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horreur

  • Retour de La Rochelle (6/12) : La servante

    Vu au 40e Festival International du Film de La Rochelle

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    laservante.jpg

    Le film de Kim Ki-young peut paraître relativement long et susciter quelque impatience à le voir se boucler, mais le découvrir aujourd'hui procure sinon un choc au moins une grande surprise. Dire que Park Chan-wook, Bong Joon-ho et les autres lui doivent beaucoup n'est pas, pour une fois, céder à une facilité publicitaire. La servante, réalisé en 1960, est assurément l'ancêtre de ce cinéma coréen contemporain qui mêle avec plaisir, et talent, souvent, drame, thriller et horreur. Il en possède l'armature brisée, ici en son milieu (et, autour de moi, ce virage serré n'a pas manqué de désarçonner un public s'attendait rarement à se retrouver devant un film de genre).

    Le début de La servante, que l'on pourrait dire social (une description des conditions de vie d'une famille petite bourgeoise, des passages sur le lieu de travail...), surprend déjà par le lancement successif de trois pistes narratives, trois jeunes femmes entrant en scène l'une après l'autre, trois objets du désir, trois éléments potentiellement perturbateurs de l'ordre. Le dérèglement n'arrivera finalement qu'avec la dernière : la troisième sera la "bonne". Elle s'installera chez le professeur de piano, marié, deux enfants.

    La rigueur du noir et du blanc, l'expressivité des murs, des miroirs, des fenêtres et des escaliers d'une part, le renversement progressif d'une emprise morale et physique d'autre part, nous font penser au Losey de... The servant, qui viendra trois ans plus tard (pour d'autres raisons, une comparaison avec l'exact contemporain Psychose se révèlerait certainement éclairante). L'ambiance est à la pluie et à la nuit, ce qui n'offre pas de possibilités de fuite : de cette maison, nous ne sortons quasiment jamais. D'ailleurs, elle n'est aucunement située dans un espace plus vaste, la caméra, si elle se trouve à l'extérieur, se collant uniquement aux vitres du salon et des chambres.

    Après une première partie attentive, calmement étrange et à peine tendue, à mi-course, la bascule se fait et les événements dramatiques se succèdent alors, s'accélérant jusqu'à la fin. On glisse vers l'excès des comportements et la folie érotique et mortifère, une folie qui, sur d'autres plans, contamine tous les membres de cette famille, responsables de réactions de moins en moins compréhensibles, prisonniers buñuéliens d'un lieu impossible à quitter et dangereux à pénétrer. Le temps lui-même devient insaisissable. Dans la première partie, on passait en une coupe de la maison à la salle de classe, sans transition. Dans la deuxième, ce qui s'engouffre dans la coupe, ce sont plutôt des durées différentes : une seconde ou bien plusieurs jours, sans possibilité de les prévoir.

    Pour autant, cette bâtisse coupée de l'extérieur renvoie clairement une image, celle de la société coréenne. Ce miroir sociétal, orné des outrances stylistiques de Kim Ki-young, n'est donc pas éloigné de ceux dressés par les cinéastes d'aujourd'hui. Et la dernière scène de ce film follement singulier, soudaine et incroyable remise à distance du spectateur, les plus (post-)modernes d'entre eux ne la renieraient pas.

     

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    laservante00.jpgLA SERVANTE (Hanyo)

    de Kim Ki-young

    (Corée du Sud / 110 min / 1960)

  • [•REC]

    rec.jpg

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    - ...ennuyé en fait ce film de Fleischer, mais mon grand a assez apprécié je crois. C'est vachement moins bien que L'aventure intérieure.
    - Et tu l'as vu au fait le film d'Eastwood ?
    - Non, non. Je voulais y aller en début de semaine et puis j'ai eu la flemme. Avec le froid, tout ça... Pourquoi, tu l'as vu, toi ?
    - Même pas, mais j'ai un pote qu'a trouvé ça pas mal. Si y'a pas de foot à la télé samedi, j'irai peut-être. Du coup tu va pas parler de ça...
    - Et ben non. Je commence par REC en fait.
    - Sans dec ? Le film d'horreur, là ?
    - Ouais. Un film bien naze, tu vas voir comment je vais le dézinguer...
    - C'est pas comme ça que tu vas augmenter ton audience auprès des amateurs de cinéma de genre et de bis.
    - De toute façon, ils le savent : y'a pas marqué "Mad Movies" là. Bon on commence ou quoi ?
    - Mais c'est quand tu veux, je te signale que ça tourne déjà !
    - Ah bon, t'as commencé à filmer ?
    - Oui oui. Attends, je fais un dernier réglage et c'est bon...
    ........................................
    - Quand tu veux.
    - Ok. Bonjour à tous et bienvenue pour cette grande première de "Nightswimming, l'émission", votre nouveau rendez-vous web-tv cinéphile. Pour ce numéro 1, je vais vous parler d'un fameux film d'horreur espagnol réalisé en 2007 par Jaume Bagualero et Pazo Placa... ah, mierda...
    - Pas grave, reprends, reprends.
    - Pour ce numéro 1, je vais vous parler d'un fameux film d'horreur espagnol réalisé en 2007 par Jaume Balaguero et Paco Plaza, REC. Ce titre s'inscrit dans la lignée, maintenant encombrée, du faux document flippant, sous-genre du film d'horreur ayant comme point de départ l'intéressant Projet Blair Witch de 1999. Certes, s'il s'agit de foutre la trouille, REC remplit son contrat. Mais encore faut-il voir de quelle façon il le fait. Balaguero et Plaza sont des gros malins. Des réalisateurs qui cherchent l'effet à tout prix. D'ailleurs, chez eux, l'effet n'est pas le but recherché, il est l'idée de départ. Le duo a dû se dire : "On va faire une scène en caméra infrarouge". Alors ils ont inventé un dénouement dans le noir. Aussi, "il faudrait que l'on sente que le film parle de la société espagnole". Hop, l'un des résidents de l'immeuble où se tient l'action a un discours raciste. D'ailleurs, les réalisateurs n'aiment aucun de leurs personnages. Et puis, "on va faire surgir un zombie comme ça". Du coup, chaque mort-vivant déboule d'on ne sait où, uniquement pour faire sursauter, sans que l'on sache ce qu'il a bien pu faire avant qu'il entre dans le champ de la caméra. Et encore, "les zombies c'est bien joli, mais faudrait terminer sur un truc énorme, qui secoue vraiment le spectateur". D'où un virage grotesque dans le final, du film de zombie à la diablerie avec évocation d'une créature combattue par le Vatican etc. Ainsi, REC accumule les aberrations narratives et scénaristiques. Si les surs
    GGGRRRROUIK
    - C'est quoi ce bruit ?
    - C'est rien, c'est la tuyauterie. Je reprends. T'es prêt ?
    - Oui, vas-y, je recalerai au montage. OK.
    - Ainsi, REC accumule les aberrations narratives et scénaristiques. Si les sursauts et les plans gores s'empilent, les séquences s'effaçent en fait les unes après les autres, trop mal reliées entre elles. Souvent, dans ce huis clos où tout se joue dans le temps de l'enregistrement de la caméra d'une équipe de reporter, il suffit de refermer une porte pour passer à autre chose. Les visions d'horreur sont dépourvues d'originalité et de force. L'idée de l'enfant infecté aurait pu donner quelque chose de terrible, un équivalent de l'image de la petite fille mangeant ses parents dans le sous-sol de La nuit des morts-vivants. Or, encore une fois, seul un effet gore justifie la scène, effet déclenché de manière tout à fait arbitraire. Balaguero et Plaza sont
    CLAC!
    - Oh, c'est quoi ça encore ?
    - Mais c'est qu'une porte. Arrête de m'interrompre...
    - Excuse, attends.
    ........................................
    - Vas-y.
    - Balaguero et Plaza sont, je le répète, des gros malins. Ils présentent leur héroïne journaliste de télé-réalité de manière bien ironique en lui faisant dire au début "J'ai envie de sensations fortes" ou un truc dans le genre. Je pense aussi à une chose qui m'étonnera toujours : dans ces films pourtant très post-modernes, les protagonistes se conduisent toujours comme si ils n'avaient jamais vu un seul film de morts-vivants. Ici, cette qualification flotte même comme un étrange non-dit. Je termine en évoquant l'ultime caution "rebelle", le morceau rock de bas étage que l'on entend pendant le générique de fin et qui suffirait déjà à disqualifier ce film très surestimé, auquel les réalisateurs ont bien sûr donné une suite un peu plus tard. Après que les Américains aient eux-mêmes proposés la leur, dès 2008. Preuve que REC est bien un
    - Putain, y'a un mec dans le couloir !
    - Et ben, ça va pas ? Qu'est-ce que tu racontes ?
    - Là, regarde !
    - Merde t'as raison. Hé, qu'est-ce que vous faites ici, Monsieur ? Monsieur ???
    - Pourquoi il ne répond pas ? Attends il s'avance. Fais gaffe, fais gaffe.
    - Mais... on dirait Philippe Rouyer. Monsieur Rouyer ? C'est vous ? Vous savez que je connais bien la revue Posi... Arghhhh
    - Edouard !
    - Aiiiiie !! Mais pose ta caméra, Paquito, viens m'aider. AHHHHHH il m'étrangle. MIERDA !
    ........................................
    - Ouf, c'est bon. T'as bien fermé à clé ? Il est taré ce type. On aurait dit qu'il voulait me mordre...
    - Qu'est-ce qu'il fout là ? Tu crois que c'est ton texte sur Positif qui l'a foutu en rogne ?
    - Mais j'ai rien dit de méchant ! C'est n'importe quoi !
    - Tu crois qu'il est parti ? On pourrait essayer de sortir, non ? C'est un peu étroit là.
    - Ouais, passe devant. Avec la caméra, t'y verras mieux.
    - Ok j'y vais... PUTAIN, ils sont DEUX ! Ils arrivent ! Referme, referme, VITE !
    - Qu'est-ce que c'est que ce BORDEL ! Non mais t'as vu ça. Ils veulent nous faire la peau ou quoi ?
    - J'hallucine ! Tu sais quoi... je crois que l'autre c'est Stéphane du Mesnildot.
    - Stéphane du MESNILDOT ?!?! Mais qu'est-ce qu'il me veut lui aussi, MIERDA, MIERDA !
    - Du calme, du CALME ! Faut réfléchir... Qu'est-ce qu'ils ont en commun ?
    - Des lunettes ?
    - Non, c'est pas ça.
    - Attends, me dis pas qu'ils viennent parce que j'ai dit du mal de REC !
    - Et pourquoi pas ? T'as vu ce que tu lui as mis ? En plus, je suis sûr que tu lui as collé un zéro sur ton blog. Ils vont être fous les bisseux... Tu pouvais pas mettre au moins une étoile, non ? Tout ça pour faire ton malin ! Maintenant, on est dans la MIERDA ! Et JE VAIS CREVER A CAUSE DE TOI !
    - CHUUUT ! TAIS-TOI ! On entend plus rien... Ils ont dû se barrer. Viens, on va prendre le couloir et passer par la chambre. Et éteins-moi cette caméra !
    ........................................
    - Mais putain, pourquoi tu la rallumes ?!? Elle fait un bruit pas possible, ils vont rappliquer...
    - Mais c'est bon on va pouvoir sortir, ouvre la fenêtr... AARRRRRRRGHHHH
    - Paquito !
    - AAAAARRRRRRRRRRRGGGGGGGG
    - Mais LÂCHEZ-LE BORDEL ! AÏE, MIERDA ! Mais... Mais... Oh, Mariaque, mon ami, c'est moi, Edouard ! Tu me reconnais ? Pourquoi tu dis rien ? C'est quoi ce regard ? Non, laissez Paquito tranquille ! Bordel de MIERDA !!!! Monsieur DIONNET ? NON, ne le MORDEZ PAS, NOOOOOOOOOOOOON !!!!!!
    ........................................
    CLING. ZIPPPPP. BRRRRRRRRRR.........................................
    ........................................
    - Aïe. Pfffuuuuu. Ouille. Je m'appelle Edouard, je me filme avec mon téléphone portable. J'étais en train de tourner une petite vidéo avec un copain espagnol quand nous avons été sauvagement attaqués par quatre cinéphiles amateurs de cinéma de genre. J'ai pu sauter par la fenêtre mais j'ai dû laisser mon pote Paquito et sa caméra. Je l'ai entendu hurler depuis le jardin, c'était terrible. Je ne sais pas ce qu'ils lui ont fait. Je vais essayer de trouver de l'aide dans le voisinage. Je vois une maison avec une lumière, je vais m'approcher et sonner à la porte.
    DING DONG
    - Bonsoir Messieurs. Excusez-moi de vous déranger à une heure aussi tardive mais j'ai eu un gros problème à côté de chez vous et j'aimerai... Attendez... Oh PUTAIN, une convention MAD MOVIES ! Non! Aïe, ARRÊTEZ ! LÂCHEZ MA JAMBE, LÂCHEZ MA JAMBE ! JE RETIRE TOUT CE QUE J'AI DIT SUR REC : C'EST GÉNIAL ET CLOVERFIELD A CÔTÉ C'EST DE LA MIERDA HOLLYWOODIENNE !!! AAAAARRRRGGGH NON NE ME MORDEZ PAS ! PAS LE COU ! PAS LE COU ! MIERDA, MIERDA, MIERDA ! AU SECOURS ! AU SEC

     

    rec00.jpg[•REC]

    de Jaume Balaguero et Paco Plaza

    (Espagne / 78 min / 2007)

  • J'ai rencontré le diable

    kim,corée,polar,horreur,2010s

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    "Pénible histoire de fantômes asiatiques. Beaucoup de scènes effectivement effrayantes mais répétitives (4 ou 5 fois le coup de l'armoire, 4 ou 5 fois le plan de la main qui agrippe). Usant pour les nerfs, le tout n'est pas réhaussé par une exposition et des moments de transition statiques. Le mélange rêve dans le rêve - fantôme - transfert de personnalité est embrouillé, ce qui rend le récit et la psychologie absolument incompréhensibles. Il y a bien un éclaircissement final (encore une fois à la Sixième sens) mais il n'explique toujours pas certaines scènes rétrospectivement." Voilà ce que j'avais griffonné en mai 2006 après avoir découvert à la télévision Deux sœurs, un des succès précédents de Kim Jee-woon. Aujourd'hui, je n'ai plus aucun souvenir de ce film, hormis l'image d'un inquiétant sac posé sur le sol d'un appartement.

    Je ne sais si, malgré l'abondance de séquences-choc qu'il propose, je vais oublier aussi rapidement J'ai rencontré le diable. Ce thriller horrifique m'a semblé d'une autre qualité mais il subsiste tout de même dans ce cinéma-là une certaine confusion.

    Un homme sans histoire se venge de l'assassin de sa fiancée non pas en le tuant mais en le harcelant sans relâche, en le torturant à plusieurs occasions, en lui promettant l'enfer pendant des jours et des jours. Ce sujet a de quoi nous faire glisser vers la plus grande, la plus périlleuse et la plus vertigineuse ambiguïté morale mais ce sont plutôt la confusion et les hésitations du style que l'on retient et qui, finalement, en atténuent les effets. Dans un premier temps, le récit ne semble suivre qu'une seule ligne droite, ne s'attaquer qu'à une obsession et n'obéir qu'à de la mécanique, ce qui a pour conséquence, assez surprenante mais pas désagréable, de repousser tout questionnement. La répétition improbable des actes de violence (extrême) et le jeu qui s'instaure entre le chat et la souris tirent tant vers l'absurde et la position du cinéaste semble si évidente que le besoin de s'interroger ne se fait pas sentir. Pourtant, cette dynamique est soudain ralentie, une fois, puis deux, puis trois, par un dialogue faisant intervenir des proches du "héros" ou les autorités et venant surligner ce que faisait déjà très bien sentir le film : l'inanité de la vengeance et la transformation de qui la commet en monstre.

    Ces béquilles sont encombrantes, jusqu'à en gâcher assez sévèrement les dernières minutes, de l'ultime torture aux larmes du vengeur. Kim Jee-woon en rajoute souvent, il fonce tête baissée, sans trop de discernement. Il est notamment peu rigoureux sur la question du point de vue (par rapport, par exemple, à Park Chan-wook, auquel on ne peut que le comparer, rarement à son avantage, tant les points communs avec Old boy et quelques autres titres sont nombreux). Le basculement qui s'opère de temps à autre n'est pas assez affirmé à mon sens. Les mouvements de caméra destinés à nous placer littéralement au-dessus de l'un puis de l'autre, lorsque chasseur et proie changent de statut, inaugurent des segments clairs mais n'entraînent pas de changement de perspective aussi radical que l'on pourrait espérer. Pas aussi radical, en tout cas, que ne l'est la représentation de la violence, recourant allègrement aux effets gore les plus estomaquants.

    Malgré tout cela, quelque chose résiste et fascinerait presque, par moments. D'une part, il y a, encore une fois, cette horrible vision, sans cesse réactivée par les auteurs de thrillers et de drames sud-coréens, d'une société perdue, incapable d'éradiquer le mal qu'elle cache en son sein. Un mal insaisissable, renaissant constamment sous de nouvelles formes. D'autre part, il aura rarement été montré aussi clairement comment la vengeance enclenche un mécanisme de violence incontrôlable et se propageant de manière centrifuge, soit parce que la surenchère s'installant entre les deux antagonistes provoque très tôt l'implication des proches, soit parce que la traque est à l'origine de dégats collatéraux perçus comme négligeables mais faisant des victimes bien réelles.

    Ce but-là, Kim Jee-woon l'a atteint, malgré les quelques handicaps qui peuvent entraver sa mise en scène et sa conduite du (trop long) récit. Son film bénéficie également d'une interprétation solide, de brillants éclats (le combat au couteau dans le taxi) et de cette faculté, très partagée parmi ses collègues coréens, de passer dans une même scène d'un registre à l'autre sans mettre en péril l'équilibre de l'ensemble.

     

    kim,corée,polar,horreur,2010sJ'AI RENCONTRÉ LE DIABLE (Akmareul boatda)

    de Kim Jee-woon

    (Corée du Sud / 140 min / 2010)

  • L'exorciste & L'exorciste II : L'hérétique

    (William Friedkin / Etats-Unis / 1973 & John Boorman / Etats-Unis / 1977)

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    A sa sortie, L'exorciste (The exorcist) fit un triomphe au box-office (fin 73 aux Etats-Unis et à la rentrée 74 en France). En 77/78, L'exorciste II : L'hérétique (The exorcist II : The heretic), après un bon démarrage, s'effondra rapidement. La critique française, dans son ensemble, reçu avec mépris le film de Friedkin. Celui de Boorman, bien que malmené lui aussi, trouva en revanche plusieurs défenseurs acharnés. Je n'avais encore jamais vu L'hérétique et, malgré la forte impression que m'avaient laissés, adolescent, French Connection et L'Exorciste, cette phrase lue dans 50 ans de cinéma américain (Coursodon / Tavernier) m'est toujours restée en tête : "Ces deux films ont la particularité d'avoir eu, l'un et l'autre, une suite nettement plus intéressante mais beaucoup moins lucrative". Pour Positif, le second volet de L'Exorciste, signé d'un "auteur maison", surclassait alors largement le premier (couverture et 20 pages d'entretien en février 78). Pour Télérama, assez récemment encore, Boorman évitait "le Grand-Guignol, les effets sonores et le réalisme ordurier dans lesquels Friedkin s'était vautré". Cependant, depuis quelques années, la fortune critique des deux cinéastes semble avoir évolué de manière opposée. Friedkin, après une longue période de purgatoire a été remis au premier plan suite, notamment, à la réussite de Bug et a été progressivement ré-évalué par des critiques d'une autre génération, se rappelant probablement d'un choc de jeunesse (Thoret, Vachaud, Maubreuil...). La figure de Boorman, devient quand à elle de moins en moins visible, en partie à cause de la non-distribution en salles de ses deux derniers films en date. Malgré ce récent état de fait, je m'attendais donc à revoir tout d'abord un produit efficace mais douteux, voire répugnant, puis une œuvre profonde, inspirée et éminemment poétique de l'autre. Et il y a de ça. Seulement, au final, le jugement de valeur et l'intérêt suscité n'obéissent pas forcément à la logique de la supposée supériorité de l'imaginaire visionnaire sur l'horreur bassement réaliste.

    exorcist.jpgLa première heure de L'exorciste relate très peu d'événements et place tout juste, de ci de là, quelques signes rendus volontairement énigmatiques par le défaut d'explication données, par l'éclatement spatio-temporel du récit et par la suspension de la plupart des séquences au sein desquelles ils apparaissent (nous retrouverons plus loin ce procédé). Il ne s'y passe donc pas grand chose mais ce prologue décrivant des fouilles archéologiques en Irak, ce suivi des faits et gestes d'un ecclésiastique en pleine crise de foi et ces scènes de famille à la teneur quasi-documentaire intriguent fortement par le parallélisme imposé par le montage. Friedkin joue du flottement et de l'attente du spectateur, multipliant en ces endroits les ellipses étonnantes (la mort de la mère du Père Karras, par exemple), reportant au plus tard possible le croisement des différentes trajectoires qu'il décrit. Ces trouées et ces prolongations nous laissent dans l'expectative, nous laissent aussi, parfois, dubitatifs (a-t-on là des défauts de construction ou pas ?). Mais le maillage tient pourtant, et l'étrange réalisme de Friedkin (ainsi que la qualité d'ensemble de l'interprétation) fait que l'on s'attache à ces personnages. Par conséquent - mais n'est-ce pas un mécanisme de protection de notre part, redoutant le pire, pourtant connu ? -, plus que la possession elle-même, ce sont les rapports de chacun (scientifique, prêtre, mère de famille) avec la notion d'exorcisme qui passionnent.

    La progression orchestrée par le cinéaste est infaillible, celui-ci sachant exactement comment atteindre son but : estomaquer le spectateur. Au calme plat de la première partie, succède une montée de la tension par paliers, avant les débordements de la dernière demi-heure. L'univers du film, si éclaté au départ, se compresse progressivement à l'échelle de la maison de Georgetown et de la chambre de Regan, décor qui nous est remarquablement rendu présent.

    Friedkin réaliste, mais aussi, Friedkin accrocheur (raccoleur ?). Afin de nous saisir, il n'hésite aucunement à avoir recours à une esthétique du choc. La surenchère ordurière, verbale et physique, ne l'effraie pas (de là vient le rejet des critiques de l'époque : la "vulgarité" du style), la recherche de l'effet non plus. Il n'est dès lors pas étonnant que le film marque autant l'esprit à la première vision. A la seconde, se remarque l'usage d'un procédé expliquant lui aussi l'impact : Friedkin coupe toutes ses séquences à sensation à leur acmé, refusant de les laisser retomber, ne les laissant jamais se dénouer, enchaînant brutalement sur un autre lieu. D'où l'état de sidération du spectateur.

    L'efficacité et le spectaculaire assurent le maintien du statut de classique (malgré le fait que celui-ci ne soit finalement plus vraiment terrifiant). Ils ont aussi tendance à brouiller partiellement la réflexion. Le fond idéologique de L'exorciste apparaît trouble, peu aimable, sans que, là aussi, on ne distingue très bien ce qui échappe à Friedkin et ce qui lui est propre. Ce sont les médecins qui proposent l'exorcisme à la mère de Regan et les prêtres se sacrifient pour aider les flics à faire leur boulot. Science, religion et police ne s'opposent jamais, ne s'excluent pas mais s'épaulent pour le retour à l'ordre.

    Mais les soubassements douteux n'aboutissent pas toujours à de mauvais films...

    heretic.jpg... et les bonnes intentions suffisent rarement à faire les meilleurs.

    L'hérétique semble d'abord s'engouffrer dans l'une des zones d'ombre du précédent. Un nouveau protagoniste, le Père Lamont (Richard Burton, perdu), doit enquêter sur les circonstances exactes de la mort du Père Merrin, quatre ans auparavant. Pour cela, par télépathie, il voyage dans les souvenirs de Regan et se retrouve propulsé dans plusieurs dimensions, prenant part à une lutte entre le bien et le mal, lutte aux racines ancestrales (africaines) déjà étudiées par le Père Merrin (Max Von Sydow rempile donc pour quelques flash backs).

    En 77, les admirateurs de Boorman n'ont qu'un mot à la bouche : "Visionnaire". La conscience qu'en a le cinéaste lui-même se traduit par plusieurs choix.

    Tout d'abord, l'image doit constamment se dépasser elle-même pour accéder à un état de transe cinématographique. La technique est à la pointe (steadycam utilisée pour la première fois dans des séquences aussi longues), les décors sont stylisés (nature africaine recréée en studio) et futuristes (le laboratoire et l'appartement de Regan sont si modernes qu'ils en paraissent aujourd'hui affreusement démodés), les acteurs sont poussés vers la tension immédiate, l'éclat fiévreux, l'expression sans détour. Le risque est grand car si la transe n'est pas partagée par le spectateur, le mouvement créé devient simple manège.

    Ensuite, ce cinéma hyper-visuel est supposé faire avaler toutes les aberrations du scénario. L'effacement poétique des distances par la mise en scène ne rend pas moins incohérents les rebondissements et les allers-retours des personnages entre New York et Washington, entre l'Ethiopie et les Etats-Unis. De plus, à trop travailler l'image, il arrive que l'on en oublie d'écrire des dialogues un tant soit peu corrects et crédibles.

    Enfin, Boorman, qui fait alors son film contre le premier volet (il ne l'aime pas), sait voir au-delà de l'illusion religieuse et de la raison scientifique. Ici, les deux blocs (la police est absente, l'institution, le social, n'intéressent pas le cinéaste) sont réellement renvoyés dos à dos et dépassés par une force plus haute, plus poétique, métaphysique. Cela nous vaut un salmigondis extra-sensoriel qui rend incompréhensible le déroulement du récit dans son final (faute d'attention de notre part aussi, certainement).

    Un point positif ? Boorman parvient à révéler l'érotisme d'une Linda Blair qui a bien grandi, d'abord subtilement en la filmant régulièrement en chemise de nuit valorisante avant de le faire plus franchement lors du dénouement qui la jette, provocante et possédée, dans les bras de Burton.

    Personnellement, L'hérétique m'apporte une confirmation : John Boorman est tantôt génial ou du moins excellent (Le point de non retour, Duel dans le Pacifique, Leo the last, Délivrance, Hope and glory, Le Général, Tailor of Panama), tantôt terriblement assommant (Zardoz, L'hérétique, La forêt d'émeraude, Rangoon). Il ne connaît pas l'entre-deux.

  • Martyrs

    (Pascal Laugier / France / 2008)

    ■□□□

    martyrs.jpgJe vous ai parlé l'autre jour de cet ami qui m'a prêté le dvd du navet d'Alexandre Bustillo et Julien Maury. J'ai omis toutefois de vous préciser qu'il s'agissait d'un paquet à double détente, comprenant l'autre "film de genre à la française" ayant défrayé la chronique en 2008.

    Je ne peux pas dire que Martyrs (puisqu'il s'agit bien de lui) m'ait plu, mais je l'ai trouvé bien moins naze qu'A l'intérieur. L'introduction nous montre la fin du calvaire de Lucie, dix ans, s'évadant de l'endroit où elle fut longtemps séquestrée et torturée. Tentant, tant bien que mal, de se reconstruire en hôpital psychiatrique, elle se lie d'amitié avec Anna. Quinze ans plus tard, les deux jeunes femmes se côtoient toujours. Lucie retrouve la trace de ses anciens tortionnaires, cachés sous l'apparence d'une famille sans histoire, et les abat au fusil de chasse. Anna l'aide à nettoyer le pavillon. Cela prend tu temps, d'autant que Lucie se débat avec ses propres démons sanglants. Anna découvre alors un sous-sol...

    La première heure de Martyrs voit s'accumuler de manière éprouvante des agressions à répétition qui, hormis un carnage familial filmé très brutalement, en appellent aux tics esthétiques habituels destinés à créer l'angoisse (ce qui ne manque pas d'arriver) : stridences sonores, brusques changements de point de vue, caméra flottante épousant un regard de voyeur. La psychologie se réduit à peu de choses, ne découlant que du traumatisme initial (ce que l'on peut, dans une certaine mesure, accepter, en comprenant que le cinéaste souhaite foncer tête baissée et sans porter de jugement moral) et l'interprétation est dans l'ensemble assez mauvaise (ce qui est beaucoup plus rédhibitoire). La bataille engagée entre Lucie et son effrayante alter ego imaginaire met à contribution le coeur et l'estomac (ça taillade à tout va). Malgré leur relative réussite technique, ces scènes-là sont particulièrement fatigantes.

    Le film avance par segments d'intérêt inégal mais cette construction finit par intriguer. Le scénario déroule un programme qui n'est pas vraiment celui auquel nous nous attendons. Des protagonistes disparaissent subitement, sans que ne clignote juste avant, sur leur front, l'avertissement "Prochaine victime". De leur côté, les deux filles restent sans trop de raison valable dans ce pavillon inondé de sang, le monde semblant se réduire à ce lieu clos. L'arbitraire se change alors imperceptiblement en étrangeté, permettant l'acceptation de nouvelles ouvertures narratives fort improbables.

    Le dernier virage amorcé par le récit fait tout le prix (certes discount) de Martyrs. Du slasher pur jus, nous basculons dans la parabole mystique, certes toujours extrèmement violente mais beaucoup plus froide (et plus reposante, oserai-je dire, sinon moralement, du moins physiquement). La caméra se fixe enfin, la lumière est plus vive, les dialogues remplacent les cris incessants, le regard est clinique. Moins protégé par la présence d'un genre définissable, on s'interrogera à satiété sur le terme de "complaisance" après avoir assister à cette série de tortures sur une femme. Notons tout de même de réels parti-pris qui tendent selon moi à rendre supportable et donc intéressante la chose : l'ancrage du récit dans un nouveau décor inclinant vers la science-fiction, la mise à jour d'un complot dont on ne soupçonnait rien, la ritualisation des outrages, la caractérisation de bourreaux-fonctionnaires. Dans cette dernière demi-heure, Laugier met sa caméra à la bonne distance.

    Finalement, il s'agissait donc de torturer pour créer des figures de martyrs pouvant témoigner de l'au-delà. Moralement, la réflexion des auteurs est fort discutable mais le ridicule est évité constamment, notamment dans ce dénouement terriblement casse-gueule et dans lequel le cinéaste, avec un bel aplomb et une audace certaine, tend vers l'abstraction et laisse affleurer quelques réminiscences glorieuses, de Dreyer à Kubrick. Que ces noms remontent, même de manière subliminale, dans ce contexte-là, est plutôt un bon signe.

    Trop de défauts plombent la première heure de Martyrs pour que je m'engage dans une réelle défense de l'oeuvre, mais elle est à prendre au sérieux et mérite mieux qu'un revers de main dédaigneux (ou une réduction à une affaire d'interdiction aux moins de 18 ans).

  • A l'intérieur

    (Julien Maury et Alexandre Bustillo / France / 2007)

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    alinterieur.jpgUn ami bien intentionné (?), amateur d'horreur, m'a prêté cet A l'intérieur qui l'avait fortement marqué à sa sortie en salles. Grâce à lui, j'ai donc pu voir un prodigieux navet.

    Le film de Maury et Bustillo a beau s'intégrer à un corpus d'oeuvres récentes visant à imposer un vrai cinéma de genre à la française, reprendre de manière "décomplexée" tous les codes du slasher et affronter sans détour le gore, il lui manque, à tous les niveaux, ce sans quoi rien ne peut tenir lorsque l'on a la volonté d'éviter le second degré : la rigueur.

    La mise en scène repose uniquement sur une série d'idées visuelles, le problème étant qu'elles sont toutes mauvaises (une seule exception : la présence, à peine perceptible, de Béatrice Dalle dans la profondeur, lorsqu'Alysson Paradis téléphone sur son canapé). La plus débile est assurément l'insertion, lors des séquences de lutte ou de chocs, de plans intra-utérins du foetus porté par l'héroïne et subissant lui aussi les agressions. Pas plus heureux : les décrochages expérimentaux lynchiens consacrés à Béatrice Dalle en crise. Le décor a, lui, une caractéristique singulière : il est brumeux, ce qui est assez étrange pour l'intérieur d'un pavillon de banlieue.

    On me dira peut-être que la loi du genre est respectée mais pourquoi doit-on se taper des apparitions-disparitions de la tueuse aussi invraisemblables, des pièces aussi bien isolées mais aux portes aussi peu résistantes, des comparses victimes aussi dépassés et des policiers aussi incompétents ? Faire entrer dans la maison d'où éclatent des coups de feu un troisième flic inquiet du sort de ses deux collègues et entraînant de force un pauvre jeune de la cité d'à côté, arrêté juste avant pour des broutilles : ce choix a-t-il une autre logique que celle du chantage à l'originalité (lancer dans la mêlée sanglante deux hommes enchaînés l'un à l'autre) ? Le récit est situé en pleine crise des banlieues. Sous-texte politique ? Non, juste une manière de justifier que la police soit débordée. L'héroïne est photographe ? Il faut donc qu'elle découvre à la loupe la présence de la tueuse dans ses propres clichés et qu'elle utilise le flash de son appareil photo pour y voir quand le courant est coupé (brillante trouvaille partagée par à peine une centaine d'autres cinéastes).

    A coups de mouvements de caméra anxiogènes (et totalement gratuits), la première demi-heure met efficacement sous tension. La suite, l'entrée dans le vif du sujet, est paradoxalement plus reposante, si tant est que l'on ne soit pas allergique aux plans gores. En effet, nous sommes au cirque. Rien n'a vraiment d'importance. La moindre ébauche de situation un peu troublante ou dérangeante cède aussitôt la place à un effet violent. Aucune dimension nouvelle par rapport à la maternité ou la folie, la résolution de l'intrigue se révélant très basique et "l'épaisseur" du propos ne devant se lire que dans les deux derniers plans, compositions morbides à la Cronenberg.

    Si j'ai levé, en quelques occasions, les yeux au ciel, ce n'était pas pour détourner le regard, mais bien par dépit. Je ne suis en effet pas près d'oublier le piteux coup de la mère tuée par erreur, l'impayable plan sur le visage vengeur de l'héroïne se redressant dans sa cuisine, vraiment très remontée après trente minutes de tortures et de meurtres, et enfin la ridicule résurrection (très passagère) du flic joué par Duvauchelle. Chapeau les artistes !

  • La nuit des fous vivants

    (George A. Romero / Etats-Unis / 1973)

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    crazies.jpgThe crazies a été baptisé lors de sa sortie en France La nuit des fous vivants, afin de le rattacher bien sûr au classique de son auteur : La nuit des morts-vivants. Si déplorable soit ce titre, il faut admettre que de multiples points communs caractérisent les deux oeuvres, au point que The craziespeut facilement être pris pour un codicille à la célèbre série sur les zombies. Même approche réaliste, même fond politique, mêmes cibles (militaires et scientifiques), même emploi d'inserts gores (pas forcément justifiés ici) et toujours l'attachement à un petit groupe de personnes pris au piège. Si il s'agit cette fois encore de combattre une contagion mortelle, son origine est cependant connue : la pollution accidentelle d'une rivière par une arme bactériologique à l'essai a provoqué une épidémie de folie furieuse au sein d'une ville de Pennsylvanie de 3000 habitants. L'armée envoie plusieurs compagnies pour boucler la zone et mettre en quarantaine toute la population. Les responsables politiques et militaires envisagent le pire pour régler le problème (le recours à une bombe atomique) alors que les soldats sur place accumulent les bavures et doivent faire face à des mouvements de révolte armés.

    La séquence pré-générique, glaçante, semblait promettre un thriller horrifique mais Romero, fidèle à ses habitudes, détourne l'attente et nous entraîne dans un docu-fiction speedé. Comme prises sur le vif, les images sont soumises à un montage particulièrement heurté qui épouse le rythme des ping-pong verbaux auxquels se livrent les multiples protagonistes, tous dépassés par les événements. Le chaos des premières heures est ainsi rendu par ces accélérations incessantes, que redouble une bande-son surchargée de musique agressive, de sirènes hurlantes et autres bruits mécaniques. La mise en scène de Romero porte ses fruits admirablement quand elle dilate par le découpage les espaces réduits (le désarmement des policiers municipaux par les soldats, la boucherie que provoque Clank dans la cuisine). Elle est moins pertinente dans certaines séquences de chasse à l'homme, où elle peine à masquer les invraisemblances, comme lorsque les fugitifs mettent en déroute toute une troupe de soldats et un hélicoptère. Et si la tension perpétuelle tient en haleine pendant une bonne heure, la fatigue finit par se faire sentir par la suite (la marche militaire qui retentit dès que des soldats sont au centre d'une scène).

    L'un des points forts de The craziesest, pour une fois chez Romero, la solidité de l'interprétation. Le trio de rebelles (le couple David et Judy, enceinte, et l'ami Clank), auquel nous collons aux basques pendant tout le film se révèle intéressant et finit par être réellement émouvant. Le rapport entre les deux hommes, basé sur l'expérience (ou non) du Vietnam, permet de glisser de subtiles réflexions politiques et psychologiques et le couple d'amoureux est à sans lieues des habituels tourtereaux sans cervelle que nous offrent d'habitude le genre. Lane Carroll, Will McMillan et Harold Wayne Jones semblent être toutefois, aussitôt après le film, retombés dans l'anonymat. L'attachement grandissant à ce petit noyau est aussi l'une des explications de la baisse d'intérêt face aux turpitudes militaro-scientifiques étalées en parallèle jusqu'au dénouement.

    Une épidémie de "folie" est moins évidente à mettre en images que des morsures répétées de zombies. De fait, la différence entre le dérèglement d'un esprit par un agent bactériologique et la fêlure qui peut bouleverser à tout moment n'importe quelle personne, est une donnée qui n'est guère prise en compte par le scénario, sinon à travers le personnage assez passionnant de Clank, pris par moments de pulsions meurtrières inquiétantes. La mort, dans les bois, de ce cousin de Rambo est l'un des grands moments de The crazies, film hors-série de Romero, inégal mais non négligeable.

  • Le corbeau

    (Roger Corman / Etats-Unis / 1963)

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    corbeau.jpgUn Roger Corman pour enfants ? Quasiment. Et il y a, malheureusement, peu de choses à ajouter à propos de ce tout petit Corbeau (The raven). Comptant parmi les nombreuses adaptations d'Edgar Allan Poe écrites par Richard Matheson pour le pape de la série B, celle-ci est ouvertement comique et aussi peu inquiétante que possible. On y trouve bien des châteaux imposants, des cercueils qu'il faut rouvrir, une main qui s'aggrippe à une épaule et un dénouement dans les flammes, mais ces éléments ont plus valeur de clin d'oeil qu'autre chose.

    L'intrigue se réduit à un affrontement entre trois magiciens : le maléfique Dr. Scarabus (Boris Karloff), l'alcoolique Dr. Bedlo (Peter Lorre) et le mélancolique Dr. Craven (Vincent Price). La distribution réunissait donc trois ingrédients de choix, mais la potion obtenue fait plutôt pchitt... Boris Karloff se retrouve quelque peu momifié et Peter Lorre ne joue que de ses yeux ronds quand il ne se voit pas transformé en corbeau. Vincent Price est lui au-delà du cabotinage, tantôt brillant, tantôt ridicule. Entre les trois, deux belles femmes et le jeunot Jack Nicholson comptent les points.

    Corman s'est sans doute bien amusé mais il ne s'est guère creusé la tête en termes de mise en scène, hormis pour trouver des effets spéciaux amusants (notamment pour le duel final, longuet, entre Scarabus et Craven). Volumes et couleurs sont peu mis en valeur dans les deux décors principaux et quasi-uniques du film. On accordera cependant à Corman un certain bonheur dans quelques cadrages et une invention constante dans la reprise de figures éprouvées (soulever un couvercle de cercueil, transformer par une simple coupe dans le plan un corbeau en magicien bedonnant).

  • Diary of the dead

    (George A. Romero / Etats-Unis / 2008)

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    Diaryofthedead.jpgCinquième volet de la série des Morts-vivantsde Romero, Diary of the deada, depuis sa sortie en juin dernier, partagé un peu la critique et beaucoup les bloggeurs (voir plus bas). Personnellement, seul le quatrième épisode (Land of the dead) m'est inconnu. Les trois premiers (dont Le jour des morts-vivants auquel j'ai consacré une note ici) m'avaient fortement intéressé, sans toutefois me faire prendre George A. Romero pour autre chose qu'un petit maître de l'horreur (si je considère l'après-Mario Bava, je ne qualifierai d'ailleurs personne, dans le genre, de grand maître : ni Argento, ni Carpenter, ni Craven, en sachant que si Cronenberg mérite l'appellation c'est qu'il est vite passé à autre chose. Fin de la parenthèse, début des commentaires outrés ?). J'attendais cependant avec une certaine impatience de voir cette variation. Assez cruelle fut la déception.

    Il y a plusieurs raisons à cela, mais l'une dépasse toutes les autres. On le sait, chaque film de la série traitait en creux d'un mal de l'époque. Le Romero 2008 s'attaque à la multiplication des images, au nouvelles technologies et aux nouvelles sources d'informations qui en découlent. Je viens d'écrire, concernant les épisodes précédents, "traitait en creux" : le problème se limitait à un fond politique ou à un cadre symbolique. Or, Diary of the deadest un discours et il n'est presque que cela. Une poignée d'étudiants en cinéma part tourner un film d'horreur dans leur mini-bus quand se déclare la fameuse épidémie. Le metteur en scène du groupe décide alors de tout filmer autour de lui, pour témoigner, via internet, du chaos (que l'on ne ressent guère de par le dispositif choisi par Romero, j'y reviendrai). Ses compagnons lui rappellent sans cesse qu'il y a autre chose à faire que de filmer (mais comme les morts entraînent les morts, le virus de la caméra-témoin se propage lui aussi à toute l'équipe). Tourner au lieu de (sur-)vivre, être dépendant des flots d'images, se laisser avaler par tous ces écrans sans exercer de sens critique : voilà le mal dénoncé par Romero dans une mise en garde qui ne se distingue pas par sa nouveauté. Si seulement tout cela était dit à une ou deux occasions... Mais non, absolument chaque scène rabâche cette même idée et le plus souvent en passant par les dialogues, ce qui ajoute encore à la lourdeur.

    Diary of the dead, hormis quelques inserts venant d'internet, a pour unique source d'image les rushes tournés par l'équipe d'étudiants. Ce choix, encore une fois peu original (Le projet Blair Witchm'avait, à l'époque, plus bluffé sur ce plan-là), nous prive de la mise en scène des espaces clôts sur laquelle les précédents volets étaient basés. Mise à part la luxueuse résidence du dénouement, aucun décor n'est marquant. Et nous de nous dire qu'un film au regard classiquement objectif, qui permettrait d'élargir le cadre, quitte à le mélanger avec ces prises de vues documentaires, aurait très bien pu aborder pertinemment le thème tout en bénéficiant d'une plus ample mise en scène. Le profit que tire Romero de son dispositif est bien mince : quelques jeux plaisants autour des images manquantes (problèmes de batteries déchargées, place du cameraman trop éloignée de l'action) et crédibilisation des attaques des zombies par le resserrement du cadre.

    Mais, autres soucis, Romero ne propose toujours pas une direction d'acteurs convaincante ni des dialogues brillants et l'habituel renversement des valeurs (les milices Noires généreuses et la Garde Nationale qui pille) devient routinier. Le meilleur réside donc encore une fois dans la façon de filmer les morts-vivants, toujours inventive et très poussée ici vers le hors-champ. Un léger redressement se remarque dans le dernier quart d'heure, si l'on excepte le passage ridicule de la répétition dans la réalité de la scène de la momie et de la fuite de Tracy avec le bus. La contamination de l'acte de filmer, déjà évoqué, la démarche alcoolisée qui devient zombiesque, l'enfermement des survivants, la séquence-choc finale qui interroge frontalement notre voyeurisme, nous font un peu oublier la lourdeur du dispositif. Mais on note aussi que pour la première fois dans la série, les gestes et les stratégies sont très peu réfléchis au regard du danger, ce qui facilite grandement les morsures. Une chose étonne : ces étudiants en cinéma, connectés et sur-informés n'ont manifestement jamais vu aucun film de Romero.

    Autres avis, très partagés, à lire chez : Ishmael, Doc Orlof, Shangols, Pibe San, Rob Gordon, Norman Bates.

  • L'orphelinat

    (Juan Antonio Bayona / Espagne / 2007)

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    orphelinat.jpgM'étant enfin décidé à aller voir L'orphelinat (El orfanato), repris à l'occasion de la Fête du Cinéma, je me disais que je pourrai débuter ma note sur ce film, qui ne pouvait manquer d'être intéressant, par un parallèle (drôle et pertinent, personne n'en doute je l'espère) entre l'actuelle bonne santé du cinéma espagnol et la victoire méritée de leur équipe nationale à l'Euro de foot. Mais voilà qu'une simple phrase fit voler en éclats ma résolution. Elle fut entendue lors de l'achat de ma place : "Je vous préviens, on vient de m'annoncer que le film est en VF et non en VO comme prévu". Grimace et demande d'un temps de réflexion. Trois possibilités. La première : tenter vaille que vaille de faire abstraction du doublage, en se disant qu'il ne doit rien y avoir de plus ressemblant à un cri de terreur en espagnol qu'un cri de terreur en français. La deuxième : choisir un autre film, sachant que le Desplechin est déjà vu et qu'il ne reste que Sagan et J'ai toujours rêvé d'être gangster(vraiment, mais alors vraiment pas envie du tout, ni de l'un ni de l'autre). La troisième : refaire dans l'autre sens 25 minutes de bagnole en râlant. Je choisis la réponse A. La soirée commençait donc mi-figue mi-raisin et ma réception du film doit se moduler du coefficient correcteur VF.

    L'orphelinat en question est celui dans lequel a grandi Laura qui, à 37 ans maintenant, décide de racheter cette grande bâtisse d'un autre âge pour y créer à son tour une institution d'accueil pour enfants. Elle emménage avec son mari et son fils Simon, adopté et de surcroît malade. A peine installé, ce dernier dit avoir fait connaissance et jouer régulièrement avec des enfants que personne d'autre ne voit. De plus en plus inquiet, le couple voit sa vie basculer lorsque Simon disparaît un jour. Des mois durant, sa mère continue à le rechercher, d'abord avec l'aide de la police puis usant de techniques paranormales afin d'affronter les esprits possédants la maison.

    Le film commence par agacer un poil. La faute à une mise en scène tendue uniquement vers la recherche de l'efficacité, quitte à verser parfois dans l'esbroufe. Bande-son surchargée, mouvements de caméra, le cinéaste n'y va pas avec le dos de la spatule pour créer l'angoisse. La désagréable impression que nous sommes menés en bateau de façon grossière affleure ça et là. Cette impression se révélera fausse sur la durée, le récit s'avérant plutôt habile, mais dans toute la première partie, J.A. Bayona paraît couper ses scènes quand ça l'arrange bien, de peur de trop en dire, ce qui provoque un certain arbitraire dans la construction (idem quand il place ses personnages en situation, seuls ou pas). Visant donc une efficacité maximale, il rate deux ou trois scènes (la course affolée sur la plage, l'accident de l'assistante sociale), mais les moments de tension sont particulièrement prenants et les sursauts ne sont pas rares (qui ne bondit pas lors de la scène dans la salle de bain est drogué, endormi ou en phase terminale).

    Souvent, Bayona veut jouer en même temps sur deux tableaux et paraît s'égarer avant d'emporter le morceau. Par conséquent, nous n'arrêtons pas de nous dire : "Mais bon, c'est vrai que....". Il en va ainsi devant l'intrusion du surnaturel. Le film se retient de s'y engouffrer totalement, s'appuyant de temps à autre sur le regard critique et rationnel du mari. Mais bon, c'est vrai quele dénouement justifiera ces allers-retours. L'arrivée de la médium avec son équipement ultra moderne (écrans multiples, capteurs) sent bon l'effet de mise en scène gratuit. Mais bon, c'est vrai que la séquence culmine dans une apothéose stressante encore une fois très efficace. Enfin, le point de rupture dans le couple est amené de manière abrupte alors qu'il aurait dû être tangible bien plus tôt. Mais bon, c'est vrai que cette scène se termine sur un échange sensible à propos de la perte d'un enfant.

    Comme je l'ai dit plus haut, le plaisir du genre est là. On en vient à sourire d'aise quand une énième porte s'ouvre sur un escalier sordide qu'il faut descendre. Comme prévu dans ce type de production, tout se termine sur un retournement de situation. Celui-ci se révèle totalement bluffant. Bayona fait (enfin) preuve d'audace en choisissant le pire, c'est-à-dire le plus absurde, et en filmant des gestes de tendresse terribles et effrayants mais particulièrement beaux. La clé de l'énigme non seulement éclaire le récit d'un autre jour (c'est bien le moins qu'elle puisse faire) mais apporte l'émotion et la profondeur qui a souvent manqué jusque là, le cinéaste ayant été un peu trop obnubilé par ses effets, au détriment du travail autour de quelques pistes intéressantes (la fusion mère / fils jusqu'au mimétisme, jusqu'à la répétition des drames etc...). Il est fort dommage que le film continue encore 5 minutes. On ne nous laisse pas au bord de l'abîme. On nous raccompagne jusqu'à la sortie, la main sur l'épaule pour ne pas trop nous traumatiser, avec une première coda souriante au milieu des enfants et une seconde, apaisante à peu de frais. Elles ne changent pas l'issue du drame, mais l'adoucissent. Jouer sur deux tableaux disais-je...

    Futur auteur brillant ou réalisateur routinier, bien malin qui peut présager de la suite en ce qui concerne Juan Antonio Bayona après ce premier film, produit par Guillermo del Toro (qui, de par ses productions et ses propres réalisations, entre autres celles-ci dont je vous avais entretenu, a prit une place primordiale ces dernières années au sein des cinémas mexicain et espagnol). Une remarque pour finir : que ce solide film de genre soit, comme le dit son affiche, "le plus gros succès espagnol de tous les temps" laisse rêveur dans notre doux pays des Bronzés et des Ch'tis.