(Fatih Akin / Allemagne - Turquie / 2007)
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De l'autre côté (Auf der anderen seite) ou les trajectoires croisées de 6 personnages entre l'Allemagne et la Turquie. Fatih Akin mêle les émotions et les tours du destin du mélodrame à la précision de la chronique réaliste. Si travaillé que soit le scénario, si contraignantes que deviennent les figures imposées dans les films à plusieurs voix (croisements des personnages, boucles narratives, effets papillons...), le jeune cinéaste déjoue régulièrement les attentes. Autant que l'intelligence de la construction, c'est donc aussi la capacité qu'a Fatih Akin de ne pas se laisser enfermer dans une structure trop rigide qu'il faut saluer.
Le film se présente sous la forme d'un triptyque, scandé par trois cartons. Les deux premiers annoncent la mort de quelqu'un ("La mort de Yeter" puis "La mort de Lotte"). Cependant, l'inéluctable laisse de la place à l'incertitude, soit en déplaçant les menaces pesant sur le personnage concerné, soit en retardant son identification. La noirceur apparente du propos est balayée par l'énergie d'une mise en scène attentive aux corps et par le travail des acteurs (tous remarquables). Les protagonistes les plus jeunes ont la constante volonté d'avancer, mais toujours avec la conscience de la nécessité qu'il y a sinon à entretenir, du moins à interroger les liens avec leurs géniteurs, avec le passé. L'oeuvre est d'ailleurs toujours émouvante lors des scènes tournant autour de la filiation. Le pessimisme ne s'impose donc pas au final. Et la beauté du film tient à sa façon de faire passer cet espoir tout en laissant les choses en suspens, sans asséner de message trop ouvertement réconciliateur. Car si les lignes se croisent, si les coïncidences sont nombreuses au fil du récit, si les deux premières parties préparent effectivement au resserrement scénaristique de la troisième, tout cela débouche en fait sur de nouvelles ouvertures, de nouvelles rencontres, de nouvelles émotions.
Cette sensation d'une mécanique précise qui laisse pourtant respirer (entre autres grâce au petit flottement temporel que procure les images du voyage du fils vers le village familial et leurs insertions dans un récit en apparence classiquement chronologique), se retrouve quand on aborde les éléments plus politiques du film. Les enjeux sont parfaitement établis, mais ils ne font pas écran. On cherchera en vain une opposition de valeurs entre l'Allemagne et la Turquie. Ce qui frappe au contraire, c'est bien la circulation incessante, la disparition quasi-totale de la notion de frontière géographique. Les propos de Fatih Akin lus et entendus ici ou là, sur la musique, sur ses envies incessantes de découvrir le passé du cinéma, sur ses indécisions autour de la question de l'intégration de la Turquie à l'Europe (alors que le moindre artiste se doit de nos jours d'avoir un avis sur tout, pour mâcher le travail aux journalistes et aux spectateurs-lecteurs) ou sur la conscience qu'il a des qualités et des petits défauts de ses films, achèvent de me rendre ce cinéaste, agé de 34 ans rappellons-le, très sympathique.
Oui, malheureusement, les commentaires cannois mitigés à propos du voyage en Amérique de WKW étaient bien fondés.
En août dernier, sorti de La fille coupée en deux, je regrettais ici même, malgré leurs qualités évidentes, le ronronnement des films de Chabrol ayant suivis La cérémonie. Forcément, trois mois plus tard, je tombe sur la pièce du puzzle que j'avais oublié sous le tapis, celle qui ressemble apparemment aux autres mais qui, finalement, remet tout en cause, celle qui n'attire pas l'oeil en premier mais qui se révèle la plus belle. Avec La demoiselle d'honneur, Chabrol adapte à nouveau un roman de Ruth Rendell, près de dix ans après La cérémonie. Comme Woody Allen dernièrement, il s'attache à des personnages de classe moins élevée que d'habitude. Le cadre de départ est celui d'une petite maison de la banlieue nantaise. Une mère de famille très attentionnée s'en sort plus ou moins comme coiffeuse à domicile et garde sous son toit ses trois grands enfants d'une vingtaine d'années. Ses deux filles suivent des voies opposées : la cadette flirte avec les embrouilles, l'autre se marie. L'aîné des trois, Philippe, est le mieux installé professionnellement, cadre commercial très compétent dans une petite entreprise du bâtiment. Le mariage de sa soeur l'amène à rencontrer Senta, l'une des demoiselles d'honneur. Celle-ci l'entraîne dans une histoire de passion amoureuse exclusive, à la lisière de la folie meurtrière.
Une petite note pour un petit film. Pascal Thomas adapte Agatha Christie et lance Catherine Frot et André Dussolier (moyennement crédible en colonel) dans une enquête autour de vieilles dames séniles et de meurtres d'enfants. Si le duo de têtes d'affiche marche assez bien, si l'ensemble se démarque du non-cinéma que propose la majorité des comédies françaises contemporaines, si la transposition du roman en Haute-Savoie se fait sans heurts et si le début est relativement amusant, le film s'étiole petit à petit pour nous laisser dans l'indifférence totale. Les dialogues et les réparties commencent par séduire dans les premières scènes avant de révéler de plus en plus leur aspect vieillot (ces gags d'un autre âge, autour d'allusions sexuelles qui n'en sont pas, ou ces jeux de mots sinistres tels que ce "Monsieur Livingstone, je présume ?", répété deux fois). L'intrigue, avec ses fausses pistes incessantes, ses multiples personnages inquiétants, au lieu de donner l'impression d'une grande complexité narrative, déroule un long catalogue répétitif, terriblement bavard et tarabiscoté, rendu incompréhensible par son manque d'intérêt (une source fiable et très proche de moi me souffle que ce résultat, obtenu aussi par les séries policières télévisées du genre Hercule Poirot, n'est pas du tout le même lors de la lecture des romans de Christie). Le virage fantastique de la dernière partie n'arrange pas les choses. Revoir sur un écran Geneviève Bujold est un plaisir, mais lui faire rejouer en chemise de nuit Obsession, 30 ans après DePalma, est une idée d'un goût douteux.
C'est (presque) la passe de trois pour Allen (ou le hat trick, puisque nous sommes à Londres).
Lee Shin-ae, accompagnée de son petit garçon, quitte Seoul pour Miryang, petite ville dont était originaire son mari, mort dans un accident de la route. Elle s'acclimate plus ou moins, malgré le peu d'enthousiasme des habitants du coin, mais l'enlèvement et la mort de son enfant vont l'entraîner, de temples religieux en hôpitaux, aux confins de la folie.
Décidément, entre Woody Allen et David Cronenberg, Londres semble inspirer actuellement les grands créateurs. Et toujours, les cadavres s'amoncellent.
Suite des pérégrinations londonniennes de Woody Allen, après Match point et avant Le rêve de Cassandre. Match point, par la noirceur de son propos, sa violence et l'absence de tout bon mot dans le dialogue, ressemblait bien peu aux films précédents de l'auteur. L'oeuvre, remarquable, laissait le spectateur inquiet : si même Woody Allen se met à faire des films noirs, où va-t-on ? Si Scoop nous plonge à nouveau dans une histoire de meurtres, il signe un retour d'Allen à la franche comédie, dans la lignée des enquêtes criminelles légères de Meurtre mystérieux à Manhattan et du Sortilège du scorpion de jade, soit l'une des branches les plus savoureuses de sa filmographie.
Défense d'un film descendu en flammes un peu partout pour crime de lèse-Majesté-Melville, casting de stars et esthétisme forcené (délit gravissime au pays du cinéma naturaliste).
Fans de Star wars qui vénérez chaque plan de George Lucas, qui applaudissez à chaque projection, qui fêtez avec enthousiasme les 30 ans de la saga, qui attendez même, peut-être, d'autres suites, arrêtez-vous là.