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Film - Page 45

  • Hors Satan

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    Bruno Dumont, tout en gardant son esthétique du hiatus qui fait la force de son cinéma, abandonne les discours bi-dimensionnels qui plombaient d'inégales manières ses trois précédents longs métrages : l'ennui profond collé à l'insupportable déchaînement de violence dans Twentynine Palms, l'opposition entre islam et christianisme dans le gênant Hadewijch, la confrontation des jeunes du pays à la guerre au Moyen-Orient et à ses horreurs attendues dans Flandres, meilleur titre de cette période qui aura vu le cinéaste se perdre quelque peu. Avec ce magnifique Hors Satan, c'est donc comme si nous repartions directement après La vie de Jésus et L'humanité.

    Le montage est effectué par Dumont lui-même, qui offre un film plus découpé qu'à l'ordinaire (mais Hadewijch, déjà, amorçait ce mouvement). Quelque chose de très fort se dégage de la façon dont il colle ses plans les uns aux autres, comme en les entrechoquant. Les changements d'échelles sont brusques et se font parfois dans le plan lui-même lorsque, dans le cadre large, s'incruste quelqu'un, cette entrée totalement inattendue créant un "premier plan" qui change notre perception de l'image. De même, le système de champ-contrechamp qui s'organise est absolument fascinant. Dumont s'attarde beaucoup sur les deux personnages principaux qui prient ou qui portent leur regard au loin. Or, entre ce qu'ils voient et ce que voit le spectateur, il y a un flottement. Ce qu'il peut voir ou ce qu'il croit voir, devrais-je dire. Parfois, le contrechamp nous est refusé, une autre fois, il nous semble ne pas être aussi signifiant que doit le penser le personnage supposé s'y perdre, une troisième, il colle parfaitement et nous met en phase. La (première) scène de meurtre procure une sensation encore différente. Quelque chose ne fonctionne pas normalement dans cette articulation entre le plan du tireur et celui de sa victime, se dit-on. Il y a une règle qui n'est pas suivie : l'axe choisi ne peut pas être celui-là.

    Ces choix sont le signe de la liberté du cinéaste mais ils donnent aussi sa liberté au spectateur. Dans Hors Satan, le vent souffle où il veut et le spectateur voit ce qu'il veut. C'est d'autant plus étonnant que Bruno Dumont donne l'impression de montrer tout, avec sa manière de filmer très frontale. Pourtant, il laisse aussi ouvert. Il n'explique pas, il laisse l'énigme de cette histoire, de ce gars qui tue et redonne la vie, alternativement.

    Tout converge vers ce mec, ce vagabond exorciste. La fille est attirée par lui, une mère de famille accourt le chercher pour qu'il sorte sa gamine de sa catatonie, la routarde nymphomane le hèle du bord de la route, un chien vient à sa rencontre, et forcément les gendarmes finissent par s'intéresser à lui... mais son mystère demeure, il ne peut être percé. Tout converge aussi parce que la mise en scène de Dumont rend sensible ces forces. Surtout grâce au travail sur le son. Ce son est celui de la respiration de l'homme qui marche, le bruit de ses pas et de ses gestes, celui du frottement de ses vêtements. Ainsi, même s'il se trouve éloigné de nous dans l'image, sa présence physique est affirmée.

    L'autre son marquant de ce film dénué de musique est celui du vent, enregistré directement, laissant comme une piste sonore mal nettoyée. Ce vent typique de ces bords de mer s'infiltre partout, balaie les dunes et évacue de l'écran les couleurs trop vives. Soumis à ce souffle, le paysage dunaire renvoie une lumière particulière, qui émane aussi des visages du gars et de la fille (David Dewaele et Alexandra Lematre sont admirablement dirigés et deviennent inoubliables). Hors Satan est sans doute le film le plus beau, plastiquement, qu'ait signé le cinéaste.

    Mais il n'en est pas moins perturbant. A cause notamment de cette balance constante entre la douceur et la violence, entre le sacré et le banal, entre la sordidité du fait divers et la nudité de la spiritualité. Et ce double mouvement ne cesse de s'accentuer jusqu'à la fin, en passant par une dernière demie-heure qui n'en finit pas de proposer des fins possibles, où Dumont tente des choses incroyables et parvient à désamorcer au fil de ses séquences des équations risquées (comme : femme = démon) en ne comptant que sur notre ressenti. Domptant toutes ces forces contradictoires, Hors Satan dégage une puissance cinématographique vraiment hors norme.

     

    horssatan00.jpgHORS SATAN

    de Bruno Dumont

    (France / 110 min / 2011)

  • L'horrible Docteur Orlof & Une vierge chez les morts vivants

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    franco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70s

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    Il est assez amusant de découvrir L'horrible Docteur Orlof après La piel que habito, tant la parenté entre les deux semble évidente. L'idée de base, celle du "savant fou" travaillant en secret pour trouver une "nouvelle peau" à sa femme, est exactement la même (on pense également, bien sûr, aux Yeux sans visage de Franju). Toutefois, autant le film d'Almodovar est une variation glacée, insidieuse et tournoyante, autant celui de Franco est une tentative expressionniste, directe et syncopée.

    Le recul vers un passé situé en 1912 et le choix du noir et blanc donnent un certain cachet esthétique à ce film, l'un des premiers signés par Jess Franco (puisqu'il semble être le 11ème d'une série, en cours, de 185 titres). Ambiances nocturnes et humides, orgues et percussions, cadrages déroutants à la Orson Welles... malaise, vertige et surprise sont recherchés. L'œuvre est construite autour de plusieurs fulgurances, au point que certains plans déboulent tout à coup, venus d'on ne sait où, comme celui qui nous donne à mater furtivement, sans préavis ni suite, une paire de seins gigotant sous des mains ennemies. Le montage est effectué à la hache. A l'intérieur même des séquences, nous avons l'impression de sauter d'un endroit à un autre, dans l'espace du film.

    Le récit souffre d'une alternance entre l'enquête ennuyeuse d'un inspecteur de police et les méfaits du Docteur Orlof tenant sous sa coupe un ancien condamné à mort aveugle mais d'une redoutable efficacité lorsqu'il s'agit d'enlever les jeunes femmes esseulées. Jess Franco n'hésite pas à emprunter des tunnels explicatifs longs comme la mort et à laisser dérouler des dialogues au ras du pavé luisant, dialogues à travers lesquels absolument tout est exposé, passé ou présent.

    Les femmes sont imprudentes, crient et meurent. Elles sont souvent portées à bout de bras, à la fois proies et déesses. Elles sont toujours belles. La fin est expédiée.

    Plus raide encore est Une vierge chez les morts vivants. Là, des prétentions artistiques à la Marguerite Duras s'installent dans un cadre narratif et une économie de série Z. Le film "raconte" l'histoire de Christina, jeune femme venant à la rencontre de membres de sa famille qu'elle ne connaît pas, dans un château inhabité. Bien vite, nous nous aperçevons, sans trop savoir si l'héroïne en est elle-même consciente ou pas, que ceux-ci sont tous, non pas des morts vivants, mais des fantômes, malgré leur apparence très charnelle. Soumise à des visions d'horreur et d'érotisme, Christina va perdre la raison et la vie.

    Jess Franco expérimente à tout va. Malheureusement, il le fait dans la répétition improductive. Chez lui, une séquence repose sur une idée de mise en scène (à partir de l'usage du zoom, souvent) reproduite jusqu'à son terme au fil des plans qui la compose, générant parfois un sentiment d'absurdité. Dès lors, le déroulement narratif, qui paraît totalement aléatoire, issu d'un scénario capricieux et informe, se voit entrecoupé par des moments de stagnation, des séquences figées ou tournant sur elles-mêmes selon l'effet qui y est répété. Comme dans L'horrible Docteur Orlof, nous est réservée une explication in extenso concernant un événement supposé s'être passé précédemment.

    Il faut admettre que quelques divagations ou déplacements au cœur de la nature ont leur beauté propre, même si ces passages sont souvent gâchés, à un moment ou à un autre, par un zoom inconcevable, un recadrage impromptu (sur un nénuphar ?!?), un tremblé, un raccord dont le qualificatif "faux" sonne encore trop faiblement pour en rendre compte correctement. Plus que les délires érotico-fantastiques mis en images, pas bien méchants, c'est donc bien ce "style" qui rend le film si bizarre et qui retient par conséquent d'en parler comme d'un navet absolu. A moins que ce ne soit l'abondance de jolies filles dénudées pour un oui ou pour un non par leur metteur en scène tout puissant.

    Je frémis tout de même à l'idée que ces deux DVD que l'on m'a gracieusement prêté renferment deux films parmi les plus réputés et donc probablement les meilleurs de Jess Franco (avec tous le respect que je dois, notamment, au descendant de l'Horrible Docteur)...

     

    franco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70sfranco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70sL'HORRIBLE DOCTEUR ORLOF (Gritos en la noche)

    UNE VIERGE CHEZ LES MORTS VIVANTS (ou CHRISTINA CHEZ LES MORTS VIVANTS ou CHRISTINA, PRINCESSE DE L'ÉROTISME)

    de Jess Franco

    (Espagne - France, Belgique - France - Italie - Liechtenstein / 90 min, 76 min / 1962, 1973)

  • L'éventail de Lady Windermere

    lubitsch,etats-unis,20s

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    Adaptation de la pièce d'Oscar Wilde, L'éventail de Lady Windermere est souvent considéré comme le chef d'œuvre de la période muette de Lubitsch. Dépassant encore le pourtant délectable (dans mon souvenir) Prince étudiant de 1927, ce film est effectivement une merveille absolue.

    Une introduction, un marché conclu, une sortie aux courses, une réception d'anniversaire et un épilogue : voilà en fait à quoi se réduit l'histoire. L'étirement des scènes et leur relative lenteur font presque du film quelque chose d'abstrait. Il n'est pas foncièrement comique bien que l'humour y soit régulièrement présent, notamment à travers la critique des langues de vipère et des vieux célibataires de la haute société londonienne. La multiplication des quiproquos assurent les sourires mais ce contentement ne repousse pas l'impression que s'expriment ici bien des douleurs.

    Les personnages sont pris au piège des conventions sociales, des règles archaïques et de l'absurdité du respect de l'étiquette. Dire leur propre vérité leur est impossible, pas même face à l'être aimé. En conséquence, mensonges, hypocrisies et omissions entraînent dans une spirale glaçante de situations intenables, dans lesquelles chacun se retrouve déchiré. La mécanique lubitschienne (*) du film avec son incroyable chapelet de méprises véhicule ainsi plus de sourdes angoisses que de rires francs. L'éventail de Lady Windermere est un véritable drame mondain, un mélodrame peut-on même dire, suspendu à un lien mère-fille inavouable.

    Les rapports qui se tissent entre les personnages sont traduits en termes visuels avec une netteté et une élégance incomparable. On note par exemple que lorsqu'ils sont réunis tous les trois dans le cadre, le mari est toujours "entre" la femme et l'amant. Cependant, il faut tout de suite préciser que, si concertée soit-elle, cette géométrie reste vivante. A la réception, Mrs Erlynne, soumise aux regards dédaigneux des dames de la haute, se voit en revanche entourée, dès son arrivée, par une dizaine d'hommes en costume. S'extirpant du centre de ce groupe qui gagne sans arrêt de nouvelles unités, elle décide de s'avancer vers une affreuse rombière et lui lance un compliment totalement exagéré mais qui fait son effet et retourne totalement la situation. Un sourire de la vieille peau et aussitôt la conversation est lancée. D'autres dames s'approchent, trouvant que, finalement, cette femme que l'on dit de mauvaise vie a des manières. Un deuxième cercle s'est donc formé autour d'elle. La séquence est assez courte mais elle permet néanmoins d'observer une évolution (les convives, les hommes et ensuite les femmes, s'approchent un par un) qui ne donne pas l'impression d'une mise en scène rigide.

    Cette architecture, ces admirables compositions laissant un personnage dans un coin du cadre et les trois quarts restant dévolus à un décor pesant, cette invention dans les variations d'échelles et dans les jeux de caches "réels" (les éléments du décor) ou techniques, tout cela pourrait de même donner une œuvre théorique et désincarnée. Or il n'en est rien. Et bien souvent, dans ces moments-là, c'est l'humour qui humanise ce qui est présenté, qui maintient le lien affectif.

    C'est aussi la beauté et le frémissement qui parcourent certains plans rapprochés sur les visages ou la peau, c'est le subtil équilibre entre ces derniers et les compositions plus larges, c'est enfin la retenue très moderne des acteurs. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans la magnifique séquence de l'hippodrome. Dans les tribunes, au milieu de la foule, se crée une complexe circulation des regards, initiée de façon comique par le recours des curieux aux jumelles pour mieux observer le "phénomène" Mrs Erlynne et prolongée par l'insertion de gros plans sur la nuque et les mains de celle-ci.

    Dans L'éventail de Lady Windermere, si les situations paraissent extrêmes, elles ne sont pas provoquées par des personnages faits d'une seule pièce. Ces êtres se révèlent complexes et aptes à faire évoluer leurs jugements. Lord Windermere va tout de même donner de l'argent pour aider Mrs Erlynne et Lady Windermere ne va finalement pas frapper cette dernière avec son éventail comme elle l'avait annoncé. Cette intelligence et, parfois, cette bonté n'évitent pas les catastrophes. Elles en causent même certaines. Plus ces gens cherchent à rester droits, plus ils croulent sous le poids. Preuve que pour Lubitsch, à la suite de Wilde, c'est bien le carcan imposé par la société qui est responsable des plus grands maux.

     

    (*) : La projection à laquelle j'ai pu assister était précédée d'un "cours" lumineux de N.T. Binh (Yann Tobin) sur l'œuvre de Lubitsch en général et, évidemment, sur la "Lubitsch touch" en particulier.

     

    lubitsch,etats-unis,20sL'ÉVENTAIL DE LADY WINDERMERE (Lady Windermere's fan)

    d'Ernst Lubitsch

    (Etats-Unis / 90 min / 1925)

  • Hamlet

    kozintsev,urss,histoire,60s

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    Ce n'est pas un perdreau de l'année qui réalise en 1964 cette adaptation de Shakespeare : Grigori Kozintsev va alors vers ses soixante ans et a derrière lui quarante années d'activité de cinéaste (à l'exception des cinq derniers, il cosigna avec Leonid Trauberg tous ses films dont une mémorable Nouvelle Babylone en 1929).

    Son Hamlet, qui s'étire sur près de 2h30, est tout entier soumis à des bourrasques menaçant sans cesse son équilibre. Entre la langue russe que l'on entend et l'anglais que l'on a en tête, entre le réalisme et le symbolisme soviétique, entre l'introspection et le déchaînement, entre l'appel de la mer et la claustration à la cour, entre l'académisme des monologues et la modernité des mouvements, le film est la proie d'une série de tiraillements qui le chargent finalement d'une grande énergie. Par l'entremise d'une caméra mobile enregistrant les effets du vent et de la lumière naturelle et celle d'acteurs expressifs et bondissants (Innokenti Smoktounovski est un Hamlet à l'âge indécidable et à l'explosivité gestuelle surprenante), l'adaptation est des plus vivantes, au moins autant traversée par l'action que par le texte.

    Elle donne à voir, par exemple, un combat final à l'épée alliant un beau réalisme des gestes, rendu appréciable par des plans longs et larges, et une dynamique débordant des cadres plus serrés, au fil d'un découpage remarquable de la séquence (les deux types de plans n'étant pas mélangés mais se succédant, donnant ainsi le sentiment d'une approche progressive). Plus calmes mais tout aussi enfiévrées et esthétiquement puissantes sont la séquence de l'habillage d'une Ophélie endeuillée et déjà absente (touchante Anastasia Vertinskaïa), puis celle de sa crise de démence au milieu des soldats de son frère. Bien sûr, tout n'est pas aussi saisissant dans ce film inégal et versant plus d'une fois dans la grandiloquence (la rencontre entre Hamlet et le spectre de son père est proprement cataclysmique), mais il est difficile de résister au souffle qui le traverse sur la durée.

     

    Kozintsev,urss,histoire,60sHAMLET (Gamlet)

    de Grigori Kozintsev

    (U.R.S.S. / 148 min / 1964)

  • A dangerous method

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    (avant-première, sortie en salles le 21 décembre 2011)

    Des premières lueurs du XXe siècle à la veille de la Grande guerre, David Cronenberg conte l'histoire d'une relation triangulaire entre les docteurs Carl Jung, Sigmund Freud et Sabina Spielrein, cette dernière passant tout d'abord par le stade de patiente du premier. Comme dans la plupart des biographies et des drames en costumes, le déroulement est chronologique et les sauts d'une année à une autre sont nombreux. Si le triangle évoqué à l'instant structure le film, cette évidence apparaît très progressivement et sans que la figure ne soit réellement convoquée à l'image (sinon de manière détournée en une occasion réunissant Jung et sa protégée Sabina, à côté d'Emma, la femme du docteur bientôt trompée par ces deux-là). Entre Jung et Freud, le lien est tissé par l'intermédiaire de Mlle Spielrein, qui sera aussi la cause de sa rupture.

    A dangerous method déjoue les attentes. Cronenberg fait intervenir le Dr Freud assez tardivement, bien que son nom soit vite cité, et il ne se lance pas dans un écheveau narratif complexe mais compose une série de scènes à deux personnages, collant ainsi à son sujet, la psychanalyse et le rapport particulier qu'elle induit entre le médecin et son patient. Nous avons donc là, essentiellement, un film de dialogues, dans lequel la mise en scène de la parole est primordiale. Le cinéaste se tourne vers une société corsetée dont il fige et épure les décors pour mieux en détacher les corps et mettre en valeur la parole extirpée. Souvent, il offre au spectateur une vision également nette de deux visages pourtant placés sur des plans différents dans la profondeur du cadre, effet qu'il n'est pas le premier à réaliser mais certainement l'un de ceux qui l'aura utilisé avec le plus de pertinence par rapport à son propos. Celui (celle) qui parle et celui qui écoute suscitent la même attention. Pour une fois, la parole se charge donc presque entièrement de porter le mystère à la place du corps (les rêves analysés) et c'est le son qui bouscule plutôt que les images (les récits érotiques et/ou traumatisants). Le scandale du sexe est dans les mots et pratiquement pas ailleurs. L'écran reste relativement chaste.

    Le film est l'adaptation d'une pièce de Christopher Hampton, elle-même dérivant d'un livre de John Kerr. Les intérieurs sont privilégiés, les débordements stylistiques sont évités, l'ouvrage apparaît classique. Presque archaïque par moments : les plans faisant appel au numérique évoquent de vieilles transparences et le jeu de Keira Knightley est excessif dans sa tension. Dans ce domaine, la contribution de Vincent Cassel, dans un rôle secondaire, a du mal à me convaincre. Viggo Mortensen campe en revanche un Freud imposant et Michael Fassbender hérite quant à lui d'un Jung plus exposé et plus changeant.

    Les séquences les plus mémorables réunissent ces deux derniers. Leurs discussions, leur amitié, leurs divergences et leur rupture par lettres interposées se révèlent très prenantes. De façon saisissante et douloureuse, le lien est coupé, comme le dit Freud. Alors qu'il annonce cela, sont montrés sur un plateau une enveloppe ouverte et un coupe-papier. Si Cronenberg ne nous gratifie pas d'autres fulgurances qu'un bruit de bois craquant dans une bibliothèque, il fait toujours preuve d'une diabolique maîtrise dans la conduite de son récit, dans le passage d'une séquence à l'autre, dans le saut d'un plan au suivant. La malade à l'hôpital parle de liberté et aussitôt nous passons à l'image d'une calèche déboulant à vive allure dans une rue. L'épouse de Jung veut que celui-ci lui revienne et voilà qu'une scène débute avec l'avancée de la barque du docteur vers une silhouette féminine l'attendant sur la berge. Le montage semble ainsi par moments suivre une pensée ou se faire par associations d'idées, mais sans heurt aucun.

    Tout cela fait un film pensé, concerté, soigné. Aussi, un film théorique et mené sur un seul ton. Sa réussite me semble tenir dans certaines limites, les mêmes que l'on décelait dans M. Butterfly ou Spider, celles du drame psychologique d'apparence classique. Malgré les évidentes qualités qui s'y retrouvent, ce n'est pas, chez David Cronenberg, le sillon qui a ma préférence.

     

    adangerousmethod00.jpgA DANGEROUS METHOD

    de David Cronenberg

    (Royaume-Uni - Allemagne - Canada - Suisse / 100 min / 2011)

  • La désintégration

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    (avant-première, sortie en salles le 15 février 2012)

    La graphie du titre dans le générique le confirme si besoin est, La désintégration c'est bien La dés-Intégration, soit la dynamique inverse de celle recherchée depuis des décennies maintenant. En dessinant la trajectoire de trois jeunes hommes de la banlieue lilloise poussés par un quatrième jusqu'à l'extrémité de l'activisme islamique, Philippe Faucon raconte avant tout l'histoire d'un échec, celui de la République.

    Le sujet est délicat à traiter tant les pièges disposés sont nombreux, le plus redoutable étant celui de la caricature. Entre cette dernière et l'équilibre trop prudent menant à la tiédeur, la voie est très étroite. Pour décrire une série de faillites, Philippe Faucon n'a peur ni des mots, ni des situations. Cette volonté fait la force du film, couplée à l'art du réalisme du cinéaste. Son approche vivante et respectueuse des personnages fait que la clarté et l'importance du discours n'étouffent pas la singularité.

    La première moitié du récit est chorale, les pistes suivies sont nombreuses et la dramaturgie "basse". Les caractérisations sont précises sans être manichéennes. La sensibilité des acteurs et la distance trouvée par la caméra sont à l'origine de quelques belles séquences, d'instants souvent émouvants (les relations entre parents et enfants, les prises de photos de l'un des héros avec son portable). Les clichés ont la peau dure mais on ne s'en contente pas (un dialogue autour de la rédaction d'un CV évoque avec humour l'idée du changement de nom pour augmenter les chances de réponses positives mais le plan ne s'arrête pas là, il n'en fait pas un slogan).

    Un personnage met cependant en péril l'édifice : l'endoctrineur. Faucon a voulu fuir le cliché du barbu illuminé mais il a chargé son aura, dans un autre sens. Habits noirs, voix basse, monocorde, cherchant à envoûter, et regard ténébreux par en dessous, dès son apparition la catégorisation est faite. Intelligent, psychologue, pertinent parfois avec certains arguments peu contestables, il est et reste le mauvais génie taillé d'un bloc. Certes, trouver la façon d'incarner un recruteur djihadiste est une gageure...

    Si les balises sociales sont habilement disposées dans la première partie, afin de faire sentir comment l'islam devient refuge et comment les islamistes deviennent pour cette jeunesse maghrébine les derniers interlocuteurs le long d'une chaîne brisée en amont, la seconde donne à voir une position qui se raidit. Dès lors, il est difficile de ne pas raidir aussi le film. Évacuant les points de vue différents et contradictoires pour se concentrer sur un seul, le récit finit en ligne droite, gagnant en force dramatique ce qu'il perd en subtilité. Il se fait un peu trop balisé. Toutefois, reconnaissons-lui le mérite d'aller au bout de sa logique, jusqu'à une explosion et une libération d'inquiétudes.

     

    faucon,france,2010sLA DÉSINTÉGRATION

    de Philippe Faucon

    (France / 78 min / 2011)

  • L'exercice de l'Etat

    schœller,france,2010s

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    L’exercice de l’Etat est un film sans doute "important", un film cohérent qui affronte bravement son sujet, un film qui a assurément des choses à dire, un film qui manifestement marque son public. Ce film pourtant, il ne m’a jamais saisi.

    Il s’ouvre sur un rêve érotique et surréaliste, cela, tout le monde le sait maintenant. Mais il faudrait aussi parler du plan qui suit la séquence. Pour montrer d’où proviennent ces images fantasmatiques, la caméra pointe vers la tête endormie du ministre des Transports Bertrand Saint-Jean et glisse le long des draps pour finir par cadrer une belle protubérance ne laissant aucun doute sur l’émoi ensommeillé de ce dernier. Plus tard, on verra notre homme vomir au cours d’un trajet en voiture et à la fin du film, une formidable nomination lui sera annoncée par téléphone alors qu’il est tranquillement assis sur sa cuvette de WC. L’audace est donc de nous montrer enfin à l'écran un ministre en train de bander, de dégueuler et de chier (pas en même temps ! il reste donc un cran à passer...). Avec cet hyper-réalisme, Pierre Schœller se met au niveau désespérant des hommes politiques qu’il filme, colle à leur vulgarité et à leur bassesse. Peut-être le personnage de Michel Blanc y échappe-t-il en partie mais, figure d’une autre époque, il est irrémédiablement condamné à disparaître. Tous les autres sont imbuvables, y compris le premier d'entre eux, qui sacrifiera comme ses congénères ses convictions sur l’autel de sa réussite personnelle. Au passage, il me semble que cette médiocrité morale ambiante se trouve en porte-à-faux par rapport au fantasme visualisé au début. Supposé primordial par cette place même qui lui est accordée, énigmatique, sophistiqué et ouvrant sur des dimensions autres, il ne peut être véritablement celui du personnage. Par ailleurs, si beaucoup d’observateurs parlent d’absence de manichéisme, il faut tout de même remarquer l’opposition radicale qui existe dans le film entre le personnel politique et les "vrais gens". En effet, ici, ce sont les pauvres qui sont plein de noblesse, la façon dont le cinéaste filme leurs visages en plans fixes et pénétrants le montre assez clairement.

    Dans sa quête de réalisme documenté, Schœller s’approche au plus près des acteurs, au point que l’accumulation des cadres resserrés sur les têtes parlantes fatigue (même si, admettons le, cela peut être une manière de redoubler les œillères dirigeant le regard de ces responsables politiques coupés de la réalité). En fait, pour se distinguer du point de vue formel, le film compte seulement sur quelques effets d’images-choc : une femme s’engouffrant dans la gueule d’un crocodile, des corps d’adolescents écrasés sous un bus, un membre arraché. Cette dernière image peut être comparée à une autre, qui se trouve dans Paranoid Park. Chez Gus Van Sant, la vision d’un corps tranché en deux articulait le film tout entier car cette révélation-confrontation devenait à un moment donné nécessaire pour le personnage comme pour le spectateur. Dans L’exercice de l’Etat, le plan gore ne produit rien au-delà de son surgissement.

    Pourtant, c’est bien lorsqu’il sort de ses rails que le film de Schœller suscite quelque intérêt : quand le ministre s’invite dans la caravane de son chauffeur, quand il décide d’emprunter un tronçon d’autoroute encore en travaux ou quand il récite dans sa tête le discours qu’on lui a interdit de prononcer. Là, cela respire un peu plus et on s'extirpe de la description speedée et appliquée d’un monde détestable. Alors bien sûr des réflexions potentiellement stimulantes filtrent, notamment sur la disparition d'une puissance publique et le maintien de multiples pouvoirs personnels, mais je vois là surtout un film qui épouse trop bien la grossièreté de l'univers qu'il décrit. De plus, en jetant un voile sur la couleur politique précise du clan auquel il s'intéresse et en ne se tournant à aucun moment vers une opposition quelconque, Pierre Schœller pousse à généraliser, à désespérer totalement, à considérer que décidément tous sont pourris et tout est perdu.

     

    schœller,france,2010sL'EXERCICE DE L'ETAT

    de Pierre Schœller

    (France / 115 min / 2011)

  • Henry V

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    Premier des quatre films (dont trois adaptations de Shakespeare) que réalisa Laurence Olivier, Henry V est plutôt méconnu, recouvert qu'il fut, notamment, par le Hamlet qui suivra en 1948, signé bien sûr du même cinéaste, et par la version de Kenneth Branagh de 1989 (très bonne dans mon souvenir). Ambitieuse et stimulante sur le papier, l'œuvre me semble malheureusement assez largement ratée. Elle souffre de ne pas réaliser sur la durée ce qu'elle promet : la célébration des noces du théâtre et du cinéma.

    L'introduction et toute la première partie du film sont étonnantes. On remarque l'absence de générique : l'annonce du spectacle relatant l'ascension d'Henry V est bien faite à l'écran dès le début, mais elle concerne la pièce de théâtre que vont jouer des comédiens en l'an 1600. Et effectivement, nous voilà en plein milieu des spectateurs du Globe Theatre. La représentation débute et la caméra va dès lors aller et venir de la salle à la scène, des balcons aux loges, donnant une belle impression de vie. Le public est réactif et tapageur, les planches sont encombrées, des comédiens butent sur des répliques et ratent des gestes. Olivier rend hommage au théâtre de Shakespeare et au théâtre du temps de Shakespeare. Et paradoxalement, c'est ici que se situe le seul réel plaisir cinématographique du film.

    De longues minutes se passent ainsi et le spectateur non averti peut facilement croire que le film va de cette façon continuer jusqu'à son terme. Mais, progressivement, la musique n'est plus jouée par les musiciens du théâtre et devient "musique de film", le public et les planches disparaîssent, les acteurs ne jouent plus des comédiens mais des personnages, les extérieurs sont visualisés par des toiles peintes en trompe-l'œil. Alors, finissent par surgir de véritables champs et bois, au moment de traiter la bataille d'Azincourt. Puis, des scènes à la cour du roi de France retrouvent l'artifice des décors à plat avant un retour, pour terminer, sur la scène du théâtre.

    C'est ainsi que Laurence Olivier fait glisser son Henry V vers le cinéma mais il le fait très imparfaitement. Ce mouvement de balancier entre deux esthétiques radicales se fait en refusant l'une et l'autre, donne l'impression de ne pas aller au fond des choses en offrant un spectacle visuellement hétéroclite. Clou cinématographique supposé, la bataille n'impressionne guère, cherchant trop timidement à rivaliser avec Eisenstein (Olivier tente bien maladroitement d'insérer deux ou trois plans de têtes de chevaux affolés filmés en contre-plongée).

    Le film devient ennuyeux. Les moments consacrées aux truculents seconds rôles passaient et participaient à la vigueur et au brouhaha de la représentation telle qu'elle était montrée dans les premières minutes mais intégrés à une narration plus classiquement cinématographique ils deviennent juste pathétiques. Et terminons sur un autre point noir : la description de la romance entre Henry V et la princesse Catherine, union scellant le destin de l'Angleterre et de la France et qui devient l'enjeu de la fin du récit, est torpillée par un choix particulièrement étrange, celui de faire jouer cette Demoiselle par une actrice britannique parlant très mal le français ! La scène où cette dernière apprend de sa gouvernante quelques mots d'anglais en devient totalement absurde, sinon ridicule, puisque les mots "hands" ou "foot" sont mieux prononcés que les phrases de notre langue (je doute que le remplacement de l'adverbe "rapidement" par "vitement" soit le fruit d'une recherche sur le vieux français du XVe siècle). Ou comment transformer un louable respect et une scène de tatonnements linguistiques potentiellement charmants en franche rigolade...

     

    henryv00.jpegHENRY V

    de Laurence Olivier

    (Royaume-Uni / 137 min / 1944)

  • Drive

    winding refn,etats-unis,polar,2010s

    ****

    Drive, c'est l'histoire d'un chevalier blanc qui ne peut empêcher sa tunique immaculée d'être souillée de noir et de rouge. Le driver (puisqu'il n'est toujours nommé qu'à travers sa fonction) est un as du volant, un cascadeur-garagiste vendant ses services de nuit aux braqueurs de Los Angeles. Dans ce cadre, il se charge de la fuite après le casse, et ne veut pas savoir qui en a la responsabilité ni ce qu'il se passe en dehors de sa voiture garée près de l'endroit attaqué, prête à démarrer en trombe. Ne pas être impliqué plus avant, telle est sa règle d'or. Mais voilà qu'il prend soudain parti en posant une question (Qui étaient ces types ?) et cela pour une bonne raison : la protection d'une femme et de son enfant. Fatalement, la machinerie infernale est lancée à cet instant.

    En faisant preuve de bienveillance et de fidélité, le driver provoque un nouveau cycle de violence à la force décuplée. Ce n'est pas le seul paradoxe à l'œuvre dans ce film époustouflant. Il en contient beaucoup d'autres. Une scène partout citée (à juste titre) montre très clairement que c'est juste après s'être approché au plus près de la fille aimée que le driver réalise les gestes qui, certes, les sauvent elle et lui, mais surtout l'éloignent, choquée, stupéfaite. Le visage du héros est ensanglanté, son blouson blanc l'est tout autant.

    Dans ce monde-là, protéger c'est s'effacer, disparaître à la place. Après tout, le driver était destiné à cela. Dans l'organisation des casses, il est celui qui assure la fuite, n'intervient que ce temps-là et n'est plus joignable après le coup (il précise également que si les braqueurs tardent trop, il s'évapore au bout de cinq minutes). De même, au cinéma, le cascadeur est bien celui qui n'apparaît jamais à l'écran avec son propre visage. La mise en scène de Nicolas Winding Refn se charge de rendre sensible ce retrait. La tuerie au motel se clôt sur un ralenti accompagnant l'effacement progressif du visage du driver derrière une cloison et, logiquement, son grand coup d'éclat, celui-ci l'effectuera en portant un masque. L'homme disparaît peu à peu, ne laissant qu'une ombre sur le bitume, une enveloppe, celle d'un fantôme à la fois présent et absent. A la fin, la voiture redémarre mais la porte de l'appartement reste fermée.

    Le laconisme du driver le plaçait dès le début "ailleurs". C'est un choix de mise en scène (qui avait déjà été fait par le cinéaste pour Valhalla rising). Certes, le silence, ou du moins la rareté de la parole, est un trait de caractère du personnage. Mais, comme dans la vie, ce silence se propage aux interlocuteurs (Irene et son fils), peut gêner et provoquer involontairement le malaise (le peu d'empressement à répondre à une question posée par le mari fait naître un doute). Ce silence n'est pas celui du justicier des années 70 qui en imposait à tout le monde. C'est plutôt une nécessité qu'a bien intégré le héros, dans cette jungle du crime qu'il connaît pour la fréquenter chaque jour. Dire que l'on a un "plan", aller dans l'échange au-delà de "je peux te proposer un coup", c'est déjà enclencher un mécanisme dans lequel le driver ne veut pas mettre le doigt. Bien évidemment, l'un des engrenages les plus déterminants est actionné par l'émission d'une parole de trop qui vaut trahison.

    Ainsi justifiée, la réserve dans l'expression verbale, comme la suspension du temps, échappe à la pose. Mais il existe une autre raison à l'évitement de cet écueil : la vie ne fuit jamais ces moments arrêtés. Lors de la première soirée qu'ils passent ensemble, le héros et sa future protégée sont montrés face à face, ne disant rien, et avec ce plan étiré, nous écoutons le silence qui s'installe mais en même temps nous voyons comme Irene, troublée, respire fort. Plus tard, dans le peep show, une spectaculaire contre-plongée fige le driver debout, tenant en joue l'homme qu'il recherchait, à terre. Là aussi le plan est long et il s'arrache encore au maniérisme par le choix de faire apparaître soudain le héros en sueur, une sueur qui traduit son extrême tension et qui renvoie à sa tenue, opposée à la nudité des filles qui l'entourent.

    Le cinéma de Nicolas Winding Refn est un cinéma de la sensation, mais non gratuite ou déconnectée. Ici : sensation de la lumière, des matières, de la musique (une électro-pop donnant un cachet 80's et évitant l'usage d'un rock'n'roll trop attendu). Sensation, surtout, de la vitesse. Drive n'est qu'accélérations et décélérations, jeux rythmiques génialement transposés au-delà des seules scènes de poursuites, déjà particulièrement brillantes. Celle qui ouvre le film, par les mutliples variations qu'elle peut offrir dans ce domaine, donne le la. Par la suite, la violence arrive par vagues imprévisibles et se retirant aussitôt. Une virée en voiture dans la canal asséché se termine en pause au bord de l'eau. Au supermarché, le driver avance dans les allées et les étalages défilent de chaque côté avant que le mouvement soit stoppé net par la vision d'Irene.

    Enthousiasmant par ses propositions plastiques et rythmiques, Drive touche juste aussi dans le traitement des personnages. Le sentiment amoureux est là, et bien d'autres encore. On apprécie le frisson qui passe lorsque le petit garçon se retrouve avec une balle de flingue dans la main, on aime le changement d'éclairage sur le mari provoqué par le flash back, non présenté comme tel et inséré au milieu de la séquence du repas à quatre...

    Ainsi, l'éloge de Drive peut aussi bien se faire en l'abordant comme un objet homogène et compact qu'en détaillant chacune de ses fulgurances et de ses beautés plus discrètes. Il est à placer au rayon Grands films noirs entre Le point de non retour de Boorman et En quatrième vitesse d'Aldrich, tout près de Reservoir dogs, rien que cela. Plaisir cinématographique de l'année, direct.

     

    Nicolas Winding Refn sur Nightswimming : Pusher, Pusher II, Pusher III, Bronson, Valhalla rising.

     

    winding refn,etats-unis,polar,2010sDRIVE

    de Nicolas Winding Refn

    (Etats-Unis / 100 min / 2011)

  • Les aventures de Tintin : Le secret de la Licorne & Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal

    Spielberg,Etats-Unis,Aventures,2000s,2010s

    Spielberg,Etats-Unis,Aventures,2000s,2010s

    ****/****

    Spielberg meets Hergé, donc. Sauf catastrophe, il était peu probable que l'on se retrouve devant un hommage pétrifié, pas plus que devant une trahison totale. Avec ces (premières) Aventures de Tintin, le cinéaste s'approprie l'univers du dessinateur en prenant soin de parsemer son œuvre de clins d'œil dont le plus direct est aussi le plus joli (au lancement du récit, Tintin apparaît à l'écran comme en sortant de l'imagination et du pinceau de ce dessinateur s'activant dans une ville ressemblant à Bruxelles). Derrière la surface, nous sentons bien pointer les interrogations techniques, esthétiques et narratives afférant à la transposition cinématographique d'une bande dessinée. Et les réponses apportées par Spielberg et son armada, si elles apparaissent plus ou moins pertinentes, ont le mérite de provoquer la discussion.

    L'incarnation du héros reporter est, déjà, convaincante. Le personnage existe et l'émotion arrive à passer. Il faut dire cependant qu'il est le mieux loti du point de vue de l'apparence physique. Les autres ont souvent d'énormes têtes qui peuvent donner aux séquences des airs carnavalesques voire grotesques. Dès qu'un réel rapport de personnage à personnage s'installe (entre Tintin et Haddock, forcément), ce détail visuel s'oublie, mais quand nous n'avons affaire qu'à des silhouettes mal caractérisées (les Dupond-Dupont), l'effet est pénalisant.

    Du marché aux puces au Château de Moulinsart, en passant par l'appartement de Tintin, Spielberg entame son récit de manière brillante, faisant monter le souffle de l'aventure avec dextérité. Ensuite, c'est le départ pour le grand huit, le manège à sensations qui ne s'arrête plus jusqu'à la fin (qui annonce elle-même, bien sûr, un autre tour). Entre les morceaux de bravoure, impossible de reprendre son souffle. Tintin est tiré vers le film d'action contemporain (genre qui doit effectivement beaucoup au réalisateur de Duel), de façon inventive, le plus souvent, dans le mouvement général comme dans les détails (un entre mille : la tunique enflammée de Rackham le Rouge). Remarquablement travaillée est l'idée du surgissement par un côté du cadre, à tel point que le dernier, celui qu'effectue Tintin entre Haddock et son adversaire Sakharine, est espéré par le spectateur avant qu'il n'advienne réellement.

    Prenant appui cette fois-ci sur la nature de la 3D, ce motif fait depuis longtemps partie de l'ensemble qui compose l'action spielbergienne. Celle-ci retrouve toujours à un moment ou à un autre sa forme privilégiée qui est celle de la poursuite. Chez le cinéaste, c'est une folle percée de deux antagonistes qui se dirigent vers le même point mais qui tentent chacun d'exercer une force sur le flan de l'autre qui le ferait dévier de sa trajectoire. A chaque fois, la scène est complexifiée. Ici, elle l'est par le réseau tortueux des rues et des toits d'une ville marocaine.

    Ce mouvement frénétique est grisant mais il provoque l'oubli des questionnements de départ. Ainsi, si spectaculaire que soit la mise en images du combat entre l'ancêtre Haddock et Rackham le Rouge, on aurait pu s'attendre à une approche plus originale et profonde de cet enchâssement de récit par le capitaine. De même, les cassures comiques de l'action portent moins bien que ce ne fut le cas auparavant et elles ont un air de déjà-vu et de déjà-entendu.

    Finalement, il me semble que la rencontre Spielberg-Hergé est une réussite dont le degré se discute essentiellement, presque exclusivement, selon les goûts esthétiques de chacun.

    De quoi sortait Spielberg avant Tintin ? Du Royaume du crâne de cristal, quatrième épisode de la série des Indiana Jones dont il constitue la grande aberration (statut que l'on pensait dévolu au deuxième, le Temple maudit de 1984) et bien vilaine ponctuation d'une passionnante décennie 2000 pour le cinéaste.

    Cet opus ressasse, renvoie sans conviction au passé en proposant des variations toujours appauvries. Le contexte est celui du maccarthysme et l'idée, plutôt amusante, d'une effective infiltration des soviétiques dans les moindres recoins de l'Amérique, semble affleurer. Mais Spielberg préfère s'intéresser au décorum et à la jeunesse en pleine fureur de vivre, dans une vision encombrée des clichés les plus répandus. Jusque dans les moments d'action, le film vire à la parodie, ne semble tenir que sur cela.

    Le brio de la mise en scène des séquences les plus mouvementées sauvait à peu près le deuxième épisode. Cette fois, l'action est engluée dans une hideuse esthétique de jeu vidéo et le fantastique ainsi numérisé perd tout pouvoir magique. A titre d'exemple, citons cette poursuite dans la jungle particulièrement laide et agrémentée d'un gag débile en référence à Tarzan. Les péripéties s'enchaînent donc dans l'indifférence, au fil d'une intrigue simple mais qui nous paraît opaque tellement notre intérêt est faible.

    L'important est qu'Indy a un fils (à ceux qui n'auraient pas vu le film, je ne dévoile rien : on s'en doute dès le premier dialogue). En 1989, Spielberg nous avait déjà présenté son père mais cette fois la révélation familiale n'a pas du tout la même force. Elle tient de la pure routine car elle n'ouvre absolument sur rien, si ce n'est un pauvre jeu de répliques autour de la nécessité, ou pas, de poursuivre des études.

    Espérons que ce volet soit le dernier, qu'il n'y ait pas d'histoire de descendance, Shia LaBeouf n'ayant pas du tout les épaules pour reprendre le chapeau et le fouet d'Harrison Ford. La flamme est plus vive dans les yeux retravaillés de Jamie "Tintin" Bell que dans ceux du Professeur Jones et de son fils. Oui, il y a vraiment de quoi dire : adieu Indy, bienvenue Tintin.

     

    Spielberg,Etats-Unis,Aventures,2000s,2010sSpielberg,Etats-Unis,Aventures,2000s,2010sINDIANA JONES ET LE ROYAUME DU CRÂNE DE CRISTAL (Indiana Jones and the kingdom of the crystal skull)

    LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE (The adventures of Tintin)

    de Steven Spielberg

    (Etats-Unis & Etats-Unis - Nouvelle-Zélande / 122 min & 107 min / 2008 & 2011)