Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

etats-unis - Page 23

  • Boulevard de la mort

    (Quentin Tarantino / Etats-Unis / 2007)

    ■■■□

    6b715b8f0bd2131d63ad0f6e3c285897.jpgRetour sur le Boulevard de la mort, que j'avais été voir un peu à reculons en juin dernier, ce qui est très dangereux vu le cinglé qui sillonne cette route. Ma réticence initiale tenait à la nature du film : l'hommage à la série B des années 70. Kill Bill avait été plus ou moins vendu comme cela, avec plus de tapage il est vrai. Pour la première fois, Tarantino patinait, étirant son métrage inutilement jusqu'à donner deux trop longs films, brillants mais par endroits boursouflés, aux scènes d'actions virtuoses mais fatiguantes.

    Ouf, rien de tel ici. L'hommage ne se transforme pas en grosse machine qui veut trop dire et trop montrer à la fois. Intrigue simplissime, amusant vieillissement artificiel de l'image (sautes dans les plans, rayures de la pellicule...), efficace bande son gorgée de vieux morceaux pop rock et abondants clins d'oeil (même au sens littéral du terme, voir le regard caméra de Kurt Russell avant d'entamer sa course folle) : l'aspect pastiche est évident. La belle idée du film est la construction en deux parties, racontant différemment deux histoires très semblables : un groupe de filles rencontre Stuntman Mike (Kurt Russell) et cela finit mal sur la route. C'est paradoxalement cette répétition qui fait passer les longues séquences de tchatche entre copines. Ces scènes, dans la seconde partie, nous les raccordons à celles du début, nous voyons autre chose qu'un simple bavardage. Tarantino ne réussit pas seulement ses deux pans du tableau, il soigne aussi la pliure. Ainsi cette scène extraordinaire dans les couloirs de l'hôpital, où le Sheriff explique à son adjoint les mobiles et le déroulement du crime dans les moindres détails, corroborant tout à fait ce que l'on a vu depuis une heure, et finit tout aussi tranquillement son monologue en déclarant qu'il ne fera rien pour arrêter son suspect.

    Kurt Russell s'en donne à coeur joie et les deux bandes de filles sont renversantes (dont la magnifique Rosario Dawson, découverte dans le Kids de Larry Clark et vue entre autres dans la 25e heure). Zoé Bell, véritable cascadeuse, s'intègre parfaitement au second groupe. Sa présence permet à Tarantino, outre un bel hommage aux ouvriers de l'ombre du cinéma, de réaliser une époustouflante course poursuite en voitures, sans trucage numérique. Autant la scène de l'accident qui clôturait la première partie est fulgurante (atroce et fascinante par son montage répété et le jeu sur la lumière), autant cette poursuite est étirée. Mais même pour qui n'est absolument pas un fan de bagnoles, pour peu que le réalisateur soit compétent, il est évident que ce spectacle est l'un des plus cinégénique qui soit (la vitesse sur les routes américaines désertes, ça marche presque à tous les coups : Point limite zéro, Duel etc...). Le final est réjouissant malgré le fait qu'il contienne l'un des deux très brefs moments discutables du film. Le détachement de Tarantino le fait céder parfois à un humour complaisant par rapport à la violence. Les trois copines n'hésitent pas à laisser tomber la quatrième seul face à un gros libidineux et le plan qui clôt la séquence se veut drôle mais laisse peu de doutes quant à la suite des évènements (ce genre de détail montre que Boulevard de la mort comme grand film féministe, il ne faut pas trop pousser quand même...). Enfin, le tout dernier plan est aussi inattendu que violent. L'effet est heureusement atténué par l'explosion musicale finale, formidable reprise par April March du Laisse tomber les filles chanté par France Gall dans les sixties.

    Une exercice de style où quelque chose vit, où le pastiche n'empêche pas l'adhésion, voilà la réussite de Tarantino. Peut être devrait-il tourner toujours comme cela : rapidement, enchaînant les projets, sans trop se laisser emporter dans de grosses entreprises. Boulevard de la mort  n'est pas le plus grand film de l'année, ce n'était sans doute pas non plus le plus important présenté à Cannes, il n'empêche qu'il laisse en mémoire de sacrés moments de cinéma. Et qu'il prend sa petite place juste à côté de Pulp Fiction, un peu derrière Jackie Brown  et surtout ce Reservoir Dogs fracassant que Tarantino ne dépassera sans doute jamais, mais peu importe puisqu'au moins, il est de retour.

  • Le danseur du dessus

    (Mark Sandrich / Etats-Unis / 1935)

    ■■■□

    2f6c7eb08693746ca8cf204023a41f47.jpgLe danseur du dessus (Top hat) est souvent considéré comme le meilleur film de la série mettant en scène le couple Astaire-Rogers. Vu il y a de cela plusieurs années, L'entreprenant Mr Petrov (Shall we dance, 1937), m'avait paru sympathique, mais je préférais (hérésie ?) Holiday Inn (1942), du même Sandrich, où Ginger Rogers cédait la place à Bing Crosby et où Fred Astaire faisait un mémorable numéro de danse en état d'ivresse. Deux films de la même époque vus récemment et décevants par rapport à ce que j'en attendais, Lune de miel mouvementée de Leo McCarey et Pension d'artistes de La Cava, m'avaient persuadé que j'étais décidément imperméable au charme de Ginger. Heureusement, je la trouve tout à fait supportable dans Top hat.

    Autant qu'un musical, le film est une comédie sophistiquée, bien dans la lignée hollywoodienne des années 30, bénéficiant par exemple de la présence de l'impayable Edward Everett Horton, habitué de Capra et Lubitsch. Le fil du scénario est ténu : Dale Tremont (Rogers), séduite par le danseur Jerry Travers (Astaire), s'imagine à tort que ce dernier est le mari de son amie Madge Hardwick. Tout l'intérêt de l'intrigue, bien ficelée, consistera à retarder au maximum la mise à jour du quiproquo. Jeux de cache-cache et situations arbitraires abondent donc (jusqu'à une dernière pirouette trop expéditive). Riche de fines répliques, le film tire parfois vers un humour absurde bienvenu. Les réactions étonnantes de la très compréhensive Mme Hardwick à l'annonce de l'infidélité supposée de son mari font leur effet (et provoquent un éloge involontaire du ménage à trois peu commun dans ce cinéma hollywoodien corseté) . Encore plus savoureuse, la déclaration, dans un élan mélodramatique tombant complètement à plat, de Beddini, prétendant insupportable de Dale, annonçant à celle-ci qu'il tuera son rival. Dale ne prête aucune attention à ses propos.

    Les moments musicaux, si ils ne débordent pas d'inventivité dans la mise en image de Sandrich (qui soigne par contre les transitions entre les scènes par de nombreux raccords visuels ou sonores), permettent de se régaler de l'art de Fred Astaire. Le statisme du cadre est atténué par l'intégration parfaite des numéros dans l'histoire. La dimension du rêve, composante essentielle des meilleures séquences de musical, est bien là : quand Jerry réveille puis berce sa voisine du dessous avec son numéro de claquettes (jusqu'à endormir tout le monde, lui y compris) ou quand lors du fameux et toujours charmant Cheek to cheek ("Heaven, I'm in Heaven..."), le couple danse et est isolé par la caméra dans la grande salle de bal qui semble soudain désertée.

    Pour un avis moins positif, voir ma femme.

  • Les fantômes de Goya

    (Milos Forman / Etats-Unis, Espagne / 2006)

    ■■■□

    d1716b3f08c8bf196988526b3c93e2d1.jpgOublier que l'on attendait un nouveau Forman depuis sept ans. Oublier le précédent, Man on the moon, ce chef d'oeuvre. Oublier la rumeur catastrophique et la sortie estivale à la sauvette de ces Fantômes de Goya. Oublier que tout le royaume d'Espagne parle anglais. Oublier les coupes de cheveux des acteurs.

    Surtout, passer outre une mise en route laborieuse. Michael Lonsdale fait le minimum en chef de l'Inquisition, Javier Bardem en Frère Lorenzo est d'abord, disons... étrange et Goya est interprété de façon transparente par Stellan Skarsgard. Pourtant, au fil des séquences, tout prend forme. Milos Forman ne propose pas un biographie de Goya, mais deux moments précis de sa vie. D'ailleurs, le peintre n'est pas vraiment héros de cette histoire, plutôt un témoin privilégié, celui de l'arrestation et de l'emprisonnement par l'Inquisition de la jeune Ines (Natalie Portman), modèle favori de Goya et fille de son ami, le riche Bilbatua. Le vrai sujet apparaît alors : la tragi-comédie du pouvoir, la description du totalitarisme. Forman s'y connaît. La séquence du dîner est de ce point de vue magistrale. La famille d'Ines a organisé une soirée en l'honneur du tout puissant Frère Lorenzo, par l'intermédiaire de Goya, dans l'espoir d'obtenir, sinon une libération, du moins des nouvelles de leur fille. On sent alors que chaque mot prononcé est pesé, en voulant obtenir des informations, sans offenser l'hôte. Le dérapage aura pourtant bien lieu, le père étant vite excédé par la mauvaise foi du Frère Lorenzo. Et Goya, le peintre de cour, connaissant les usages et surtout les risques encourus, s'en offusque. Pouvoir absolu, arbitraire des arrestations, tortures, abandon dans les geôles, l'analogie avec le stalinisme est transparente. Le Frère Lorenzo, lui, devient l'incarnation du mal (saisissantes visites au cachot, au milieu des suppliciés pour abuser d'Ines) et Javier Bardem donne tout à coup au personnage une sacrée épaisseur.

    Puis survient une cassure étonnante. Le récit fait un bon de quinze ans jusqu'à l'invasion de l'Espagne par les troupes de Napoléon. Les scènes de violence et de pillage, où Forman s'avère moins inspiré, sont surpassées par l'insertion de dessins et tableaux de Goya (on y voit l'irreprésentable, ce sur quoi le cinéma butera toujours pour dire l'horreur guerrière). Il faut donc relancer l'intérêt et le cinéaste choisit une autre voie : celle du feuilleton populaire, avec ses péripéties aux limites de la vraisemblance, sur fond de bouleversements historiques. L'habilité scénaristique de Jean-Claude Carrière provoque l'étonnement tout en évitant de décrocher devant tant de retournements de situations (avec une utilisation maximale de la surdité de Goya, qui doit traîner partout un interprète, et une belle diversion autour de l'envie d'Ines de retrouver sa petite fille). Le peintre traverse les évènements avec ses doutes et ses compromis, et la succession, au générique de fin, de ses toiles, des portraits de rois aux violences envers le peuple, éclaire encore mieux les tiraillements de l'artiste. Javier Bardem, lui, réapparaît sous un autre costume : quelque soit le régime, le fantôme du totalitarisme est toujours là. Et Milos Forman est toujours là, lui aussi.

  • Fureur apache

    (Robert Aldrich / Etats-Unis / 1972)

    ■■□□

    af7455849a6e9103f38f7ef5791575dd.jpgAldrich n'a jamais été un adepte du politiquement correct. La vague de film pro-indiens de la fin des années 60, qui culmina avec Little Big Mand'Arthur Penn, l'a sans doute poussé à réaliser ce western si ambigu. Échappé de sa réserve, l'Apache Ulzana, accompagné de quelques hommes, se lance dans un périple sanglant, s'attaquant aux fermiers de façon particulièrement cruelle. La traque est lancée par un groupe de cavaliers de l'armée, mené par un jeune officier inexpérimenté et deux éclaireurs, un Apache engagé du côté des Blancs et son "beau-frère", le vieillissant McIntosh. C'est au travers de ce trio que sont développées les différentes positions morales face à la violence indienne. Le rendu de cette violence est très appuyé, la cruauté n'étant le fait que des Apaches. Heureusement, les propos de McIntosh relativisent parfois cette vision partiale. Le jeune idéaliste chrétien, quant à lui, se transforme peu à peu en chasseur haineux, s'opposant au fatalisme et à la lucidité de McIntosh. L'ambiguïté politique du film n'est pas levée avec son dénouement (le fait que le conflit vietnamien soit contemporain a aussi son importance). Le cinéma de Robert Aldrich est tout sauf confortable. Enfin, bien sûr, le personnage de McIntosh est interprété par Burt Lancaster, héros 25 ans auparavant de Bronco Apache, autre western (meilleur à mon sens) du même Aldrich.

  • Tarzan, l'homme-singe

    (W.S. Van Dyke / Etats-Unis / 1932)

    ■■□□

    732a845f1349c174cc82a1ef3c70767b.jpgRevoir ce Tarzan, des années après, c'est replonger dans le cinéma hollywoodien des débuts du parlant. A cet égard, le film est passionnant en tant que symbole de cet art-là : simple, populaire, très "premier degré". Au-delà du jugement, une certaine nostalgie affleure : celle que l'on éprouve en se disant que l'on appartient sans doute à la dernière génération qui aura grandit aussi avec ces films-là. La télévision rejetant dorénavant toute diffusion de film ancien, nul doute que pour le jeune public actuel, Tarzan n'a plus les traits de Johnny Weissmuller ni Robin des Bois ceux d'Errol Flynn.

    Techniquement, le début est très gênant. Transparences et raccords sont grossiers, telle la promenade de Jane et son père devant des tribus africaines. Cet abus d'écrans pour des scènes manifestement tournées en studio, si déroutant, autant broder dessus : cela matérialiserait donc le refus par les occidentaux du contact avec l'autre. Petit à petit, ils prendront conscience et intégreront le même plan que les animaux et les indigènes. Tarzan, lui, se bat avec de vrais fauves, dans le même cadre, et non à distance de fusil, aidé par les coupures du montage, à la façon des explorateurs repoussant l'attaque de leurs radeaux par les hippopotames.

    Signe de l'époque, le racisme sous-jacent apparaît ça et là. Les Noirs sont traités comme des Indiens de western. La charge finale des éléphants sur le village des méchants pygmées, c'est la cavalerie qui arrive. Un dialogue énorme lorsqu'un porteur noir chute dans le vide entre deux explorateurs :

    - Que contenait la malle ?

    - Des médicaments !

    - Pauvre diable...

    - On ne peut plus rien pour lui.

    Mais il reste, en plus du charme du primitivisme et de l'iconographie, la belle séquence centrale de l'enlèvement de Jane. L'impossibilité de l'échange par la parole et la fascination pour le sauvage sont remarquablement rendus. Ces moments de sensualité cristallisent ce fantasme d'une femme pour un corps fort et non civilisé. Pas d'extrapolation ici, revoyez le film : Jane s'offre et veut clairement se faire un homme-singe.

  • Zodiac

    (David Fincher / Etats-Unis / 2007)

    ■■■□

    a6e1b198e00d97d5c5db23b2e9e88f47.jpgDavid Fincher est connu pour ses constructions scénaristiques complexes et pour sa mise en scène virtuose. Pour ma part, je trouvais que ce talent visuel fonctionnait à plein dans Seven, un peu moins dans The game, puis plus du tout dans Fight club (je n'avais rien trouvé de particulier à son volet d'Alien et je n'ai pas vu Panic room). C'est avec plaisir que j'ai donc constaté dans son récent Zodiac la maîtrise d'une mise en scène plus classique. Fincher n'y abuse pas d'effets gratuits, ni de retournements douteux.

    Toute la première partie, alternant meurtres et enquête, adopte un style proche des fictions équivalentes du cinéma américain des années 70 (Pakula, Pollack...). Le pari, réussi, de Fincher est de ne pas changer de tempo tout du long, à quelques exceptions près (dont la scène de l'entretien entre Graysmith et le projectionniste dans l'inquiétant sous-sol de ce dernier, Graysmith se croyant tout à coup en danger dans cette atmosphère à la... Seven). A partir du moment où les meurtres s'arrêtent, le film devient particulièrement passionnant dans le récit des piétinements et des impasses de l'investigation et également dans la description des réactions de chacun des trois principaux protagonistes à cette faillite, réactions nuancées du fatalisme à l'obsession maladive. Ainsi, la volonté du dessinateur de presse de reprendre plusieurs fois tout à zéro a, il me semble, était rarement montrée dans le genre policier.

    Porté par une distribution impeccable, de Jake Gyllenhaal au très grand Mark Ruffalo, cette belle réflexion sur le doute rejoint un groupe restreint de films consacrés à une quête restée inachevée. Cet inachèvement est souvent la caractéristique d'oeuvres attachantes et singulières, qui sous le déroulement classique d'une enquête criminelle éclaire les zones d'ombres de chacun. Dans sa rigueur, Zodiac se rapproche par exemple du tragi-comique Memories of murder, l'excellent polar coréen de Bong Jun-ho qui relatait une traque de tueur en série similaire et qui se terminait par un regard-caméra inoubliable d'un des enquêteurs, hanté par le fantôme de celui qu'il n'aura jamais réussi à arrêter.