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  • La loi du milieu

    (Mike Hodges / Grande-Bretagne / 1971)

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    loidumilieu.jpgChouchouté par Télérama (j'ai l'impression qu'il gagne un "T" de plus à chaque rediffusion), allègrement rangé au rayon "culte" par d'autres, La loi du milieu (Get Carter) est un bon polar britannique bénéficiant de l'anti-photogénie de Newcastle et ses environs. C'est là que monte le tueur londonien Jack Carter, revenant au pays afin d'éclaircir les circonstances de la mort récente de son frère, qu'il pressent non-accidentelle. Son histoire suit les codes du film de vengeance et l'originalité des figures que l'on y croise provient essentiellement de leur ancrage social (celui du Nord de l'Angleterre). La marche en avant de Carter est donc violente et obstinée. Les éclats de brutalité surgissent efficacement, dans une approche très réaliste des corps, allant parfois jusqu'à la vulgarité (la nudité de Carter surpris au lit, les déshabillages imposés aux femmes, le faux-ami empoté percé au couteau, l'amour au téléphone) et ajoutant au sordide de certaines situations. Dans ce monde de criminels et de redresseurs de torts, il ne fait généralement pas bon être une femme et La loi du milieu ne déroge malheureusement pas à la règle : ces dames sont soit des victimes, soit des putes, soit des frustrées. Carter exerce sa violence sans distinction de sexe, impassible puis rageur (Michael Caine est assez impressionnant, même s'il joue plus juste au début, impénétrable, qu'à la fin, éructant sa haine sans desserrer les dents).

    Au fil du récit, s'opère un certain brouillage par des intrigues adjacentes impliquant de nombreux personnages secondaires et qui se révèlent toutes reliées, trop systématiquement, à l'énigme principale, les à-côtés se réduisant finalement à quelques brèves vues documentaires dans la rue ou dans les pubs. Le périple de Carter dans le milieu de la pègre est relativement confus et plutôt que d'épouser un mouvement ascendant qui donnerait le vertige, il semble tourner en rond et s'étirer au fil des assassinats.

    La loi du milieu peut être rapproché de deux autres films plus réussis : Cité de la violence (Sergio Sollima, 1970) et Le point de non-retour (John Boorman, 1967). Le génial polar de Boorman dégageait une dimension mythique et quasi-fantastique qui légitimait la relative facilité avec laquelle Lee Marvin parvenait à gravir les échellons d'un complexe édifice criminel. La base réaliste choisie par Mike Hodges provoque au contraire quelque étonnement devant la prescience dont fait souvent preuve Michael Caine. De plus, le temps semble bien trop resserré (l'action se déroule sur deux jours et les péripéties et les déplacements sont multiples). Hodges fait certes durer certains plans mais la mise en avant d'une certaine virtuosité paraît prendre alors le pas sur une gestion vraiment rigoureuse du temps cinématographique, comme celle mise en oeuvre par Sollima (qui étire au maximum toutes les séquences de Cité de la violence).

    La mise en scène en rajoute quelque fois inutilement (les nombreuses amorces au premier plan, se transformant régulièrement en caches) mais n'est pas dépourvue de tonus, l'utilisation du zoom, notamment, étant pertinente pour situer Carter dans cet environnement retrouvé. La partition post-Swinging London de Roy Budd a aussi son charme. En 71, ce premier film a dû paraître prometteur, avant que Mike Hodges ne signe Flash Gordon (1980), Les débiles de l'espace (1985) ou L'Irlandais (1987)...

  • La carrière de Suzanne

    (Eric Rohmer / France / 1963)

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    carrieredesuzanne.jpgLe troisième film d'Eric Rohmer intéresse avant tout aujourd'hui d'une part par son inscription dans un mouvement artistique précis, celui de la Nouvelle Vague dont il intègre les principales composantes (tournage dans les rues, jeunesse des protagonistes, goût pour la provocation verbale ou comportementale) et d'autre part par son appartenance à la série des Contes moraux. Deuxième numéro de cette collection, après La boulangère de Monceau, La carrière de Suzanne, comme les autres opus rohmériens, part d'une proposition narrative claire et semble établir un programme tout en s'ingéniant à l'ouvrir au final à l'imprévu. Hâtons-nous de préciser que le film n'égale ni les meilleures oeuvres des jeunes camarades regroupés sous l'étiquette NV, ni les Rohmer suivants (lequel ne donne vraiment la mesure de son immense talent, à mon sens, qu'à partir de Ma nuit chez Maud en 1969).

    Bertrand est le meilleur ami de Guillaume, qui saute sur toutes les filles qui passent. Sa dernière proie est Suzanne, qu'il a tôt fait de séduire. Bertrand la trouve trop docile et joue le jeu des petites humiliations imaginées par Guillaume à son encontre, avant de se rendre compte que...

    Le chemin est tout tracé. Or, la résolution surprend et remet en cause notre jugement premier sur les personnages. Les femmes sont traîtées, tout le long du film, de manière déplaisante, Rohmer semblant s'accommoder de la misogynie, différemment exprimée mais également détestable, de ses deux héros, avant d'opérer un retournement complet dans les dernières minutes, retournement d'autant plus intéressant qu'il ne consiste pas en un retour de bâton manipulateur mais en l'affirmation d'une liberté féminine dénuée de ressentiment. Ce brusque bouleversement de la perception contribue à "faire travailler" le film dans la tête, une fois le mot "fin" affiché.

    Il reste que, le temps de son déroulement, si court soit-il (moins d'une heure), l'histoire est assez ennuyeuse. Rohmer a tourné en 16 mm et a post-synchronisé l'ensemble. L'effet obtenu est déstabilisant, image et son se disjoignant sans cesse (mots qui ne sont manifestement pas ceux prononcés par les acteurs, texte entendu sans que l'on voit personne parler, et inversement, ou phrases qui se chevauchent de façon à faire "rentrer" le dialogue dans le temps de l'image). Tant au niveau sonore que visuel (malgré quelques beaux plans de coupe vides de personnages), les contraintes techniques entraînent la mise en scène loin de la rigueur habituelle et entravent la tentative de dosage harmonieux entre l'enregistrement d'une réalité contemporaine et l'assise intemporelle qui fait la singularité et la beauté de ce cinéma. La voix off de Bertrand guide de temps à autre le récit. J'aurais aimé qu'elle le recouvre entièrement (mais le résultat aurait sans doute paru trop expérimental à Rohmer le classique).

    Je l'ai dit plus haut, la morale se révèle, in extremis, moins simple qu'il n'y paraît, mais ce qui y fait écran, les vicissitudes de quelques étudiants snobs, lasse très vite (peignant un milieu comparable, Pierre Kast, dans Le bel âge, provoquait plus d'attachement). Le charme et la présence n'étant pas les qualités premières des comédiens choisis et les provocations (tapes sur les fesses, jurons) sortant peu naturellement, l'oeuvre ne captive pas... jusqu'aux cinq dernières minutes.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1969)

    Suite du flashback.

     

    cahiers208.jpgpositif102.JPG1969 : Un regain de tension se fait sentir mais de nombreux ponts subsistent entre les deux revues, qui consacrent chacune des dossiers à Roman Polanski et Miklos Jancso, soutiennent Glauber Rocha, Jacques Rivette, Marco Ferreri ou Nagisa Oshima et fustigent L'armée des ombres de Melville.
    Pour Positif, Bertrand Tavernier réalise une série d'entretiens avec des scénaristes américains. Le Buñuel de 69 est l'occasion d'un reportage sur le tournage mais, chose rare, déçoit les positivistes quelques semaines plus tard. Pour la première fois, le film d'un rédacteur de la revue est en couverture, celui de Benayoun. L'année, qui aura vu publier les premiers textes pour Positif de Petr Kral et Hubert Niogret, se termine par le choc Tarkovsky.
    Aux Cahiers, c'est la signature de Bonitzer qui apparaît. La revue propose en février le premier d'une longue série de textes d'Eisenstein. Après de multiples accrocs, le divorce entre les Cahiers et son éditeur propriétaire, Filipacchi, est acté, ce qui provoque une suspension de trois mois de la publication.


    Janvier : One + One (Jean-Luc Godard, Cahiers du Cinéma n°208) /vs/---

    Février : Goto, l'île d'amour (Walerian Borowczyk, C209) /vs/ Rosemary's baby (Roman Polanski, Positif n°102)

    Mars : Ma nuit chez Maud (Eric Rohmer, C210) /vs/ La voie lactée (Luis Buñuel, P103)

    Avril : More (Barbet Schroeder, C211) /vs/ Cérémonie secrète (Joseph Losey, P104)

    Mai : La sirène du Mississippi (François Truffaut, C212) /vs/ Paris n'existe pas (Robert Benayoun, P105)

    Juin : Capricci (Carmelo Bene, C213) /vs/ Charlie Bubbles (Albert Finney, P106)

    Été : Antonio das Mortes (Glauber Rocha, C214) /vs/ Esclaves (Herbert Biberman, P107)

    Septembre : Journal du voleur de Shinjuku (Nagisa Oshima, C215) /vs/ Break up (Marco Ferreri, P108)

    Octobre : La semence de l'homme (Marco Ferreri, C216) /vs/ Andrei Roublev (Andrei Tarkovsky, P109)

    Novembre : La vie est à nous (Jean Renoir, C217) /vs/ Qui tire le premier ? (Budd Boetticher, P110)

    Décembre : ---/vs/ Tendres chasseurs (Ruy Guerra, P111)

     

    cahiers211.JPGpositif109.JPGQuitte à choisir : Intérêt soutenu pour Maud, réel pour More mais mesuré pour La sirène, Antonio et le film de propagande de Renoir. Les titres de Godard, Borowczyk et Oshima sont certes alléchants mais Break up et le Guerra le sont tout autant et les choix de Polanski, Losey, Tarkovsky et Finney sont des plus pertinents. Allez, pour 1969 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • J'ai tué ma mère

    (Xavier Dolan / Canada / 2009)

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    jaituemamere.jpgJ'ai tué ma mère est revigorant comme une chanson punk. Du punk tendance Undertones plutôt que Sex Pistols, soit un punk "pop", dans lequel le nihilisme cède la place à une révolte trahissant avant tout une demande desespérée d'attention de l'autre (*). La jeunesse, l'aspect frondeur et la joie du coup de gueule se retrouvent dans ce premier film de Xavier Dolan, auteur complet (scénariste, metteur en scène et acteur principal, à compétences égales). Insister sur l'âge du jeune homme (17 ans à l'écriture, 19 au tournage, 20 à Cannes) ne revient pas seulement ici à prendre acte du phénomène : il est en effet essentiel de savoir que J'ai tué ma mère est un film réalisé au coeur même de l'adolescence. Bien sûr, s'y déploient des aspirations fortement liés à cet âge, telles que l'ouverture à la poésie ou la tentative de journal (vidéo) intime, ainsi que l'étourdissement des sens par la sexualité, la danse ou la drogue.

    L'argument est ténu. Hubert ne supporte plus sa mère (qui l'élève seule dans sa petite maison) mais ne peut se résoudre à la repousser irrémédiablement. Ni avec toi, ni sans toi. Cet amour-haine se décline donc au rythme des allers-retours d'Hubert, des fugues et des abandons, et surtout des crises de nerfs provoquant chez le jeune homme un déversement de paroles vindicatives et blessantes. La répétition de ces éclats a tendance à les dédramatiser et certains sont proprement irrésistibles, par l'invention des répliques et la présence des deux comédiens (un point reste à éclaircir : dans quelle mesure l'accent québécois oriente notre réception comique du film ? ce paramètre a-t-il été pris en compte par Dolan ? joue-t-il volontairement dessus, l'accentue-t-il ?).

    L'équilibre entre comique et tragique séduit réellement car il repose sur un dispositif mis en place avec une étonnante maîtrise. Xavier Dolan semble savoir exactement ce qu'il fait. Il joue de manière assez réjouissante sur l'attente du spectateur en repoussant par des blancs les réponses les moins évitables et les plus chargées (d'émotion ou de références) : "...ma mère est morte" (à la prof), "...je t'aime" (à sa mère). Les intermèdes et les ruptures musicales laissent affleurer certaines réminiscences (la plus évidente renvoie à Wong Kar-wai) mais parviennent à se fondre dans le mouvement général et traduisent parfaitement les "déconnexions" intempestives de l'esprit adolescent. Le cadre resserré, très sensible dès les premières minutes avec la fragmentation imposée aux visages, laisse entrer aussi peu d'individus que de lumière et semble repousser ainsi le monde extérieur pour mieux en recréer un autre, plus personnel, dans un geste, encore une fois, très adolescent. Une distanciation est à l'oeuvre, s'ajoutant à l'humour des situations, ainsi qu'un effet de confinement et de récit intemporel (les posters aux murs représentent James Dean ou des tableaux de Munch ; Dolan a-t-il craint de réaliser un objet facilement démodable ?).

    On remarquera également la belle galerie de personnages, tous remarquablement dessinés et campés. Rarement ado aura aussi bien porté la mèche sur les yeux. La mère est quant à elle, par moment, vraiment chiante et le père, qui déboule à mi-récit, en impose tout de suite. Le final est imparfaitement bouclé mais les images d'enfance tournées en amateur achèvent, par l'interrogation sur leur statut réel, de rendre le film attachant. Attachant et bluffant.

     

    (*) : Si l'on prolonge le parallèle musical, sur le plan purement thématique cette fois-ci, on ne peut qu'évoquer l'univers de Morrissey et des Smiths. Sensation d'être une personne à part, forte relation à la mère, goût pour les icônes et les poètes, dureté des pensionnats, humour cassant, homosexualité : ce dont parle Dolan, Morrissey l'a chanté comme personne.

    Deux autres avis, très différents dans l'approche mais similaires dans le jugement final : celui de Joachim et celui de Rob Gordon.

    Merci à Nicolas pour la recommandation.

  • 38 questions pointues

    L'ami Vincent, inlassable scrutateur du net cinéphile en VO ou en VF, a relayé ce questionnaire d'origine américaine, paru notamment dans les pages de Flickhead. Voici mes réponses, rapides et parfois embarassées :

    1) Quel est votre second film favori de Stanley Kubrick ?

    Joker n°1. Je suis absolument incapable, pour une fois, de hiérachiser entre mes cinq Kubrick préférés. Cela se joue donc entre Dr Folamour, 2001 : l'Odyssée de l'espace, Barry Lyndon, Shining et Eyes Wide Shut.

    2) Quelle est l'innovation la plus significative / importante / intéressante dans le cinéma de la dernière décade (pour le meilleur ou pour le pire) ?

    Les travellings flottants de Gus Van Sant.

    3) Bronco Billy (Clint Eastwood) ou Buffalo Bill Cody (Paul Newman)?

    Clint Eastwood, assez nettement (mais je ne connais ni son Bronco Billy, ni le Altman).

    4) Meilleur film de 1949.

    Le troisième homme (Carol Reed).

    5) Joseph Tura (Jack Benny) ou Oscar Jaffe (John Barrymore)?

    Jack Benny (alias Joseph Tura dans To be or not to be). Le film avec Barrymore, Twentieth century de Hawks, m'est inconnu.

    6) Le style de mise en scène caméra au poing et cadre tremblé est-il devenu un cliché visuel ?

    Oui mais lorsque c'est Lodge Kerrigan (Keane, 2005) qui l'utilise, c'est génial (voire, dans leurs meilleurs moments, les frères Dardenne).

    7) Quel est le premier film en langue étrangère que vous ayez vu ?

    J'ai dû en voir avant mais le premier dont je sois sûr de la version est le film de Wenders, Les ailes du désir, lors de sa sortie en salles en 1987.

    8) Charlie Chan (Warner Oland) ou Mr. Moto (Peter Lorre)?

    Peter Lorre, sans connaître ces films-là.

    9) Citez votre film traitant de la seconde guerre mondiale préféré (période 1950-1970).

    Duel dans le Pacifique (John Boorman, 1968).

    duelpacifique.jpg

    10) Citez votre animal préféré dans un film.

    Le dernier que j'ai croisé était la chienne Lucy (Wendy et Lucy, Kelly Richardt, 2008).

    11) Qui ou quelqu'en soit le fautif, citez un moment irresponsable dans le cinéma.

    Le viol d'Irréversible.

    12) Meilleur film de 1969.

    Les damnés (Luchino Visconti).

    13) Dernier film vu en salles, et en DVD ou Blu-ray.

    Whatever works (Woody Allen) et Cloverfield (Matt Reeves).

    14) Quel est votre second film favori de Robert Altman ?

    The Player (1992).

    15) Quelle est votre source indépendante et favorite pour lire sur le cinéma, imprimé ou en ligne ?

    La revue Positif et la vingtaine de blogs ci-contre.

    16) Qui gagne ? Angela Mao ou Meiko Kaji ?

    Joker n°2. Aucune idée. Disons plutôt Feng Hsu chez King Hu (A touch of zen, Raining in the mountain).

    17) Mona Lisa Vito (Marisa Tomei) ou Olive Neal (Jennifer Tilly)?

    Pas très inspiré. Jamais vu Mon cousin Vinny mais j'aime beaucoup Coups de feu sur Broadway, alors je choisis Jennifer Tilly.

    18) Citez votre film favori incluant une scène ou un décor de fête foraine.

    Pour ne pas reparler de l'évident Jour de Fête, disons Mouchette (Robert Bresson, 1967).

    mouchette.jpg

    19) Quel est à aujourd'hui la meilleure utilisation de la video haute-definition sur grand écran ?

    Bien que ses films me touchent moins que je ne le souhaiterai, Nuri Bilge Ceylan compose des plans à la texture inoubliable.

    20) Citez votre film favori qui soit à la fois un film de genre et une déconstruction ou un hommage à ce même genre.

    Reservoir Dogs (Quentin Tarantino, 1992).

    21) Meilleur film de 1979.

    Apocalypse now (Francis Ford Coppola).

    22) Quelle est la plus réaliste / Sincère description de la vie d'une petite ville dans un film ?

    Le boucher (Claude Chabrol, 1970).

    23) Citez la meilleure créature dans un film d'horreur (à l'exception de monstres géants).

    Celle d'Alien (Ridley Scott, 1979).

    24) Quel est votre second film favori de Francis Ford Coppola ?

    Le Parrain, deuxième partie (1974).

    25) Citez un film qui aurait pu engendrer une franchise dont vous auriez eu envie de voir les épisodes.

    Cris et chuchotements (Ingmar Bergman, 1973) avec son titre de parfait slasher.

    26) Votre sequence favorite d'un film de Brian De Palma.

    Le morceau de bravoure étant l'une des spécificités (l'une des limites ?) du cinéma de DePalma, le choix est difficile. A seize ans, j'aurai dit celle, eisenstenienne, de l'escalier de la gare dans Les incorruptibles (1987) et à vingt ans celle, à la vision longtemps redoutée, de la tronçonneuse dans Scarface (1983). Aujourd'hui, disons la scène des toilettes du Festival de Cannes dans Femme fatale (2001).

    femmefatale.jpg

    27) Citez votre moment préféré en Technicolor.

    L'affrontement final entre Jennifer Jones et Gregory Peck dans Duel au soleil (King Vidor, 1946).

    28) Votre film signé Alan Smithee préféré.

    Joker n°3. Jamais vu aucun film "signé" par ce pseudo. J'aurai préféré la question "Quel film semble être signé Alan Smithee ?". A ce moment-là, j'aurai cité les derniers Wenders américains (lui qui est si attiré par Hollywood et son histoire).

    29) Crash Davis (Kevin Costner) ou Morris Buttermaker (Walter Matthau)?

    Ni Duo à trois ni La chouette équipe ne me sont familiers, mais j'aime assez Kevin Costner.

    30) Quel film post-Crimes et délits de Woody Allen préférez vous ?

    Maris et femmes (1992), juste devant Vicky Cristina Barcelona.

    31) Meilleur film de 1999.

    Eyes Wide Shut (Stanley Kubrick).

    32) Réplique préférée.

    "I suggest you have your architect investigated as well" (L'inspecteur Clouseau à son hôte, après s'être pris le mur au lieu de franchir le seuil de la porte).

    clouzeau.jpg
    Quand l'inspecteur s'emmêle (Blake Edwards, 1964)

    33) Western de série B préféré.

    Difficile de délimiter la catégorie lorsque l'on est pas spécialiste. Le seul qui me vienne à l'esprit est La chevauchée de la vengeance (Budd Boetticher, 1959).

    34) Quel est selon vous l'auteur le mieux servi par l'adaptation de son oeuvre au cinéma?

    Disons que je ne connais en général les grands auteurs que par les adaptations qui leur sont consacrés. Le temps retrouvé (Proust/Ruiz, 1999).

    35) Susan Vance (Katharine Hepburn) ou Irene Bullock (Carole Lombard)?

    J'adore L'impossible monsieur Bébé mais je n'ai pas une passion immodérée pour Katharine Hepburn. Choix par défaut donc, connaissant très peu Miss Lombard.

    36) Quel est votre numéro musical préféré dans un film non musical ?

    "I can't stand the quiet..."

    Simple men (Sonic Youth/Hal Hartley, 1992)

    37) Bruno (Le personnage si vous n'avez pas vu le film, ou le film si vous l'avez vu) : une satire subversive ou un stéréotype ?

    Un stéréotype subversif. Non, pas vu en fait. Joker n°4.

    38) Citez cinq personnes du cinéma, mortes ou vivantes, que vous auriez aimé rencontrer.

    Ado Kyrou, Marcello Mastroianni, Alain Cavalier, Sandrine Bonnaire, Paul Thomas Anderson (étant entendu qu'il s'agit là de discuter...).

  • Le grand passage

    (King Vidor / Etats-Unis / 1940)

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    grandpassage.jpgDevant les abus des autorités et l'intolérance de la bonne société de Portsmouth, Langdon Towne, fraîchement viré de Harvard, et son ami Hunk Marriner partent à l'aventure vers l'Ouest. Ils croisent alors la route du Major Rogers et de son bataillon de Rangers, soutenu par les Anglais. Le militaire a besoin d'un cartographe et prenant connaissance des talents de dessinateur de Towne, les invite à se joindre à eux pour une expédition périlleuse destinée à anéantir une tribu d'indiens alliés aux Français.

    Selon la tradition, notre regard épousera donc celui des deux témoins Towne et Marriner (l'excellent Robert Young et l'indispensable Walter Brennan) pour mieux plonger dans la vie des Rangers et admirer la force de caractère de l'homme d'exception placé à leur tête (Spencer tracy, à la fois intransigeant et humain, ferme et accessible). Mais avant toute chose, dans ce Grand passage (Northwest passage), frappe le cadre dans lequel se déroule cette rencontre avec un corps militaire car une fois passée l'introduction, nous serons placé au coeur de la nature immense, protectrice parfois, meurtrière souvent. Dans un prodigieux Technicolor, Vidor capte en extérieurs son incroyable présence, rend toute la vérité d'un terrain et traduit sans détour l'impact physique de celui-ci sur les hommes. S'y fondre ne va pas de soi, l'union se mérite et l'effort est permanent pour y parvenir. Quelques plans magnifiques montrent les Rangers (tout de vert vêtus) au repos, se confondant aux broussailles à flan de colline ou épousant la forme des branches émergeant des eaux d'un marais. Plus douloureusement, titubant en guenilles, ils se mettront à ressembler aux herbes folles brûlées par le soleil qui envahissent le fort désert, là où ils pensaient connaître la fin de leur calvaire. La majeure partie du récit se réduit en fait à une série d 'épreuves : faire basculer d'un flan à l'autre d'une colline une dizaine de canots (comme Fitzcarraldo son bateau), patauger dans un marais infesté de moustiques, former une chaîne humaine afin de traverser un torrent indomptable. Chacune de ces séquences se déploie dans toute sa longueur, Vidor alternant plans d'ensemble situant l'action face aux éléments et plans rapprochés rendant l'effort physique évident (on sent littéralement la densité des matières, comme celle du bois dont sont faits les canots). Le lyrisme ne découle donc pas seulement de la majesté du cadre mais aussi d'une épaisseur concrète des choses. Question de moyens bien sûr, et surtout, de savoir-faire. Le bataillon est constitué de 200 hommes au départ et d'une quarantaine à l'arrivée. On nous le dit et on le voit réellement sur l'écran. L'artifice et la simulation n'ont pas leur place ici.

    Cette approche est nécessaire pour faire passer l'éloge de la volonté, de l'endurance et de la résistance. La morale est militaire : l'homme s'élève par l'effort, la mission passe avant tout et les morts laissés derrière ne doivent pas ébranler l'âme. Elle s'accorde aussi parfaitement avec l'idéologie américaine : le chef charismatique guide et galvanise ses troupes, les aidant à trouver des ressources insoupçonnés de courage, mais il peut également se soumettre à un vote de ses subordonnés lorsque les tensions naissent d'une situation extrême qui n'est plus tenable. Toutefois, l'homme providentiel n'est pas Dieu, il ne le remplace pas (le dernier plan, qui en rajoute dans le messianisme, fut semble-t-il tourné dans le dos de Vidor) et Rogers aura son instant d'affaissement, en craquant, bien à l'abri des regards. A l'image de ce dernier personnage, le film de Vidor est moins dirigiste qu'il n'y paraît. Towne, le dessinateur, s'il se trouvera profondément changé par le périple et sa rencontre avec Rogers, n'endossera pas pour autant l'uniforme, restera civil et deviendra peut-être, comme le souhaite sa femme retrouvée (par l'épreuve), un grand peintre, une fois installé en Europe, à Londres.

    Comme souvent dans le Hollywood classique, il est fort intéressant de se pencher sur la façon dont sont vus les Indiens. Dans les rangs des Rangers, la haine est le moteur de ceux qui ont vécu les massacres de proches et la violence des témoignages surprend (scalps mais aussi éviscérations et autres amabilités, pratiques qui ne sont pas l'apanage des ennemis puisque l'un des militaires ira jusqu'au cannibalisme). Pourtant, le spectre des sentiments envers les Indiens est relativement large (Towne souhaite, au départ, juste aller à leur rencontre afin de les dessiner, d'autres n'y font guère allusion et ne semblent pas être obnubilés par le problème). Vidor ne monte pas de plan de réaction lorsqu'est fait par un soldat l'horrible récit destiné à galvaniser ses camarades et à l'heure de la bataille, certains freineront l'ardeur des plus hallucinés. Le cinéaste cède donc moins à une vision manichéenne qu'il ne traduit l'état d'esprit probable de ces militaires. Le seul épisode guerrier n'advient qu'à la moitié du métrage et il n'a rien d'une glorification par le face à face. La bataille éngagée ne l'est nullement sur un pied d'égalité qui permettrait aux Blancs victorieux de tirer le plus grand bénéfice. L'écrasement de l'ennemi est la conséquence d'une attaque-piège dans laquelle aucune chance n'est laissée, visant jusqu'aux femmes et aux enfants. Vidor, au terme de cette longue séquence au cours de laquelle ne s'entend aucune note de musique, dans un geste réaliste et dérangeant (on voit Towne recharger allègrement son fusil), assume l'image terrible qui change l'affrontement en extermination pure et simple : les derniers Indiens survivants sont encerclés au centre de leur village, désarmés pour la plupart, et sont abattus. Mission accomplie. Guerre nécessaire pour ces soldats, sans doute, sale assurément (au moins deux y laisseront leur santé mentale).

    Le grand passage est un film fort, une oeuvre ample qui avance lentement mais sûrement, où chaque élément scénaristique devient une toute autre chose qu'une simple péripétie, transfiguré qu'il est par la mise en scène.

  • Free Zone

    (Amos Gitai / Israel - Belgique - France - Espagne / 2005)

    freezone.jpgEn un long plan-séquence serré, Amos Gitai filme Natalie Portman en pleurs, assise à l'arrière d'une voiture, au son d'une chanson israélienne jouant sur la répétition des phrases. Les premières minutes de Free Zone sont aussi radicales que l'étaient les dernières du Vive l'amour de Tsai Ming-liang (1994) où l'on voyait de même une femme se mettre à pleurer sans pouvoir s'arrêter. Ici, les gestes de l'actrice américaine qui, en essuyant ses joues perd son maquillage, prennent la forme d'un dépouillement des artifices, nécessaire à l'immersion d'une figure occidentale dans la réalité brute du Proche-Orient. En imposant ce dispositif d'emblée, le cinéaste accroche le spectateur mais, en ne s'y tenant pas exclusivement par la suite, prend le risque de relâcher la pression.

    Dans cette voiture que nous quitterons rarement, entre la jeune américaine Rebecca, souffrant d'une rupture amoureuse, et Hanna, sa conductrice israélienne en route pour la Jordanie, les enjeux sont mystérieux et ne s'éclairent que très lentement. L'emploi inhabituel et assez beau de la surimpression (une conversation douloureuse sur les images du voyage) permet l'affleurement du traumatisme de Rebecca. Derrière les vitres du véhicule, le réel pèse de tout son poids (paysages, populations, passage tendu de la frontière). Free Zone captive pendant vingt minutes.

    L'attention se porte ensuite plus précisément sur Hanna. Son histoire, bien que plus dramatique, passionne déjà beaucoup moins, explicitée qu'elle est par un flash-back des plus classiques. Mais lorsque le trio féminin se trouve formé (les deux femmes rencontrent Leila, palestinienne dont le mari doit de l'argent à celui d'Hanna) le film s'affaisse considérablement. Le fond documentaire s'efface et laisse la place à de vaines agitations chorales (une séquence d'incendie de village ou un ultime et confus passage de la frontière). Les comédiennes se livrent à des performances théâtrales (non pas Natalie Portman, qui reste d'une grande sobriété, mais ses deux acolytes), au rythme de dialogues maladroits et empesés (ce road movie paraît bavard). Que Gitai laisse un moment dans l'ombre certains éléments, voilà qui est stimulant. Que ses personnages prennent à leur tour le relai en parlant eux-mêmes par énigme sans raison particulière (voir les atermoiements de Leila dans son bureau puis au village), cela devient fatigant.

    Il est difficile, voire impossible, partant de ces personnages-là, d'échapper à la symbolique politique mais Gitai aurait pu fluidifier un peu plus son récit, ce qui nous aurait éviter de passer, sans transition et sans nécessité autre que celle du message, du moment de partage dans la voiture autour d'un morceau de musique à l'engueulade finale entre l'Israélienne et la Palestinienne. Le début de Free Zone annonçait un jeu kiarostamien avec le réel, du fond duquel la politique ferait quelques signes. Malheureusement, le cinéaste a choisi une autre voie, celle des histoires intimes qui traduisent littéralement une situation géographique, et les insuffisances du scénario, l'inégalité de l'interprétation et, malgré de beaux plans, les valses-hésitations de la mise en scène (dans la voiture ou à l'extérieur, reportage ou allégorie...) ne parviennent pas à capter notre attention jusqu'au bout.