient déjà, par son côté ludique (fausses hésitations du narrateur, arrêts sur image démiurgiques), que cette comédie ne se bornera pas à tabler sur le pittoresque. Il est bien présent, et nullement désagréable, mais cette histoire de village espagnol se préparant à l'arrivée de représentants américains dans le cadre du plan Marshall, affiche, en douceur mais efficacement, d'autres ambitions, et signale son originalité, dans un esprit qui fait parfois penser aux Tati de l'époque. Sans perdre de vue l'ancrage social, la fantaisie gagne du terrain, les touches absurdes affleurent, l'ironie devient perceptible (les villageois qui endossent tous des costumes andalous traditionnels pour faire couleur locale) au rythme d'une réalisation précise et vive. Le fantasme américain, avec toutes ses contradictions, est exposé de manière plus fine qu'il n'y paraît. Et lorsque devant les facades noircies des maisons sont installés de beaux panneaux en trompe-l'œil, comme de véritables décors de studio, puis lorsque sont décrits les délirants rêves "américains" de plusieurs personnages, c'est une réflexion sur le cinéma lui-même qui est tranquillement glissée. 

  • Apocalypto (Mel Gibson, 2006)

    **
    N'ayant vu jusque-là aucun film réalisé par Mel Gibson, j'ai un peu de mal à comprendre pourquoi une bonne partie de la critique s'était pincée si fort le nez au moment de la sortie de celui-ci (provoquant ainsi parfois, sans doute, des surévaluations en réaction). Que la vision doloriste du monde passe par une représentation gore peut certes gêner. De même, la cruauté montrée peut en être une envers le spectateur. Mais enfin, si le thème d'un film est la sauvagerie, son auteur a bien le droit de l'aborder frontalement. La violence est répétitive, comme sont souvent trop longues les séquences, mais, à l'instar du refus d'utiliser la langue anglaise et des acteurs américains, cette narration particulière rend l'œuvre assez anti-hollywoodienne. Par ailleurs, si l'on oublie quelques ralentis et jeux de regards lourds, on ne peut que reconnaître la force de certaines images, qu'elles relèvent de l'épreuve physique ou du symbole (les derniers plans, inattendus). 

  • Green Book (Peter Farrelly, 2018)

    ***
    Bonne surprise que ce film s'inscrivant agréablement dans un classicisme américain basé sur une histoire intéressante à suivre, une interprétation alliant précision et naturel, et une mise en scène sobre et fluide. Le road movie possède le rythme et la musicalité qu'il faut, compte tenu du sujet. La reconstitution du début des années 60, elle, ne vient jamais parasiter le récit, n'étant ni insuffisante, ni ostentatoire. Le maître-mot est sans doute "équilibre", mais cette recherche n'aboutit pas, sur le fond, à de la tiédeur. Le message humaniste est adressé sans lourdeur. Partant de la bonne idée de "l'inversion des rôles", les auteurs donnent toutes leurs chances aux personnages et les placent au centre de scènes claires mais souvent ambivalentes, selon les points de vue et les positions de ces derniers. D'où une absence de discours benêt et l'impression, au contraire, d'une véritable épaisseur, qui permet de s'abandonner à l'émotion des dernières séquences, le principal étant que c'est qui est attendu se situe dans la vision d'ensemble et non dans les détails, les fragments, réservant, eux, les surprises. 

  • High Life (Claire Denis, 2018)

    °
    Comme attendu, le drame spatial de Claire Denis table sur la lenteur et le minimalisme de la représentation pour atteindre le mystère. L'échec est absolu, rendu inévitable tout d'abord par une structure narrative à la fois kaléidoscopique et exsangue, et ensuite par l'épuisant système mis en place par la cinéaste, consistant à alterner les séquences vides et les séquences choc (sang et/ou sperme).

  • Le Dernier des Mohicans (Michael Mann, 1992)

    *
    Le premier handicap est sonore, les 100 minutes que dure le film étant presque intégralement recouvertes de tambours et de violons assourdissants. Ensuite, l'esthétique clinquante de Michael Mann s'accorde mal avec le film de pleine nature, les scènes de la grotte sous la cascade et de l'attaque nocturne du fort restant d'ailleurs, peut-être, les plus intéressantes. Mais comme une belle mise en place d'embuscade est vite gâchée par les habituelles mêlées et les sempiternels ralentis, ces passages regorgent d'images plus joliment publicitaires qu'intensément cinématographiques. Rien de très original du côté de l'aventure guerrière, donc (le nombre élevé de personnages d'origines différentes n'apporte pas grand chose de stimulant, surtout pas la variété des langues parlées, assez mal rendue), ni du côté des rapports humains, malgré le couple Daniel-Day Lewis/Madeleine Stowe, Mann n'étant ni le plus subtil ni le plus profond des cinéastes.