****
Valérie est une jolie fille de treize ans. Elle vit avec sa grand mère dans un village où arrivent, en même temps, une troupe de comédiens et une procession de moines. Autour de sa maison rôde un être maléfique surnommé "le Putois" et un jeune homme bienveillant, "l'Aiglon", qui se révèle être le fils du précédent. Le garçon va se charger de protéger Valérie contre tous les hommes ou créatures qui l'entourent et qui ne pensent qu'à abuser d'elle.
Valérie au pays des merveilles, film d'un Jaromil Jires responsable quelques mois plus tôt d'une belle Plaisanterie, est difficile à décrire tant il suit la logique des rêves et leur emprunte le caractère aventureux de leurs articulations. A aucun moment, et pas plus au début qu'à la fin du récit, nous ne nous sentons arrimés à une quelconque réalité. Nous restons dans le rêve de Valérie. Par conséquent, tout peut advenir et le cinéaste ne se prive pas d'assembler des séries de plans dont la nature est totalement imprévisible.
Cette esthétique de la surprise incessante est agréable mais peut aussi paraître quelque peu vaine. Le travail sur la forme est constant, chaque plan se voulant puissamment expressif. Les cadrages improbables abondent, comme les jeux de lumière et de caches (le traitement de l'espace est très particulier, l'architecture de la maison de Valérie, par exemple, se faisant presque "mouvante"). Une impression de trop plein se fait jour car les références semblent innombrables (partant des deux plus évidentes, Lewis Carroll et Bram Stoker), les pistes qui s'ouvrent sont mutliples et l'apparence des personnages eux-mêmes peut changer en un instant. La mise en scène de Jires impressionne mais prend le risque de lâcher le spectateur et de le mettre à distance.
Pour autant, malgré l'onirisme absolu impregnant l'objet, c'est un véritable récit qui se met en place. Si des bifurcations désarçonnent, si des symboles échappent, si des images restent difficiles à définir, une histoire nous est bien contée. C'est celle d'une innocence en péril, d'une virginité menacée. Une lutte est engagée entre le blanc qui caractérise le monde de Valérie et le noir du tentateur maléfique, entre la lumière solaire et la pénombre des caves.
La beauté virginale est aussi celle de certaines images irisantes que compose le cinéaste. Cependant elle est très loin de ressembler à une quelconque pudibonderie. Valérie est une jeune fille en danger ayant ses propres troubles, ses émois, ses curiosités. Le surgissement de la monstruosité de l'empêche pas d'aller de l'avant et elle ne détourne pas le regard si elle surprend un couple faisant l'amour. L'aventure, qui laisse une large part à l'érotisme, s'apparente au passage vers la sexualité. La dernière séquence illustre d'ailleurs l'accession à un autre état, harmonieux pour tous, y compris ceux que l'on croyait repoussés.
Dans ce film riche de prolongements, le ballet des nombreux personnages convoqués finit par prendre la forme d'un nœud de vipère familial, ce qui ouvre plus encore à une profonde dimension psychanalytique et donne, sur la durée, une certaine épaisseur à des figures au départ schématiques. Malgré les thèmes périlleux, comme celui de l'inceste, qui apparaissent alors, malgré les agissements sanguinaires des vampires qui le peuplent, ce déroutant Valérie au pays des merveilles reste jusqu'au bout d'une grande douceur. Encore une chose étonnante.
A lire : une chronique DVD enthousiaste signée par un praticien bien connu.
VALÉRIE AU PAYS DES MERVEILLES (Valerie a tyden divu)
de Jaromil Jires
(Tchécoslovaquie / 73 min / 1970)