(Wes Anderson / Etats-Unis / 2007)
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Séance de rattrapage, à la faveur du festival Télérama, de l'un des petits succès de l'an dernier : A bord du Darjeeling Limited (The Darjeeling Limited) de Wes Anderson, auteur déjà culte comme diraient feu-Les Inrockuptibles mais dont je n'avais encore jamais croisé la route.
Commençons par citer des noms puisque ce cinéma-là se veut référentiel et revendique son appartenance à une famille artistique. Tournant en Inde, Anderson convoque Satyajit Ray par le biais des musiques de ses films et n'oublie pas de remercier James Ivory à la fin du générique. Il invite Bill Murray, Angelica Huston et Barbet Schroeder à jouer une poignée de minutes (le dernier endosse avec plaisir le bleu de travail d'un garagiste spécialisé dans les voitures allemandes). Il co-signe le scénario avec son acteur Jason Schwartzman et Roman Coppola. Ces réunions de people classe et cool baignant dans le ciné indépendant US et la french touch musicale pourraient s'avérer agaçantes si l'on n'y trouvait pas une certaine qualité (ce film-là), voire une qualité certaine (les trois longs-métrages de Sofia Coppola).
Ce Darjeelingdébute donc par un court-métrage séparé, tenant lieu de prologue, dans lequel un certain Jack Whitman renoue avec son ex-compagne. Située dans la chambre d'un hôtel parisien, cette mise en bouche est assez belle, Anderson réussissant à séduire le spectateur avec trois fois rien. Le cinéaste laisse les choses en suspens à l'image (usage du ralenti pour un déplacement a priori anodin), dans les dialogues (qui n'éclairent pas toute l'histoire du couple) et les comportements (le temps de réaction un peu lent de Jason Schwartzman que l'on remarque avant qu'il s'active).
Mis au centre du prologue aux côtés de Natalie Portman, Jason Schwartzman a droit à un traitement de faveur qui ne sera pas contredit par la suite, bien que son personnage soit encadré par ses deux frères (le trio sillonne l'Inde à bord d'un train, dans un périple spirituel destiné à resserrer les liens distendus entre eux mais également à renouer avec leur mère, partie sans laisser d'adresse après la mort de leur père). L'acteur créé ici l'une des figures les plus attachantes vues sur un écran ces derniers temps. L'homme et sa petite moustache apportent en tout cas plus de nouveauté que ses deux acolytes : Adrien Brody et ses lunettes et Owen Wilson et ses bandages. La balance met ainsi un peu de temps à s'équilibrer entre les trois mais le huis-clos burlesque finit par porter ses fruits. On pense, dans les meilleurs moments de Darjeeling, au Jarmusch de Down by lawpour les périgrinations de loosers magnifiques ou au cinéma de Hal Hartley pour ses répliques tirant vers la formule absurde par leur déboulement à contre-courant du dialogue. Les gags récurrents finissent par être assez irrésistibles (notamment, celui, musical, de la chanson folk que Jack lance régulièrment dans les moments intimes). Anderson transmet son plaisir de filmer ce train, louvoyant entre réalisme coloré et onirisme artificiel et assumé. Il en ressort de très belles séquences (les panoramiques brouillant les repères spatiaux lors de l'arrêt en plein désert) qui n'étouffent jamais l'humour.
Nous sommes donc conquis lorsqu'une bifurcation porte un sale coup au récit. Le train, en laissant à quai nos trois frères au bout d'une heure, nous rend un bien mauvais service. Fini le huis-clos décalé, voici venu le temps de s'émouvoir. Après l'esprit, le coeur. La séquence de l'accident et de la mort du petit indien brise le charme et l'on ne voit alors que trop bien où Anderson veut en venir : c'est au contact des gens et non dans les temples visités en touristes que les frères Whitman vivront leur expérience spirituelle et pourront se retrouver vraiment. De plus, le message est reçu avec une désagréable sensation : faire mourir un gamin autochtone, à peine une silhouette, n'importe ici qu'en termes scénaristiques de prise de conscience des héros. Le film aura beaucoup de mal à se relever par la suite, versant parfois dans le sentimentalisme (et ce n'est pas la déstabilisante arrivée de la séquence de l'enterrement du père, en flash-back, qui arrangera les choses).
Quel merveilleux voyage cela aurait été si nous étions resté dans le wagon jusqu'au bout, avec cette serveuse dont un miroir bien placé révèle un dos et un tatouage des plus sexys, avec ce serpent fugueur, avec ces trois adultes refusant de vieillir...
Passée cette parenthèse sympathique, dès demain, suite et fin des aventures de Fantômas.
Steven Soderbergh signe là en quelque sorte la suite de Carnets de voyage de Walter Salles, en décrivant la lutte armée menée par Guevara et Castro à la fin des années 50 pour renverser le dictateur cubain Batista. La guérilla est sans doute une chose relativement difficile à filmer. Soderbergh a dû prendre peur et n'a pas voulu se lancer dans une expérience trop radicale en collant aux basques du Che crapahutant pendant des jours avec ses hommes dans la forêt. Il use donc d'un montage parallèle qui accole aux séquences de guérilla des moments du voyage du commandant Guevara à New York en 1964, séjour dont le point d'orgue était le discours tenu à la tribune de l'ONU. Ces images sont tournées avec beaucoup d'afféteries en noir et blanc granuleux, dans un style très différent du reste. Sans réel intérêt stylistique, le procédé alourdit l'ensemble en le recouvrant d'un didactisme dont on se serait bien passé. Pire : sur la bande-son, les propos que tient Guevara à une journaliste américaine reviennent fréquemment surligner ce que l'on voit, ou plutôt, ce qui passe si mal à l'écran. A un moment, le Che explique que la longue et pénible marche de plusieurs jours qu'il effectua avec les blessés de son armée a renforcé sa foi révolutionnaire. J'aurais aimé le resentir plutôt que d'avoir l'explication de texte, mais pour cela, il aurait fallu que Soderbergh filme cette épreuve avec un peu plus de ferveur (je pense, par opposition, aux douloureuses séquences d'évacuation des blessés dans Kippour de Gitai).
Qu'est-ce que le Cinéma d'Auteur à la Française ?
Quittant la réserve où ils sont confinés, un groupe d'indiens Guarani décide de reprendre possession des terres dont leurs ancêtres ont été chassés. Ils installent donc un campement de fortune en bordure d'un vaste champ cultivé, propriété d'un riche fermier de la région. D'autres indigènes se joignent à eux. Malgré les tensions, des liens se tissent avec les gardes, les ouvriers ou la fille du patron, mais l'intransigeance de ce dernier demeure.
Après le très noir
Certainement dans un mauvais jour, je n'ai guère goûté ce voyage au pays des merveilles d'Agnès et me suis ainsi retrouvé à nager à contre-courant, croisant l'ensemble des critiques et blogueurs. Cette autobiographie en images de Varda démarre assez joliment : nous voyons le film en train de se faire, la cinéaste et ses techniciens mettant en place tout un dispositif scénographique à base de miroirs sur une plage. A partir de là, les souvenirs affleurent, qui iront de l'enfance en Belgique à la mort de Jacques Demy et aux récentes invitations à exposer dans de grands musées d'art contemporain. Mêlant photographies, extraits de films, reconstitutions et balades, le récit d'une vie se déroule, passant souvent du coq à l'âne, bien que la chronologie soit, dans l'ensemble, préservée.
A propos de Two lovers, les admirateurs de James Gray n'ont pas manqué de relever la constance des thèmes (la famille, le choix qui engage toute une vie) et de l'ambiance (nocturne, épaisse). Je me suis réjouis pour ma part de voir le cinéaste cette fois-ci s'éloigner de son genre de prédilection, à savoir le film noir, qui, s'il lui avait permis d'effectuer de fracassants débuts (Little Odessa), l'avait ensuite vu quelque peu encombré (The yards,
Dès le début de Hunger, quelque chose ne va pas. Cette façon de suivre ce gardien de prison, ces contre-plongées dans le couloir, ces gestes quotidiens qui en disent long...
C'est certain, un Garrel, ça ne se donne pas comme ça. Tellement Auteur, tellement centré (sur une certaine ville, sur un certain milieu social). Le long des 175 minutes que dure Les amants réguliers, il faut passer par quelques moments de flottement pour récolter ici ou là de réelles beautés et pour profiter d'une dernière heure magique.
J'ai trouvé la première partie de L'échange (Changeling) remarquable. J'ai cru à ce Los Angeles de la fin des années 20 recréé par Eastwood. Certains ont rechigné devant une "reconstitution trop soignée". Rappelons-leur qu'une reconstitution soignée hollywoodienne vaudra toujours cent fois mieux qu'une reconstitution soignée à la Française, sentant bon la brocante et les messages radiophoniques d'époque (voir l'effroyable Un secret de l'an dernier). Dans L'échange, les hommes et les femmes que l'on croise s'intègrent parfaitement à leur environnement et évoluent dans des décors photographiés magistralement par Tom Stern.