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2000s - Page 21

  • Les fils de l'homme

    (Alfonso Cuaron / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 2006)

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    1271163965.jpgLes fils de l'homme (Children of men) nous transporte dans le Londres de 2027. La planète entière est livrée au chaos et la Grande-Bretagne se referme sur elle-même, menant une lutte sans merci contre tous les réfugiés. Le tableau est terrifiant entre surveillance permanente des citoyens, appels incessants à la délation et mise en cages puis en camps des immigrés. Le récit démarre avec la mort de celui qui était alors le plus jeune être humain sur terre, âgé de 18 ans. En effet, un fléau d'origine inconnue frappe depuis des années l'humanité entière : la stérilité. La surprise sera donc de taille pour Theo, quand il sera tiré de sa triste vie de bureau par son ex-femme, leader d'un groupe d'activistes, qui le charge d'escorter à travers le pays une réfugiée enceinte.

    2027 n'est pas si loin. Alfonso Cuaron crée donc un futur proche qui améliore les technologies que l'on connaît plutôt qu'il n'invente des machines extraordinaires. La science-fiction alarmiste donne souvent de saisissantes visions de métropoles grises évoquant les univers concentrationnaires. C'est le cas ici aussi, lors d'une première partie citadine particulièrement réussie, qui donne avec vigueur l'impression d'un pays sous tension, sur la défensive, prêt à exploser. Par contre, lorsqu'il s'agit d'imaginer un autre style de vie en opposition et de sortir de la ville, la difficulté est plus grande. Le refuge hippie moderne que trouve Theo chez son vieil ami Jasper (Michael Caine en roue libre) n'est pas ce qu'il y a de meilleur dans le film. Dans cette bulle, associés à quelques nouveautés technologiques, les signes nostalgiques (musique des Beatles, plaisir de la fumette, panoramique sur des vieilles photos) tombent un peu à plat. Autre alternative, l'activisme se trouve vite mis en cause par une suite de revirements aux motivations plutôt floues. Le groupe révolutionnaire finit par constituer l'autre côté de l'étau qui menace la vie de Theo et de sa protégée. Le discours élaboré est ambitieux, parfois trop. On se passerait bien de cette parabole biblique qui alourdit la dernière partie.

    Stylistiquement, Cuaron a apparemment une figure de prédilection : le plan-séquence, qui intègre dans sa durée un maximum d'événement inattendus. On est assez impressionné de voir ainsi un attentat dans un café et surtout un soudain guet-apens sur une route forestière des plus calmes. Le procédé est répété ensuite plusieurs fois, aboutissant à une succession de morceaux de bravoure : un accouchement en temps réel et une haletante course poursuite dans un contexte de guérilla. On reste bouche bée devant le travail millimétré du cinéaste et de son équipe, mais la virtuosité ostentatoire nous fait un peu trop sortir du récit.

    Je m'en voudrais cependant de paraître trop négatif avec ce film qui ne cache pas son ambition. Clive Owen est parfait en héros à la ramasse. L'esthétique se distingue agréablement du tout venant speedé et numérisé hollywoodien. Le message politique est clair et appréciable dans le contexte actuel : c'est parmi ces moins que rien que sont les réfugiés que se trouve le salut de l'humanité. De toute manière, un film où l'on côtoie Julianne Moore, ne serait-ce que pendant quelques minutes, ne saurait être mauvais.

  • The war

    (Ken Burns et Lynn Novick / Etats-Unis / 2007)

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    207004940.jpgArte vient de terminer la diffusion de la série documentaire The war. Quatorze épisodes, soit près de quatorze heures au total, pour raconter la seconde guerre mondiale vue du côté américain. En se lançant dans cette saga, le documentariste Ken Burns (et son associée Lynn Novick) avait un double but : retracer l'historique des batailles menées sur les fronts de l'Afrique du Nord, de l'Europe de l'Ouest et du Pacifique, mais aussi et surtout donner à voir la guerre à hauteur d'homme en partant d'expériences personnelles.

    La mise en scène se construit donc d'une part sur les archives d'époque (reportages filmés ou photographiques, articles de presse, enregistrements radios, lettres...) et d'autre part sur les témoignages de vétérans interviewés à cette occasion. Il n'y a aucune reconstitution (plaie actuelle des documentaires historiques destinés à des diffusions télé) et les images d'archives sont respectées. Elles sont ré-assemblées par un montage vif et sonorisées. Mais ce sont les seules manipulations que s'autorisent les auteurs : il n'y a donc pas non plus de colorisation (les images en couleurs le sont réellement à l'origine, essentiellement tournées sur le front Pacifique). La masse de documents montrés est impressionnante, au point que chaque plan nous semble vu pour la première fois, y compris en ce qui concerne les événements les plus connus, comme le débarquement.

    Au fur et à mesure du voyage, remontent les souvenirs de cinéma de chacun et se pose la question du rapport entre la fiction et ces images brutes. La question est certes moins brûlante que lorsque l'on aborde la représentation de la Shoah (je renvoie à ma note récente sur Être sans destinet à l'échange qui a suivi dans les commentaires), mais elle taraude tout de même, tant l'effet d'une vue documentaire sur un blessé ou sur un corps qui s'affaisse diffère d'un plan similaire intégré à une fiction (oui, c'est vrai, au moins une chose ne peut être re-créée, le passage du film de Burns consacré à la libération des camps nous le rappelle : le regard insondable que lance un déporté à la caméra des libérateurs). Du point de vue de l'imaginaire cinéphile, un exemple parmi d'autres : Eastwood n'a en rien exagéré, avec ses effets numériques, l'enfer vécu par les combattants sur Iwo Jima, les images montées par Ken Burns sont exactement les mêmes.

    Tout au long de la série, avec cette durée inhabituelle, ce que l'on voit à l'écran semble de plus en plus violent, les corps de plus en plus sanglants ou mutilés (nous sommes loin des croisades modernes où la mort des soldats US reste invisible). Chaque bataille se termine avec le compte rendu chiffré des victimes de part et d'autre. L'un des intérêts du documentaire est déjà de remettre clairement en tête le déroulement des opérations, la lente évolution des différents fronts, notamment pour ceux qui comme moi connaissaient mal la chronologie des affrontements côté Pacifique. Le film rappelle une chose mieux connue ici mais que l'on oublie régulièrement : le débarquement de juin 44 ne coïncide pas avec la victoire. Les combats durent un an de plus et nombre de batailles provoque des pertes encore plus élevées que celles des plages de Normandie.

    Pour mieux faire le lien entre le particulier et le général, Burns s'est restreint à suivre les parcours singuliers de soldats originaires de quatre villes moyennes américaines. Cela lui permet entre autres de brosser un tableau très précis de l'arrière, habituellement occulté dans les documentaires sur la guerre, au travers des témoignages des femmes ou des ouvriers. On voit ainsi ces villes et leurs populations passer de l'insouciance à l'effort de guerre enthousiaste puis à la crainte et à la lassitude. Dans chaque épisode, nous faisons l'aller et retour entre les champs de batailles et l'Amérique, constatant l'écart parfois énorme existant entre la réalité du terrain et le ressenti des civils. Et comme il avait commencé en posant longuement la situation sociale, culturelle et économique de ces quatre villes avant Pearl Harbor et l'entrée en guerre, Burns s'attarde aussi en bout de course sur le retour des soldats et leur vie d'après. C'est sur ces témoignages poignants et précis d'hommes expliquant la cassure psychologique irréparable qu'a causé chez eux l'expérience de la guerre que Ken Burns termine son film.

    Il n'aura pas occulté non plus toutes les zones d'ombres liées au conflit : le thème de la ségrégation des Noirs qui parcourt toute la série, l'internement en camps des Américains d'origine asiatique vivant aux Etats-Unis, les multiples erreurs des généraux, les exactions commises envers les soldats ennemis, les terribles bombardements des villes allemandes et bien sûr, les deux bombes atomiques. L'ampleur de l'oeuvre tempère ainsi le patriotisme. Il faut rappeler surtout son utilité première, pour les Américains, ces amnésiques, dont une partie non négligeable de jeunes pensent aujourd'hui que leurs soldats se sont battus pendant la guerre aux côtés des Allemands, contre les Soviétiques. De notre côté, Ken Burns, en articulant parfaitement des archives étonnantes et des propos de vétérans à qui il laisse le temps de parler longuement, permet à chacun de s'interroger sur ses convictions et sur la notion de guerre juste.

  • Innocents

    (Bernardo Bertolucci / France, Grande-Bretagne, Italie / 2003)

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    1797905959.jpg"La rue est entrée dans la chambre". Vers la fin d'Innocents (The dreamers), Isabelle explique ainsi le bris de glace, provoqué par un pavé, à Matthew et Theo, réveillés en sursaut. L'incident semble n'exister que comme tour scénaristique un peu forcé. Mais il y a le rythme que Bertolucci donne à sa scène, l'affairement d'Isabelle occupée à cacher quelque chose aux deux autres et surtout cette phrase, qui sonne comme une belle trouvaille, appropriée à la fois à l'instant et à l'heure et demie que nous venons de passer avec ces trois personnes. Tout le charme fragile du film est résumé dans cette scène.

    Bertolucci replonge dans 68. Il démarre son récit (après un superbe générique) par une évocation de l'affaire Langlois. Matthew, le jeune étudiant américain, fait la connaissance d'Isabelle et Theo, soeur et frère, lors d'une manifestation organisée à la Cinémathèque et visant à soutenir son directeur, menacé par le Ministère. La reconstitution est appliquée, mais déjà, Bertolucci tente un coup audacieux : mêler des plans actuels de Jean-Pierre Léaud (et de Jean-Pierre Kalfon) en train de rejouer ce qu'il faisait à l'époque (harangue au mégaphone, lancer de tracts...) aux images d'archives réelles, allant jusqu'à raccorder les unes aux autres dans le mouvement et créant ainsi une émotion inédite. Plus que sur la politique, c'est sur la cinéphilie que se forme le trio. Matthew a tôt fait d'emménager chez ses deux nouveaux amis, d'autant plus facilement que les parents de ceux-ci doivent quitter l'appartement pour plusieurs jours. S'ensuivent des discussions tournant autour du cinéma, des devinettes, des mimes entretenant la mémoire et les connaissances de chacun. Parfois, comme pour situer les événements de mai, la patte de Bertolucci se fait un peu trop pédagogique (la comparaison entre Chaplin et Keaton ou l'inévitable blague à propos de Jerry Lewis, génie vu de France et pitre sans intérêt vu des Etats-Unis). La plupart du temps, c'est le plaisir de la citation qui l'emporte, essentiellement grâce au choix du cinéaste d'insérer dans son film des extraits des titres évoqués. Une simple énumération verbale serait vite lassante. Montés avec bonheur, ces flashs de classiques en noir et blanc donnent une autre dimension émotionnelle à la chose (mais le même principe appliqué à la musique, avec l'utilisation parsemée dans tout le récit de célèbres partitions, passe moins bien).

    Puis, la politique et la cinéphilie disparaissent. L'enfermement des trois se fait total dans ce luxueux appartement et les jeux se font sur le terrain de la séduction et du sexe. Il n'y aura plus d'extraits (sauf un, de Mouchette, pour le coup pas indispensable). La caméra joue merveilleusement de ce décor aux larges pièces et aux couloirs étroits. L'appartement est un lieu à la fois vaste (on y joue à cache-cache) et exigu (on est toujours collé l'un contre l'autre). Une belle scène montre cela clairement : trois corps sont recroquevillés dans une petite baignoire, au milieu d'une grande salle de bain. L'inceste, l'autodesctruction, les rapports de force (qui s'inversent joliment par rapport à la donnée de départ : le couple cool qui déniaise le troisième), le repli : tout cela sonne fort. Pourtant, jamais le film ne tend vers la noirceur du Dernier tango à Paris. Extrêmement vivant, Innocentsest surtout un film diablement sexy. Des trois jeunes comédiens, Michael Pitt, tout à fait crédible, qui était là entre Bully et Last days, est le plus étonnant. Louis Garrel, que je découvre sur un écran à cette occasion, est très bien (même si il m'a semblé l'avoir vu faire son Léaud dans deux ou trois scènes, mais c'est pas très gênant). Quant à Eva Green, elle est... hum... comment dire ça... affriolante est un peu faible... enfin vous comprenez.

    N'ayant plus rien vu de Bertolucci depuis la sortie d'Un thé au Sahara en 90, je n'attendais pas grand chose d'Innocents. En passant sur quelques scories (le retour des parents, des scènes de rue moyennes...), la surprise en est donc d'autant plus agréable.

  • Los muertos

    (Lisandro Alonso / Argentine / 2004)

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    364006607.jpgOn entre dans Los muertospar un beau plan sinueux qui, dans l'épaisseur d'une forêt tropicale, nous laisse entrevoir deux corps ensanglantés puis une silhouette d'homme tenant une machette à la main. Promesse d'une tragédie fiévreuse ? Que nenni. De toute évidence, nous sommes bel et bien en présence de l'un des champions de l'Internationale Auteuriste, mouvance proposant des oeuvres radicales à la narration dégraissée jusqu'au néant et ayant pour chefs de file le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, le portugais Pedro Costa ou le mexicain Carlos Reygadas (n'écoutant que mon courage, je découvrirai bientôt, de ce dernier, Japon). Toujours fort de qualités plastiques indéniables, ce cinéma-là commence à devenir tout aussi prévisible que le versant classique auquel il est censé s'opposer. Dans Los muertos, au bout de vingt minutes, nous avons ainsi droit à l'inévitable séquence sexuelle filmée dans toute sa crudité, s'arrêtant comme elle a déboulé, de manière abrupte entre deux plans contemplatifs. Autre geste de cinéaste censé authentifier la radicalité de l'ensemble : filmer un rituel in extenso. Ici, on voit longuement le héros attraper, tuer et vider une chèvre. Bon manque de bol pour moi, j'ai déjà vu faire ça dans la famille, à la campagne. C'était sur des moutons, mais les gestes sont les mêmes. L'intérêt documentaire se révèle donc nul.

    Avec ce choix de ne filmer que des temps morts, le semblant d'intrigue de Los muertosa finalement peu d'importance. Vargas, le personnage principal, sort de prison et désire retrouvé sa fille, vivant dans un coin difficile d'accès. Il voyage principalement en remontant en barque une rivière calme. Le film a pour lui une courte durée (80 minutes), un acteur à la présence intrigante, jusque dans ses tics gestuels, un cadre de verdure somptueux, une simplicité et une chaleur appréciable dans les rares rencontres que le récit réserve à Vargas. La fin de ce film sans musique est forcément ouverte et est accolée à un générique sur fond de rock bruitiste industriel. Les bras nous en tombent, pris entre la stupéfaction devant un procédé aussi incongru et le sentiment du foutage de gueule.

    Sinon, pour découvrir vraiment le nouveau cinéma argentin, mieux vaut passer par Pablo Trapero ou Martin Reijtman.

  • Blood and bones

    (Yoichi Sai / Japon / 2004)

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    696297498.jpgThere will be blood and bones. Oui oui, je n'ai vu ces deux films l'un à la suite de l'autre que pour pouvoir écrire ce jeu de mot.

    Blood and bones (Chi to hone) est une fresque qui, en 2h20, retrace 60 ans de la vie d'une famille coréenne émigrée au Japon. Le père en est la figure centrale. C'est un homme violent, obsédé par l'argent, qui tyrannise autant les membres de sa famille que ses maîtresses, ses employés et ses créanciers. Le personnage est interprété par Takeshi Kitano.

    La voix-off est là pour nous le rappeler, le portrait de cette brute est peint avec les yeux de l'un de ses fils. Premier problème : jamais la mise en scène n'épousera clairement ce point de vue, usant d'une narration classiquement objective et montrant à l'écran des événements auxquels n'a pas pu assister l'enfant. Du début à la fin, le caractère du paternel ne changera pas. La répétition de la violence libérée régulièrement par cet homme lasse vite. Un mot de trop, une raclée. Un geste déplacé, une humiliation sexuelle. Il n'y a cependant rien de bien dérangeant dans tout cela. Les choses sont claires : nous détestons ce salaud, nous nous apitoyons sur le sort de ses victimes. La violence de chaque débordement est de toute façon à chaque fois adoucie, soit par l'emploi du thème musical du film (une partition "pleine d'émotion contenue" parfaitement insupportable), soit par le filmage des bagarres en plans larges, soit par le montage qui escamote tout sentiment naissant de malaise. La mise en scène fige d'ailleurs tout le film dans un académisme bon teint. La reconstitution historique est des plus scolaires (apparition d'une télé dans la pièce : tiens, on doit être passé dans les années cinquante...). L'intérêt historico-politique de la toile de fond s'évapore très vite à cause des brèves scènes très démonstratives qui éclairent sur le contexte de chaque période.

    Blood and bones, vendu comme un film choc, s'avère parfaitement confortable et totalement ennuyeux, et n'est même pas sauvé par la présence d'un acteur-réalisateur ailleurs génial.

  • There will be blood

    (Paul Thomas Anderson / Etats-Unis / 2007)

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    Je commence par mon petit geste d'humeur habituel envers certains critiques. Dès ses débuts, Paul Thomas Anderson s'est vu collé une étiquette sur le dos, celle de petit malin. Ceux qui emploient cette expression désignent ainsi tout cinéaste généralement américain, jeune, à la technique irréprochable, très cinéphile et sachant travailler les genres populaires pour mieux les revigorer. Le cinéaste idéal, donc ? Et bien non, ils vous diront qu'ils ne sont pas dupes, que tout cela n'est qu'apparence, qu'un voile masquant la vacuité et le cynisme du prodige. Alors juste une question : que sont Reservoir dogs, Miller's Crossing, Boxcar Berta, Le Parrain, L'ultime razzia, Citizen Kane, sinon des films de petits malins ? Moi j'adore les petits malins.

    Passons aux choses sérieuses. L'aboutissement que constitue There will be blooddans la filmographie de Paul Thomas Anderson est finalement logique. Boogie nights (1997, deuxième long-métrage mais première distribution française, Sydney, 1996, n'étant sorti qu'en dvd), Magnolia (1999), Punch-drunk love (2002) : chaque nouveau film se révélait meilleur que le précédent.

    Au tout début du XXe siècle, un homme fait fortune en rachetant à des fermiers leurs terrains arides afin d'en extraire du pétrole. Tout film traitant de cette autre conquête par des pionniers, celle du sous-sol, fait naturellement naître une opposition visuelle entre verticalité (les derricks) et horizontalité (les paysages). Paul Thomas Anderson ne se cantonne pas à cette simple évidence géométrique. D'une part le désir d'élévation de Daniel Plainview est redoublé, concurrencé, mais sur un autre terrain : celui de la foi. A côté du derrick se construit en même temps une église, celle de Eli Sunday. Cette course entre les deux hommes, entre deux visions, ne cessera pas. Si Plainview désire s'élever ainsi, c'est parce qu'il sait que tout nous ramène à terre. S'affaisser, c'est mourir, ou presque. Les accidents projettent violemment sur le sol, obligeant à ramper pour sauver sa peau, l'humiliation de l'autre se fait en le terrassant, s'endormir allongé laisse à la merci d'un pistolet ou d'un incendie. On comprend alors pourquoi Daniel Plainview, dans les trois moments les plus intenses où il est au contact de son fils H.W., à chaque fois, le porte à bout de bras (pour le sauver, le punir ou fêter des retrouvailles).

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    Ces trois séquences admirables sont traitées en longs plans généraux. Cette figure, privilégiée tout au long du film, permet d'embrasser tout le paysage et d'y inscrire très fortement les personnages. L'arrivée de Plainview, accompagné de son fils, au ranch des Sunday en est l'exemple parfait. La fluidité des amples mouvements de caméra permet de s'imprégner du lieu, la conversation entre les protagonistes démarrant même avant que nous nous approchions d'eux. Le cinéaste semble constamment inventer sous nos yeux des figures inédites, des mouvements, des postures : un saut au dessus des flammes pour sortir de son lit, une explosion de colère par dessus la table, un pugilat dans une mare de pétrole... De la stylisation naît un réalisme étonnant. Les dialogues se font souvent rares. Ils ne sont pas pour autant lourds de sens, mais frustres, justes, parfaitement en accord avec le monde décrit. Si ébouriffante soit la fiction, There will be blood est aussi un formidable documentaire.

    Le récit avance par blocs. Et entre deux blocs, il y a des trous : quel pêché le vieux Bandy reproche-t-il exactement à Daniel ? Ce dernier tuera-t-il vraiment un jour celui qui veut lui racheter ses lots ? Et ce fils, ce frère, qui sont-ils ? Ambigus, les liens familiaux ne perdent pourtant rien de leur force. La façon dont sont filmées les rencontres de Plainview avec les fermiers, avec ces plans cadrant ensemble le père discourant et le fils silencieux, libère une intrigante beauté. On ne l'attend pas spécialement sur ce terrain, mais P. T. Anderson montre qu' il peut atteindre à l'émotion simplement par deux ou trois détails bouleversants de justesse : le refus de H.W., sous le choc de l'accident, de lâcher le cou de son père et puis ses grognements plaintifs qui ne peuvent s'arrêter même quand ce dernier, allongé contre lui, le lui demande. L'effet de mise en scène qui consiste à donner au spectateur, un instant, l'impression d'une surdité subjective (comme on parle de caméra subjective) est régulièrement utilisé maintenant, notamment pour des scènes de guerre avec explosions multiples. Ici, les lèvres qui bougent sans qu'un son n'en sorte atteignent la beauté du cinéma muet.

    Le rythme du film et la période abordée aident aussi à faire ce rapprochement. Un autre mènerait vers le cinéma de Terrence Malick. Même lyrisme secret, même montage musical. Pour gagner cet autre pari, il fallait trouver la bande son parfaite. La réussite dans ce domaine tient du miracle quand on sait que c'est apparemment la première contribution significative de Johnny Greenwood à la musique de film. Le plus fort est que la modernité de cette bande originale ne soit pas due aux instruments utilisés (ni anachroniques, ni décalés, essentiellement des cordes et des percussions, loin de l'univers de Radiohead) mais à sa texture si particulière et son utilisation.

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    Il serait gonflé de faire l'éloge de There will be bloodsans parler de Daniel Day Lewis, meneur d'une troupe unanimement excellente. On ne voit pas finalement qui d'autre aurait pu tenir ce rôle, de manière aussi intense. Pourtant, il ne tire pas tout à lui, laisse la place, même à ceux que son personnage domine. En deux heures de film, il a été capable de passer d'un Jack à l'autre : de Palance à Nicholson. L'épilogue situé en 1927 désarçonne quelque peu. Le dernier quart d'heure évoque assez ouvertement, contrairement à tout ce qui précédait, Kubrick et Shiningpar la monumentalité et la symétrie d'un décor fermé, par le mélange de grotesque et de violence et par une phrase conclusive forte et absurde. La forme peut se discuter mais il est certain que la séquence restera en mémoire.

    Dans There will be blood, intentions et réflexions se dévoilent et se développent à partir d'un récit et d'une incarnation forte, au lieu de leur pré-exister. Film ample, d'une grande ambition et s'articulant en une série de scènes magistrales, surtout dans sa partie centrale (séquence inoubliable de l'incendie du puits) : un rêve de cinéma hollywoodien comme il s'en réalise de temps en temps.

     

    PS : Arrivant un bon mois après la sortie, et dans un souci Bayrouiste de dépassement des clivages, je vous invite à lire les avis de bloggeuses et bloggeurs de bonne compagnie : Dasola, Neil, Eeguab, Ishmael.

    Photos : dvdbeaver.com

  • Être sans destin

    (Lajos Koltai / Hongrie / 2005)

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    1113820649.jpgL'une des postures critiques qui m'insupporte le plus est celle qui pose la représentation des camps de concentration et d'extermination nazis comme le tabou absolu du cinéma, celle qui assène régulièrement que depuis Shoahde Claude Lanzmann, il n'est plus possible d'aborder frontalement cette catastrophe. Si il est évident que le sujet requiert mille précautions, que l'esthétisme peut vite rendre toute mise en scène détestable, que certaines choses, comme une chambre à gaz vue de l'intérieur aux côtés des victimes, ne peuvent pas être filmées (et encore, quelqu'un, un jour, trouvera peut-être un moyen acceptable de le faire), pourquoi décréter un interdit total ? Pourquoi aucun cinéaste ne devrait essayer ? La liste de Schindler et La trêve, entre autres, ont ainsi été discrédités tour à tour (je ne parle pas de La vie est belle, que j'aime beaucoup, car son propos n'était pas de traiter de manière réaliste de la shoah). Effectivement problématiques, essentiellement en raison de choix de mise en scène très contestables pour certaines séquences (la petite fille au manteau rouge ou les douches chez Spielberg, la génuflexion de l'officier nazi face au déporté libéré chez Rosi), ces deux films n'en sont pas pour autant odieux.

    Être sans destin (Sorstalansag) est l'adaptation cinématographique d'une autobiographie, modulée en roman, d'Imre Kertesz, publiée en 1975. L'auteur, prix Nobel de littérature, s'est chargé lui-même de l'écriture du scénario et a confié la réalisation au "débutant" Lajos Koltai, grand chef opérateur des films d'Istvan Szabo notamment. Gyorgy a quatorze ans en 1944. Les juifs hongrois, relativement protégés jusque là par la dictature en place, alliée à l'Allemagne, subissent à leur tour les déportations. La première partie du récit nous montre les préparatifs du départ du père de Gyorgy pour un camp de travail et l'arrestation inattendue du garçon dans les jours suivants. L'épisode central, le plus long, décrit son séjour à Auschwitz (camp d'extermination) puis à Buchenwald (camp de concentration). Enfin, nous assistons à son retour à Budapest, suite à la libération du camp par les Américains.

    Commençons par les réserves. La première, qui saute aux oreilles, est la musique d'Ennio Morricone, d'un sentimentalisme qui va à l'encontre des autres choix de Kertesz et Koltai (on a même droit à la flûte de pan). Les séquences à Auschwitz en sont heureusement dépourvues, ce qui traduit peut-être l'embarras des auteurs face à cette partition. La seconde tient à quelques moments où Koltai se laisse un peu dériver vers la trop belle composition : un ou deux plans oniriques sur Gyorgy et surtout une plongée sur les détenus obligés de rester debout immobiles dans la cour du camp pendant des heures et se balançant de fatigue tels des herbes ondulant sous le vent.

    Mais à part ces scories, ce souci plastique porte ses fruits. La photographie est remarquable, passant insensiblement des bruns et ocres des premières scènes dans les intérieurs cossus de Budapest à un quasi-noir et blanc dans les camps, pour finir avec seulement quelques touches de couleurs qui réapparaissent avec le retour à la vie. Dans les carrières nazies, les tenues rayées des déportés se fondent dans le gris de la pierre. Entrecoupés de fondus au noir, ce sont des flashs de la vie dans l'univers concentrationnaire qui sont proposés, plutôt qu'un récit clairement articulé. C'est la grande qualité du film, ce qui fait que le pari est réussi. On est vraiment dans un flux de la mémoire, dans une succession d'instants comme autant de souvenirs terribles. Grâce à ce choix de narration, l'impression est forte d'une gestion du temps qui n'appartient plus ni au personnage, ni par extension, au spectateur. Ce flottement temporel est de plus en plus prégnant, jusqu'au passage à l'infirmerie où Gyorgy, à moitié mort, ne sait plus où il est, pourquoi on le soigne, qui gère le camp.

    Sûrs de leurs choix esthétiques et moraux, Kertesz et Koltai se permettent même de placer une réponse à La liste de Schindler, avec une scène de douche dont le "suspense" est autrement mieux justifié que chez Spielberg. Gyorgy/Kertesz, incarné avec excellence par le jeune Marcell Nagy, est le personnage idéal. Ce n'est ni un enfant auquel la réalité échapperait, ni un adulte qui prendrait à bras le corps le récit. Gyorgy se laisse porter par les événements (il ne fuit pas lors de la rafle alors que le policier hongrois lui fait un signe de la tête) et se propose en quelque sorte pour guider notre regard. A quelques rares exceptions près (voir plus haut), Koltai garde le point de vue de l'enfant. Sa défaillance, son horrible blessure, son état dans les dernières semaines sont bouleversants. Les séquences du retour sont elles aussi remarquables, par leur retenue et leur capacité à rendre la fracture irrémédiable entre ceux qui reviennent des camps et ceux qui les attendent (et qui posent toujours la question : "Comment c'était ?", question à laquelle aucune réponse ne peut alors être formulée).

    Être sans destin, passé inaperçu lors de sa sortie française en 2006, est bien, à ce jour, le film de fiction réaliste le plus satisfaisant sur le sujet.

  • Julia

    (Erick Zonca / France / 2008)

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    183517848.jpgCe n'est pas de gaieté de coeur que je m'apprête à dire du mal de Julia. J'avais beaucoup apprécié, à la fin du siècle dernier, La vie rêvée des anges et Le petit voleur. Ce retour était donc attendu et intriguait d'autant plus avec ce projet : tourner aux Etats-Unis l'histoire d'une femme sous influence (celle de l'alcool principalement) qui a cette idée folle de kidnapper un enfant de 8 ans afin d'extorquer à sa famille deux millions de dollars.

    Le problème n'est pas tellement la transplantation d'un univers. Zonca s'adapte parfaitement et sans le générique, nous serions bien en peine de démontrer que le film est réalisé par un européen. Julia, avant d'être un film noir, est un portrait de femme. Du début à la fin, la caméra reste collée à Tilda Swinton, qui se jette corps et âme dans son rôle. Dans la première partie, où on la suit de bars en bars s'enivrer jusqu'à se réveiller complètement paumée le lendemain matin dans des lits inconnus (Zonca, par son montage, nous réserve les mêmes surprises qu'elle), l'actrice réussit l'une des choses les plus difficiles au cinéma : rendre plausible l'état d'ivresse et son pendant pâteux du lever du jour.

    Le kidnapping, au cours duquel, forcément, tout va de travers, fait bifurquer le film. La dureté et l'inconscience de Julia envers Tom, le gamin, donnent une série de scènes glaçantes et l'évolution de leurs rapports est des plus réalistes. Le tourbillon organisé autour de Julia semble se calmer avec ce tête à tête imposé, d'autant plus que le drôle de couple se retrouve dans le désert californien. On s'aperçoit alors que cette femme, rendue tout à fait imprévisible par l'alcool, est finalement tout aussi insupportable à jeun. Son irresponsabilité confine à la bêtise. Pourtant, Zonca tient absolument à nous accrocher à elle (il faut reconnaître que son point de vue est rigoureusement épousé, nous ne suivons qu'elle, en laissant hors champ tout protagoniste quitté). Mais tenir aussi longtemps à côté d'un tel personnage est une sacrée gageure et le soutien d'une mise en scène d'équilibriste est nécessaire. Celle de Zonca est agitée et énergique, malheureusement elle n'est que cela. Il y a trois ans, Lodge Kerrigan avec Keane, proposait, sur un thème très voisin, le portrait d'un homme au bord du gouffre. Le voyage dans un esprit dérangé, ramassé sur 1h40, se révélait autrement plus impressionnant que les fatigantes 2h20 de Julia. Pour continuer dans les confrontations défavorables (Zonca lui-même nous y incite dans ses entretiens très référencés), la partie mexicaine ne soutient pas la comparaison avec la moindre séquence d'Amours chiennes et le long tunnel de la dernière demi-heure ne fait passer la tension des situations que par une hystérie collective particulièrement pénible.

    Je peste assez contre le manque d'ambition des cinéastes français pour ne pas regretter fortement cet échec. Il ressemble assez à celui de Bruno Dumont avec Twentynine Palms. Espérons donc que Erick Zonca enchaîne avec son Flandres à lui.

  • La ronde de nuit

    (Peter Greenaway / Grande-Bretagne - Pays-Bas - Pologne / 2007)

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    772942635.jpgRetour en demi-teinte pour Peter Greenaway avec cette évocation d'épisodes de la vie de Rembrandt s'articulant autour de la réalisation du tableau La ronde de nuit. Celui-ci est censé glorifier une milice, soit une quinzaine de gardes civiles, personnalités de haut rang aux fortes ambitions marchandes et politiques. L'oeuvre a fait date en rompant avec les conventions picturales en vigueur, notamment par la présentation dynamique des corps en un temps où les peintres proposaient dans cet exercice des portraits figés.

    Toujours stimulé par les jeux intellectuels, Greenaway, partant de ce tableau aux nombreux détails énigmatiques, a développé une intrigue montrant que Rembrandt, s'acquittant à contre-coeur de cette commande, a peint sciemment une oeuvre accusatrice révélant les activités meurtrières de ses commanditaires. Cependant, si l'on s'attend à une sorte d'enquête criminelle par le biais de l'art, La ronde de nuit (Nightwatching) déçoit quelque peu. Je me suis retrouvé fréquemment perdu au milieu de ces multiples personnages sollicitant Rembrandt et le goût de Greenaway pour les références culturelles et les phrases à double sens ne m'a guère aidé à reprendre pied. On finirait par croire le film réservé aux spécialistes de la peinture du XVIIe. Si l'on a plaisir à retrouver l'esthétique théâtrale si particulière du britannique, elle semble ici plus froide, comme en sourdine (à l'instar de la musique, qui n'est pas signée cette fois-ci par Michael Nyman).

    Le film est long (2h25) mais, oserait-on-écrire, plus long au début qu'à la fin (ce qui vaut mieux que l'inverse). Car au bout d'une heure, Greenaway daigne enfin nous montrer le fameux tableau et ses indices. La confrontation des sujets-commanditaires avec le résultat final, organisée et théâtralisée par Rembrand, est une scène formidable qui éclaire enfin et accélère le récit. Dans le même esprit, la discussion lors de l'exposition du tableau, cet échange entre Rembrandt et De Roy, fait office pour le spectateur d'explication de texte pédagogique tout à fait bienvenue et pertinente. Ainsi, c'est bien dans cette seconde partie du film que l'on retrouve toutes les qualités du cinéaste. La scène de la mort de Saskia arrive à émouvoir grâce à la distanciation. La répétition, procédé qui donna de si belles choses dans les années 80 chez Greenaway, charge d'émotion également les trois apartés que Rembrandt réserve au spectateur pour présenter ses trois femmes successives. Se remarquent enfin les obsessions habituelles du gars Peter : corps singuliers offrant une fois dénudés une beauté certaine et cohabitation dans les dialogues d'un langage savant et d'invectives grossières.

  • Capitaine Achab

    (Philippe Ramos / France / 2008)

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    1263655300.jpgPhilippe Ramos, ambitieux, a donné à Moby Dick un prologue. En laissant courir son imagination autant qu'en s'inspirant de la biographie d'Herman Melville et de la sienne, il a inventé une enfance au Capitaine Achab. Cinq chapitres égrènent des épisodes de la vie du chasseur de baleine. Seul le dernier recoupe le roman. Capitaine Achab est un film singulier, fragile et rageant.

    Un film singulier par ses propositions radicales. Intitulés "Le père", "Rose", "Mulligan", "Anna" et "Starbuck", les chapitres sont pris en charge par cinq voix-off différentes et chaque récit a une tonalité différente. Ramos entraîne une troupe d'acteurs dans un projet étrange qui mêle le théâtre et les fantasmes visuels pour aboutir à une sorte de primitivisme (on pense au cinéma muet et pas seulement pour l'abondance des ouvertures et fermetures à l'iris). Les comédiens sont pour la plupart des francs-tireurs habitués aux expériences à part. Aux côtés de Denis Lavant, Achab adulte des deux dernières parties, on trouve Jacques Bonnafé, Jean-François Stévenin ou Lou Castel (et Philippe Katerine dans un rôle tragi-comique dont il se tire bien). La musique brasse envolées lyriques et chansons pop sans que cela paraisse incongru, ce qui est un bel exploit. Un voyage magique en barque est accompagné par la voix la plus évanescente du monde, celle de la seule chanteuse qui semble vous susurrer chaque mot à votre oreille à vous, ici, dans le noir : Hope Sandoval de Mazzy Star.

    Un film fragile car en équilibre constant entre l'ellipse qui dit tout et le manque qui frustre. Le récit des origines qu'invente Ramos est constamment convaincant. Il n'était pourtant pas évident d'amener toute cette Amérique de ce côté-ci. Le panneau central ("Mulligan") est celui qui a ma préférence. Malgré toutes les limites imposées à l'expression du conte, on croit à cette rencontre avec des brigands et à cette dérive fluviale qui mène à la mer. Il suffit d'une poignée de plans très simples pour faire passer toute la fascination qu'éprouve tout à coup le petit Achab face à l'immensité (et au bruit) de l'océan. Les séquences de la blanchisserie sont moins tranchantes, malgré la présence de Dominique Blanc et l'importance de l'épisode dans l'affirmation du thème principal du film (le rapport aux femmes) et de sa couleur (la blancheur partout : des draps au ciel). Le dernier chapitre, lui, n'a pas tout à fait la force attendue avec cette mise en scène tiraillée entre les ombres de la cabine et l'ouverture sur le pont du baleinier. La chasse prend la forme d'un vieux document d'archives et sonne ainsi comme un aveu, celui de l'impossible tournage d'une séquence sensationnelle.

    C'est en cela que le film est rageant. Un cinéaste français tente un pari audacieux, qui tranche avec l'insupportable tiédeur habituelle, mais les moyens ne suivent pas (et le public non plus : projection d'hier soir, pourtant avec présentation préalable, pour cinq spectateurs, moi y compris). Comme face au Radeau de la Méduse d'Iradj Azimi sorti à grand peine en 98, nous voilà à nouveau devant un film bancal qui ne peut que proposer une épopée en creux et des fulgurances, comme quand Achab, géant, se tient droit sur la mer.