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2000s - Page 17

  • L'échange

    (Clint Eastwood / Etats-Unis / 2008)

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    echange.jpgJ'ai trouvé la première partie de L'échange (Changeling) remarquable. J'ai cru à ce Los Angeles de la fin des années 20 recréé par Eastwood. Certains ont rechigné devant une "reconstitution trop soignée". Rappelons-leur qu'une reconstitution soignée hollywoodienne vaudra toujours cent fois mieux qu'une reconstitution soignée à la Française, sentant bon la brocante et les messages radiophoniques d'époque (voir l'effroyable Un secret de l'an dernier). Dans L'échange, les hommes et les femmes que l'on croise s'intègrent parfaitement à leur environnement et évoluent dans des décors photographiés magistralement par Tom Stern.

    Dans ce milieu ouaté et pourtant rongé par les ténèbres, Christine Collins est soudain confrontée au terrible drame de la disparition de son fils Walter et de la restitution par la police d'un enfant qui n'est pas le sien. Les scènes où l'incroyable se produit, celles où cette mère se retrouve avec un inconnu devant elle, ont laissé insatisfaits plusieurs critiques ("Dans ce cas-là, on ne réagit pas comme ça...", ce genre de réflexions très pertinentes). J'y ai pour ma part trouvé une véritable sensation de trouble, le vacillement d'un esprit déjà pour le moins déstabilisé. Seul petit bémol sur ce point : le caractère et la psychologie du garçon de substitution ne sont guère développés, alors qu'ils intriguent forcément. Adoptant une belle retenue sous ces chapeaux qui l'enserrent, portant joliment sa main gantée vers le bas de son visage lorsqu'elle défaille, l'interprète de Christine Collins est une agréable découverte (on me signale en régie qu'il s'agit en fait d'une certaine Angelina Jolie, star internationale, femme de star international et mère, probablement, de futures stars internationales).

    Pour obéir à la fois aux canons du mélodrame et à ceux de la fresque sociale dénonciatrice, le film va prendre successivement plusieurs chemins. Il va ainsi s'arrêter un moment à la case asile pour femmes et malheureusement tomber sur un faux-plat dont il aura du mal à se sortir. Le récit se fait en effet beucoup plus convenu et le discours très appuyé : des dialogues sur-signifiants et des situations extrèmes veulent servir la cause des femmes, le tout vu à travers les exactions policières et l'arbitraire de l'enfermement psychiatrique. C'est dans cet hopital où atterrit Miss Collins qu'a lieu une altercation au cours de laquelle une co-détenue et amie de celle-ci assène un fulgurant coup de poing au salaud de médecin en chef. "Bien fait pour sa gueule !" ne manque pas de crier le spectateur remonté. Ce n'est pas la première fois qu'Eastwood tombe dans ce travers désagréable, mais il le fait ici à deux ou trois reprises.

    Malgré cette traversée du ventre mou du film, je n'ai pas décroché totalement grâce au second récit qui s'ouvre parallèlement : une enquète anodine débouchant sur une affreuse découverte. Le cinéaste s'y connaît pour faire monter la tension en envoyant un agent inspecter une ferme désertée. Il faut dire aussi qu'Eastwood et le cinéma américain en général n'en finissent plus de nous terroriser avec les violences subies par les enfants.

    Les scènes de procès qui suivent restent des scènes de procès (donc pas forcément palpitantes et ici bizarrement redoublées d'une affaire à l'autre, dans les mêmes lieux et au même moment, au mépris de tout réalisme). Au terme de l'une d'elles, un rebondissement, le premier d'une longue série, nous fait replonger avec plaisir dans les eaux les plus troubles. Cependant, en collant si étroitement aux divagations d'un psychotique et en usant de manière si efficace de flash-backs traumatisants, Eastwood nous fait moins partager le vertige dont est prise l'héroïne, prête à se vouer à n'importe quel saint, voire au diable lui-même, qu'il ne nous manipule sans ménagement aucun. Plus loin, l'insistance que met Christine Collins à accompagner le coupable jusqu'à son dernier souffle, jusqu'au moment où il ne pourra plus rien dire, pendu à sa corde, se comprend aisément et peut expliquer la longueur de la séquence consacrée à l'exécution. Là aussi cependant, affleure un sentiment de gêne. Eastwood s'est-il dit que l'on ne pouvait plus filmer une mise à mort de façon désinvolte ? N'a-til pas fait mine de jouer sur deux tableaux : un châtiment atroce mais un châtiment juste ? A priori similaire à celle que l'on trouve dans le film magistral de Richard Brooks, De sang froid (1967), cette scène n'a, dans L'échange, ni la même clarté, ni la même portée, ni les mêmes prolongements dans l'esprit du spectateur.

    A la suite de Million dollar baby, qui restera probablement son plus beau film (ou disons, à égalité avec Impitoyable), les derniers opus de Clint Eastwood sont, je dirai, "à voir" mais avec plus (Mémoires de nos pèresL'échange) ou moins (Lettres d'Iwo Jima) de réserves.

     

    P.S. 1 : Vous aurez remarqué, je l'espère, l'absence totale, dans ce texte des mots classicisme, réactionnaire et crépusculaire.

    P.S. 2 : Arrivant alors que le débat (virulent) autour de L'échange est largement entamé, je vous invite à lire différents points de vue, dans un ordre qui irait peu ou prou des plus énervés aux mieux contentés : chez Dr OrlofCinématique, Dasola, Rob Gordon, ShangolsLa lanterne.

  • Un conte d'été polonais

    (Andrzej Jakimowski / Pologne / 2007)

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    sztuczki.jpgVivant avec sa grande soeur et sa mère dans une petite ville de Pologne, le jeune garçon Stefek traverse la pause estivale en observant son petit monde, en jouant avec le hasard et en se persuadant que son père absent depuis si longtemps est bien là, sur le quai de la gare, et pourrait lui revenir. Un conte d'été polonais (Sztuczki) est basé sur une suite de courtes scènes impressionnistes, souvent humoristiques et sensuelles. Andrzej Jakimowski (réalisateur, producteur et scénariste) place un enfant au centre de son récit, mais de Stefek à la moindre silhouette de clochard, chaque personnage du film, quelque soit son importance, trouve sa place dans un bel équilibre. Le cadre ouvert (pratiquement toutes les scènes se passent en extérieurs) est cependant restreint à la bourgade, ce qui nous épargne les arabesques parfois fatigantes du film d'auteur choral contemporain.

    L'enfance est le sujet premier d'Un conte d'été polonais: l'enfance et cette envie de grandir, l'enfance et ce besoin d'être au contact des jeunes adultes (s'enivrer de vitesse sur la moto du copain de la soeur ou enlacer la plantureuse voisine en maillot de bain). Il en est un deuxième : le hasard. Non pas abordé de façon théorique comme l'avait (si bien) fait le compatriote Kieslowski, ni surexploité dans un entremêlement narratif tendant vers le discours pseudo-philosophique, mais perçu comme un jeu d'enfant. Là réside la principale réussite du film, faire passer ce thème au travers du regard de Stefek. Je place mes soldats de plomb sur les rails et je vois si le train les renverse. Je jette un papier dans le parc et je vois qui le ramasse. De ces expériences et observations précises, naît aussi le plaisir de tester sa capacité à détourner le cours des événements. Stefek se construit un récit qui deviendrait la réalité, il tente tout simplement d'accorder le monde à ses désirs. Cette quête prend de plus en plus d'importance et devient d'autant plus nécessaire à ses yeux quand il s'agit de déplacer litéralement la trajectoire de son père vers le foyer délaissé. On s'aperçoit ainsi, peu à peu, que chaque scène du film est placée sous le signe du hasard ou du choix. L'intelligence de Jakimowski est d'assurer la variété des formes qu'ils prennent : iconographiques (les aiguillages), psychologiques (la mère qui ne sait jamais quoi se mettre), humoristiques (le petit ami et sa moto qui démarre mal ou ses rapports avec la bimbo d'à côté)... De même, séduit la diversité dans l'importance des effets produits et l'absence d'un deus ex machina déshumanisant le récit. Cela assure la subtilité et la crédibilité de l'ensemble.

    Le contentement narratif est assuré par le jeu du hasard. Sur le plan plastique, il vient du goût prononcé des personnages pour la déambulation et de la photogénie inépuisable des déplacements en trains, voiture, moto... La topographie de la ville nous devient très vite familière et l'arbitraire des rencontres s'en trouve fortement atténué. Tous ces mouvements, Jakimowski les fluidifie, notamment lors d'une très belle séquence musicale lors de laquelle le montage alterne trois vitesses différentes : la course de Stefek, la marche tranquille du père et l'attente immobile de Elka. On pense au cinéma de Jerzy Skolimowski, auquel la course train/moto rend peut-être hommage (si l'on se remémore cet extrait, apparu il y a peu chez l'ami Joachim).

    Un joli mouvement de balancier ferroviaire, nocturne et irréel nous mène jusqu'au dénouement de ce qui est bien un conte, avec tout ce que cela comporte de légèreté et de mélancolie (essentiellement portée par le beau personnage de Elka, la soeur). Jakimowski a réussi là un film doux-amer très attachant, doublé d'une ode ensoleillée aux mini-jupes des filles.

  • Katyn

    (Andrzej Wajda / Pologne / 2007)

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    katyn.jpgAndrzej Wajda souhaitait réaliser ce film sur les massacres de Katynde 1940 depuis des années, lui dont le père, officier polonais, compte parmi les victimes des Soviétiques. Présenté en Pologne dès la fin 2007, Katyn a été là-bas le plus gros succès de l'année.

    On suit une poignée de personnages de 1939, date du désarmement de l'armée polonaise par les soviétiques occupant "pacifiquement" l'est du pays quand les nazis sont dans l'ouest (les accords ont été passés entre Hitler et Staline et le pacte de non-agression est donc en vigueur) à 1945, moment où la Pologne doit se reconstruire, sous l'emprise de l'URSS. Si quelques militaires pris dans l'étau se détachent à l'intérieur du récit, le point de vue adopté est plutôt celui des femmes et des enfants, en retrait mais toujours menacés et en attente de nouvelles. Wajda se place donc du côté des vivants et fait le choix, dans un premier temps, de ne pas représenter le massacre, tout en déroulant les faits chronologiquement jusqu'à la sortie de la guerre, tels qu'ils sont (mal) connus à l'arrière.

    Nous laissant en suspend, dans l'attente éventuelle d'images de l'horreur, Wajda élabore une narration intéressante, assez adroite dans ses développements et ses culs-de-sacs brutaux, mettant bien en évidence l'importance du traumatisme et le déchirement qu'il induit au sein d'une population prise en otage. En pointant les choix impossibles que doivent faire à la fin de la guerre ces gens, le cinéaste insiste sur la position intenable d'un pays pris éternellement entre le marteau et l'enclume, ballotté par l'histoire et devenu le jouet des grandes nations.

    Les premières images liées aux massacres que l'on voit sont celles que l'on connaît du fameux reportage allemand sur la découverte des fosses. Les nazis les montrent à partir de 1941, une fois la guerre à l'URSS déclarée et les territoires polonais entièrement conquis, dénonçant sous la propagande ce qui s'avère être la réalité. En 44 les soviétiques ayant repoussé les allemands ré-ouvrent les fosses et tournent leurs propres images en accusant les nazis. Wajda montre successivement les deux films, dont la confrontation est assez sidérante, en intégrant parfaitement leurs projections à la fiction.

    Katyndonne une quantité d'informations qui poussent à explorer plus avant le sujet (le débat qui accompagnait la séance, auquel participait une historienne et un spécialiste de Wajda, fut de ce point de vue fort éclairant). La mise en scène est classique, sans doute trop fonctionnelle mais non dénuée de subtilité. Le dernier quart d'heure est finalement consacré à la représentation de l'un des massacres. Placé ici, il permet bien évidemment, en termes de dramaturgie, de terminer sur le moment le plus fort. Il faut cependant noter que le choix est également cohérent sur le plan narratif : l'arrivée de la séquence (de 1940) concorde avec la remontée à la surface de la vérité aux yeux de l'héroïne (en 1945). Répétition des gestes et efficacité des bourreaux, les scènes sont terribles.

    Sans être réellement bouleversant, le film de Wajda remplit sa mission première avec honnêteté et justesse, abordant au-delà du témoignage quelques problèmes passionnants tels que la fidélité envers les siens ou les capacités de résistance et de rébellion de chacun.

    Vu au 19e Festival International du Film d'Histoire de Pessac. Sortie française annoncée pour le 21 janvier.

  • Il Divo

    (Paolo Sorrentino / Italie / 2008)

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    ildivo.jpgIl Divo c'est Giulio Andreotti, 90 ans en janvier prochain, membre éminent de la Démocratie Chrétienne italienne, sénateur à vie, nommé ministre à une vingtaine de reprises entre 1954 et 1989 et sept fois président du Conseil. L'homme fut au centre de toute la vie politique de son pays après-guerre. Son nom revient dans d'innombrables scandales et deux affaires le conduisirent devant la justice : dans la première, il était accusé de collusion avec la mafia et dans la deuxième, d'avoir commandité le meurtre d'un journaliste. D'une cour à l'autre, d'appel en appel, entre annulation de jugements et prescriptions, Andreotti n'eut jamais à exécuter aucune peine.

    Paolo Sorrentino brosse le portrait de "l'inoxydable" en se concentrant sur les années 80, soit le début de la fin de sa vie politique "active". Le traitement est parfois féroce, toujours ironique et même, à la limite de la parodie quand il s'attaque au premier cercle : les hommes de pouvoir entourant Andreotti, souvent douteux et tombant les uns après les autres. Sorrentino se fait un malin plaisir de rapprocher insidieusement par le montage les dramatiques événements ayant secoué la péninsule (de l'assassinat d'Aldo Moro à l'attentat contre le juge Falcone) et les petites réunions entre amis dans l'intimité d'appartements luxueux.

    A l'image de la bande originale volontairement inattendue (brassant tous les styles de Gabriel Fauré à Cassius), la mise en scène fait feu de tout bois, laissant peu de répit visuel à partir d'un sujet pourtant peu spectaculaire. Maintes manies, postures ou propos sont tournées en ridicule, les gestes incongrus étant souvent amplifiés par des ralentis. On sature quelque peu sur la longueur devant cette débauche d'effets, en se demandant comment le cinéaste va bien pouvoir clore un film qui prend ainsi la forme d'une série de vignettes acerbes, sans réel enjeu narratif. Cela dure deux heures et pourrait aussi bien en durer quatre.

    L'acteur Toni Servillo donne à Andreotti une démarche de vampire recroquevillé sur lui-même. Le minimalisme de ses mouvements, l'étrangeté de ses trajectoires, l'imperturbable masque qu'il arbore s'accordent avec les décors rongés par l'obscurité pour faire planer une ambiance assez funèbre. Paolo Sorrentino a beau multiplier les face à face, les yeux dans les yeux, entre Andreotti et le spectateur, il nous laisse l'impression, par le ton ironique adopté, de glisser sur le personnage. Ainsi, le film (Prix du jury à Cannes) ne tient pas toutes ses promesses, mais il faut certainement se réjouir de son existence et saluer l'audace de la démarche, dont il est inutile d'espérer trouver un équivalent de ce côté-ci des Alpes.

    Vu au 19e Festival International du Film d'Histoire de Pessac. Sortie française annoncée pour le 31 décembre.

  • Teza

    (Haile Gerima / Ethiopie - Allemagne / 2008)

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    teza.jpgHaile Gerima traite dans Teza d'un vaste sujet dont on ressent à chaque instant la nécessité, l'auteur ayant porté à bout de bras son projet pendant une dizaine d'années. A travers le parcours sur vingt ans d'un intellectuel exilé, ce sont les soubresauts de toute l'histoire récente de l'Ethiopie que survole Gerima.

    Le film débute dans les années 90, alors qu'Anberber retrouve son village natal, sa mère et son frère aîné. Ce retour est placé sous le signe du traumatisme : le corps est meurtri et l'esprit tourmenté. Les cauchemars et la réalité se mélangent, les anciens accueillent avec circonspection l'enfant du pays devenu étranger, l'armée est partout multipliant les enrôlements forcés, les arrestations et les exécutions sommaires. Pour rendre le malaise du personnage, Gerima nous fait partager ses pensées et a recours à une voix off trop insistante avec ses incessants questionnements ("Qui suis-je ?", "Que vais-je apporter à ma famille ?") et ses vaines tentatives de se remémorer un événement dramatique refoulé. La narration est très embrouillée, intégrant de nombreux flashbacks de l'époque où Anberber était étudiant et militant gauchiste en Allemagne, privilégiant des plans très courts et menant quelques récits parallèles. La confusion est autant narrative qu'esthétique : les moments de tensions sont excessivement stylisés et les scènes de violence sont peu lisibles.

    Lorsqu'une nouvelle couche est ajoutée au mille feuilles avec l'évocation d'une autre période, celle des années 80 et du retour au pays des élites à la suite du renversement du dictateur Haile Selassié (destitué en 1974), on se voit très inquiet, sachant que nous ne nous trouvons qu'à la moitié des 137 minutes du métrage. Pourtant, sans que l'on sache trop pourquoi, Gerima décide à ce moment-là d'abandonner ses labyrinthes spatiaux et temporels pour mener son récit de manière linéaire. Quasiment plus de sauts dans le temps, ni de voix off. Dans cette Addis-Abeba où la junte militaire traque les traîtres à la Révolution socialiste (remarquable séquence de procès politique), il ne s'agit plus de théoriser mais de survivre. Dans l'Allemagne de 1970, l'engagement politique consistait à débattre et à manifester dans les rues de Bonn. Dans l'Ethiopie de 1980, il devient une question de vie ou de mort. Chacun doit choisir : avec ou contre le régime.

    A mi-film, Haile Gerima simplifie donc son propos, faisant entièrement confiance à son scénario. Il peut alors boucler la boucle sans esbrouffe en déroulant les événements chronologiquement. Et enfin l'émotion affleure. Les idées disséminées au début, de manière si arbitraire, trouvent leur place avec justesse et les clichés deviennent évidence : le retrait de la politique et de la guerre, le repli symbolique dans la grotte, la paternité, la reprise du flambeau de l'éducation des jeunes villageois...

    Teza, film aux deux visages, a reçu le Prix du jury à la dernière Mostra de Venise.

    Vu au 19e Festival International du Film d'Histoire de Pessac. Sortie française indéterminée.

  • Appaloosa

    (Ed Harris / Etats-Unis / 2008)

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    appaloosa.jpgAppaloosa s'inscrit dans la lignée la plus classique du western. Ed Harris réalisateur choisit en effet d'assumer entièrement tous les stéréotypes du genre qu'il met en scène. L'attitude est d'ailleurs revendiquée, d'assez jolie manière, jusqu'au générique de fin défilant sur une série d'images d'objets emblématiques : une selle de cheval, un chapeau, un colt etc... Passé un prologue sec où une fusillade est filmée sans fioritures, le récit démarre par l'arrivée de deux cavaliers, introduction d'autant plus typique qu'elle s'accompagne d'une voix off. Deux heures plus tard, cette voix reviendra pour fermer le livre, se posant sur un plan de cowboy s'éloignant à cheval. On ne peut guère faire plus simple et ce refus de moderniser se révèle pour le spectateur plutôt reposant, tant au niveau esthétique que psychologique.

    Le revers de la médaille est le peu de surprises scénaristiques avant la dernière demie-heure. De plus, les chevilles narratives sont assez voyantes. Le fait qu'un événement soit toujours concomitant à un autre, dans la même scène, provoque un certain déséquilibre entre moments d'actions et séquences réflexives. Désireux d'oeuvrer à tout prix dans la sobriété, Harris ne fait malheureusement qu'effleurer certaines choses comme la problématique de la loi (son établissement, son respect, ses limites) ou plus tard celle de la fin d'un monde (celui de la conquête) coïncidant avec la naissance d'un autre (celui du capitalisme).

    L'aspect le plus intéressant du film est le lien indémêlable tissé entre deux hommes, Virgil Cole et Everett Hitch, ces deux professionnels engagés pour rétablir l'ordre dans les petites villes. Sans nous assommer avec un sous-texte homosexuel, Ed Harris parvient à faire ressentir cette forte amitié qui passe par les regards plus que par les mots (le jeu d'opposition entre les deux, Everett parlant peu mais toujours à bon escient et Virgil, butant souvent sur des mots dont il maîtrise mal la signification, est d'ailleurs un peu appuyé). L'interprétation est homogène et crédible. Face au Mal représenté par Jeremy Irons et aux côtés d'Ed Harris, Viggo Mortensen dégage une présence imposante. On n'oubliera pas ses regards et son look d'étrange cowboy élancé. Renée Zellweger hérite, elle, d'un rôle féminin difficile et d'un personnage peu aimable.

    Avec ses décors et sa photo impeccables, Appaloosa passe agréablement. Mais en restant un peu trop sur les rails, il reste en deça, dans le registre du classicisme tranquille, du mésestimé Open Range de Kevin Costner, qui était porteur de plus de beauté et d'émotion.

  • Vicky Cristina Barcelona

    (Woody Allen / Espagne - Etats-Unis / 2008)

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    vickycristina.jpgCristina prend un verre à la terrasse d'un café, en compagnie de Vicky et son mari Doug. Elle leur avoue avoir fait l'amour avec Maria Elena, l'ex de son amant Juan Antonio. Un flashback s'amorce pour illustrer la scène en question. Passés les premiers baisers et caresses, nous revenons au présent, à la terrasse, pour continuer le dialogue. Cristina et Vicky sont filmées côte à côte, se détachant d'un fond animé, dissemblables mais complices, parlant avec naturel et sérieux. Suit alors le contrechamp sur Doug, cadré seul, sans rien autour de lui, comme aspiré par le vide de la perspective. Sa défense d'une sexualité "normale" cache bien mal son trouble, suscité par la superposition de cette vision de sa femme et son amie, réunies face à lui, et des propos de cette dernière.

    Comment faire la fine bouche devant le trente-huitième long-métrage de Woody Allen alors qu'il est truffé de ce genre de trouvailles discrètes ? La moindre séquence est ici un modèle d'élégance : la série de plans rapprochés qui retarde l'arrivée sur l'écran de celui dont tout le petit groupe parle à l'exposition (Juan Antonio), les fondus enchaînés précédents le premier baiser entre Vicky et Juan Antonio, la coupe en miroir entre deux plans symétriques lorsque Cristina téléphone à Vicky (leurs hommes respectifs placés dans la profondeur), ce pré verdoyant pentu où l'on suivra Cristina en un plan étonnamment long... Pour autant, le film, convoquant l'art photographique et le tourisme, n'est pas qu'une série de brillants instantanés. Allen y fait à nouveau preuve de son art musical des transitions. Les liaisons entre les plans sont notamment assurées par une voix off que d'aucuns jugent impersonnelle alors qu'elle apporte justement la distance et le soupçon d'ironie qui transforment le simple récit en conte moral.

    Clichés touristiques ! reproche-t-on au film. Les deux héroïnes sont des jeunes femmes aisées et cultivées en vacances à Barcelone. Dîtes-moi alors comment n'iraient elles pas faire un tour à la Sagrada Familia ou au Parc Guell ? Oui, les personnages sont également stéréotypés. Mais l'avantage d'un stéréotype, c'est qu'il nous plonge directement dans le vif du sujet, qu'il plante le décor dès la première minute. Et à partir de là, on peut l'approfondir. Il suffit de se rappeler de ce que Woody Allen est parvenu à tirer l'an dernier de Ewan McGregor et de Colin Farrell pour se persuader qu'il est l'un des plus grands directeurs d'acteurs en activité. Cette fois-ci encore, il fait jouer un quatuor époustouflant. Trouble de Rebecca Hall, voix cassante de Scarlett Johansson, intensité de Penelope Cruz, oscillation entre force et tendresse de Javie Bardem (si j'étais une fille, je referai sûrement ma vie avec lui). Une idée géniale parmi d'autres : au sein du triangle amoureux, imposer, parfois sans succès, à Maria Elena (Cruz) de parler en anglais et non en espagnol, y compris dans ses crises de nerfs. Le mélange des langues et l'aisance de la comédienne dégage alors un extraordinaire sentiment de vie.

    La comédie est des plus plaisantes mais cache, comme souvent chez Allen, un pessimisme certain. L'amour inassouvi est le thème du film. "Je ne veux pas de cette vie-là" hurle-t-on pendant la crise finale. Le drame c'est que les désirs ne s'accordent pas et s'il arrive que ce soient les mêmes, les moyens de les assouvir diffèrent. Pire, une simple "insatisfaction chronique" peut déséquilibrer l'édifice que l'on croyait idéal.

    Vicky Cristina Barcelonaest le meilleur Woody Allen de la décennie.

  • Profils paysans : la vie moderne

    (Raymond Depardon / France / 2008)

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    viemoderne.jpgComme tout le monde le sait maintenant, on entre dans La vie modernepar un travelling avant automobile sur une route de campagne et on en sort par un travelling arrière. Morale ou esthétique, Depardon ne triche pas. S'il est, dans son domaine, le plus grand cinéaste français, c'est que son style symbolise exactement ce que devrait être le travail de tout documentariste : approche patiente et documentée de son sujet et inscription dans une forme précise et pensée.

    En guise de générique de fin, une touchante série de "photos animées" nous rappelle à quel point Raymond Depardon est un portraitiste hors-pair. Mais tout au long du film, c'est chaque entretien qui pourrait s'analyser en termes de composition. Pendant l'échange avec les deux vieux frères Privat, on remarque vite la présence de l'horloge dans le coin. Paul Argaud, lui, est filmé en train de regarder l'enterrement de l'Abbé Pierre à la télévision; le son et la lumière l'entourant paraissent venir de nulle part et chargent ce plan magnifique d'une étrange dimension spirituelle.

    Très strict, le dispositif, décidé une fois arrivé sur place, laisse aussi bien entrer l'imprévu : un chien s'invite à la table, un jeune garçon qui se balance sur sa chaise rentre à nouveau dans le cadre... La scène du petit déjeuner chez les Chalaye est à cet égard magnifique. Invité par ses hôtes à s'asseoir pour partager le café, Depardon entre dans le cadre qu'il a fixé. Puis, il se relève pour décaler légèrement sa caméra vers la droite afin d'obtenir un plan mieux équilibré. Tout l'art du cinéaste est condensé dans la gestion de ce petit accident du réel.

    Moins spectateur qu'auparavant, Raymond Depardon intervient beaucoup pour relancer les conversations avec les paysans. Le plus souvent, il n'obtient que des réponses brèves, accompagnées d'un regard évasif. Les "oui" ou les "non" suffisent et la rareté de cette parole interpelle et fascine. Quels silences entre ces phrases ! Des silences qui en disent long, dirait-on. A ceci près, qu'ils trahissent moins des pensées inavouées qu'ils ne font comprendre tout de suite le caractère de la personne.

    La vie moderne clôt de manière admirable une trilogie inestimable (dont le deuxième volet, Le quotidien, a déjà été évoqué ici). L'éternel retour et le passage du temps font de cet ultime épisode le plus émouvant. Le plus beau aussi, avec ce format scope (contrairement aux deux autres, celui-ci a été tourné directement pour le cinéma et non la télévision). Les images du début se seraient presque suffi à elle-mêmes, sans la musique de Fauré, tout comme celles de la fin, sur lesquelles Depardon avoue son attachement à cette terre. Sauf à considérer, à propos de ces dernières, qu'il y a des choses qu'il faut un jour savoir dire.

  • Travaux

    (Brigitte Roüan / France / 2005)

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    travaux.jpgUne comédie (!) française (!!) contemporaine (!!!) et à message (!!!!) réussie (!!!!!). Certes, à la deuxième vision, des facilités apparaissent de ci-de là, quelques passages sont à la limite, et certaines images sont un peu trop sagement métissées, mais Travaux, troisième et meilleur film de Brigitte Roüan, a quelque chose du petit miracle. La principale qualité de l'ouvrage est de ne pas chercher à jouer au malin. Les bons sentiments y sont assumés. Mieux, par l'évocation (directe mais humoristique) du système répressif en place contre les étrangers en France, ils sont, pour ainsi dire, légitimés. De surcroît, l'engagement humaniste est discrètement mais constamment, interrogé, mis à l'épreuve par la complexité des rapports avec l'autre.

    Cette histoire d'avocate, bourgeoise de gauche, qui confie les travaux de son appartement à un groupe d'immigrés, privilégie le burlesque et le grotesque plutôt que l'ironie. Le second degré télévisuel de type Canal+, qui rend la majorité des comédies françaises actuelles déplaisantes, n'a guère sa place ici. Tout juste y trouve-t-on un jeu, pas désagréable, autour de l'image de Carole Bouquet (et, à un autre niveau, de Bernard Menez et Aldo Maccionne, dans des seconds rôles). L'actrice confirme d'ailleurs dans Travaux, une fois de plus, ses dispositions pour le comique.

    Le rythme est vif, maintenu pendant les 85 minutes du film. La réactivité de la mise en scène, d'un gag à l'autre, au fil de séquences parfois très courtes, n'empêche pas une parfaite lisibilité. Quelques idées visuelles pertinentes assurent la satisfaction de l'oeil (vu en plongée, l'attroupement bavard des ouvriers sur le trottoir, jetés dehors par leur "patronne", éclate soudain aux quatre coins de la rue à l'arrivée d'une voiture de police).

    La légèreté avec laquelle est abordé la réalité de l'immigration permet de faire passer le message. Le dialogue entre Chantal (Bouquet) et son artisan sud-américain, qui lui raconte son périple tragique ayant provoqué son exil, pourrait tomber dans la facilité. Or, la scène n'est pas vue de haut et le discours n'apparaît pas plaqué, rendu possible par un instant de calme propice à la confession (tout se termine d'ailleurs par un petit gag). Quelque chose de l'altérité passe vraiment.

    L'insertion de passages de comédie musicale peuvent apparaître moins heureux que le reste. Ils sont cependant bien justifiés et leur évolution épouse parfaitement celle de l'état d'esprit de l'héroïne. Ces chorégraphies sont l'un des vecteurs du travail de Brigitte Roüan sur les corps. Toujours dans l'optique d'un confrontation du mythe Bouquet avec l'épaisseur du réel (et de ces torses latins et velus), les frottements que les ouvriers imposent par moments à Chantal (desquels elle se sort toujours avec grâce) participent aussi à ce sentiment d'équilibre tenu par le film. Même la pirouette finale a son charme. Sûre d'elle et de ses effets, n'ayant pas eu peur de frôler le ridicule, c'est bien dans la franche comédie que la cinéaste a trouvé son expression la meilleure.

  • Collateral

    (Michael Mann / Etats-Unis / 2004)

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    collateral2.jpgCollateralest énervant et ce d'autant plus que le film de genre s'y drape d'esthétisme forcené. Michael Mann a eu ce qu'il a voulu : il passe maintenant pour un grand styliste...

    Nous n'avons pas tant là une oeuvre formaliste qu'un objet chichiteux, dans lequel le cinéaste ne se résout jamais à laisser passer un seul plan, même le plus bref, qui n'en mette plein la vue par le choix du cadrage, de la lumière ou de la composition interne. Ces effets à répétition donnent une esthétique chic et lisse qui sombre vite dans la vacuité clipesque. La bande son subit le même traitement hyper-chiadé (c'est la première fois que je me trouve devant une séquence de discothèque où l'on entend à peine la musique, et cela sans aucune raison). La bande originale, elle, se résume à une soupe rock-FM imbuvable.

    Tout ceci n'est encore rien à côté du scénario, dont nous devrions accepter la nullité sous prétexte de mise en scène "souveraine" et de récit à rebondissements. L'invraisemblable est partout : aucune péripétie n'y échappe. La moindre séquence de Collateral pourrait être contestée sur ce point, la plus ahurissante étant celle qui voit le brave chauffeur de taxi se substituer au tueur lors du rendez-vous avec les commanditaires.

    La relation qui se tisse entre les deux personnages principaux, que jouent mal Tom Cruise et Jamie Foxx, repose elle aussi sur du vide. La peur et la fascination mêlée, la tentation d'une autre vie, le flirt avec la limite : aucune piste n'aboutit, plombées qu'elles sont de toute façon par des touches d'humour pathétiques (la visite rendue à la mère hospitalisée) et par une philosophie de bazar. Car bien entendu, le tueur est la personnification du Mal et de ce fait, philosophe beaucoup. Une incarnation similaire mais ô combien plus inquiétante sera proposée par Javier Bardem, plus tard, chez les frères Coen (No country for old man). L'acteur espagnol tient un rôle secondaire ici, placé au centre d'une scène symptomatique de l'échec total du film. Dans la peau de celui qui tire les ficelles, il use de périphrases, prenant un détour idiot le menant vers une fable mexicaine sur Santa Claus au lieu d'avoir une discussion simple et claire. Mais Michael Mann n'est pas à un tic auteuriste près.

    Non content de nous faire subir d'incessants retournements de situations (le dernier, qui nous révèle l'identité de la dernière victime sur la liste, est affligeant), il se montre parfois d'une grande complaisance, comme dans cette scène où Tom Cruise dégomme deux petites frappes qui en voulaient à sa mallette. Tarantino a été lynché pour trois fois moins que ça. Que l'on ne s'inquiète pas, le héros noir, que toutes les polices prennent pour le tueur, ne sera pas abattu par erreur par les flics. Nous ne sommes pas chez Romero. Nous sommes plutôt à l'opposé du spectre : dans le douteux, le clinquant, la frime...