(Maria de Medeiros / France / 2007)
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Maria de Medeiros a profité d'un récent festival de Cannes pour s'entretenir avec des cinéastes et des critiques et s'interroger sur les rapports entre les deux professions. Sans faire de recherche particulière pour l'image, si ce n'est au cours d'intermèdes captant l'ambiance et les coulisses du Festival (intermèdes pas inintéressants pour les personnes qui, comme moi, ne connaissent pas Cannes, mais pas très utiles au propos), Maria de Medeiros se borne à conduire ses interviews et, éventuellement, à varier les décors (Ciment dans une cabine de projection, Kaganski dans son lit à l'hôtel...). Le grand nombre d'intervenants a poussé la réalisatrice à monter son film à la manière de tant de documentaires de ce genre : d'où la frustration, voire l'énervement, devant ces allers-retours incessants de l'un à l'autre pour dire, au plus, une phrase ou deux. Comme à la télévision, il n'y a plus le temps d'élaborer une pensée, il faut tout de suite placer la phrase qui percute.
Sur le fond du problème, pas de révélations. Il faut reconnaître toutefois que les différents aspects sont traités de façon exhaustive et que certains sont rendus de façon assez juste : les blessures de quelques cinéastes, la solitude du critique qui court de festival en festival, le fait que ce soient très majoritairement des hommes qui exercent cette activité. L'un des intérêts du documentaire est la présence de nombreux critiques internationaux, apportant un regard autre sur toutes les polémiques entre artistes et journalistes et enviant la France pour ses grandes batailles autour d'une simple oeuvre d'art. Au cours de ces entretiens multilingues, ce sont les critiques espagnols qui se distinguent le plus par leur humour.
Remarquable également, l'honnêteté de la plupart des critiques par rapport à leur métier, leurs attaques, leurs erreurs. Du côté des cinéastes, les propos sont plus tranchés, quelques fois méprisants. Précisons : les cinéastes étrangers, puisque aucun français (à part Honoré, mais qui n'en était qu'à son premier film) n'a souhaité participer. Donc pas de Leconte, Miller, Tavernier ou autre. Tant pis pour le débat. Il y a heureusement la pertinence d'Almodovar ou d'Egoyan, le regard froid de Cronenberg (et on se dit que décidément, Wenders est bien fatigué). Les grands lecteurs de critiques se sentiront sûrement les seuls intéressés par cette petite ballade et pourront conforter leur jugement sur chacun. Pour ma part, disons que j'ai trouvé Kaganski sympa mais particulièrement vague, Frodon enfermé dans son système de pensée du cinéma, Ciment austère, précis et parfois au bord de l'auto-satisfaction, et Lefort, comme d'habitude loin de mes goûts, mais résolument tordant.
Peter Forgacs est un documentariste hongrois, dont le travail consiste à retracer des parcours historiques uniquement à partir de photos et films amateurs du siècle dernier. Dans Miss Univers 1929, il évoque la trajectoire de Lisl Goldarbeiter, première femme non américaine à avoir remporté ce concours de beauté. Forgacs s'appuie pour cela presque exclusivement sur le fond iconographique familial et sur les petits films tournés par le cousin Marci.
Film plein de défauts, Confidences trop intimes se révèle être malgré tout la seule éclaircie dans la filmographie récente de Patrice Leconte, cinéaste qui enchaîne les catastrophes depuis La fille sur le pont si l'on est indulgent, ou depuis Ridicule si l'on est réaliste. Le premier quart d'heure n'a pourtant rien d'engageant. Visages cadrés serrés par une caméra tremblotante, montage avec faux raccords et sautes dans les mouvements : on a très peur que Leconte s'essaye au Dogme danois. Sandrine Bonnaire est dirigée avec des gros sabots pour faire sentir son mal être (tics, discours vif et désordonné, besoin de griller cigarettes sur cigarettes). Le pire est le maintien du quiproquo de départ (elle vient voir un psy et frappe à la mauvaise porte, celle d'un conseiller fiscal, qui ne lève pas le malentendu et l'écoute parler pendant deux "séances"). Les grosses ficelles au niveau des dialogues et des attitudes retardent le dévoilement, notamment lors de la deuxième visite, expédiée bêtement en une minute. Malgré l'ambiance mystérieuse, le décor soigné et la retenue de Lucchini, on se dit qu'on est mal barré.
L'Ours d'or berlinois de cette année est une chronique paysanne et sentimentale filmée dans les steppes mongoles. Wang Quan'an rend compte des efforts que doit fournir Tuya dans ce paysage rude pour subvenir aux besoins de sa famille à la place de son mari handicapé après un accident. N'en pouvant plus, la jeune femme décide de chercher un nouvel homme pour son foyer, mais en lui faisant accepter de s'occuper aussi de l'ancien époux.
Un McCarey à la réputation plutôt bonne qui s'avère assez mauvais, chose surprenante pour un cinéaste d'habitude brillant. Dès le début, pourtant axé sur la comédie, le réalisateur semble peu en forme (et c'est pourtant le meilleur moment du film) et laisse Cary Grant et Ginger Rogers en roue libre dans un registre clownesque. Les gags ne volent pas bien haut (au niveau des fesses surtout) en comparaison avec Cette sacrée vérité par exemple où McCarey (et Grant) excellait dans le registre du comique engendré par la gêne perpétuelle des personnages. La comédie laisse parfois la place au mélo et au film noir, ce qui donne un rythme informe à une oeuvre trop longue (1h55) et rend les rebondissements, ainsi traités de façon très sérieuse, proprement ahurissants. Car l'angle sous lequel est vu la seconde guerre mondiale est très réducteur (même si cela a donné par ailleurs de grandes réussites), c'est celui de l'espionnage. Le plus incroyable des retournements de situations qui jalonnent le périple européen du couple star est la réapparition dans un grand hôtel parisien de la femme de chambre juive que Rogers avait sauvée de Pologne, trois ans avant. Mépris pour la vraisemblance et un patriotisme américain plaqué n'importe comment au gré d'un mauvais scénario (une seule scène intéressante de ce point de vue, basée sur les accents, les souvenirs, les expressions, pour démasquer une espionne se prétendant américaine) : déception est un faible mot. Et je n'aime pas Ginger Rogers (sauf dans Le danseur du dessus que j'ai déjà évoqué).
Avec les deux Election (vus en salles au printemps), To creuse son sillon et tente son Parrain à lui à travers l'histoire d'une lutte pour le pouvoir au sein d'un clan de la pègre hong-kongaise. Dans le premier volet, tout est enrobé d'obscurité, et ce dès les premières scènes de tractations entre les "oncles" en vue de l'élection du nouveau parrain, où les visages sont volontairement sous-éclairés. Un des règlements de comptes se fera l'après-midi dans un restaurant, mais le store sera tiré pour prendre au piège et pour faire le noir. L'exception arrive au dénouement, au cours de la partie de pêche. Ce brutal éclairage se fait alors aussi sur la personnalité de Lok, jusque là le personnage qui attirait la sympathie du spectateur face au chien fou Big D, mais dont on sentait bien qu'il était, lui aussi, capable des pires horreurs. Johnnie To connaît sa grammaire et montre donc, bien sûr, l'ambiguïté inhérente à ces récits de gangsters. Roi des scènes d'action, il innove constamment, sans en faire trop, d'où l'impression grisante de voir celles-ci filmées exactement comme il le faut. Dense et sec, Election 1 ne dévie pas de son propos : la lutte pour acquérir un pouvoir absolu et le néant qui en découle.
Si Election 2 me déçoit quelque peu, c'est que le style ne varie guère et que les personnages ne sont pas spécialement approfondis (alors que de ce côté-là, la deuxième partie du Parrain, c'est quand même quelque chose...). Passant sur les deux ans du mandat de Lok, qui nous auraient bien intéressés, Johnnie To concentre son récit sur la nouvelle élection et reproduit son schéma des règlements de comptes entre candidats. Les ramifications du scénario sont moins complexes (moins de protagonistes entrent en jeu) et les affrontements sont plus systématiques (mais on n'oublie pas la scène dans le chenil). Une dimension politique est ajoutée en traitant des rapports avec la Chine, qui semble in fine tirer toutes les ficelles. Le diptyque (provisoire ?) se clôt toujours plus sombre (nous sommes passé d'une partition plutôt pop à une musique lancinante) et plus violent.
Master and commander retrace la course poursuite, pendant les guerres napoléoniennes, entre le commandant d'un vaisseau anglais et un corsaire français. J'avoue être sorti lessivé par les embruns, les tempêtes et les abordages. Le genre des aventures maritimes est certes modernisé mais Weir nous inflige toujours les ordres incompréhensibles criés d'un bout à l'autre du bateau toutes les cinq minutes, les réflexions sur le code de l'honneur et le sens du devoir. Septembre 2001 est tout proche, il faut donc aussi faire passer des allusions aux temps difficiles que traverse l'Amérique et à la nécessité de se serrer les coudes. Peter Weir sait mettre en images mais chaque scène doit absolument faire ressentir au spectateur une émotion au premier degré, tout doit être parlant. Cela simplifie grandement les problèmes psychologiques (Le cinéaste se retrouve bien loin de l'inquiétude de Picnic à Hanging Rock, voire même de ses films des années 80 avec Harrison Ford).
Oeuvre inclassable du début du parlant, Zoo in Budapest est signée par R.V. Lee, cinéaste peu connu si ce n'est pour ce film (et un Son of Frankenstein de la même époque). C'est manifestement l'un des films préférés de Patrick Brion qui l'a présenté plusieurs fois au Cinéma de minuit. Plusieurs registres sont parcourus : la comédie, le conte, le merveilleux, la romance, le tout dans une atmosphère est-européenne souvent rencontrée dans le cinéma hollywoodien des années 30 (mais de Budapest, nous ne verrons que les lumières de la ville, l'action se limitant à l'intérieur du zoo, de façon à accentuer la sensation de fantastique).
Bienvenue dans le riant pays autrichien. Je connaissais la radicalité et la noirceur du cinéma de Michael Haneke. Je ne me doutais pas que cette sombre vision était si partagée par ses compatriotes. En 2001, Lovely Rita de Jessica Hausner suivait la route tracée par l'auteur du toujours dérangeant Funny games. Malheureusement, la description désespérée de la société n'était portée que par un réalisme glauque, une image d'une laideur absolue et un scénario gardant forcement pour la fin l'explosion attendue (et le regard caméra de l'héroïne au dernier plan, au cas où nous n'aurions pas compris la gravité de la situation). La même année, Ulrich Seidl, documentariste aguerri proposait sa première fiction Dog days (oui, apparemment, un film autrichien doit être distribué en France avec un titre anglais).
Séance de rattrapage pour un opus mineur mais plaisant des frères Coen. Chassé-croisé amoureux entre Miles (George Clooney), avocat à succés et Marylin (Caterine Zeta-Jones), croqueuse d'hommes riches, le film s'inscrit dans la lignée des comédies romantiques. Les deux frangins ont souvent parsemé leurs films d'hommages aux classiques hollywoodiens des années 30-40, de façon plus ou moins marquée (par exemple dans Le grand saut). Ici, le sujet permet de convoquer les figures des comédies du remariage de Sturges, Hawks ou Capra. Ce dernier est le plus explicitement évoqué lorsque Miles, qui doit faire un discours très attendu devant ses collègues avocats, se lance de façon totalement improvisée dans un plaidoyer pour la tolérance, l'écoute des clients et l'amour. Sans la réminiscence des discours de James Stewart chez Capra, la scène paraîtrait un peu trop facile, mais nous savons bien que nous sommes chez les Coen et qu'un gros grain de sable viendra bientôt gripper la machine à consensus. Ces références restent toutefois très indirectes, contrairement au cinéma de Tarantino.