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2000s - Page 27

  • Hellboy & Le labyrinthe de Pan

    (Guillermo del Toro / Etats-Unis & Espagne-Mexique / 2004 & 2006)

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    57f9022173a9164c2fc69174e98db318.jpgHellboy donc. Oui, oui, le monstre tout rouge qui bataillait sur M6 lundi dernier. Non je ne me suis pas mis au comics. Mes connaissances dans ce domaine se limitent toujours aux deux Batman burtoniens et au premier X-Men, attiré que j'étais par le nom de Bryan Singer (ça j'aurais pas dû...). De la même façon, la réussite du Labyrinthe de Pan, sorti l'an dernier, m'a poussé à aller vers un autre film de ce singulier réalisateur mexicain qu'est Guillermo del Toro.

    Ultra classiquement, Hellboy démarre par un prologue explicatif, situé en 44 et mélangeant domination nazie sur l'Europe et appel aux forces du mal. De même, un long affrontement final sera noyé sous les effets pyrotechniques et les allusions ésotériques barbantes (faire appel à des créatures aux noms imprononçables, ouvrir une porte vers un autre monde, des choses comme ça...). Entre les deux, reste un film plutôt intéressant. La chasse aux montres dans une métropole américaine est rondement menée par le cinéaste. Les lois du blockbuster imposent les traits humoristiques dont on se passerait bien ici. Del Toro tente de s'en acquitter avec l'auto-ironie du personnage principal. Ce Hellboy est d'ailleurs doté d'une vraie personnalité, excellement rendue par le regard de Ron Perlman sous le maquillage. Deux autres qualités caractérisent la mise en scène, qui haussent le film juste au dessus de la grosse machine de série et qui seront encore plus prégnantes dans le film suivant : le sens du décor, de l'atmosphère et de la photo et la représentation d'un bestiaire fantastique très original et cohérent.

    697ed5a6568c371100aef82ff46289f2.jpgPlus que vers le monde des super-héros, mon goût me porte vers le fantastique lié à l'imaginaire et au rêve. Et de ce point de vue, Le labyrinthe de Pan (El laberinto del fauno) est, parmi les films récents, celui qui confronte le plus fortement la réalité et le merveilleux. Del Toro place une fois encore ses personnages dans un monde en guerre. Une grande bâtisse perdue dans la fôret est réquisitionnée par un bataillon franquiste. L'inquiétant capitaine Vidal y mène la chasse aux républicains avec un plaisir sadique de tortionnaire (Sergi Lopez, cabotin, très bon). La petite Ofelia (Ivana Baquero, remarquable) débarque dans cet endroit sur les pas de sa mère, veuve qui a choisi de vivre désormais avec Vidal. Passionnée de contes de fées, l'adolescente a tôt fait de rencontrer plusieurs créatures dans les bois environnants et de se laisser convaincre qu'elle retrouvera son père disparu après une série d'épreuves magiques.

    Del Toro a le don d'inventer et d'animer subtilement (en mêlant constamment effets numériques et animatronic) les monstres les plus originaux vus depuis des lustres. On n'oubliera pas de sitôt cet "homme blanc" à la fois ridicule et terrifiant. L'ensemble de l'oeuvre s'unifie dans une lumière bleutée, sans couleur vive. Le basculement dans l'imaginaire se fait dans ce film-là à chaque fois en douceur. Le scénario fait alterner séquences réelles et séquences fantasmées. Chacune de ces dernières est déclenchée par un événement important : ainsi, les deux mondes se répondent l'un à l'autre par un agencement très intelligent, sans pour autant que les rêves ne deviennent de simples illustrations des horreurs du réel. Bien sûr, la peur n'est pas ressentie très intensément. Nous sommes dans un conte, avec toutes ses étapes initiatiques. Ofelia triomphe forcément au cours des épreuves imposées. Le dénouement, assez gonflé, en est d'autant plus fort.

    En espérant qu'il ne se fasse pas broyer par la machine hollywoodienne, suivons ce réalisateur, le plus qualifié semble-t-il pour prendre la relève d'un Terry Gilliam qui apparaît aujourd'hui bien fatigué.

  • Control & 24 hour party people

    (Anton Corbijn / Grande-Bretagne / 2007 & Michael Winterbottom / Grande-Bretagne / 2002)

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    En 1991, à l'occasion de la sortie du film d'Oliver Stone, The Doors, plutôt agréable, j'avais été surpris par des propos très acides d'Agnès Varda qui regrettait notamment que Jim Morrison ait été réduit à l'écran à l'état de "pauvre pantin". Il m'aura fallu une quinzaine d'années pour comprendre l'énervement de la réalisatrice, le temps que le cinéma rattrape mes amours de jeunesse.

    c6f8b01de66ed9877d70de6bcf8f002c.jpgControl est un bon film, peut être excellent même (il a frôlé la Caméra d'or cette année à Cannes), mais il m'est bien difficile de le juger. Il est bien difficile de dépasser le petit jeu des ressemblances physiques. Il est bien difficile d'oublier toute la part de représentation de scènes connues ou déjà imaginées. L'iconographie autour de la figure de Ian Curtis, d'autant plus forte qu'elle est rare, la beauté de cette musique qui nous fait revenir tous les 3 mois à Unknown pleasures et Closer, depuis la fin des années 80 (j'avais 9 ans en 1980, je suis donc forcément arrivé à Joy Division en passant par New Order), tout cela faisait de la tentative de Anton Corbijn un sacré défi.

    Le cinéaste-photographe a choisi de retracer scrupuleusement le parcours de Curtis (à partir du livre de sa veuve) sur ses deux-trois dernières années. Cette volonté de tenir un récit très proche des faits, au contraire de l'évocation vague de Gus Van Sant pour le "Kurt Cobain" de Last days, fait peser la menace continue d'une déception due à la confrontation entre la mémoire et l'imaginaire du spectateur et la représentation cinématographique des événements. Cependant, force est de constater que pratiquement tous les choix de Corbijn sont justes, et en premier lieu celui de l'interprète principal : Sam Riley. Le noir et blanc du film retranscrit parfaitement l'ambiance (on songe parfois à Regard et sourires - Looks and smiles de Ken Loach, d'ailleurs réalisé en 1980) et s'accorde avec les souvenirs que peuvent avoir les admirateurs de Joy Division, groupe dont l'image a si peu été en couleurs. Obsédé par l'idée de paraître juste et honnête, Corbijn écarte toute tentation du biopic. Ici, pas d'événement traumatique ou fondateur qui expliquerait l'art du parolier-chanteur, juste la fascination très jeune pour le David Bowie du début des 70's. Ce n'est pas une fresque exemplaire et édifiante. Si lutte il y a, elle ne concerne pas celle d'un homme pour imposer sa vision artistique mais bien celle qu'il mène avec une réalité trop oppressante, pris entre sa femme, sa maîtresse, sa petite fille, son groupe. Et l'art ne sauve pas à tous les coups. Les fêlures peuvent donner naissance à de grandes chansons sans apaiser en retour. Anton Corbijn insiste bien là-dessus, en laissant de plus en plus de place aux moments de la vie quotidienne, au détriment des scènes musicales. C'est pourtant dans celles-ci qu'il excelle, offrant de remarquables séquences live par la proximité de la caméra et un montage adéquat, sans effets racoleurs ou superfétatoires (malgré la tendance à raccourcir les morceaux). Les scènes de crises conjugales sont moins réussies, moins inventives en tout cas. Peut être aurait-il dû lâcher la bride un peu plus, moins s'appuyer sur ce réalisme et faire confiance à son talent pour la composition d'images (témoins les plans où Curtis marche dans la rue, ou ceux ou il est cadré sur son canapé sans bouger).

    Pour pointer les réels défauts ou qualités du film, il faudrait, je crois, aller voir les avis de ceux qui ne connaissait rien de toute cette histoire. Enfin, pour conclure cette note bien trop vague, j'insisterai sur le plaisir sans cesse renouvelé d'entendre une telle musique à l'écran. Le plaisir aussi d'une ballade dans ce pays où le moindre looser a le rock dans les veines, où les plus sombres crétins deviennent les Happy Mondays, chose qui nous étonnera toujours à nous, concitoyens de Bruel et de Benabar.

    aaf9a9561472d9154bafbf28c217730d.jpgLe hasard m'avait fait découvrir quelques semaines auparavant 24 hour party people de Winterbottom, oeuvre qui reprend une bonne partie des événements liés au destin de Joy Division, puisqu'elle s'attache à suivre l'aventure de Factory Records et de son créateur Tony Wilson. Englobant une période plus vaste et beaucoup plus de personnages, Winterbottom fait lui le choix du pseudo-reportage distancié. Il reprendra ce même dispositif et le même guide (l'attachant Steve Coogan) dans son Tournage dans un jardin anglais(pour une tentative qui sera, elle par contre, complètement ratée). Des vignettes font ainsi se succéder tous les protagonistes de l'époque. Leur brièveté laisse souvent la désagréable impression de voir de jeunes gens singer les attitudes de musiciens connus. Avec étonnement, je me suis rendu compte plus tard que Sam Riley était déjà de la partie mais cette fois en Mark E. Smith de The Fall. L'aspect pénible du docu-fiction est heureusement atténué par le dynamisme et l'humour de la mise en scène.

    24 hour... et surtout Control, films que j'attendais et que je me devais de voir, me laissent ainsi l'impression mélangée d'une réussite maximale dans les contraintes que chacun s'est fixé et d'une tentative d'incarnation directe à jamais impossible. Autrement dit, c'est loin de ce que j'avais rêvé, mais ça ne pourrait pas être mieux fait.

  • Un secret

    (Claude Miller / France / 2007)

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    ce6685fa3042adffb99672a10934ca99.jpgEmbarrassant. En sortant de la projection je me suis dit que je traiterais le film de façon ironique en tirant en particulier sur Bruel. Puis, j'ai eu envie de l'expédier en deux-trois phrases. Mais bon, je vais tout de même me forcer à expliquer un minimum pourquoi j'ai vécu l'heure et demie la plus pénible depuis le début de cette année cinématographique.

    Claude Miller est un cinéaste attiré par les sentiments troubles, par les corps, par les terreurs de l'enfance. C'est aussi l'un des représentants de ce cinéma français du milieu, si malmené ces dernières années, un cinéma populaire de qualité et ambitieux. Mais, vraiment là, c'est pas possible. Premier handicap de taille : l'interprétation du "couple star". En me remémorant le très bon Toutes peines confondues (Michel Deville, 1991), j'espérais au mieux une surprise ou au pire ne pas être dérangé par ce pauvre Patrick Bruel. Peine perdue. Si j'ajoute que je suis assez peu sensible au charme de Cécile de France, la cause est déjà pratiquement entendue. Toute la presse s'est déjà moquée des scènes où les deux apparaissent vieillis, je n'en rajouterai pas. Pour les autres, Julie Depardieu, Nathalie Boutefeu, Ludivine Sagnier, Mathieu Amalric, c'est la routine (Michel Ciment au dernier Masque et la plume : "C'est le meilleur rôle d'Amalric cette année"; je t'aime bien Michel, mais je te jure, des fois, t'en fais trop....).

    Pour ce qui est du sujet, apparemment si cher à Miller, le fait qu'il ne soit pas porté par les acteurs de façon satisfaisante pour moi me le rend peu passionnant. La reconstitution d'époque est totalement empesée et la restitution de l'ambiance passe par des procédés d'une subtilité éléphantesque. Il semblerait que cette famille ne voit au cinéma que des actualités sur Hitler, tombe sur un discours chaque fois qu'elle allume la radio et ne laisse traîner dans sa maison que des journaux aux titres alarmistes. Un plan anodin traduit bien cette impression : un panoramique amorcé par un employé changeant la plaque portant le nom de la rue où habite la famille, baptisée maintenant "Rue du Maréchal Pétain". En plus de situer ainsi grossièrement son sujet dans l'Histoire pour-que-les-plus-jeunes-spectateurs-comprennent-bien et de multiplier les allers-retours temporels sans résultat, Claude Miller rate toutes les scènes clés. Car il a plein d'idées visuelles. Sauf que depuis quelques films (La classe de neige, précisément), il abuse d'effets balourds, notamment pour les moments les plus violents (ralentis, lumières inquiétantes, plans oniriques...). Un seul passage nous sort de la torpeur ambiante : le brusque accès de sauvagerie de François pendant la projection du film (Nuit et brouillard, peut-être) et ses explications à Louise.

    J'avais bien aimé Betty Fisher et autres histoires, mais trois ans après, je m'étais demandé si Claude Miller n'avait pas réalisé avec La petite Lili son plus mauvais film. La réponse était non.

  • Je t'aime moi non plus

    (Maria de Medeiros / France / 2007)

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    f8be9f2eb1e34d8d97c9f019e7001dea.jpgMaria de Medeiros a profité d'un récent festival de Cannes pour s'entretenir avec des cinéastes et des critiques et s'interroger sur les rapports entre les deux professions. Sans faire de recherche particulière pour l'image, si ce n'est au cours d'intermèdes captant l'ambiance et les coulisses du Festival (intermèdes pas inintéressants pour les personnes qui, comme moi, ne connaissent pas Cannes, mais pas très utiles au propos), Maria de Medeiros se borne à conduire ses interviews et, éventuellement, à varier les décors (Ciment dans une cabine de projection, Kaganski dans son lit à l'hôtel...). Le grand nombre d'intervenants a poussé la réalisatrice à monter son film à la manière de tant de documentaires de ce genre : d'où la frustration, voire l'énervement, devant ces allers-retours incessants de l'un à l'autre pour dire, au plus, une phrase ou deux. Comme à la télévision, il n'y a plus le temps d'élaborer une pensée, il faut tout de suite placer la phrase qui percute.

    Sur le fond du problème, pas de révélations. Il faut reconnaître toutefois que les différents aspects sont traités de façon exhaustive et que certains sont rendus de façon assez juste : les blessures de quelques cinéastes, la solitude du critique qui court de festival en festival, le fait que ce soient très majoritairement des hommes qui exercent cette activité. L'un des intérêts du documentaire est la présence de nombreux critiques internationaux, apportant un regard autre sur toutes les polémiques entre artistes et journalistes et enviant la France pour ses grandes batailles autour d'une simple oeuvre d'art. Au cours de ces entretiens multilingues, ce sont les critiques espagnols qui se distinguent le plus par leur humour.

    Remarquable également, l'honnêteté de la plupart des critiques par rapport à leur métier, leurs attaques, leurs erreurs. Du côté des cinéastes, les propos sont plus tranchés, quelques fois méprisants. Précisons : les cinéastes étrangers, puisque aucun français (à part Honoré, mais qui n'en était qu'à son premier film) n'a souhaité participer. Donc pas de Leconte, Miller, Tavernier ou autre. Tant pis pour le débat. Il y a heureusement la pertinence d'Almodovar ou d'Egoyan, le regard froid de Cronenberg (et on se dit que décidément, Wenders est bien fatigué). Les grands lecteurs de critiques se sentiront sûrement les seuls intéressés par cette petite ballade et pourront conforter leur jugement sur chacun. Pour ma part, disons que j'ai trouvé Kaganski sympa mais particulièrement vague, Frodon enfermé dans son système de pensée du cinéma, Ciment austère, précis et parfois au bord de l'auto-satisfaction, et Lefort, comme d'habitude loin de mes goûts, mais résolument tordant.

  • Miss Univers 1929

    (Peter Forgacs / Autriche - Pays Bas / 2006)

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    59df319e3210f9994f90e4e4f7d26517.jpgPeter Forgacs est un documentariste hongrois, dont le travail consiste à retracer des parcours historiques uniquement à partir de photos et films amateurs du siècle dernier. Dans Miss Univers 1929, il évoque la trajectoire de Lisl Goldarbeiter, première femme non américaine à avoir remporté ce concours de beauté. Forgacs s'appuie pour cela presque exclusivement sur le fond iconographique familial et sur les petits films tournés par le cousin Marci.

    Il ne faut pas s'attendre à un reportage, réalisé après coup, sur le sujet des Miss. Si les images des défilés de beautés en maillot n'ont guère changées en 80 ans, l'état d'esprit n'est plus du tout le même. Les lettres de Lisl, lues doucement en off, montrent bien l'inquiétude de quitter sa famille viennoise pour un long et pénible voyage en bateau jusqu'aux Etats-Unis, où a lieu le concours. Sa victoire, sa beauté et sa richesse soudaine lui valent une ronde de prétendants (et une proposition, repoussée, de King Vidor de la lancer à Hollywood). Le retour en Autriche est triomphal et Lisl se décide à épouser Fritz, le "roi de la cravate". Fritz dépense la fortune de sa femme au jeu et impose un ménage à trois avec Nelli, la meilleure amie de Lisl. Arrivent 1938 et l'annexion par Hitler, puis la guerre et les déportations juives (la moitié de la famille est exterminée). Fritz en fuite à l'étranger, Lisl se marie à Marci, son cousin, vit la révolution hongroise à Budapest et s'éteint en 1997.

    Le film, tout en gardant son materiau strictement documentaire, bascule ainsi dans une sorte de fiction, de mélo familial, par l'art du montage, par la façon dont Forgas triture ses images de base. Usant du ralenti et d'une musique remarquable, il n'a pas de mal à mettre en avant ces personnes à la fois si proches et si fantomatiques. De brefs plans de Marci et de Lisl octogénaires, insérés par ci-par là dans le récit chronologique renforcent cette impression. Les événements historiques sont traités de façon admirables : juste quelques plans (un char dans une rue de Budapest, ou un défilé de la Wehrmacht) et une incrustation au bas de l'écran qui situe. Ce n'est pas un cours d'histoire mais un récit privé qui laisse entrer les bouleversements sociaux et historiques, montrant comment ils peuvent influer le cours de la vie de chacun.

    Mais le plus beau du film n'est pas là. Je l'ai dit, la majorité des images ont été tournées par Marci. Celui-ci est amoureux, depuis l'enfance, de sa cousine. Alors, sous prétexte de filmer ses proches, de leur faire jouer des saynètes amusantes, il ne cesse d'enregistrer l'image de Lisl. Lisl sous toutes les coutures, en robes de couturier, en costume traditionnel, en maillot de bain (séquence d'une sensualité incroyable, redoublé par le travail de Forgacs). Marci ne semble voir qu'elle, le spectateur aussi. Le regard clair de Lisl attire le nôtre constamment. Celui de Forgacs aussi, qui utilise plusieurs fois un effet de mise en scène très beau : l'arrêt sur image montrant l'instant précis où le regard d'une personne fixe la caméra. En plus de retracer ainsi, en creux, l'histoire d'un pays, le cinéaste pose magnifiquement cette question : pourquoi filme-t-on (ou photographie-t-on) ses proches, et surtout, celle qu'on aime ? Et rarement nous était apparu la force que peut prendre tout à coup une simple image tirée d'un home movie familial.

  • Confidences trop intimes

    (Patrice Leconte / France / 2004)

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    2ec980e92f1d5557c19e75c37752c214.jpgFilm plein de défauts, Confidences trop intimes se révèle être malgré tout la seule éclaircie dans la filmographie récente de Patrice Leconte, cinéaste qui enchaîne les catastrophes depuis La fille sur le pont si l'on est indulgent, ou depuis Ridicule si l'on est réaliste. Le premier quart d'heure n'a pourtant rien d'engageant. Visages cadrés serrés par une caméra tremblotante, montage avec faux raccords et sautes dans les mouvements : on a très peur que Leconte s'essaye au Dogme danois. Sandrine Bonnaire est dirigée avec des gros sabots pour faire sentir son mal être (tics, discours vif et désordonné, besoin de griller cigarettes sur cigarettes). Le pire est le maintien du quiproquo de départ (elle vient voir un psy et frappe à la mauvaise porte, celle d'un conseiller fiscal, qui ne lève pas le malentendu et l'écoute parler pendant deux "séances"). Les grosses ficelles au niveau des dialogues et des attitudes retardent le dévoilement, notamment lors de la deuxième visite, expédiée bêtement en une minute. Malgré l'ambiance mystérieuse, le décor soigné et la retenue de Lucchini, on se dit qu'on est mal barré.

    Puis ça s'arrange. La supercherie intenable est levée, ce qui n'entraîne pas l'arrêt des séances entre les deux personnages, Anna (Bonnaire) s'accommodant bien de la situation. Juste avant, une scène étonnante avait montré notre conseiller tenter maladroitement d'obtenir les coordonnées de sa "patiente" auprès de la secrétaire du véritable psychiatre, dans l'appartement voisin. Dans la majorité des films, il aurait réussit aussitôt à embobiner la secrétaire. Ici, il échoue. La mécanique se grippe et cela devient intéressant. Il obtient tout de même dans la foulée un entretien avec le psychiatre, auquel il dévoile son histoire et sa petite lâcheté. Ce rendez-vous deviendra régulier, le spécialiste s'enquérant des progrès du conseiller dans la thérapie d'Anna et lui prodiguant quelques conseils de base. Ces scènes sont l'occasion de brefs dialogues explicatifs sur la psychanalyse, parfaitement appropriés à la situation. De la même façon, des conversations entre le conseiller et son ex-femme (touchante Anne Brochet) éclairent la personnalité du premier, tout en verbalisant des réflexions que se faisait le spectateur dans des scènes précédentes ("- Pourquoi tu ne lui as rien dit ?" ou "- Tu la vires ou tu la tires !"). Ce procédé marche assez bien.

    Leconte joue aussi avec les figures du genre, développées dans les années 40 à Hollywood avec les oeuvres psychanalysantes de Hitchcok, Lang ou Minnelli (qui ne sont, en général, pas les meilleures de leurs auteurs). Comme le décor et la musique, elles participent au charme désuet du film, mais sont parfois assez balourdes : le feu dans la poubelle, la bourrasque du courant d'air, le briquet, le taille-crayon. Plus maladroite encore est la mise en avant de lapsus révélateurs ("J'ai perdu mon père" à la place de "J'ai perdu le briquet de mon père") et de jeux sur les mots ("- Il y a une porte fermée tout au fond. - C'est la chambre de mes parents. - Je parlais de vous, pas de l'appartement."). L'ambiance fait penser de temps en temps à Monsieur Hire, le récit parvient à maintenir notre attention, le principe du personnage banal qui se voit offrir la réalisation d'un fantasme et qui est dépassé par les événements est bien tenu. On passera vite, toutefois, sur un épilogue absurde : les retrouvailles par la magie du cinéma, ça a quand même des limites.

  • Le mariage de Tuya

    (Wang Quan'an / Chine / 2007)

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    a8e7f95010a5c04bca2d9775b99ec3d1.jpgL'Ours d'or berlinois de cette année est une chronique paysanne et sentimentale filmée dans les steppes mongoles. Wang Quan'an rend compte des efforts que doit fournir Tuya dans ce paysage rude pour subvenir aux besoins de sa famille à la place de son mari handicapé après un accident. N'en pouvant plus, la jeune femme décide de chercher un nouvel homme pour son foyer, mais en lui faisant accepter de s'occuper aussi de l'ancien époux.

    Des cadrages amples saisissent la beauté et l'aridité de la steppe et s'amusent à confronter ancien et nouveau monde, mettant côte à côte l'impressionnant chameau que chevauche Tuya et la moto ou la camionnette de son voisin Shenge. Le document renseigne sur un mode de vie de paysans mongols. La recherche d'un nouveau mari enclenche une mécanique de comédie, basée sur l'économie des effets et la répétition, celle des accidents de Shenge saoul et celle des prétendants qui défilent chez Tuya. Le rôle de plus en plus important pris par ce voisin, amoureux depuis longtemps, la compréhension et le grand respect pour sa femme passant dans le regard de Bater, mari diminué, et le bal de prétendants aussi riches que ridicules laissent parfois l'impression que s'étalent trop de bons sentiments et que tout va toujours bien s'arranger. Quelques fêlures se font jour tout de même (la peur des explosions qui creusent le puits) et le rapprochement inévitable entre Tuya et Shenge offre deux jolis moments (un, filmé très simplement en un plan, au fond du trou, l'autre en un corps à corps se terminant en étreinte, effet déjà utilisé dans d'autres films mais assez beau). Surtout, l'ensemble est éclairé d'un nouveau jour par la scène finale qui, par un procédé astucieux était aussi la première, et qui déplace définitivement le sentiment général de la joliesse vers le pessimisme (et qui explique que ce qui passait, dans le comportement de Tuya, pour du caprice, était plutôt une prudence justifiée).

    Yu Nan, interprète de Tuya, traverse le film aussi vaillamment que Gong Li en son temps dans Qiu Ju, une femme chinoise.

  • Election 1 & Election 2

    (Johnnie To / Hong-Kong / 2005 & 2006)

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    Johnnie To-la classe. Il est très probable que les distributeurs ne nous offrent que les meilleurs des trois ou quatre films que Mr To réalise chaque année et choisissent essentiellement ses polars. Pour ma part, si je considère ceux que j'ai vu depuis 2000, le parcours est sans faute (The mission, Fulltime killer, Breaking news) et la révélation majeure. Plaisir de filmer, interprétations attachantes et invention permanente autour de figures connues : dans ce genre, je le place bien plus haut que le Tsui Hark de Time and tide (et John Woo, mais hormis Volte/Face, je ne connais que The killer, qui m'a horripilé).

    68457aaee67e21460dede25793fc593b.jpgAvec les deux Election (vus en salles au printemps), To creuse son sillon et tente son Parrain à lui à travers l'histoire d'une lutte pour le pouvoir au sein d'un clan de la pègre hong-kongaise. Dans le premier volet, tout est enrobé d'obscurité, et ce dès les premières scènes de tractations entre les "oncles" en vue de l'élection du nouveau parrain, où les visages sont volontairement sous-éclairés. Un des règlements de comptes se fera l'après-midi dans un restaurant, mais le store sera tiré pour prendre au piège et pour faire le noir. L'exception arrive au dénouement, au cours de la partie de pêche. Ce brutal éclairage se fait alors aussi sur la personnalité de Lok, jusque là le personnage qui attirait la sympathie du spectateur face au chien fou Big D, mais dont on sentait bien qu'il était, lui aussi, capable des pires horreurs. Johnnie To connaît sa grammaire et montre donc, bien sûr, l'ambiguïté inhérente à ces récits de gangsters. Roi des scènes d'action, il innove constamment, sans en faire trop, d'où l'impression grisante de voir celles-ci filmées exactement comme il le faut. Dense et sec, Election 1 ne dévie pas de son propos : la lutte pour acquérir un pouvoir absolu et le néant qui en découle.

    acfe2a8239d0a0e0992487904ea841ec.jpgSi Election 2 me déçoit quelque peu, c'est que le style ne varie guère et que les personnages ne sont pas spécialement approfondis (alors que de ce côté-là, la deuxième partie du Parrain, c'est quand même quelque chose...). Passant sur les deux ans du mandat de Lok, qui nous auraient bien intéressés, Johnnie To concentre son récit sur la nouvelle élection et reproduit son schéma des règlements de comptes entre candidats. Les ramifications du scénario sont moins complexes (moins de protagonistes entrent en jeu) et les affrontements sont plus systématiques (mais on n'oublie pas la scène dans le chenil). Une dimension politique est ajoutée en traitant des rapports avec la Chine, qui semble in fine tirer toutes les ficelles. Le diptyque (provisoire ?) se clôt toujours plus sombre (nous sommes passé d'une partition plutôt pop à une musique lancinante) et plus violent.

  • Master and commander

    (Peter Weir / Etats-Unis / 2003)

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    a5ae7533441439480c412ab1ae7565d3.jpgMaster and commander retrace la course poursuite, pendant les guerres napoléoniennes, entre le commandant d'un vaisseau anglais et un corsaire français. J'avoue être sorti lessivé par les embruns, les tempêtes et les abordages. Le genre des aventures maritimes est certes modernisé mais Weir nous inflige toujours les ordres incompréhensibles criés d'un bout à l'autre du bateau toutes les cinq minutes, les réflexions sur le code de l'honneur et le sens du devoir. Septembre 2001 est tout proche, il faut donc aussi faire passer des allusions aux temps difficiles que traverse l'Amérique et à la nécessité de se serrer les coudes. Peter Weir sait mettre en images mais chaque scène doit absolument faire ressentir au spectateur une émotion au premier degré, tout doit être parlant. Cela simplifie grandement les problèmes psychologiques (Le cinéaste se retrouve bien loin de l'inquiétude de Picnic à Hanging Rock, voire même de ses films des années 80 avec Harrison Ford).

    Notons également que marins et pirates du début du XIXe siècle se battent aussi efficacement que n'importe quel militaire moderne : la guerre est filmée toujours de la même façon, quelque soit l'époque abordée. Russell Crowe fait son travail. Les nombreux figurants s'activent tous très correctement dès que la caméra tourne et les panoramiques descriptifs font très "Musée de la Marine". Je pousse un peu, car il est vrai que l'on a rarement vu la vie sur un voilier de cette façon, en particulier la promiscuité incroyable. Dommage que le film soit trop violent pour mon petit, ce document sur la vie des pirates l'aurait intéressé.

  • Dog days

    (Ulrich Seidl / Autriche / 2001)

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    80283fbe8e52ec35cb2a2ac1c8616a80.jpgBienvenue dans le riant pays autrichien. Je connaissais la radicalité et la noirceur du cinéma de Michael Haneke. Je ne me doutais pas que cette sombre vision était si partagée par ses compatriotes. En 2001, Lovely Rita de Jessica Hausner suivait la route tracée par l'auteur du toujours dérangeant Funny games. Malheureusement, la description désespérée de la société n'était portée que par un réalisme glauque, une image d'une laideur absolue et un scénario gardant forcement pour la fin l'explosion attendue (et le regard caméra de l'héroïne au dernier plan, au cas où nous n'aurions pas compris la gravité de la situation). La même année, Ulrich Seidl, documentariste aguerri proposait sa première fiction Dog days (oui, apparemment, un film autrichien doit être distribué en France avec un titre anglais).

    Avec Seidl, nous ne suivons pas deux jeunes gens partis torturer une famille bourgeoise, ni une ado poussée au meurtre, mais la trajectoire sur un week end d'une dizaine de personnages : une auto-stoppeuse folle qui agresse tous ses conducteurs, une femme ne communiquant plus avec son mari depuis la mort de leur petite fille et multipliant les expériences sexuelles, un amateur de tuning violemment jaloux de sa petite amie, un retraité très attaché à son chien et à son aide ménagère, un représentant en systèmes d'alarme menacé par des clients et enfin une institutrice malmenée par son mec et un invité. Il sera beaucoup question d'intrusion, de menaces physiques et d'humiliations : alléchant programme. Ces six histoires ne se croisent pas, ou rarement, ce qui nous épargne l'aspect film choral, parfois agréable mais tellement répandu de nos jours qu'il laisse toujours le spectateur avec la nostalgie du Short Cuts d'Altman. Seidl passe ainsi d'une scène à l'autre sans crier gare, démarrant ses séquences de manière très abrupte, créant par le montage des collages déroutants. Il filme principalement de deux manières différentes, alternant les deux sans que rien ne soit systématique : d'une part en caméra à l'épaule, d'autre part en plans fixes et très composés. Ces derniers cadrent notamment quelques habitants de la cité en train de bronzer dans leur jardin ou sur leurs balcons, vignettes entre l'absurde et le kitch.

    Tout le monde bronze car la chaleur de ces jours est aussi étouffante qu'exceptionnelle, rendant les rues désertes et l'ambiance très étrange. Les conditions climatiques extrêmes poussent les corps à se dévoiler. Chacun se met à un moment ou un autre en sous vêtements ou entièrement nu. Le corps que l'on ne voit pas d'habitude est celui qui intéresse Seidl : celui des personnes âgées, celui qui prend des postures inesthétiques (s'épiler le pubis, chercher une position confortable et excitante pour faire une surprise à son homme), celui qui déborde. Autre recherche pour créer le malaise : tout ce qui a trait à l'humiliation. Plus sociale et purement violente envers les hommes et plus sexuelle envers les femmes, elle semble caractériser la plupart des rapports. Ces thématiques ne paraissent guère engageantes. Pourtant, on ne cesse de s'intéresser au film, on s'y attacherait presque. Seidl va loin, mais il y va avec humour, avec un sens du grotesque très sûr. Dans les moments les plus violents, on sent que quelque chose va faire retomber la tension avant qu'elle ne devienne insoutenable : un trait ridicule, une coupe adéquate. La scène la plus éprouvante du film offre ainsi, en même temps qu'un sentiment de malaise, une impression de jeu : plaisir des trois acteurs, jubilation du cinéaste à flirter avec les limites. Précisons que cette scène culmine avec le mari de l'institutrice obligé de chanter l'hymne national autrichien à genoux, une bougie allumée coincée entre les fesses.

    Dernier point : l'oeuvre a une vraie force politique. Je l'ai dit, l'hymne national est assez bousculé et la victime traite son bourreau de "patriote" (l'Autriche sortait à peine de l'épisode Haider). Plus profondément, si je peux m'exprimer ainsi, Seidl pointe le refus de communiquer avec les étrangers, l'obsession sécuritaire, la recherche de boucs émissaires (ce sera la folle, celle qui aura dit ce qu'elle pensait trop haut). Chez Lynch ou Burton, on dit que le mal se terre derrière les belles façades des petites villes américaines. En Autriche, la cruauté et le désastre sont partout et les jardins entretenus et les maisonnettes repeintes n'offrent même pas l'illusion du bonheur.

    Je conseille, avec les précautions d'usage, de se frotter à ce film ovni d'un Ulrich Seidl qui n'a pas l'air de s'être calmé depuis, vu l'accueil houleux qu'a reçu Import-Export, sa deuxième fiction, au dernier festival de Cannes et bientôt sur nos écrans.