(Pierre-Paul Renders / Belgique / 2000)
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L'intérêt et l'originalité de Thomas est amoureux, premier long-métrage de son auteur (qui a apparemment signé en 2006 Comme tout le monde avec Chantal Lauby, G. Melki et Th. Lhermitte, titre qui ne m'évoque rien du tout), reposent entièrement sur un principe de départ radical : de la première à la (presque) dernière image, nous épousons exactement le regard du héros, dirigé vers son écran d'ordinateur. Tout le film n'est composé que de la succession de conversations par visiophone entre Thomas, dont la voix nous guide sans que jamais nous ne le voyons, et ses interlocuteurs. Le cadre est donc rigoureusement déterminé par les webcams de ces derniers. Le procédé est revendiqué d'emblée par une introduction animée étonnante qui nous entraîne dans une partie de cyber-sex avec un avatar numérisé. L'époque du récit n'est pas précisée mais semble être celle d'un futur assez proche. L'une des qualités du film est de rendre crédible les innovations techniques, les décorations des intérieurs et les costumes, en les montrant encore relativement proches des nôtres.
Pierre-Paul Renders a fait de son Thomas, en quête d'une âme-soeur qui resterait derrière son écran, un agoraphobe incapable de sortir ou de laisser entrer qui que se soit chez lui. Ce choix justifie ainsi le récit d'une vie uniquement rythmée par les connexions et permet quelques scènes assez comiques lors des passages des livreurs ou réparateurs dans le sas d'entrée de l'appartement. Le handicap de Thomas, qui a bien réussi dans la vie en tant que concepteur informatique, l'a poussé à se faire prendre en charge entièrement pas une compagnie d'assurance. Celle-ci subvient à ses besoins, lui offre un psy et bien plus encore. Elle gère finalement toute sa vie et va jusqu'à intervenir dans son intimité-même. Là se pointe le défaut majeur du film : quasiment chaque scène, comique ou plus grinçante, nous martèle un message sur la déshumanisation des rapports humains ou sur la mise en place d'une société technologique et liberticide. La dernière demie-heure est de ce point de vue assez lourde malgré un joli dernier plan. L'autre faiblesse, moins gênante, de Thomas est amoureux est la conséquence directe du parti-pris de départ : l'impression d'un défilé de sketches, que l'on pourrait imaginer diffusés sur Canal+ par exemple, ne s'évanouit pas totalement avec le temps, malgré l'émergence de quelques personnages attachants.
Cela dit, l'objet est singulier, parfois touchant, plutôt drôle et arrive par instants, entre deux messages d'alerte appuyés, à parler de cette fascination que l'on peut éprouver quand quelqu'un nous adresse paroles et regards par écran interposé.
Désolé, je vais encore faire mon rabat-joie. Et pas seulement pour le plaisir de nager à contre-courant, car j'aime bien Philippe Lioret. Il se trouve simplement que selon moi, son plus grand succès public est venu avec son film le moins réussi et le moins singulier. Tenue correcte exigée (1997) et Mademoiselle (2001) (je ne connais pas son premier long-métrage : Tombés du ciel, 1993), prouvaient qu'il était encore possible de faire en France des comédies de qualité, basées sur une écriture soignée et une direction d'acteurs solide. Lioret avait ensuite été aussi habile sur le terrain du romanesque avec L'équipier(2004). Ce cinéma est un cinéma de personnages, fouillés et attachants, au sein duquel le réalisateur filme tranquillement, préférant la fluidité et les petites touches aux grands éclats.
Caché était diffusé hier soir sur Arte, occasion pour moi non de le revoir, mais de l'évoquer ici brièvement. J'ai un rapport très simple avec les films de Haneke, soit ils me fascinent assez, soit ils m'énervent profondément (seul exception : Funny games, que je placerai dans l'entre-deux). Celui-ci m'a suffisamment impressionné pour que je le considère, de loin, comme le meilleur du cinéaste.
Je tiens Le retour pour l'un des plus grands films de ces dernières années et par conséquent pour le plus impressionnant début de carrière de cinéaste depuis l'an 2000. Quatre ans après, Andrei Zviaguintsev revient avec Le bannissement (Izgnanie) mais peine à retrouver l'état de grâce initial. Si la déception est au bout de ces 2h30, précisons immédiatement qu'elle naît surtout d'une trop grande ambition, celle d'offrir un récit empruntant les bases de la tragédie antique et, partant de là, rejoindre Bergman ou Tarkovski sur les cimes. Pour tenir ce pari impossible, posséder un extraordinaire sens plastique ne suffit pas toujours. Il faut que l'incarnation soit au rendez-vous et que quelque chose vibre dans toutes les compositions. Zviaguintsev avait réussi cela dans Le retour, en développant dans le cadre d'un récit déjà quasi-mythique un drame familial intense, physique et inquiétant.
Deuxième rencontre en quelques mois avec Takashi Miike, japonais hyper-prolifique, s'étant taillé en 10 ans une solide réputation là-bas et ici de cinéaste culte (donc : méfiance). La vision de Audition (1999) m'avait été assez pénible. Commençant de façon très calme pour se terminer dans le gore, le film s'ingéniait à tromper le spectateur. Les premiers signes de basculement dans la folie de l'héroïne étaient assez flippants (j'ai encore en mémoire cet appartement et ce gros sac au contenu remuant et indéterminé) et débouchaient sur une interminable séquence de mutilation qui personnellement me fit dire : "Ils commencent à me fatiguer ces japonais qui se complaisent à filmer un pied tranché au fil à couper le beurre mais qui ne peuvent pas montrer le moindre poil pubien". Une fin à tiroir, réalité / rêve / puis non finalement réalité, finissait de réduire à presque rien mes bonnes dispositions de départ.
L'une des soeurs cadettes de Sandrine Bonnaire est atteinte d'une forme d'autisme. Autonome jusqu'alors, son état s'est considérablement dégradé à la suite d'un long séjour de 5 ans en hôpital psychiatrique. Enfin accueillie plus tard dans une structure adaptée, c'est ici que l'actrice la filme, pendant plusieurs jours de l'année 2006. A travers le portrait de sa soeur, Sandrine Bonnaire veut pointer du doigt le manque de moyens alloués par les pouvoirs publics en termes de traitement du handicap et dénoncer les dérives de l'hospitalisation et de la médication à outrance. Avec un tel projet, elle aurait pu se contenter d'une mise en image explicative, sous forme de tract émotionnel ratissant le plus largement possible pour servir sa cause. Resterait alors à prendre acte, saluer l'engagement et passer à un autre film. Sauf que ce documentaire est bien plus que cela. Sans atténuer la clarté et la détermination de son engagement, Sandrine Bonnaire prend en compte les leçons de Depardon ou Philibert pour ne pas tomber dans le "reportage Envoyé spécial" (l'expression est d'elle-même). Point de confusion des genres donc : les rares entretiens sont filmés comme tels, avec un cadre fixe, et la vérité des instants captés sur le vif, même si ils peuvent être provoqués, s'oppose toujours à ces séquences des reportages télévisés sentant le "rejoué" à plein nez. Ne reculant pas devant ces moments où la réalité de l'autisme s'impose à nous dans toute sa violence incompréhensible (gestes dangereux, insultes...), le film sait aussi prendre son temps en accompagnant les journées d'un petit groupe de patients. Une construction remarquable et l'utilisation particulièrement forte d'images familiales achèvent de lever les derniers doutes sur un geste très réfléchi de cinéaste.
La réussite roumaine du semestre, California dreamin' (Nesfarsit) est le premier et donc unique film de Cristian Nemescu, décédé en août 2006 en pleine post-production de son long métrage. Comme ses plus talentueux compatriotes, le jeune cinéaste souhaitait se pencher sur l'histoire récente de son pays et, partant d'une matière réaliste, dériver vers la fable politique. Mandaté par l'OTAN pour le soutien technologique des raids américains sur Belgrade lors de la guerre du Kosovo de 99, un convoi ferroviaire se retrouve bloqué par Doiaru, chef de gare d'un coin perdu de Roumanie. Démunis et privilégiant, parfois à contre-coeur, la diplomatie, le Capitaine Jones et son petit groupe de Marines n'ont d'autre choix que de tuer le temps pendant cinq jours en se mêlant à la population locale.
Tom c'est Tom Chomont, photographe et cinéaste underground, new-yorkais, homosexuel, et très affaibli par la maladie quand le documentariste Mike Hoolbloom décide de mettre en images sa biographie sous forme d'essai poétique. Une longue et énigmatique introduction pose l'esthétique du film. Hoolboom colle, avec un sens du montage confondant, des bouts de documents amateurs, de classiques du cinéma, de prises de vues documentaires de New York de toutes les époques. Sur ces images d'origines très diverses, arrivent de temps à autre des confidences faites par Tom. Les sources iconographiques sont quelques fois reconnaissables (des plans de La terre tremble, Il était une fois en Amérique, Titanic...), mais généralement, leur entremêlement, leur brièveté et parfois leur altération par superpositions, changements de vitesse ou colorisation, empêchent de les situer clairement. Si ce re-travail d'images déjà tournées peut faire penser aux Histoires du cinéma de Godard, le procédé semble poussé ici encore plus loin dans la diversité et la vitesse.
Puisque Tim Burton croit aux maléfices, risquons cette hypothèse : le fait d'avoir accepté de réaliser un inutile et impersonnel remake de La planète des singes en 2001 a provoqué une malédiction qui lui vaut d'accumuler pendant 10 ans les ratages. Cette commande, venant après une décennie dorée, a laissé tout le monde insatisfait, lui y compris, et surtout, elle semble l'avoir complètement déboussolé. Suivirent donc son film le plus personnel sur le papier et transformé à l'écran en conte bêta et inoffensif (Big fish), puis la Rolls du film pour enfants qui ennuie les parents (Charlie et la chocolaterie), pour arriver à ce Sweeney Todd, où le plus grave est bien de constater que rien n'y fait; le cadre, l'histoire, l'ambiance, le ton ont beau changer, le bilan de santé de l'homme à la coiffure en pétard est toujours aussi alarmant.
Le tracé suivi par No country for old men est sans doute le plus clair de tout le cinéma des frères Coen : un homme tombe par hasard sur une valise pleine de dollars et devient la proie d'un tueur, lui-même poursuivi, le tout sous le regard d'un vieux sheriff. Pas de machination, pas de plan minutieusement préparé qui foire par la bétise des personnages, on va ici droit à l'essentiel en suivant une course-poursuite violente vers le Mexique et retour. L'humour est délibérément absent, ne laissant que quelques traces de grotesque, trop noir pour que l'on en rigole, et même les habituels seconds rôles aux physiques peu avenants (les coiffures improbables, les obèses...) ne sont pas source de gags cartoonesques. Gardant ainsi la seule ossature du récit, les Coen ne s'embarrassent pas de psychologie et ne filment que des figures. Ed Tom Bell (Tommy Lee Jones) est le sheriff, Llewelyn Moss (Josh Brolin) est l'homme traqué, Anton Chigurh (Javier Bardem) est le tueur omniscient. Llewelyn est caractérisé par ses seuls mouvements et réactions, notamment dans les extraordinaires séquences qui le voient s'affairer autour du lieu du massacre, et Chigurh porte toute la mythologie du tueur, sans autre explication à son efficacité et sa violence. Seul le sheriff prend de la distance (puisqu'il est toujours en retard d'un coup) et élabore un discours. Un discours d'impuissance totale face au mal et d'incompréhension face à la nature humaine. No country for old men est donc un film peu bavard. Le seul homme prolixe se le voit aussitôt reprocher et disparaît rapidement de l'écran. De la même façon, on se demandera soudain au moment du générique de fin si l'on a entendu une seule note de musique au cours du film (mis à part la chanson mexicaine entonnée par les quatre musiciens de rue).