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2000s - Page 29

  • Les fantômes de Goya

    (Milos Forman / Etats-Unis, Espagne / 2006)

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    d1716b3f08c8bf196988526b3c93e2d1.jpgOublier que l'on attendait un nouveau Forman depuis sept ans. Oublier le précédent, Man on the moon, ce chef d'oeuvre. Oublier la rumeur catastrophique et la sortie estivale à la sauvette de ces Fantômes de Goya. Oublier que tout le royaume d'Espagne parle anglais. Oublier les coupes de cheveux des acteurs.

    Surtout, passer outre une mise en route laborieuse. Michael Lonsdale fait le minimum en chef de l'Inquisition, Javier Bardem en Frère Lorenzo est d'abord, disons... étrange et Goya est interprété de façon transparente par Stellan Skarsgard. Pourtant, au fil des séquences, tout prend forme. Milos Forman ne propose pas un biographie de Goya, mais deux moments précis de sa vie. D'ailleurs, le peintre n'est pas vraiment héros de cette histoire, plutôt un témoin privilégié, celui de l'arrestation et de l'emprisonnement par l'Inquisition de la jeune Ines (Natalie Portman), modèle favori de Goya et fille de son ami, le riche Bilbatua. Le vrai sujet apparaît alors : la tragi-comédie du pouvoir, la description du totalitarisme. Forman s'y connaît. La séquence du dîner est de ce point de vue magistrale. La famille d'Ines a organisé une soirée en l'honneur du tout puissant Frère Lorenzo, par l'intermédiaire de Goya, dans l'espoir d'obtenir, sinon une libération, du moins des nouvelles de leur fille. On sent alors que chaque mot prononcé est pesé, en voulant obtenir des informations, sans offenser l'hôte. Le dérapage aura pourtant bien lieu, le père étant vite excédé par la mauvaise foi du Frère Lorenzo. Et Goya, le peintre de cour, connaissant les usages et surtout les risques encourus, s'en offusque. Pouvoir absolu, arbitraire des arrestations, tortures, abandon dans les geôles, l'analogie avec le stalinisme est transparente. Le Frère Lorenzo, lui, devient l'incarnation du mal (saisissantes visites au cachot, au milieu des suppliciés pour abuser d'Ines) et Javier Bardem donne tout à coup au personnage une sacrée épaisseur.

    Puis survient une cassure étonnante. Le récit fait un bon de quinze ans jusqu'à l'invasion de l'Espagne par les troupes de Napoléon. Les scènes de violence et de pillage, où Forman s'avère moins inspiré, sont surpassées par l'insertion de dessins et tableaux de Goya (on y voit l'irreprésentable, ce sur quoi le cinéma butera toujours pour dire l'horreur guerrière). Il faut donc relancer l'intérêt et le cinéaste choisit une autre voie : celle du feuilleton populaire, avec ses péripéties aux limites de la vraisemblance, sur fond de bouleversements historiques. L'habilité scénaristique de Jean-Claude Carrière provoque l'étonnement tout en évitant de décrocher devant tant de retournements de situations (avec une utilisation maximale de la surdité de Goya, qui doit traîner partout un interprète, et une belle diversion autour de l'envie d'Ines de retrouver sa petite fille). Le peintre traverse les évènements avec ses doutes et ses compromis, et la succession, au générique de fin, de ses toiles, des portraits de rois aux violences envers le peuple, éclaire encore mieux les tiraillements de l'artiste. Javier Bardem, lui, réapparaît sous un autre costume : quelque soit le régime, le fantôme du totalitarisme est toujours là. Et Milos Forman est toujours là, lui aussi.

  • L'avion

    (Cédric Kahn / France / 2005)

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    1fd7e70f4469a5d3129890c5564503ef.jpgVoici un conte pour enfants, un vrai. Le petit Charly se voit offrir un étrange petit avion par son père aviateur. A la mort de celui-ci, il découvre que l'avion a le pouvoir magique de voler seul. L'armée, employeur du père, s'intéressera de près à cette machine, que Charly tient à garder, convaincu qu'elle l'aidera à retrouver son papa.

    Il faut donc jouer le jeu face à des péripéties pas toujours convaincantes, surtout dans la partie course-poursuite du film. Mais Cédric Kahn ne prend pas son sujet de haut, prenant autant de soin à mettre en images ici que dans ses films "sérieux". Il y a chez lui un désir de fiction particulièrement communicatif, surtout depuis son impressionnant Roberto Succo. En 2004, Feux rouges avait brillamment confirmé ce virage vers le cinéma de genre par rapport à ses trois premiers longs métrages, plus proches de la chronique sociale et affective (Bar des rails, Trop de bonheur, L'ennui, tous trois déjà remarquables). Pour tout cela, Cédric Kahn m'a toujours semblé, avec Desplechin, le cinéaste français le plus intéressant apparu au début des années 90.

    Si L'avion surprend agréablement, c'est pour le choix, si rare en France, du fantastique. Ainsi les séquences où l'avion prend son envol sont assez belles (et rendent discrètement hommage à E.T. l'extra-terrestre lorsque Charly s'accroche à sa machine et s'élève au-dessus du paysage). Cinéaste de l'inquiétude, Kahn filme une campagne et des bâtiments de plus en plus vides, alors que de plus en plus de personnes s'intéressent pourtant à cet avion. Enfin, la grande affaire du film, c'est le deuil. Charly doit apprendre à vivre sans son père. Je défie n'importe quel papa d'un jeune garçon de résister aux scènes finales. Le choix de Vincent Lindon s'avère judicieux, celui-ci faisant exister, dans le peu de séquences où il apparaît au début, son personnage. Et à l'image de son réalisateur, Isabelle Carré, dans le rôle de la mère, va au charbon, énergique, à fleur de peau. A chaque fois comme si sa vie en dépendait, Isabelle Carré peut jouer n'importe quoi. Depuis quelques années, Isabelle Carré est immense.

  • Les clefs de la maison & Le scaphandre et le papillon

    (Gianni Amelio / Italie / 2004 & Julian Schnabel / France / 2007)

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    Consacrer un film à un personnage handicapé est l'une des choses les plus difficiles, les bonnes intentions se transformant vite en récit larmoyant. Les deux dernières réussites me revenant à l'esprit sont My left foot de Jim Sheridan en 1989 et le méconnu film australien de Rolf De Heer Dance me to my song, en 1999. Dans le premier, Daniel Day Lewis incarnait un peintre, ne pouvant se servir uniquement que de son pied pour réaliser ses toiles. Le ton était celui de la chronique réaliste et social à l'anglaise, vigoureuse et acide. Le second, à travers l'histoire passionnelle se nouant entre une handicapée et l'homme qui s'occupe d'elle, frappait par la représentation très frontale, jusque dans les scènes d'amour, des corps.

    537448d017a692584d68595c06db2ea9.jpgAmelio et Schnabel ont choisit eux aussi des voies différentes. Les clefs de la maison, présenté à Venise en 2004, est sorti discrètement ensuite en France. Le cinéaste italien fait à nouveau appel à l'héritage néo-réaliste, comme il l'avait si bien fait avec Les enfants volés en 1992 (bien des points communs caractérisent les deux films, notamment la construction scénaristique). La situation de départ est posée d'emblée : le père rencontre pour la première fois l'enfant handicapé qu'il a abandonné à la naissance, quinze ans auparavant. Ce bouleversement est voulu par l'entourage de l'enfant, qui espère qu'un séjour en Allemagne auprès de ce père inconnu provoquera une évolution bénéfique. Mis à part ces données, très peu d'informations sont données sur les personnages, Amelio faisant confiance à son regard documentaire. La relation père-fils se construit patiemment, au fil des examens et des sorties, sans psychologie, avec peu de dialogues. Les explications arrivent à la moitié du film et l'alourdissent d'un coup. Les confessions sont provoquées par la rencontre entre Gianni, le père (Kim Rossi Stuart), et la mère d'une petite fille hospitalisée (Charlotte Rampling). Bien interprété et photographié (la dernière partie sous les cieux norvégiens), le film souffre d'un déroulement trop habituel : apprentissage mutuel, agacement devant des méthodes médicales jugées inefficaces et fuite vers un ailleurs synonyme de nouvelle sérénité.

    988bcf323cc225c4b9c515363030cdaa.jpgLe scaphandre et le papillon, succès à Cannes et en salles au printemps dernier, est donc l'adaptation du livre autobiographique de Jean-Dominique Bauby. Ce récit, dicté avec les battements de sa paupière par l'écrivain totalement paralysé à la suite d'une attaque, Julian Schnabel le déroule en privilégiant la subjectivité du regard. Toute la première partie du film est en caméra subjective. Nous voyons uniquement ce que voit Bauby, y compris des choses indistingables. D'abord audacieux, ce choix est pourtant remis en cause au fur et à mesure, Schnabel privilégiant de plus en plus, apparemment sans raison véritable, des plans objectifs "normaux". Mathieu Amalric se sort bien de ce rôle difficile, ce qui laisse à penser que Schnabel aurait mieux fait de filmer classiquement depuis le début. Les seconds rôles sont drôles (Patrick Chesnais et Isaak de Bankolé) et les filles sont parfaites (Marie-José Croze, Mathilde Seigner et Anne Consigny). Les notes humoristiques évitent de sombrer dans le pathos, qui guette parfois, associé à une prise de conscience de la futilité de la vie facile d'avant bien convenue. Autre aspect qui aurait gagné à être plus poussé : le mélange de fantasmes et de réalité, produit des divagations de l'esprit de l'écrivain.

  • Raja

    (Jacques Doillon / France / 2003)

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    d2d1a679166852e27fde589d2babec48.jpgAssez différent des films précédents de son auteur, celui-ci s'avère l'un de ses plus réussis. Le changement radical de paysage (le sud du Maroc) s'est avéré particulièrement fécond pour Doillon (mais pour l'instant sans lendemain, celui-ci ayant apparemment de plus en plus de mal à financer ses projets).

    Le cinéaste, d'habitude tellement porté sur les dialogues, joue avec la barrière entre les langues. Frédéric (Pascal Greggory) est le seul Français que l'on voit à l'écran. Sa situation professionnelle n'est pas définie, tout juste voit-on qu'il est riche et très cultivé. Le personnage est comme déporté du cinéma bavard (je caricature) de Doillon vers une réalité autre, celle du Maghreb d'aujourd'hui. Le plus souvent, son discours n'est pas compris pas ses interlocuteurs arabes, à cause de leur méconnaissance du français, mais surtout à cause des tournures d'esprit trop intellectuelles. Alors Frédéric parle seul ou se permet de dire des horreurs quand il sait que son vis à vis ne le comprend pas. Plutôt comique lors des dialogues avec les deux vieilles servantes, l'effet est plus troublant dans les scènes de séduction de Raja.

    Raja, est la nouvelle employée de la villa. Ils se désirent plus ou moins, mais les rapports sont viciés dès le départ puisque basés sur l'argent. C'est ici que Doillon frappe le plus fort : il constate l'omniprésence de cet argent dans la société gangrenée, autant qu'au sein du couple homme-femme. Et cette perversion est décuplée par choix du lieu de l'action. Cette histoire d'amour au Maroc devient le symbole de toute l'histoire coloniale. Le personnage de Pascal Greggory n'est pas que le porte-parole de l'auteur, il est l'image de l'Occident quand Raja est l'image de l'Afrique exploitée.

    Dit comme cela, on pourrait croire à une thèse. Heureusement, Doillon a un grand sens du casting (les confrontations entre Greggory et les acteurs arabes, tous non-professionnels sont merveilleuses). Il a aussi un don pour le réalisme, celui des gestes, des mouvements. Les corps hésitent, partent, reviennent, souvent dans un même plan. Frédéric et Raja sont comme deux aimants inversés, s'attirant et se détournant au dernier moment, sans jamais pouvoir se toucher vraiment (la scène d'amour, toujours retardée, ne peux donc être que ratée pour les deux). Le cinéaste avait précisé dans un entretien à Positif : "Ce qui se passe à côté des deux personnages importe peu; j'ai travaillé ce que permet le scope, le champ entre Raja et Fred, la distance qui bouge entre eux." Baigné dans la belle lumière du Sud, le film se permet aussi, comme cerise sur le gâteau, une scène étonnante, centrée sur les négociations insensées de Frédéric avec le frère de Raja. Le ton passe des menaces au quasi-vaudeville alors que la caméra lie le tout, d'un personnage à un autre, par de magnifiques travellings dans l'allée. Une autre négociation, tout aussi inattendue et inventive termine le récit de ce film si pessimiste et pourtant si dynamique.

  • Zodiac

    (David Fincher / Etats-Unis / 2007)

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    a6e1b198e00d97d5c5db23b2e9e88f47.jpgDavid Fincher est connu pour ses constructions scénaristiques complexes et pour sa mise en scène virtuose. Pour ma part, je trouvais que ce talent visuel fonctionnait à plein dans Seven, un peu moins dans The game, puis plus du tout dans Fight club (je n'avais rien trouvé de particulier à son volet d'Alien et je n'ai pas vu Panic room). C'est avec plaisir que j'ai donc constaté dans son récent Zodiac la maîtrise d'une mise en scène plus classique. Fincher n'y abuse pas d'effets gratuits, ni de retournements douteux.

    Toute la première partie, alternant meurtres et enquête, adopte un style proche des fictions équivalentes du cinéma américain des années 70 (Pakula, Pollack...). Le pari, réussi, de Fincher est de ne pas changer de tempo tout du long, à quelques exceptions près (dont la scène de l'entretien entre Graysmith et le projectionniste dans l'inquiétant sous-sol de ce dernier, Graysmith se croyant tout à coup en danger dans cette atmosphère à la... Seven). A partir du moment où les meurtres s'arrêtent, le film devient particulièrement passionnant dans le récit des piétinements et des impasses de l'investigation et également dans la description des réactions de chacun des trois principaux protagonistes à cette faillite, réactions nuancées du fatalisme à l'obsession maladive. Ainsi, la volonté du dessinateur de presse de reprendre plusieurs fois tout à zéro a, il me semble, était rarement montrée dans le genre policier.

    Porté par une distribution impeccable, de Jake Gyllenhaal au très grand Mark Ruffalo, cette belle réflexion sur le doute rejoint un groupe restreint de films consacrés à une quête restée inachevée. Cet inachèvement est souvent la caractéristique d'oeuvres attachantes et singulières, qui sous le déroulement classique d'une enquête criminelle éclaire les zones d'ombres de chacun. Dans sa rigueur, Zodiac se rapproche par exemple du tragi-comique Memories of murder, l'excellent polar coréen de Bong Jun-ho qui relatait une traque de tueur en série similaire et qui se terminait par un regard-caméra inoubliable d'un des enquêteurs, hanté par le fantôme de celui qu'il n'aura jamais réussi à arrêter.