(Roy Andersson / Suède / 2007)
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Sept ans après Chansons du deuxième étage, Roy Andersson, revient avec Nous, les vivants (Du levande), en reprenant la même esthétique radicale. Ces scènes de la vie citadine se présentent en une succession de tableaux ironiques, indépendants les uns des autres mais baignés par la même lumière mortifère. La palette de couleurs ne se décline que du vert kaki à l'ocre, quand le brouillard n'envahit pas toute cette ville à l'ambiance sonore portuaire. Des personnages, presque toujours tristes, presque toujours vieux (joués par des non professionnels, pour la majorité d'entre eux) se succèdent. Les teints sont ostensiblement blafards, les costumes sont uniformément gris, les postures immobiles. Avec ses plans séquences et sa caméra fixe, Andersson joue sur l'ennui et s'arrange toujours pour déclencher à un moment donné un micro-événement dans le cadre. L'humour se fait décalé, inattendu, après plusieurs secondes où le cinéaste laisse à l'oeil du spectateur le soin de scruter le décor (Andersson serait de ce point de vue une sorte de Tati triste).
Ce choix d'un rire qui surgirait d'une morne réalité et ce dispositif rigide pourraient geler toute émotion. Elle passe cependant. Les personnages pleurent régulièrement, éconduits ou incompris. Pour s'évader, ils jouent de la musique. Cet exercice artistique est l'une des seules choses qui permette à ces hommes d'échapper à leur condition. Autre effet source d'émotion, ces regards se tournant soudainement, soit vers la caméra lorsque quelqu'un entame un récit à notre attention, soit vers un tiers ou le hors-champ, élucidé ou non. Ces regards intriguent ou apitoient. Souvent, la question taraude le spectateur : quel est ce monde ? Un décalque du nôtre ? Celui vers lequel nous nous dirigeons ? Un autre espace-temps (des insignes nazis apparaissent ça et là) ? Je penche personnellement pour un monde de morts-vivants. Comme les zombies de Romero, le but de leurs déplacements n'est pas tout de suite explicite, leur visage est blanchâtre, leurs mouvements sont lents et les gestes du quotidien semblent effectués sous l'influence d'une mémoire enfouie datant de la vie d'avant. A part la musique, ils ont leurs rêves et l'un de ces rêves fournit le seul épisode qui ressemble à du bonheur : un mariage avec une rock star, se clôturant de façon fellinienne.
Ceux qui ont vu et apprécié Chansons du deuxième étage noteront peu d'évolution ici et l'impression de redite, avec une petite baisse de régime au milieu de ce film pourtant court (90 minutes), peut se faire sentir. Plus basé sur le quotidien et moins symbolique, le film est aussi plus éclaté que le précédent, peu de personnages revenant d'un tableau à l'autre. On peut toutefois recommander la visite à ceux qui ne connaissent pas l'esthétique singulière de ce suédois.
Arte, dans le cadre de son cycle trash, a diffusé en octobre dernier Sayuri, strip-teaseuse (Ichijo Sayuri : Nureta Yokujo), exemple de "roman porno", genre ayant fait florès au Japon dans les années 70. Précisons que la définition du terme porno varie, dans ce cas, de celle utilisée en France. La censure japonaise interdit depuis toujours l'exposition des pilosités et donc des sexes (la version que nous connaissons de L'empire des sens d'Oshima n'a été distribuée qu'en Occident). Les réalisateurs tournent donc autour de cet interdit en millimétrant leurs cadrages et les postures des comédiens ou en ayant recours à des caches (ce qui arrive à trois reprises ici et qui, paradoxalement, participe assez bien de l'ambiance visuelle recherchée du film). Nous avons là un travail en série, mais les résultats sont aussi loin de la nullité cinématographique des telefilms soft du dimanche soir que des moyens et des buts que se fixent l'industrie du X contemporaine. Car nous sommes bien dans ces années turbulentes où Oshima, Imamura, Suzuki et d'autres, donnent leurs grands coups de boutoirs contre le cinéma traditionnel, par leurs recherches formelles, leurs récits déconstruits, leurs réflexions politiques.
Salomon (JP Marielle) devient vieux. Tout le monde le lui dit et lui refuse de l'entendre. Sa femme, qui l'a quitté quelques années auparavant, déjà dérangée, ne voit pas son état mental s'arranger. Sa fille est bouleversée par sa grossesse tardive. Alors Salomon danse en pensant à Fred Astaire et passe une petite annonce pour trouver une femme...
Le troisième long métrage de James Gray, La nuit nous appartient (We own the night), est de nouveau un film noir tournant autour d'une affaire de famille. Dans les années 80, Bobby Green, frère et fils de haut-gradés dans la police new yorkaise, gravit les échelons du monde de la nuit, devenant gérant de night club grâce à ses connaissances dans le milieu. Les dealers et la police se livrant une guerre sanglante et lui-même ayant caché à ses patrons et clients ses liens de parenté, il est obligé de choisir son camp lorsque les membres de sa famille sont menacés de mort par des mafieux russes.
De l'autre côté (Auf der anderen seite) ou les trajectoires croisées de 6 personnages entre l'Allemagne et la Turquie. Fatih Akin mêle les émotions et les tours du destin du mélodrame à la précision de la chronique réaliste. Si travaillé que soit le scénario, si contraignantes que deviennent les figures imposées dans les films à plusieurs voix (croisements des personnages, boucles narratives, effets papillons...), le jeune cinéaste déjoue régulièrement les attentes. Autant que l'intelligence de la construction, c'est donc aussi la capacité qu'a Fatih Akin de ne pas se laisser enfermer dans une structure trop rigide qu'il faut saluer.
Oui, malheureusement, les commentaires cannois mitigés à propos du voyage en Amérique de WKW étaient bien fondés.
En août dernier, sorti de La fille coupée en deux, je regrettais ici même, malgré leurs qualités évidentes, le ronronnement des films de Chabrol ayant suivis La cérémonie. Forcément, trois mois plus tard, je tombe sur la pièce du puzzle que j'avais oublié sous le tapis, celle qui ressemble apparemment aux autres mais qui, finalement, remet tout en cause, celle qui n'attire pas l'oeil en premier mais qui se révèle la plus belle. Avec La demoiselle d'honneur, Chabrol adapte à nouveau un roman de Ruth Rendell, près de dix ans après La cérémonie. Comme Woody Allen dernièrement, il s'attache à des personnages de classe moins élevée que d'habitude. Le cadre de départ est celui d'une petite maison de la banlieue nantaise. Une mère de famille très attentionnée s'en sort plus ou moins comme coiffeuse à domicile et garde sous son toit ses trois grands enfants d'une vingtaine d'années. Ses deux filles suivent des voies opposées : la cadette flirte avec les embrouilles, l'autre se marie. L'aîné des trois, Philippe, est le mieux installé professionnellement, cadre commercial très compétent dans une petite entreprise du bâtiment. Le mariage de sa soeur l'amène à rencontrer Senta, l'une des demoiselles d'honneur. Celle-ci l'entraîne dans une histoire de passion amoureuse exclusive, à la lisière de la folie meurtrière.
Dans les années 50/60, Henry King, qui était à la fin d'une prolifique carrière entamée au temps du muet, passait généralement pour un cinéaste académique ou au mieux pour un artisan consciencieux. Son oeuvre a par la suite été sérieusement re-évaluée par quelques critiques, certains le plaçant même auprès des plus grands réalisateurs de l'âge d'or hollywoodien. Il faudrait donc certainement voir un jour, au hasard, Le brigand bien-aimé (avec Henry Fonda et Tyrone Power en frères James), La cible humaine, Le cygne noir... , d'autant plus que ce Capitaine de Castille (Captain from Castile) aiguise particulièrement la curiosité. Ce film d'aventures se révèle même être, tout simplement, l'un des meilleurs du genre.
Une petite note pour un petit film. Pascal Thomas adapte Agatha Christie et lance Catherine Frot et André Dussolier (moyennement crédible en colonel) dans une enquête autour de vieilles dames séniles et de meurtres d'enfants. Si le duo de têtes d'affiche marche assez bien, si l'ensemble se démarque du non-cinéma que propose la majorité des comédies françaises contemporaines, si la transposition du roman en Haute-Savoie se fait sans heurts et si le début est relativement amusant, le film s'étiole petit à petit pour nous laisser dans l'indifférence totale. Les dialogues et les réparties commencent par séduire dans les premières scènes avant de révéler de plus en plus leur aspect vieillot (ces gags d'un autre âge, autour d'allusions sexuelles qui n'en sont pas, ou ces jeux de mots sinistres tels que ce "Monsieur Livingstone, je présume ?", répété deux fois). L'intrigue, avec ses fausses pistes incessantes, ses multiples personnages inquiétants, au lieu de donner l'impression d'une grande complexité narrative, déroule un long catalogue répétitif, terriblement bavard et tarabiscoté, rendu incompréhensible par son manque d'intérêt (une source fiable et très proche de moi me souffle que ce résultat, obtenu aussi par les séries policières télévisées du genre Hercule Poirot, n'est pas du tout le même lors de la lecture des romans de Christie). Le virage fantastique de la dernière partie n'arrange pas les choses. Revoir sur un écran Geneviève Bujold est un plaisir, mais lui faire rejouer en chemise de nuit Obsession, 30 ans après DePalma, est une idée d'un goût douteux.
Oh le beau film que voilà !