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Film - Page 13

  • L'Homme de l'Arizona (Budd Boetticher, 1957)

    **
    Le début est plutôt léger, fait de scènes bienveillantes voire même carrément comiques. Pourtant les contre-plongées sur Randolph Scott, légères (au niveau des épaules) ou plus accentuées (dès qu'il est sur son cheval), nous préviennent : celui qui se destine à la simple installation comme fermier sera bientôt entraîné dans un tragique engrenage. Le film se fixe rapidement dans un décor rocailleux qui sied parfaitement à la mise en scène de Boetticher, même si le ton reste changeant, oubliant certes l'humour mais ménageant des pauses intimes au profit des deux otages, Scott et Maureen O'Sullivan. Le scénario donne au premier l'occasion d'élargir sa palette mais contraint un peu la seconde dans un statut plus convenu. Riche de détails parlants et de personnages singuliers, le film n'a pas toujours la même intensité. Ainsi, la sécheresse dont sait faire preuve le cinéaste se signale surtout par éclairs, à travers des séquences d'une rare violence. Un corps à corps finit par un coup de feu sous la machoire et plus tôt, on nous dit que l'ami et le petit garçon ont fini dans le puits. A cette occasion, Boetticher ne fait pas de plan sur ce puits, ni sur le sucre d'orge jeté à terre par le tueur, il lui suffit de montrer, brièvement, le visage interdit de son héros. 

  • The Offence (Sidney Lumet, 1973)

    ***
    On croit d'abord très bien cerner le film en même temps que ce qui fait la valeur du cinéma de Lumet lorsqu'il est à son meilleur : l'équilibre obtenu entre quelques effets de modernité (un intrigant pré-générique au ralenti, une musique angoissante, des flashs mentaux), un regard quasi-documentaire (la battue très détaillée) et un beau classicisme dans la conduite du récit (une enquête sur des disparitions d'enfants) et la direction d'acteurs (Sean Connery le premier, très inquiétant en flic violent et assailli par ses démons jusqu'à en perdre la tête). Mais ensuite, c'est une autre dimension, habituelle aussi chez Lumet, qui s'affirme avec force jusqu'à la fin. Trois séquences à caractère théâtral se succèdent, très longues, chacune dépassant la précédente en durée, l'ensemble allant jusqu'à former plus de la moitié du film. Intenses, elles constituent une sorte de tour de force, déjouent l'attente, parviennent à faire partager le vertige éprouvé par le personnage principal. Celui-ci, le plus souvent detestable, sombre dans la folie. Pas étonnant vu le contexte anxiogène : Lumet filme d'abord un triste temps anglais puis plonge tout ce petit monde dans une nuit oppressante (une nuit qui semble littéralement cogner aux vitres des bureaux et des appartements) pour finalement l'enfermer en ne l'éclairant que par de stressants néons. 

  • Perdrix (Erwan Le Duc, 2019)

    **
    C'est d'abord une succession d'aimables saynètes, de courtes vignettes d'humour décalé autour de la vie quotidienne d'un capitaine de gendarmerie d'un village des Vosges secoué par l'arrivée d'une jeune femme un peu allumée. Plans soignés, images insolites et dialogues vifs... Manque seulement une affirmation, esthétique ou narrative, qui ferait décoller le film au-dessus de ce qui pourrait n'être qu'un bon épisode de série comique. Heureusement, dans la deuxième moitié, le cinéaste envoie enfin ses personnages à l'aventure, qui les appelle depuis le début, l'aventure amoureuse et la vraie, dans les bois. Viennent une belle séquence de fête dans un bar, au son de Niagara, puis une virée nocturne dans la forêt et une étrange reconstitution historique presque godardienne. Le film révèle finalement sa singularité en mettant de côté son délire "gendarmes contre nudistes", en limitant les effets comiques les plus évidents, en resserrant sa visée autour des personnages principaux, en courant plus franchement vers le conte. 

  • Slacker (Richard Linklater, 1990)

    **
    Un essai cinématographique poussant à l'extrême le principe de mise en scène altmanien faisant passer d'un personnage à l'autre, bifurquer la ligne narrative et topographier un lieu. Sur une journée, à Austin, nous suivons de jeunes habitants, seulement le temps d'une conversation (souvent en forme de monologue déguisé), sans jamais les retrouver plus tard, la caméra changeant de sujet à chaque groupe ou individu croisé. Il n'y a donc pas de véritable récit et les segments se révèlent d'intérêt inégal, paraissant devenir de plus en plus absurdes. Parfois, les transitions ont quelque chose de forcé, comme dans les dialogues/discours que l'on entend. Car c'est évidemment l'état de la jeunesse d'alors que Linklater souhaite radiographier, et il n'est pas brillant. Le film vaut pour cet "arrêt sur image" sociologique, mais en le découvrant aujourd'hui, on peut aussi y voir germer tout ce qui sera bien développé 30 ans après, des écrans multiples au discrédit total des élites, en passant par le complotisme et la culture de la rumeur, ce qui le rend étonnement prophétique. 

  • SOS Fantômes (Paul Feig, 2016)

    *(*) 
    Ce redémarrage serait meilleur que l'original de 1984, qui a très mal vieilli, s'il ne s'affaissait pas dans une dernière demi-heure en forme d'interminable combat final, surenchère dans le spectaculaire ne gardant plus de l'amusante description des caractères que quelques bons mots entre deux énormes effets numériques. La construction de l'ensemble est d'ailleurs proche de celle du modèle, qui, lui aussi, se terminait assez péniblement. Dommage, car les trois premiers quarts sont plutôt distrayants. La vivacité des dialogues, l'énergie des actrices, les savoureux renversements (l'apparition de Bill Murray en vieux scientifique cherchant à ridiculiser les chasseuses de fantômes, l'emploi d'un secrétaire aussi beau gosse que simplet) font que l'on suit avec le sourire une histoire que l'on connaît déjà. Surtout, la féminisation, intérêt principal de cette actualisation, est effectuée intelligemment et avec le plus grand naturel, en lâchant à peine deux ou trois remarques, sans donner de leçon, sans discourir inutilement.

  • One Plus One (Jean-Luc Godard, 1969)

    **
    Un plus un, ça fait bien deux. Le film sur les Stones et le film sur les Black Panthers se regardent en chiens de faïence. Aujourd'hui moins encore qu'à l'époque, sans doute, leur collage et leur alternance ne créent du sens. Malgré le même recours au plan séquence et malgré les quelques chevauchements sonores laissés çà et là, on ne peut que les distinguer et les séparer. Évidemment, la partie Rolling Stones (les cinq et Nicky Hopkins au piano) est inestimable, document sur la création mais aussi description d'un fonctionnement interne et révélation des personnalités, et cela sans une intervention, seulement en laissant se succéder les versions de Sympathy for the Devil dans le studio. A côté, les séquences fictionnelles sur les militants sont assommantes car uniquement faites de discours et de slogans. Même s'ils n'arrivent pas plus à faire le lien, les inserts avec Anne Wiazemsky apportent un peu de fraîcheur (car généralement "volés" dans les rues londoniennes) et le roman politico-pornographique lu en off est plutôt marrant. 

  • Falstaff (Orson Welles, 1966)

    **
    Le cinéma impur de Welles, qui me semble plus relever ici de l'agrégat, en comparaison avec ses précédents films, plus admirables et attachants à mes yeux. Le matériau de base, bien que shakespearien, est lui-même hétéroclite, le personnage de Falstaff se retrouvant dans des pièces différentes du dramaturge. Le ton passe sans arrêt de la farce à la tragédie. Il s'agit bien sûr d'opposer (un peu lourdement) les mornes conciliabules autour du roi Henry IV et la vie de plaisir menée par Falstaff et ses amis. Visuellement, l'alternance est encore la règle. Aux cadres stricts et sombres accompagnant en plans relativement longs les dialogues et monologues de John Gielgud, repond l'agitation dans l'auberge. Welles y deconstruit l'espace avec son montage follement rapide et ses angles de prises de vue insensés (toujours cette profondeur de champ et ces plafonds...). Cette désorientation par la mise en scène culmine dans la séquence de bataille, violente et confuse, n'offrant qu'un seul point de repère, d'ailleurs en retrait de l'action : l'énorme silhouette craintive de Falstaff en armure. Ce personnage, Welles le fait sien, le fait presque déborder du film, ventre et trogne en avant, et semble régulièrement effectuer des clins d'oeil à son public, incitant à confondre créature et créateur, leur situation, leur art de vivre.

  • La Tombe de Ligeia (Roger Corman, 1964)

    ***
    Le dernier et peut-être le meilleur film du cycle Edgar Poe de Corman, le mieux équilibré en tout cas. En beaux extérieurs réels ou en intérieurs gothiques travaillés, les couleurs s'affrontent à distance, rouge, bleu, vert, pour être finalement effacées par le jaune orangé de l'incendie purificateur, terme logique d'un dénouement cependant insensé. Corman a dirigé Vincent Price vers une interprétation plus mesurée que d'ordinaire pour donner vie à un personnage schizophrène soumis à d'étranges moments d'absence plus fréquents que ceux où il explose. Face à lui, une certaine Elizabeth Shepherd se révèle, avec sa rousse chevelure, admirable de dynamisme, de volonté, de tension érotique sans quasiment rien montrer de son corps. Loin des victimes naïves habituelles n'ayant guère que leur décolleté à offrir, elle compose un personnage à la force de caractère étonnante. L'équilibre du film vient aussi de là, les deux points de vue, celui de l'homme et celui de la femme, pouvant alterner sans problème, sans nous faire prendre trop de distance avec cette nouvelle description d'un cerveau malade, sous l'emprise d'une morte (interprétée, aussi, par notre Elizabeth, sans que l'on s'en rende compte avant le générique de fin !). L'entremêlement des destins est montré dans une magnifique séquence, lorsque l'héroïne avance le long de couloirs sombres et inconnus et gravit d'inquiétants escaliers, alors que la bande son ne laisse entendre que la voix du maître des lieux racontant à son ami, à l'extérieur, sa vie passée avec son épouse défunte.

  • Ma sorcière bien-aimée (Nora Ephron, 2005)

    **
    Au lieu de s'épuiser à vouloir refaire en réactualisant et à épater avec une surenchère d'effets spéciaux, comme c'est presque toujours le cas avec les remakes de vieilles séries télévisées, les auteures (les sœurs Ephron) ont choisi la voie peu évidente du métafilm grand public. C'est donc proche du modèle et en même temps complètement autre chose. Que l'on reste constamment au premier degré n'est pas gênant et n'empêche pas de goûter à quelques notations plaisantes sur l'art du cinéma, sur le rêve et la réalité, sur la façon de raconter des histoires (l'effet assez étonnant du rembobinage lorsque Isabel décide d'annuler ses sorts). Bien sûr, l'efficacité comique est très relative selon les scènes et l'impression de voir se succéder plusieurs films différents est plus forte que celle de voir ceux-ci se constituer en jeux de miroirs (ce qui fait aussi disparaître par exemple Shirley MacLaine au moment où son personnage devenait intéressant) mais laisser sa chance à tous (même à la voisine "potiche") est un geste appréciable et cette romance humoristique et magique peut, pour les plus jeunes, se révéler une initiation simple et sympathique au cinéma "réflexif". Et puis placer sur sa bande son des morceaux de Talking Heads, REM et Police, c'est déjà mériter le respect. 

  • Liberté (Albert Serra, 2019)

    **
    Serra prouve, si besoin est, qu'il est encore possible de faire un cinéma dérangeant, au moins sur le plan sexuel, et rappelant les expériences radicales des années 70, celles de Pasolini, Makavejev et autres, sous-texte politique compris. Il le fait dans son style, cérémonieux, lent, frontal et parcellaire, réglant ses rites sadiens sous de magnifiques éclairages nocturnes et en les enrobant d'un mixage saisissant de bruits naturels. Toute une nuit de débauche en forêt, avec le décrochage historique qui permet à la fois d'atténuer le choc des images les plus extrêmes, de rendre cette "histoire" plausible, et aussi de faire glisser un souffle étrange et quasi fantastique. Du début à la fin, le cinéaste joue avec les notions de champ et de hors-champ, de domination et de soumission, avec ce qui peut être montré et ce qu'il vaut mieux dire. Un ou deux minces fils peuvent être tenus d'une scène à l'autre, placée (beaucoup) plus loin, et un certain crescendo s'observe, dans l'audace de la représentation des actes et dans l'évolution vers un épuisement, voire un anéantissement (la fin, c'est la disparition soudaine des corps, avec l'aube, la place entière reprise par la nature et la musique), mais la règle est plutôt le refus d'une véritable mise en récit, jusqu'à donner l'impression de séquences ou de moments, de plans de transition, qui seraient totalement interchangeables. La succession et la répétition font la cohérence de ce monde, comme elles font sans doute la limite du film.