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2000s - Page 27

  • Je t'aime moi non plus

    (Maria de Medeiros / France / 2007)

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    f8be9f2eb1e34d8d97c9f019e7001dea.jpgMaria de Medeiros a profité d'un récent festival de Cannes pour s'entretenir avec des cinéastes et des critiques et s'interroger sur les rapports entre les deux professions. Sans faire de recherche particulière pour l'image, si ce n'est au cours d'intermèdes captant l'ambiance et les coulisses du Festival (intermèdes pas inintéressants pour les personnes qui, comme moi, ne connaissent pas Cannes, mais pas très utiles au propos), Maria de Medeiros se borne à conduire ses interviews et, éventuellement, à varier les décors (Ciment dans une cabine de projection, Kaganski dans son lit à l'hôtel...). Le grand nombre d'intervenants a poussé la réalisatrice à monter son film à la manière de tant de documentaires de ce genre : d'où la frustration, voire l'énervement, devant ces allers-retours incessants de l'un à l'autre pour dire, au plus, une phrase ou deux. Comme à la télévision, il n'y a plus le temps d'élaborer une pensée, il faut tout de suite placer la phrase qui percute.

    Sur le fond du problème, pas de révélations. Il faut reconnaître toutefois que les différents aspects sont traités de façon exhaustive et que certains sont rendus de façon assez juste : les blessures de quelques cinéastes, la solitude du critique qui court de festival en festival, le fait que ce soient très majoritairement des hommes qui exercent cette activité. L'un des intérêts du documentaire est la présence de nombreux critiques internationaux, apportant un regard autre sur toutes les polémiques entre artistes et journalistes et enviant la France pour ses grandes batailles autour d'une simple oeuvre d'art. Au cours de ces entretiens multilingues, ce sont les critiques espagnols qui se distinguent le plus par leur humour.

    Remarquable également, l'honnêteté de la plupart des critiques par rapport à leur métier, leurs attaques, leurs erreurs. Du côté des cinéastes, les propos sont plus tranchés, quelques fois méprisants. Précisons : les cinéastes étrangers, puisque aucun français (à part Honoré, mais qui n'en était qu'à son premier film) n'a souhaité participer. Donc pas de Leconte, Miller, Tavernier ou autre. Tant pis pour le débat. Il y a heureusement la pertinence d'Almodovar ou d'Egoyan, le regard froid de Cronenberg (et on se dit que décidément, Wenders est bien fatigué). Les grands lecteurs de critiques se sentiront sûrement les seuls intéressés par cette petite ballade et pourront conforter leur jugement sur chacun. Pour ma part, disons que j'ai trouvé Kaganski sympa mais particulièrement vague, Frodon enfermé dans son système de pensée du cinéma, Ciment austère, précis et parfois au bord de l'auto-satisfaction, et Lefort, comme d'habitude loin de mes goûts, mais résolument tordant.

  • Miss Univers 1929

    (Peter Forgacs / Autriche - Pays Bas / 2006)

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    59df319e3210f9994f90e4e4f7d26517.jpgPeter Forgacs est un documentariste hongrois, dont le travail consiste à retracer des parcours historiques uniquement à partir de photos et films amateurs du siècle dernier. Dans Miss Univers 1929, il évoque la trajectoire de Lisl Goldarbeiter, première femme non américaine à avoir remporté ce concours de beauté. Forgacs s'appuie pour cela presque exclusivement sur le fond iconographique familial et sur les petits films tournés par le cousin Marci.

    Il ne faut pas s'attendre à un reportage, réalisé après coup, sur le sujet des Miss. Si les images des défilés de beautés en maillot n'ont guère changées en 80 ans, l'état d'esprit n'est plus du tout le même. Les lettres de Lisl, lues doucement en off, montrent bien l'inquiétude de quitter sa famille viennoise pour un long et pénible voyage en bateau jusqu'aux Etats-Unis, où a lieu le concours. Sa victoire, sa beauté et sa richesse soudaine lui valent une ronde de prétendants (et une proposition, repoussée, de King Vidor de la lancer à Hollywood). Le retour en Autriche est triomphal et Lisl se décide à épouser Fritz, le "roi de la cravate". Fritz dépense la fortune de sa femme au jeu et impose un ménage à trois avec Nelli, la meilleure amie de Lisl. Arrivent 1938 et l'annexion par Hitler, puis la guerre et les déportations juives (la moitié de la famille est exterminée). Fritz en fuite à l'étranger, Lisl se marie à Marci, son cousin, vit la révolution hongroise à Budapest et s'éteint en 1997.

    Le film, tout en gardant son materiau strictement documentaire, bascule ainsi dans une sorte de fiction, de mélo familial, par l'art du montage, par la façon dont Forgas triture ses images de base. Usant du ralenti et d'une musique remarquable, il n'a pas de mal à mettre en avant ces personnes à la fois si proches et si fantomatiques. De brefs plans de Marci et de Lisl octogénaires, insérés par ci-par là dans le récit chronologique renforcent cette impression. Les événements historiques sont traités de façon admirables : juste quelques plans (un char dans une rue de Budapest, ou un défilé de la Wehrmacht) et une incrustation au bas de l'écran qui situe. Ce n'est pas un cours d'histoire mais un récit privé qui laisse entrer les bouleversements sociaux et historiques, montrant comment ils peuvent influer le cours de la vie de chacun.

    Mais le plus beau du film n'est pas là. Je l'ai dit, la majorité des images ont été tournées par Marci. Celui-ci est amoureux, depuis l'enfance, de sa cousine. Alors, sous prétexte de filmer ses proches, de leur faire jouer des saynètes amusantes, il ne cesse d'enregistrer l'image de Lisl. Lisl sous toutes les coutures, en robes de couturier, en costume traditionnel, en maillot de bain (séquence d'une sensualité incroyable, redoublé par le travail de Forgacs). Marci ne semble voir qu'elle, le spectateur aussi. Le regard clair de Lisl attire le nôtre constamment. Celui de Forgacs aussi, qui utilise plusieurs fois un effet de mise en scène très beau : l'arrêt sur image montrant l'instant précis où le regard d'une personne fixe la caméra. En plus de retracer ainsi, en creux, l'histoire d'un pays, le cinéaste pose magnifiquement cette question : pourquoi filme-t-on (ou photographie-t-on) ses proches, et surtout, celle qu'on aime ? Et rarement nous était apparu la force que peut prendre tout à coup une simple image tirée d'un home movie familial.

  • Confidences trop intimes

    (Patrice Leconte / France / 2004)

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    2ec980e92f1d5557c19e75c37752c214.jpgFilm plein de défauts, Confidences trop intimes se révèle être malgré tout la seule éclaircie dans la filmographie récente de Patrice Leconte, cinéaste qui enchaîne les catastrophes depuis La fille sur le pont si l'on est indulgent, ou depuis Ridicule si l'on est réaliste. Le premier quart d'heure n'a pourtant rien d'engageant. Visages cadrés serrés par une caméra tremblotante, montage avec faux raccords et sautes dans les mouvements : on a très peur que Leconte s'essaye au Dogme danois. Sandrine Bonnaire est dirigée avec des gros sabots pour faire sentir son mal être (tics, discours vif et désordonné, besoin de griller cigarettes sur cigarettes). Le pire est le maintien du quiproquo de départ (elle vient voir un psy et frappe à la mauvaise porte, celle d'un conseiller fiscal, qui ne lève pas le malentendu et l'écoute parler pendant deux "séances"). Les grosses ficelles au niveau des dialogues et des attitudes retardent le dévoilement, notamment lors de la deuxième visite, expédiée bêtement en une minute. Malgré l'ambiance mystérieuse, le décor soigné et la retenue de Lucchini, on se dit qu'on est mal barré.

    Puis ça s'arrange. La supercherie intenable est levée, ce qui n'entraîne pas l'arrêt des séances entre les deux personnages, Anna (Bonnaire) s'accommodant bien de la situation. Juste avant, une scène étonnante avait montré notre conseiller tenter maladroitement d'obtenir les coordonnées de sa "patiente" auprès de la secrétaire du véritable psychiatre, dans l'appartement voisin. Dans la majorité des films, il aurait réussit aussitôt à embobiner la secrétaire. Ici, il échoue. La mécanique se grippe et cela devient intéressant. Il obtient tout de même dans la foulée un entretien avec le psychiatre, auquel il dévoile son histoire et sa petite lâcheté. Ce rendez-vous deviendra régulier, le spécialiste s'enquérant des progrès du conseiller dans la thérapie d'Anna et lui prodiguant quelques conseils de base. Ces scènes sont l'occasion de brefs dialogues explicatifs sur la psychanalyse, parfaitement appropriés à la situation. De la même façon, des conversations entre le conseiller et son ex-femme (touchante Anne Brochet) éclairent la personnalité du premier, tout en verbalisant des réflexions que se faisait le spectateur dans des scènes précédentes ("- Pourquoi tu ne lui as rien dit ?" ou "- Tu la vires ou tu la tires !"). Ce procédé marche assez bien.

    Leconte joue aussi avec les figures du genre, développées dans les années 40 à Hollywood avec les oeuvres psychanalysantes de Hitchcok, Lang ou Minnelli (qui ne sont, en général, pas les meilleures de leurs auteurs). Comme le décor et la musique, elles participent au charme désuet du film, mais sont parfois assez balourdes : le feu dans la poubelle, la bourrasque du courant d'air, le briquet, le taille-crayon. Plus maladroite encore est la mise en avant de lapsus révélateurs ("J'ai perdu mon père" à la place de "J'ai perdu le briquet de mon père") et de jeux sur les mots ("- Il y a une porte fermée tout au fond. - C'est la chambre de mes parents. - Je parlais de vous, pas de l'appartement."). L'ambiance fait penser de temps en temps à Monsieur Hire, le récit parvient à maintenir notre attention, le principe du personnage banal qui se voit offrir la réalisation d'un fantasme et qui est dépassé par les événements est bien tenu. On passera vite, toutefois, sur un épilogue absurde : les retrouvailles par la magie du cinéma, ça a quand même des limites.

  • Le mariage de Tuya

    (Wang Quan'an / Chine / 2007)

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    a8e7f95010a5c04bca2d9775b99ec3d1.jpgL'Ours d'or berlinois de cette année est une chronique paysanne et sentimentale filmée dans les steppes mongoles. Wang Quan'an rend compte des efforts que doit fournir Tuya dans ce paysage rude pour subvenir aux besoins de sa famille à la place de son mari handicapé après un accident. N'en pouvant plus, la jeune femme décide de chercher un nouvel homme pour son foyer, mais en lui faisant accepter de s'occuper aussi de l'ancien époux.

    Des cadrages amples saisissent la beauté et l'aridité de la steppe et s'amusent à confronter ancien et nouveau monde, mettant côte à côte l'impressionnant chameau que chevauche Tuya et la moto ou la camionnette de son voisin Shenge. Le document renseigne sur un mode de vie de paysans mongols. La recherche d'un nouveau mari enclenche une mécanique de comédie, basée sur l'économie des effets et la répétition, celle des accidents de Shenge saoul et celle des prétendants qui défilent chez Tuya. Le rôle de plus en plus important pris par ce voisin, amoureux depuis longtemps, la compréhension et le grand respect pour sa femme passant dans le regard de Bater, mari diminué, et le bal de prétendants aussi riches que ridicules laissent parfois l'impression que s'étalent trop de bons sentiments et que tout va toujours bien s'arranger. Quelques fêlures se font jour tout de même (la peur des explosions qui creusent le puits) et le rapprochement inévitable entre Tuya et Shenge offre deux jolis moments (un, filmé très simplement en un plan, au fond du trou, l'autre en un corps à corps se terminant en étreinte, effet déjà utilisé dans d'autres films mais assez beau). Surtout, l'ensemble est éclairé d'un nouveau jour par la scène finale qui, par un procédé astucieux était aussi la première, et qui déplace définitivement le sentiment général de la joliesse vers le pessimisme (et qui explique que ce qui passait, dans le comportement de Tuya, pour du caprice, était plutôt une prudence justifiée).

    Yu Nan, interprète de Tuya, traverse le film aussi vaillamment que Gong Li en son temps dans Qiu Ju, une femme chinoise.

  • Election 1 & Election 2

    (Johnnie To / Hong-Kong / 2005 & 2006)

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    Johnnie To-la classe. Il est très probable que les distributeurs ne nous offrent que les meilleurs des trois ou quatre films que Mr To réalise chaque année et choisissent essentiellement ses polars. Pour ma part, si je considère ceux que j'ai vu depuis 2000, le parcours est sans faute (The mission, Fulltime killer, Breaking news) et la révélation majeure. Plaisir de filmer, interprétations attachantes et invention permanente autour de figures connues : dans ce genre, je le place bien plus haut que le Tsui Hark de Time and tide (et John Woo, mais hormis Volte/Face, je ne connais que The killer, qui m'a horripilé).

    68457aaee67e21460dede25793fc593b.jpgAvec les deux Election (vus en salles au printemps), To creuse son sillon et tente son Parrain à lui à travers l'histoire d'une lutte pour le pouvoir au sein d'un clan de la pègre hong-kongaise. Dans le premier volet, tout est enrobé d'obscurité, et ce dès les premières scènes de tractations entre les "oncles" en vue de l'élection du nouveau parrain, où les visages sont volontairement sous-éclairés. Un des règlements de comptes se fera l'après-midi dans un restaurant, mais le store sera tiré pour prendre au piège et pour faire le noir. L'exception arrive au dénouement, au cours de la partie de pêche. Ce brutal éclairage se fait alors aussi sur la personnalité de Lok, jusque là le personnage qui attirait la sympathie du spectateur face au chien fou Big D, mais dont on sentait bien qu'il était, lui aussi, capable des pires horreurs. Johnnie To connaît sa grammaire et montre donc, bien sûr, l'ambiguïté inhérente à ces récits de gangsters. Roi des scènes d'action, il innove constamment, sans en faire trop, d'où l'impression grisante de voir celles-ci filmées exactement comme il le faut. Dense et sec, Election 1 ne dévie pas de son propos : la lutte pour acquérir un pouvoir absolu et le néant qui en découle.

    acfe2a8239d0a0e0992487904ea841ec.jpgSi Election 2 me déçoit quelque peu, c'est que le style ne varie guère et que les personnages ne sont pas spécialement approfondis (alors que de ce côté-là, la deuxième partie du Parrain, c'est quand même quelque chose...). Passant sur les deux ans du mandat de Lok, qui nous auraient bien intéressés, Johnnie To concentre son récit sur la nouvelle élection et reproduit son schéma des règlements de comptes entre candidats. Les ramifications du scénario sont moins complexes (moins de protagonistes entrent en jeu) et les affrontements sont plus systématiques (mais on n'oublie pas la scène dans le chenil). Une dimension politique est ajoutée en traitant des rapports avec la Chine, qui semble in fine tirer toutes les ficelles. Le diptyque (provisoire ?) se clôt toujours plus sombre (nous sommes passé d'une partition plutôt pop à une musique lancinante) et plus violent.

  • Master and commander

    (Peter Weir / Etats-Unis / 2003)

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    a5ae7533441439480c412ab1ae7565d3.jpgMaster and commander retrace la course poursuite, pendant les guerres napoléoniennes, entre le commandant d'un vaisseau anglais et un corsaire français. J'avoue être sorti lessivé par les embruns, les tempêtes et les abordages. Le genre des aventures maritimes est certes modernisé mais Weir nous inflige toujours les ordres incompréhensibles criés d'un bout à l'autre du bateau toutes les cinq minutes, les réflexions sur le code de l'honneur et le sens du devoir. Septembre 2001 est tout proche, il faut donc aussi faire passer des allusions aux temps difficiles que traverse l'Amérique et à la nécessité de se serrer les coudes. Peter Weir sait mettre en images mais chaque scène doit absolument faire ressentir au spectateur une émotion au premier degré, tout doit être parlant. Cela simplifie grandement les problèmes psychologiques (Le cinéaste se retrouve bien loin de l'inquiétude de Picnic à Hanging Rock, voire même de ses films des années 80 avec Harrison Ford).

    Notons également que marins et pirates du début du XIXe siècle se battent aussi efficacement que n'importe quel militaire moderne : la guerre est filmée toujours de la même façon, quelque soit l'époque abordée. Russell Crowe fait son travail. Les nombreux figurants s'activent tous très correctement dès que la caméra tourne et les panoramiques descriptifs font très "Musée de la Marine". Je pousse un peu, car il est vrai que l'on a rarement vu la vie sur un voilier de cette façon, en particulier la promiscuité incroyable. Dommage que le film soit trop violent pour mon petit, ce document sur la vie des pirates l'aurait intéressé.

  • Dog days

    (Ulrich Seidl / Autriche / 2001)

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    80283fbe8e52ec35cb2a2ac1c8616a80.jpgBienvenue dans le riant pays autrichien. Je connaissais la radicalité et la noirceur du cinéma de Michael Haneke. Je ne me doutais pas que cette sombre vision était si partagée par ses compatriotes. En 2001, Lovely Rita de Jessica Hausner suivait la route tracée par l'auteur du toujours dérangeant Funny games. Malheureusement, la description désespérée de la société n'était portée que par un réalisme glauque, une image d'une laideur absolue et un scénario gardant forcement pour la fin l'explosion attendue (et le regard caméra de l'héroïne au dernier plan, au cas où nous n'aurions pas compris la gravité de la situation). La même année, Ulrich Seidl, documentariste aguerri proposait sa première fiction Dog days (oui, apparemment, un film autrichien doit être distribué en France avec un titre anglais).

    Avec Seidl, nous ne suivons pas deux jeunes gens partis torturer une famille bourgeoise, ni une ado poussée au meurtre, mais la trajectoire sur un week end d'une dizaine de personnages : une auto-stoppeuse folle qui agresse tous ses conducteurs, une femme ne communiquant plus avec son mari depuis la mort de leur petite fille et multipliant les expériences sexuelles, un amateur de tuning violemment jaloux de sa petite amie, un retraité très attaché à son chien et à son aide ménagère, un représentant en systèmes d'alarme menacé par des clients et enfin une institutrice malmenée par son mec et un invité. Il sera beaucoup question d'intrusion, de menaces physiques et d'humiliations : alléchant programme. Ces six histoires ne se croisent pas, ou rarement, ce qui nous épargne l'aspect film choral, parfois agréable mais tellement répandu de nos jours qu'il laisse toujours le spectateur avec la nostalgie du Short Cuts d'Altman. Seidl passe ainsi d'une scène à l'autre sans crier gare, démarrant ses séquences de manière très abrupte, créant par le montage des collages déroutants. Il filme principalement de deux manières différentes, alternant les deux sans que rien ne soit systématique : d'une part en caméra à l'épaule, d'autre part en plans fixes et très composés. Ces derniers cadrent notamment quelques habitants de la cité en train de bronzer dans leur jardin ou sur leurs balcons, vignettes entre l'absurde et le kitch.

    Tout le monde bronze car la chaleur de ces jours est aussi étouffante qu'exceptionnelle, rendant les rues désertes et l'ambiance très étrange. Les conditions climatiques extrêmes poussent les corps à se dévoiler. Chacun se met à un moment ou un autre en sous vêtements ou entièrement nu. Le corps que l'on ne voit pas d'habitude est celui qui intéresse Seidl : celui des personnes âgées, celui qui prend des postures inesthétiques (s'épiler le pubis, chercher une position confortable et excitante pour faire une surprise à son homme), celui qui déborde. Autre recherche pour créer le malaise : tout ce qui a trait à l'humiliation. Plus sociale et purement violente envers les hommes et plus sexuelle envers les femmes, elle semble caractériser la plupart des rapports. Ces thématiques ne paraissent guère engageantes. Pourtant, on ne cesse de s'intéresser au film, on s'y attacherait presque. Seidl va loin, mais il y va avec humour, avec un sens du grotesque très sûr. Dans les moments les plus violents, on sent que quelque chose va faire retomber la tension avant qu'elle ne devienne insoutenable : un trait ridicule, une coupe adéquate. La scène la plus éprouvante du film offre ainsi, en même temps qu'un sentiment de malaise, une impression de jeu : plaisir des trois acteurs, jubilation du cinéaste à flirter avec les limites. Précisons que cette scène culmine avec le mari de l'institutrice obligé de chanter l'hymne national autrichien à genoux, une bougie allumée coincée entre les fesses.

    Dernier point : l'oeuvre a une vraie force politique. Je l'ai dit, l'hymne national est assez bousculé et la victime traite son bourreau de "patriote" (l'Autriche sortait à peine de l'épisode Haider). Plus profondément, si je peux m'exprimer ainsi, Seidl pointe le refus de communiquer avec les étrangers, l'obsession sécuritaire, la recherche de boucs émissaires (ce sera la folle, celle qui aura dit ce qu'elle pensait trop haut). Chez Lynch ou Burton, on dit que le mal se terre derrière les belles façades des petites villes américaines. En Autriche, la cruauté et le désastre sont partout et les jardins entretenus et les maisonnettes repeintes n'offrent même pas l'illusion du bonheur.

    Je conseille, avec les précautions d'usage, de se frotter à ce film ovni d'un Ulrich Seidl qui n'a pas l'air de s'être calmé depuis, vu l'accueil houleux qu'a reçu Import-Export, sa deuxième fiction, au dernier festival de Cannes et bientôt sur nos écrans.

  • Intolérable cruauté

    (Joel Coen / Etats-Unis / 2003)

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    7b7639fdcd64f6430d965548f549c231.jpgSéance de rattrapage pour un opus mineur mais plaisant des frères Coen. Chassé-croisé amoureux entre Miles (George Clooney), avocat à succés et Marylin (Caterine Zeta-Jones), croqueuse d'hommes riches, le film s'inscrit dans la lignée des comédies romantiques. Les deux frangins ont souvent parsemé leurs films d'hommages aux classiques hollywoodiens des années 30-40, de façon plus ou moins marquée (par exemple dans Le grand saut). Ici, le sujet permet de convoquer les figures des comédies du remariage de Sturges, Hawks ou Capra. Ce dernier est le plus explicitement évoqué lorsque Miles, qui doit faire un discours très attendu devant ses collègues avocats, se lance de façon totalement improvisée dans un plaidoyer pour la tolérance, l'écoute des clients et l'amour. Sans la réminiscence des discours de James Stewart chez Capra, la scène paraîtrait un peu trop facile, mais nous savons bien que nous sommes chez les Coen et qu'un gros grain de sable viendra bientôt gripper la machine à consensus. Ces références restent toutefois très indirectes, contrairement au cinéma de Tarantino.

    Le scénario et cet environnement de cabinets d'avocats et de salles de procès contraignent parfois la mise en scène et lui donnent un aspect trop mécanique. Elle reste tout de même traversée par des éclairs grotesques et baroques qui, si ils n'explosent pas au milieu d'un paysage à la Fargo ou dans un décor inquiétant à la Barton Fink, vivifient considérablement le récit. L'art des Coen pour les gags morbides et hilarants resurgit avec la mort du tueur à gages asthmatique, confondant malheureusement son inhalateur et son flingue. Leur goût pour les jeux de mots balancés à 100 à l'heure (et difficiles à suivre) et pour le cartoon à la Tex Avery passe remarquablement par Clooney, très à l'aise. Zeta-Jones compose une vamp très sobre. Et le grand plaisir des Coen c'est la distribution des seconds rôles, dont se détachent aisément ici le caméléon Billy Bob Thornton en faux milliardaire Texan et Geoffrey Rush (la démesure dont il fait preuve dans l'introduction font regretter sa disparition quasi-totale par la suite).

    Intolérable cruauté, comme O'Brother 4 ans avant (et Ladykillers peut être, le seul que je ne connais pas), fait patienter de façon amusante avant le retour annoncé en grande forme avec l'imminent No country for old men.

  • La question humaine

    (Nicolas Klotz / France / 2007)

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    57a9ea5eef29803e37bc00eef93a3aea.jpgDans La question humaine, Nicolas Klotz rapproche le monde des grandes entreprises actuelles du système d'extermination des juifs mis en place par les nazis. Forcément, dis comme cela (et c'est ce que retiennent les lecteurs de  journaux ou les auditeurs qui ont entendu parler du film, moi y compris), ça fait bizarre. Heureusement, l'oeuvre est bien plus subtile que ne le laisse entendre cette accroche. Elle est surtout ambitieuse, à la fois sur le plan moral et sur le plan esthétique, ce qui devient rare au sein du cinéma français actuel où l'on a l'impression que seuls les anciens (Resnais, Rivette, Rohmer...) parviennent à concilier liberté dans le choix des sujets et affirmation d'une mise en scène personnelle. Décrire un monde qui ne soit pas exactement le nôtre tout en lui conférant une épaisseur suffisamment réaliste, faire preuve de rigueur dans la construction sans ennuyer, alterner le chaud et le froid, inscrire un discours à travers une trajectoire personnelle plutôt qu'un message surplombant le tout : voilà le programme.

    Dès le premier plan, Simon (Mathieu Amalric) prend en charge le récit et présente sa fonction et son entreprise d'une façon froide et technique, sur des images caractérisées de la même façon, allées et venues dans les locaux de cadres en costumes sombres. Ambiance de déshumanisation, couleurs froides, figures quasi-spectrales et échanges sans émotion : le monde de l'entreprise n'est pas abordé d'une façon documentaire mais fantastique. Ces scènes de bureau sont saisissantes, créant un léger décalage avec la réalité. L'extérieur subit le même traitement, effet culminant avec l'étrange scène de rave. Car ces cadres, une fois la journée terminée, se libèrent, laissent parler leurs instincts primaires (danser, se saouler, baiser) et attendent l'aube pour repartir au boulot, toujours plus pâles. La séquence se clôt sur un plan illustrant parfaitement l'entre-deux du film : la caméra balaye une façade délabrée, deux ou trois corps sont au sol. Un cauchemar, des SDF dans la rue ? Il faut quelques secondes pour réaliser que nous sommes bien au lever du jour, à la fin de la rave et que les gisants ne sont que des fêtards assommés.

    A la dimension fantastique s'ajoutent des éléments de film d'espionnage et de film noir. Simon se retrouve coincé entre deux dirigeants de l'entreprise : le premier, Karl Rose, lui a commandé une enquête sur la personnalité du deuxième, Mathias Jüst. Le passé de chacun resurgit. Simon en perd les pédales. Mathieu Amalric délaisse ses rôles d'histrion charmeur pour le masque blanc de ce personnage au bord du gouffre. Edith Scob en quelques plans nous rappelle qu'elle n'a pas perdu sa douceur inquiétante des Yeux sans visage d'il y a 50 ans. Michael Lonsdale est immense, pas seulement dans sa grande scène de déballage devant Amalric, qu'il termine par un magnifique et las "Maintenant, faîtes ce que vous voulez...". Jean-Pierre Kalfon lui aussi n'a pas été aussi glaçant depuis longtemps.

    Un long gros plan du profil de ce dernier, lors d'une entrevue avec Simon, signe la force de la mise en scène de Klotz. Un moment comme celui-ci réaffirme tout à coup la force expressive que peut prendre un simple choix de cadrage. L'ensemble du film avance par larges blocs de séquences collés frontalement, audace qui ne manque pas de faire claquer les sièges des spectateurs impatients et sans doute énervés de ne pas trouver le film social qu'ils attendaient. Certains trouveront peut-être que la rigueur que s'impose le cinéaste est trop théorique, que sa direction d'acteur tend vers la pose et surtout, que son propos ne sert qu'une thèse provocante. Je pense personnellement qu'il évite tout cela, et en particulier sur le dernier point. A aucun moment, le film ne dit que le monde de l'entreprise d'aujourd'hui est l'égal du système nazi ou qu'un licenciement massif équivaut à envoyer des juifs à la mort. Par contre, il y a bien un rapprochement dans l'usage de la langue technique qui dépersonnalise. Il y a surtout une résurgence du passé, provoquée par l'enquête de Simon, des réminiscences terribles qui l'obsède et lui font perdre pieds. Enfin, la mise en parallèle entre licenciement et extermination est le dernier coup porté à Simon, à travers une accusation aussi insultante que révélatrice pour lui de son degré de compromission. Cette contamination du récit par la tragédie de la Shoah n'est donc pas le résultat d'un discours malsain asséné par les auteurs, mais passe bien à travers l'esprit troublé du personnage de Simon. L'une des preuves en est l'intrusion de plus en plus fréquente d'images rêvées par ce dernier au sein du récit. Ce plan d'une montagne de chaussures autour de laquelle s'affairent des ouvrières dans un hangar parait d'abord à la limite. Mais Nicolas Klotz l'explique par un cauchemar et donc le légitime, montrant ainsi qu'il est tout sauf irresponsable. Car tout film traitant la question, quelque soit l'angle d'attaque, les choix esthétiques, la qualité cinématographique ou la position morale, se voit à un moment ou à un autre qualifié d'irresponsable (à ce moment là, qu'on décide le black-out total et qu'on en reste une fois pour toutes à Nuit et brouillard et à Shoah, mais pas sûr que cela fasse avancer les choses d'un point de vue éducatif). Le débat semble sans fin (comme l'a montré l'émission Du grain à moudre de vendredi dernier sur France Culture, intéressante mais, par moments, s'éloignant trop de la réalité du film).

    Pour finir avec ce film marquant, et ne pas rester sur ce problème, je dois évoquer la musique, seul part d'humanité non entachée du film, seul espoir. La séquence de rave déjà évoquée, une boîte de nuit au son de New Order et deux longs chants de flamenco et de fado attestent de la présence des corps et de l'art malgré tout. Une musique originale remarquable de Syd Matters enrobe également plusieurs scènes.

  • Palais royal !

    (Valérie Lemercier / France / 2005)

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    c37abef35387d6c92ea7efa960cfb7ff.jpgA la recherche du cinéma comique français des années 2000...

    Troisième réalisation de Valérie Lemercier (et première que je vois), Palais royal ! s'attache à la description parodique des us et coutumes d'une famille de têtes couronnées. Situé dans un pays imaginaire mais ressemblant plus ou moins à la Belgique, le scénario adapte ici et là des traits et des épisodes connus de la vie récente des familles royales britanniques et monégasques. Lemercier s'est ainsi taillé un costume de princesse qui emprunte autant à Lady Di qu'à Stéphanie de Monaco.

    Le film avait été bien accueilli à sa sortie, ce que rappelle au dos du DVD la flopée de superlatifs, dont un "Jubilatoire" tiré de Feu-Les Inrockuptibles. L'univers comique de Valérie Lemercier étant l'un des rares à être intéressant au milieu de toute la médiocrité issue de la télé, on espérait bien qu'elle réussisse son pari. Les premiers plans intriguent, comme pour toute comédie démarrant sur un contre-pied, ici l'enterrement de l'héroïne qui précédera le long flash-back que constitue le reste du film (mais déjà, la présence de Maurane en chansons et à l'écran inquiète). On déchante vite. Lemercier, un peu comme Edouard Baer, s'autorise à élaborer des gags qui n'en sont pas vraiment, des moments de gêne, pas vraiment drôles (et le résultat, pour l'un comme pour l'autre, au cinéma, s'avère être un échec). Son personnage apparaît dans la première partie comme une potiche encombrée et déphasée qui, du coup, paralyse tout le film. Bien sûr, Lemercier place quelques répliques vives et vulgaires, fait gesticuler les autres acteurs. Mais rien n'accroche : la mise en scène est banale, l'interprétation est uniformément mauvaise, de Lambert Wilson à Catherine Deneuve et le scénario opère un basculement totalement arbitraire pour transformer la fille bêtasse du début en princesse moderne qui bouleverse bien sûr toutes les habitudes du palais. Les clins d'oeil vers le destin de Diana sont d'un ennui total et il ne faut chercher aucune critique du système établi ni réflexion sur la popularité de ces familles. Quand certains parlent de vitriol pour cette comédie inoffensive emballée comme un magazine féminin, comment qualifier The Queen de Stephen Frears, bien plus casse-gueule et ambitieux ?

    Palais Royal ! trouve sa place à peine devant les calamiteux Bronzés 3, juste derrière le mauvais, bien que pas indigne, Camping, à côté du plantage de RRRrrrr !!!, de l'énervante Mission Cléopâtre et de la déjà oubliée Bostella. Ce n'était pas ce que j'attendais. La seule petite surprise reste donc le limité mais inventif film de Laurent Baffie Les clefs de bagnole, le seul à ne pas se prendre pour ce qu'il n'est pas (et le seul dont la culture ne se limiterai pas aux Enfants de la télé). La recherche continue...