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  • Yoyo

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    Pour qui n'est pas prévenu, le début de Yoyo est déroutant. Un homme richissime s'ennuie à mourir dans son château, assisté dans le moindre de ses gestes par une armée de serviteurs et accompagné de son seul caniche. Pierre Etaix, qui interprète le rôle, nous présente cette morne vie quotidienne comme au temps du cinéma muet. Aucun dialogue verbal n'est mis en place et sont ajoutés seulement des bruits d'ambiance, dont le grincement agressif de chaque porte de cette demeure. Est présente également la musique, jouée par un orchestre installé dans le salon. Lorsqu'il s'agit de rendre explicite une pensée ou un échange déterminant, un intertitre apparaît. Après de longues minutes, alors que nous nous sommes habitués au procédé, éclate un coup de tonnerre : une voix off déboule et nous annonce que "c'est à ce moment-là que le cinéma devient parlant !" En effet, une incrustation dans le premier plan du film nous avait signalé que cette histoire débutait en 1925 et nous nous retrouvons maintenant propulsés quatre ans plus tard (voilà la crise de 29, occasion pour Etaix d'inventer une courte mais sidérante séquence pré-Terry-Gilliamienne de panique bureaucratico-capitaliste). La privation de parole imposée dans toute la première partie n'avait par conséquent rien d'arbitraire : Yoyo est donc, non seulement l'histoire d'une famille, mais aussi, parallèlement, une histoire du cinéma, du muet à la télévision.

    Si l'on ajoute que, parcourant quarante années, le film traite aussi par la bande de l'histoire de notre pays (la comédie intègre un épisode dramatique de la seconde guerre mondiale) et de sa géographie (le voyage idyllique de la famille en roulotte nous mène d'un paysage à l'autre, sans autre justification que la révélation d'une belle diversité), on comprendra quelle ambition habitait alors le cinéaste. Et celle-ci se signale également, fort heureusement, à travers la mise en scène. Sur le plan visuel, Yoyo est assurément l'une des plus belles comédies jamais réalisées en France. Les premières séquences rendent la monumentalité et la verticalité du lieu investi, le château. Pour exprimer l'ennui et l'absence de désir du maître, la symétrie de l'architecture est prolongée, accentuée par les places données aux acteurs dans le décor. L'arrivée d'un cirque est alors l'occasion de bouleverser cet ordonnancement rigide. Les figures plus accueillantes du cercle et de la courbe font leur entrée avec les activités désordonnées des groupes d'artistes et des animaux. En flânant autour du chapiteau installé dans la cour du château, la caméra ne vient plus buter, en fin de mouvement, sur une colonne, sur un majordome ressemblant à un autre ou sur un miroir renvoyant à la vanité du luxe.

    L'invention visuelle (et sonore) est stupéfiante, décelable dans les multiples gags comme dans les moments les plus calmes. La poésie n'est d'ailleurs ici pas dépourvue de tristesse, les mots rares et la voix douce, presque timide, de Pierre Etaix n'étant pas étrangère à ce sentiment. On remarque facilement, dans Yoyo, la présence du cinéma de Fellini à travers une affiche annonçant, à l'endroit même où la famille d'artiste souhaite s'installer, le passage de "Zampano et Gelsomina", à 8h1/2 ! L'évocation de La strada est logique mais il faut dire que, parfois, Etaix se rapproche bel et bien, par sa mise en scène, de La dolce vita ou de 8 1/2 (notamment dans la dernière partie). En fait, les hommages directs abondent, à Chaplin, à Keaton, à Tati. Mais ce qui est remarquable, et assez miraculeux, c'est que, malgré la présence de ces figures tutélaires, le film trouve et garde un ton singulier, très personnel. Etaix a son univers propre et Yoyo fait partie de ces films qui semble recréer le monde, qui à la fois sont comme des bulles et dialoguent avec le présent.

    Au moins en termes de narration, préserver cette cohérence était une gageure car le film est construit de manière très particulière. L'incroyable césure induite par l'arrivée du parlant évoquée plus haut n'est pas la seule, le récit avançant par larges plages. L'histoire est d'abord celle du père de Yoyo, avant que la sienne ne soit racontée (ses parents disparaissant alors de l'écran). Père et fils sont joués par une seule personne, Etaix. Le premier gag du film arrive avec la découverte des portraits peints des ancêtres, accrochés aux murs du château, et qui, hommes ou femmes, ont tous la même tête, celle de l'acteur-cinéaste. Dans Yoyo, les gags n'existent pas seulement pour eux-mêmes mais ont des conséquences dans le récit aussi bien que dans la mise en scène, ils ont des prolongements au-delà des séquences qui les accueillent (si je me fie à mon lointain souvenir, ce n'est malheureusement pas le cas dans Le grand amour, seul film d'Etaix que j'avais pu découvrir jusqu'à présent). Ainsi le dédoublement à l'œuvre dès le début annonce l'omniprésence des miroirs comme la ressemblance physique et comportementale existant entre Yoyo et son père ou l'étrange similarité des expressions des visages des amoureux. Le petit garçon habillé en clown qui furète seul dans les vastes pièces du château ne sait pas qu'il vient en fait de pénétrer chez son père qu'il n'a jamais connu. Au même moment, ce dernier est en train d'assister dans le chapiteau au spectacle de cirque donné spécialement pour lui, assis au milieu des gradins vides. Le lien indéfectible entre les deux est ainsi tissé.

    Yoyo va effectuer le chemin inverse de celui de son père : du cirque à la vie de château. Il faudra donc, à la fin, l'extraire à son tour de cette existence de riche oisif menacé par la perte de tous ses désirs. Pierre Etaix fustige, à sa manière, avec une élégance rare, l'appât du gain et l'outrance capitaliste et se place résolument du côté des saltimbanques et des hommes libres. Il égratigne au passage la télévision. Sa démarche est certes nostalgique mais pas réactionnaire. Ce ne sont ni le progrès ni la modernité qui sont dénoncés mais la petitesse de ceux qui s'en croient les artisans.

    Mais cette note est bien sérieuse... C'est qu'il est rare qu'un film de ce genre se révèle aussi riche. Je dois donc conclure en assurant que Yoyo est une grande œuvre burlesque, drôle d'un bout à l'autre.

     

    etaix,france,comédie,60sYOYO

    de Pierre Etaix

    (France / 97 mn / 1965)

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1996)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif1996 : Serge Toubiana retrouve son titre de rédacteur en chef des Cahiers, qu'il laisse toutefois à Martin Scorsese le temps de fêter le cinq centième numéro. Au fil de l'année, des entretiens sont réalisés avec Jarmusch, Monteiro, von Trier, Desplechin, Cronenberg et Téchiné, à propos de leurs films respectifs placés en couverture, ainsi qu'avec Xavier Beauvois (N'oublie pas que tu vas mourir), Danièle Dubroux (Le journal du séducteur), Eric Rohmer (Conte d'été), Michael Cimino (Sunchaser), les frères Coen (Fargo), Pascal Bonitzer (Encore), Catherine Breillat (Parfait amour !) et Sandrine Veysset (Y aura-t-il de la neige à Noël ?). Par-delà les nuages, Mission : Impossible, For ever Mozart et La promesse des frères Dardenne ont également les faveurs de la revue. Alain Delon, Alain Cavalier, Caroline Champetier, J.G. Ballard et un trio d'actrices composé de Valeria Bruni Tedeschi, Laurence Côte et Emmanuelle Devos sont rencontrés par les rédacteurs, qui publient parallèlement des ensembles sur la cinéphilie, sur les courts métrages et sur le cinéma indépendant, des études sur Mizoguchi, Siodmak, Frederick Wiseman et Gérard Blain, des hommages à Marguerite Duras, Saul Bass et Christine Pascal, des dossiers sur l'avenir du cinéma (du numérique à l'économie), sur Youssef Chahine et sur Jean-Pierre Melville.
    Courant 96, Positif change de maquette, de format et d'éditeur (Jean-Michel Place), et accueille dans son comité de rédaction Stéphane Goudet et Claire Vassé. Comme chez les concurrents, Scorsese, Monteiro, Rohmer, Cronenberg, Cimino, les Coen et von Trier sont à l'honneur mais la liste complète des entretiens liés à l'actualité est longue : Stone, Audiard, Ruiz, Leigh, Tavernier, Winterbottom, Lætitia Masson (En avoir (ou pas)), Carl Franklin (Le diable en robe bleue), Terry Gilliam (L'armée des douze singes), Mohsen Makhmalbaf (Le temps de l'amour), Robert Altman (Kansas City), Patrice Leconte (Ridicule), Stephen Frears (Mary Reilly), Hou Hsiao-hsien (Good men, good women), Bernardo Bertolucci (Beauté volée), Isao Takahata (Le tombeau des lucioles), Diane Bertrand (Un samedi sur la terre), Aki Kaurismäki (Au loin s'en vont les nuages), Raymond Depardon (Afriques : Comment ça va avec la douleur), Rolf De Heer (La chambre tranquille), Jane Campion (Portrait de femme), Alex Van Warmerdam (La robe). Sans oublier un ensemble sur le néo-polar américain permettant des rencontres avec David Fincher (Seven), Bryan Singer (Usual suspects), Steven Soderbergh (A fleur de peau), Gary Fleder (Dernières heures à Denver), Barbet Schroeder et Stephen Frears. Les sorties de Par-delà les nuages et de Madadayo sont également saluées (la deuxième par la reprise de propos croisés d'Akira Kurosawa et de Hayao Miyazaki et par un entretien avec l'actrice Kyoko Kagawa). Les dossiers successifs sont consacrés au film criminel français (Becker, Clouzot et Miller au programme), à la restauration des films, au costume, à John Ford, au muet, à Julien Duvivier et à Robert Bresson. Il est aussi question de critique et de cinéphilie et de la rétrospective Pathé. Enfin, signalons les hommages rendus à Louis Malle, Gene Kelly, Krzysztof Kieslowski, Christine Pascal (par Bertrand Tavernier) et Robert Benayoun.

     

    Janvier : Dead man (Jim Jarmusch, Cahiers du Cinéma n°498) /vs/ Touchez pas au grisbi (Jacques Becker, Positif n°419)

    Février : La comédie de Dieu (João César Monteiro, C499) /vs/ Par-delà les nuages (Michelangelo Antonioni et Wim Wenders, P420)

    Mars : Martin Scorsese (C500) /vs/ Casino (Martin Scorsese, P421)

    Avril : Le samouraï (Jean-Pierre Melville, C501) /vs/ Nixon (Oliver Stone, P422)

    Mai : Valeria Bruni Tedeschi, Laurence Côte et Emmanuelle Devos (C502) /vs/ Un héros très discret (Jacques Audiard, P423)

    Juin : Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) (Arnaud Desplechin, C503) /vs/ Trois vies et une seule mort (Raoul Ruiz, P424)

    Eté : Crash (David Cronenberg, C504) /vs/ Le costume (costume pour Dracula de Francis Ford Coppola par Eiko Ishioka, P425-426)

    Septembre : Les voleurs (André Téchiné, C505) /vs/ Secrets et mensonges (Mike Leigh, P427)

    Octobre : Breaking the waves (Lars von Trier, C506) /vs/ Breaking the waves (Lars von Trier, P428)

    Novembre : Mission : Impossible (Brian De Palma, C507) /vs/ Capitaine Conan (Bertrand Tavernier, P429)

    Décembre : For ever Mozart (Jean-Luc Godard, C508) /vs/ Jude (Michael Winterbottom, P430) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : Je n'aime pas beaucoup Les voleurs, ni For ever Mozart, et à peine Par-delà les nuages et Jude, mais les autres titres me conviennent tout à fait. A l'époque, je plaçais, malgré certaines réserves, le Mike Leigh devant le Jarmusch, alors qu'aujourd'hui, me restent en tête beaucoup plus d'images du second que du premier. Si j'ajoute que le De Palma m'est inconnu et que Positif a, à mon goût, un peu trop tergiversé dans sa défense du Desplechin et du (sublime) Cronenberg, je signerai bien pour une nouvelle égalité parfaite, symbolisée par les couvertures jumelles de mars et d'octobre. Allez, pour 1996 : Match nul.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • L'autobiographie de Nicolae Ceausescu

    Ujica,Roumanie,Documentaire,2010s

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    Pendant 180 minutes, Andrei Ujica nous laisse en compagnie de son Excellence Nicolae Ceausescu, Président de la République Socialiste de Roumanie. A partir de plusieurs centaines d'heures d'archives conservées par la télévision roumaine, le documentariste a réalisé un film de montage qui suit le déroulement d'un règne qui aura duré de 1965 à 1989. Le titre ne ment pas en annonçant L'autobiographie de Nicolae Ceausescu : ce que nous voyons sur l'écran est constitué exclusivement de ce que le dictateur souhaitait laisser paraître devant son peuple. L'homme adorait se faire filmer et des opérateurs attitrés le suivaient en toutes circonstances, jusque dans l'intimité familiale. Les images qui défilent sous nos yeux sont donc de propagande. Et tout l'intérêt du film d'Ujica est de montrer que celle-ci peut se retourner d'elle-même. Aujourd'hui, telles qu'on les voit, ses parades, ses envies de home movie surtout, peuvent à l'occasion faire tomber Ceausescu dans le ridicule, mais pour le cinéaste, il ne s'agit aucunement de réaliser un bêtisier. Le choix qu'il effectue pour traiter le son de son film le montre assez bien. Si une sonorisation des images est faite (musique d'ambiance, bruits de la foule, applaudissements), elle est parcimonieuse : comme paroles, seuls les discours de Ceausescu (et d'une poignée de dirigeants politiques) se font entendre, le reste n'est que silence. Lorsque l'on voit le maître du pays discuter en aparté avec tel ou tel invité, Ujica ne propose rien, n'interprète pas, ne trompe jamais. Ces plages sans bruits sont donc relativement nombreuses et nous poussent à une concentration accrue vis à vis des images qui défilent. Et peu à peu, une sorte de vertige s'empare de nous. Affleure la sensation que le sens de ces images s'échappe, qu'il est presque vain de chercher à leur trouver une signification précise puisque leur réception peu varier du tout au tout en fonction des conditions dans lesquelles se trouve celui qui les regarde.

    Andrei Ujica met à nu le dictateur en dépouillant les images de leur aura. Pour ce faire, il privilégie notamment les plans dans lesquels apparaissent des cameramen et des photographes, il va jusqu'à étirer leur durée effective par un léger ralenti afin de leur laisser une place déterminante dans ce récit de l'ascension d'un homme de propagande et de sa chute, provoquée par les images (celles de Timisoara, puis de son proçès). Et comme le sens peut échapper, d'infimes espaces de liberté peuvent s'ouvrir, même lorsque l'image est contrôlée. Ces espaces peuvent s'apercevoir dans les marges, sur les bords du cadre (tel cadrage montre soudain une réaction inattendue d'un comparse), ou bien en fin ou début de plan, lorsque la frontière entre la réalité et l'enregistrement de celle-ci (et donc, souvent, la représentation) devant la caméra est encore floue. Dès lors, les premières questions commence à tarauder : Qui filme ? Qui rend visible cette autobiographie ? Qui sont les opérateurs de Ceausescu ? Quelles sont leurs limites ? Peuvent-ils vraiment, comme le fait l'un deux à l'occasion d'une réception, jouer avec leur instrument et expérimenter dans les prises de vue ?

    Des questions, L'autobiographie de Nicolae Ceausescu ne cesse en fait d'en poser. Notre étonnement est grand face aux preuves multiples de l'adhésion du peuple à un programme, une politique, une utopie, dans la première partie du film, celle consacrée à la période pendant laquelle Ceausescu semble tout à fait fréquentable (dans une séquence surprenante, on le voit condamner avec vigueur l'intervention soviétique de 1968 en Tchécoslovaquie). Ces agitations de drapeaux et ces applaudissements interrogent d'abord par la ferveur avec laquelle ils sont exécutés. Ensuite, quand est installée la dictature (ou quand est visitée la Chine ou la Corée du Nord) et que les gestes se font réflexes, émerge le questionnement sur la liberté et le courage. A ce titre, il faut citer la séquence stupéfiante au cours de laquelle, en plein congrès du parti destiné à plébisciter une nouvelle fois Ceausescu, un vieux dignitaire communiste demande à prendre la parole et se lance dans une dénonciation des manœuvres de son leader. La salle entière se met alors à scander des "Ceausescu Président" et les caméras se refusent à revenir cadrer l'accusateur en restant sur des plans larges de la salle toute acquise à son guide.

    Pour la Roumanie, une bascule s'effectue au début des années 70. Avant, se construit avec enthousiasme un "communisme à visage humain". Après, se révèle une folie des grandeurs dictatoriale. D'une période à l'autre, le peuple est repoussé. Le point de bascule est décelable dans le film. Il se situe au moment du passage à la couleur et de l'intrusion des images de home movie. La première partie commence avec les obsèques de Gheorghiu-Dej, prédécesseur de Ceausescu à la tête du parti communiste roumain. Les images en noir et blanc sont solennelles mais vivantes. Celles en couleurs, qui arrivent donc à mi-chemin, se teintent d'une grisaille ironique et il nous semble alors qu'en ce temps-là il faisait toujours mauvais en Roumanie. D'un dynamique Swinging Bucarest, on passe à  un pays embourbé dans ses chantiers. Si les années 60 sont celles des bains de foule, de la masse mouvante qui porte littéralement ses dirigeants, dix ans plus tard s'effectue l'éviction du peuple. Le film d'Ujica montre clairement que prendre le pouvoir, c'est faire le vide autour de soi. Ceausescu se retrouve de plus en plus seul dans l'image. Lui qui touchait et embrassait tous ces gens qui le soutenaient ou qui dansait avec les jeunes femmes dans les fêtes traditionnelles commence à prendre l'hélicoptère et à ne daigner descendre dans la rue qu'à la suite de catastrophes naturelles. Il a voulu réduire le peuple à une idée, à une image sage et obéissante, celle des agitateurs de petits drapeaux bien rangés sur le bord de la route. La Corée du Nord était son modèle : spectacles grandioses inimaginables dans les stades et silhouettes rares et fantomatiques dans les rues. Mais l'homme vieillit et se tasse sous nos yeux. La routine s'installe, jusque dans les discours gavés des mêmes références au marxisme-léninisme. En 89 a lieu à Bucarest un sommet des pays du Traité de Varsovie. Les caméras nous donnent à voir les peu fringants dirigeants de ces "Républiques populaires", âgés et flanqués de leurs généraux quand ils ne le sont pas eux-mêmes comme Jaruzelski. Face à eux se tient un Gorbatchev qui est en train de tout chambouler. Ceausescu, lui, n'en a plus pour longtemps et se retrouvera bientôt dans ce petit local en province, coincé derrière deux tables d'école, aux côtés de sa femme Elena (jamais loin de son mari, depuis le début), filmé par une caméra qu'il ne contrôle plus et mis en accusation pour génocide et "mascarade". Il paraît aussi stupéfait d'être ainsi traité qu'il était comme surpris d'être tant acclamé par les foules vingt ans auparavant. La bande-son l'affirme : les applaudissements du peuple, qui étaient, au début de l'histoire, omniprésents, se sont progressivement espacés puis tus définitivement.

    Documentaire exigeant envers le spectateur, L'autobiographie de Nicolae Ceausescu a ceci de fascinant : à partir d'un matériau verrouillé, il soulève des problèmes infinis (*).

     

    (*) : Je vous invite à lire également le texte d'asketoner publié sur son blog Une fameuse gorgée de poison.

     

    Ujica,Roumanie,Documentaire,2010sL'AUTOBIOGRAPHIE DE NICOLAE CEAUSESCU (Autobiografia lui Nicolae Ceausescu)

    d'Andrei Ujica

    (Roumanie - Allemagne / 180 mn / 2010)

  • En famille (4)

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    Le génie de Kelly, la maîtrise de Donen, la pertinence de Comden et Green (au scénario)... Inutile d'insister sur tout cela. Mais en revoyant Chantons sous la pluie pour là énième fois, je me suis surtout dit que ce qui le rendait décidément inaltérable, c'était son double statut d'œuvre divertissante et réflexive. Le rêve hollywoodien est ici réalisé dans le sens où le spectateur, quelque soit son âge, sa culture, son humeur et son niveau de lecture, est accueilli avec la même grâce. Car ce film porte en lui son propre commentaire, tout en nous laissant libres de le lire ou pas. Gene Kelly cherche d'emblée la connivence, entrant dans le champ avec un sourire ostensiblement affiché et nous réservant, à nous seul, la vérité sur le parcours de son personnage, grâce à l'insertion d'images contredisant les propos tenus face à ses fans. Comme ils le font de l'opposition entre bons et mauvais acteurs, les auteurs s'amusent de celle existant entre "culture de masse" et "haute culture", l'intégrant à une écriture du comique qui repose notamment sur la gêne (ressort classique dans la comédie hollywoodienne, qui, ici, n'est jamais activé contre les personnages puisque le dépassement de cette gêne est aussi donné à voir, comme le montre la séquence de la fête dans laquelle Debbie Reynolds sort du gâteau et découvre dans l'assistance Gene Kelly, qu'elle vient de rencontrer et de rabrouer pour la vulgarité de son art : désarçonnée, elle se donne pourtant à fond jusqu'au terme de son numéro de music hall un peu nunuche).
    Quand nous pouvons savourer la réflexion sur le genre et l'approche historique précise, d'autres, les plus jeunes par exemple, peuvent profiter du caractère instructif du spectacle. Derrière les frasques des stars, se discerne l'hommage aux artistes et techniciens de l'ombre (dans le duo Don Lockwood - Cosmo Brown, soit Gene Kelly - Donald O'Connor, c'est bien le moins célèbre des deux, le compositeur, qui trouve généralement les solutions aux problèmes artistiques). De même, toute la machinerie du septième art est exposée, à l'occasion bien sûr de la déclaration d'amour chantée dans le studio désert mais figurant bientôt un extérieur au clair de lune magique ou encore de la balade des deux amis qui les fait passer devant plusieurs plateaux où se tournent des films de série. Par conséquent, un peu plus tard, lorsque se fait le numéro Good morning dans la maison de Don Lockwood, celle-ci apparaît comme un pur décor, avec ce faux mur de cuisine à travers lequel passe la caméra et une chute finale sur un canapé, accessoire utilisé peu de temps auparavant pour le Make 'em laugh d'O'Connor dans le studio de cinéma.
    La dernière partie du film est toujours aussi éblouissante. Peu après le fameux numéro-titre (quelles admirables variations de rythme !), vient le morceau de bravoure Broadway melody, merveilleusement détaché du reste du récit, illustration d'une idée que Don Lockwood explique à son producteur (celui-ci ayant du mal à la "visualiser" et décidant probablement de ne pas en tenir compte pour le film en cours de réalisation). La (seconde) première du film dans le film est l'occasion de dénouer l'intrigue. Kelly et Donen tirent alors un parti admirable du lieu tout en rendant un nouvel hommage au music hall. Et enfin, Don Lockwood rattrape Kathy Selden, le chant et la musique reviennent, le spectacle descend dans la salle, le cinéma est partout. Debbie Reynolds se retourne brusquement vers Gene Kelly et son visage en larmes bouleverse, que l'on soit n'importe quel type de spectateur...

    De Donen à Oury et de Kelly à Montand, la chute s'annonçait rude, mais elle fut quelque peu amortie. Le corniaud était, dans mon souvenir, meilleur que ce qu'il est réellement. Avec La folie des grandeurs, la modification de mon jugement se fait dans le sens inverse. Alors que je m'attendais à revoir une œuvre médiocre, je me suis retrouvé devant une comédie assez agréable, pas loin d'être une vraie réussite.
    Inspiré du Ruy Blas de Victor Hugo, le scénario fait preuve de consistance et ménage de plaisants rebondissements. Ainsi, bien campés sur leurs jambes, les auteurs du film peuvent glisser des anachronismes de langage ou de comportement, des pointes d'absurde, du comique plus distancié que d'ordinaire (les apartés que nous réserve Montand, la lecture de la lettre qui se transforme en dialogue avec une voix off, les clins d'œil au western italien). Les gags sont nombreux et atteignent souvent leur but.
    Le film a, de plus, une vivacité certaine. Le soin apporté à l'ensemble (décors, costumes, photographie, interprétation de qualité égale) fait que le rythme est tenu sans réel fléchissement. Les scènes d'action, souvent pathétiques dans ce genre de production, sont réalisées avec vigueur (la capture de César par Salluste, l'évasion du bagne dans le désert) et même lorsqu'elles gardent un pied dans le pastiche, elles ne tombent pas dans le ridicule. Il y a certes quelques facilités ici ou là et une musique bien faible, signée de Polnareff, mais le refuge dans un passé lointain et le relatif éloignement géographique autorise mieux les fantaisies. La mise en scène d'Oury n'a rien d'exceptionnel, les différents mouvements s'effectuant de manière assez rigide, mais tel raccord ou telle plongée ont leur efficacité.
    Le dynamisme provient de l'histoire, de l'équipe de réalisation, mais aussi et surtout, du remplacement de Bourvil par Montand. Alors que le premier restait toujours en-dessous de De Funès, encombrait parfois ses avancées, le second lui tient parfaitement tête et parvient à se caler sur son rythme effréné. Montand apporte sa verve et, par rapport à son prédécesseur, rend infiniment moins gnan-gnan les épisodes romantiques (qui sont de plus, ici, accompagnés d'une légère ironie, via le décorum ou le regard de De Funès).

    De Montand à Hallyday, la chute s'annonçait encore plus tragique que la précédente, mais elle fut en fait, elle aussi, assez peu douloureuse. D'ailleurs, j'exagère un peu. La présence de Johnny Hallyday dans Titeuf, le film est limitée, en terme de durée et bien sûr parce que nous nous retrouvons ici uniquement face à son "avatar" dessiné. Toutefois, il faut dire que ces quelques minutes du film de Zep constituent sans aucun doute le meilleur clip vidéo que nous ait jamais offert l'ex-idole des jeunes. La chose a échappé au journaliste de Télérama en charge de la critique de ce Titeuf. Dans l'hebdo, le film est descendu sous le prétexte qu'il marcherait à l'esbroufe. Trois éléments prouveraient, selon l'auteur du texte, la réalité de l'arnaque : la bande originale, l'inadéquation entre le coût du projet et son résultat et enfin le choix de la 3D. La musique est effectivement inégale (le fond étant touché avec un morceau réunissant quatre tocards de la chanson française) mais... relativement en accord avec le sujet et les personnages. Et Zep réussit quand même à placer ces vieux punks des Toy Dolls (pas n'importe où de surcroît). Le fric dépensé et la publicité accompagnant la sortie, à vrai dire, je m'en tape. Reste le problème de la 3D, à propos duquel... je ne peux me prononcer, ayant vu le film en 2D. Cela reste le seul point sur lequel je pourrai m'accorder avec Télérama car je ne vois en effet pas très bien ce que la technique peut apporter dans ce cas précis.
    Ceci étant précisé, je dois dire que, de mon côté, c'est au contraire la modestie du film qui m'a plu. Pas de voix people pour de nouveaux personnages (les aficionados, dont je ne suis pas, peuvent éventuellement se plaindre de ce manque de nouveauté), pas de translation spectaculaire du monde de Titeuf (l'amusante introduction préhistorique est une fausse piste) : on reste au ras de la rue, au niveau de la cour de récré. Le fait que Zep ait obtenu le contrôle total de sa création était sans doute, déjà, un gage de fidélité sinon de qualité. L'esprit cracra et bébête de la série et de la BD est heureusement préservé, ce qui nous vaut un festival de gros mots, de blagues pipi-caca et de pensées sexuelles idiotes. L'histoire est toute simple, ancrée dans le quotidien, juste réhaussée visuellement par les illustrations des délires de Titeuf et de ses copains. L'esthétique du film n'est pas transcendante mais quelques idées se remarquent, ainsi que plusieurs micro-gags à l'arrière-plan. La thématique abordée est celle d'un passage d'un âge à l'autre draînant ses inquiétudes. Si l'issue ne fait guère de doute (happy end pour les parents, plus en demie-teinte pour Titeuf qui doit encore avancer...), cette structure classique donne l'assise nécessaire pour un passage réussi au format long.

     

    chantons00.jpglafoliedesgrandeurs00.jpgtiteuf00.jpgCHANTONS SOUS LA PLUIE (Singin' in the rain)

    de Gene Kelly et Stanley Donen

    (Etats-Unis / 103 mn / 1952)

    LA FOLIE DES GRANDEURS

    de Gérard Oury

    (France / 108 mn / 1971)

    TITEUF, LE FILM

    de Zep

    (France / 87 mn / 2011)