Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

2000s - Page 16

  • Che (2ème partie : Guérilla)

    (Steven Soderbergh / Etats-Unis / 2008)

    ■□□□

    che2.jpgEn sautant par-dessus les années d'exercice du pouvoir à Cuba, nous retrouvons donc Ernesto Guevara au milieu des années 60, prenant en main clandestinement la guérilla bolivienne. Cette seconde partie de Cheest plus linéaire, plus recentrée (même si Soderbergh ne peut pas s'empêcher de filmer quelques séquences explicatives dans les hautes sphères du pouvoir, insistant notamment sur le rôle des Américains dans l'affaire), plus vigoureuse lors des affrontements armés, plus éclairante sur ce qui relie et ce qui sépare les différents peuples d'Amérique latine, que la première, mais elle ne parvient toujours pas à passionner et n'inspire pas plus de réflexions.

    Guevara est bien évidemment au centre du récit, mais ne bouche pas totalement la vue sur l'ensemble du groupe de rebelles. Malheureusement, aucune autre figure ne se détache de celui-ci. Sans être épileptique, la mise en scène tient à faire resentir la véracité de ce qu'elle organise en privilégiant les ouvertures de plans saisissantes, le montage rapide et le tremblotement incessant du cadre. Ainsi, les plans se heurtent, sans continuité, y compris dans les séquences les plus calmes. Ce chaos stylistique est tellement répandu dans le cinéma contemporain qu'il en devient la marque du plus parfait conformisme. La formule pouvait marcher pour nous plonger dans les méandres de Traffic ou d'A fleur de peau, mais ici, la longue marche vers la mort du Che manque cruellement de fluidité et ne s'élève jamais au-dessus du reportage. Sa fin est traitée relativement sobrement, mais le cinéaste ne nous évite pas le contrechamp si éloquent sur les paysans boliviens. De peur d'en faire trop ou pas assez, Soderbergh regarde à droite et à gauche, au lieu de poser patiemment son regard vers le bas pour mieux l'élever par la suite, comme sût le faire Terrence Malick, son modèle, dans La ligne rouge.

  • A bord du Darjeeling Limited

    (Wes Anderson / Etats-Unis / 2007)

    ■■□□

    darjeelingltd.jpgSéance de rattrapage, à la faveur du festival Télérama, de l'un des petits succès de l'an dernier : A bord du Darjeeling Limited (The Darjeeling Limited) de Wes Anderson, auteur déjà culte comme diraient feu-Les Inrockuptibles mais dont je n'avais encore jamais croisé la route.

    Commençons par citer des noms puisque ce cinéma-là se veut référentiel et revendique son appartenance à une famille artistique. Tournant en Inde, Anderson convoque Satyajit Ray par le biais des musiques de ses films et n'oublie pas de remercier James Ivory à la fin du générique. Il invite Bill Murray, Angelica Huston et Barbet Schroeder à jouer une poignée de minutes (le dernier endosse avec plaisir le bleu de travail d'un garagiste spécialisé dans les voitures allemandes). Il co-signe le scénario avec son acteur Jason Schwartzman et Roman Coppola. Ces réunions de people classe et cool baignant dans le ciné indépendant US et la french touch musicale pourraient s'avérer agaçantes si l'on n'y trouvait pas une certaine qualité (ce film-là), voire une qualité certaine (les trois longs-métrages de Sofia Coppola).

    Ce Darjeelingdébute donc par un court-métrage séparé, tenant lieu de prologue, dans lequel un certain Jack Whitman renoue avec son ex-compagne. Située dans la chambre d'un hôtel parisien, cette mise en bouche est assez belle, Anderson réussissant à séduire le spectateur avec trois fois rien. Le cinéaste laisse les choses en suspens à l'image (usage du ralenti pour un déplacement a priori anodin), dans les dialogues (qui n'éclairent pas toute l'histoire du couple) et les comportements (le temps de réaction un peu lent de Jason Schwartzman que l'on remarque avant qu'il s'active).

    Mis au centre du prologue aux côtés de Natalie Portman, Jason Schwartzman a droit à un traitement de faveur qui ne sera pas contredit par la suite, bien que son personnage soit encadré par ses deux frères (le trio sillonne l'Inde à bord d'un train, dans un périple spirituel destiné à resserrer les liens distendus entre eux mais également à renouer avec leur mère, partie sans laisser d'adresse après la mort de leur père). L'acteur créé ici l'une des figures les plus attachantes vues sur un écran ces derniers temps. L'homme et sa petite moustache apportent en tout cas plus de nouveauté que ses deux acolytes : Adrien Brody et ses lunettes et Owen Wilson et ses bandages. La balance met ainsi un peu de temps à s'équilibrer entre les trois mais le huis-clos burlesque finit par porter ses fruits. On pense, dans les meilleurs moments de Darjeeling, au Jarmusch de Down by lawpour les périgrinations de loosers magnifiques ou au cinéma de Hal Hartley pour ses répliques tirant vers la formule absurde par leur déboulement à contre-courant du dialogue. Les gags récurrents finissent par être assez irrésistibles (notamment, celui, musical, de la chanson folk que Jack lance régulièrment dans les moments intimes). Anderson transmet son plaisir de filmer ce train, louvoyant entre réalisme coloré et onirisme artificiel et assumé. Il en ressort de très belles séquences (les panoramiques brouillant les repères spatiaux lors de l'arrêt en plein désert) qui n'étouffent jamais l'humour.

    Nous sommes donc conquis lorsqu'une bifurcation porte un sale coup au récit. Le train, en laissant à quai nos trois frères au bout d'une heure, nous rend un bien mauvais service. Fini le huis-clos décalé, voici venu le temps de s'émouvoir. Après l'esprit, le coeur. La séquence de l'accident et de la mort du petit indien brise le charme et l'on ne voit alors que trop bien où Anderson veut en venir : c'est au contact des gens et non dans les temples visités en touristes que les frères Whitman vivront leur expérience spirituelle et pourront se retrouver vraiment. De plus, le message est reçu avec une désagréable sensation : faire mourir un gamin autochtone, à peine une silhouette, n'importe ici qu'en termes scénaristiques de prise de conscience des héros. Le film aura beaucoup de mal à se relever par la suite, versant parfois dans le sentimentalisme (et ce n'est pas la déstabilisante arrivée de la séquence de l'enterrement du père, en flash-back, qui arrangera les choses).

    Quel merveilleux voyage cela aurait été si nous étions resté dans le wagon jusqu'au bout, avec cette serveuse dont un miroir bien placé révèle un dos et un tatouage des plus sexys, avec ce serpent fugueur, avec ces trois adultes refusant de vieillir...

    Passée cette parenthèse sympathique, dès demain, suite et fin des aventures de Fantômas.

  • Che (1ére partie : L'Argentin)

    (Steven Soderbergh / Etats-Unis / 2008)

     ■□□□

    che.jpgSteven Soderbergh signe là en quelque sorte la suite de Carnets de voyage de Walter Salles, en décrivant la lutte armée menée par Guevara et Castro à la fin des années 50 pour renverser le dictateur cubain Batista. La guérilla est sans doute une chose relativement difficile à filmer. Soderbergh a dû prendre peur et n'a pas voulu se lancer dans une expérience trop radicale en collant aux basques du Che crapahutant pendant des jours avec ses hommes dans la forêt. Il use donc d'un montage parallèle qui accole aux séquences de guérilla des moments du voyage du commandant Guevara à New York en 1964, séjour dont le point d'orgue était le discours tenu à la tribune de l'ONU. Ces images sont tournées avec beaucoup d'afféteries en noir et blanc granuleux, dans un style très différent du reste. Sans réel intérêt stylistique, le procédé alourdit l'ensemble en le recouvrant d'un didactisme dont on se serait bien passé. Pire : sur la bande-son, les propos que tient Guevara à une journaliste américaine reviennent fréquemment surligner ce que l'on voit, ou plutôt, ce qui passe si mal à l'écran. A un moment, le Che explique que la longue et pénible marche de plusieurs jours qu'il effectua avec les blessés de son armée a renforcé sa foi révolutionnaire. J'aurais aimé le resentir plutôt que d'avoir l'explication de texte, mais pour cela, il aurait fallu que Soderbergh filme cette épreuve avec un peu plus de ferveur (je pense, par opposition, aux douloureuses séquences d'évacuation des blessés dans Kippour de Gitai).

    Bref, pour ne pas avoir eu suffisamment confiance en son public, le cinéaste de Traffic n'a réussi qu'un biopic traditionnel, sans aucune aspérité. Les dernières séquences de guerre urbaine passent sans trop nous réveiller. Les ellipses se remarquent à peine (ah, tiens, on lui met un plâtre, il a dû être blessé...). Assez bien menés, les dialogues entre un Che peu loquace et un Castro monopolisant la parole auraient suffi pour l'apport des éléments nécessaires à la compréhension des enjeux, au sein d'un récit qui aurait gagné en force à se limiter à un seul niveau temporel.

    Voilà voilà...

    Cette première partie ne m'inspire guère. Il paraît que le second volet est un tout autre film.

    Bien bien...

    On se fait un peu Che là, non ?

  • Clément

    (Emmanuelle Bercot / France / 2003)

    □□□□

    clement.jpgQu'est-ce que le Cinéma d'Auteur à la Française ?

    Y'a quelqu'un qui m'a dit que...

    ...c'était un cinéma aux sujets audacieux.

    Donc Emmanuelle Bercot nous raconte l'histoire d'une passion foudroyante entre une femme trentenaire et un ado de 13 ans. Le sujet est délicat et pour la cinéaste, il faut donc que les gens (et les critiques en premier lieu) repartent avec le sentiment d'avoir vu un film cru, mais aussi, pudique. Fort banalement, les scènes d'amour entre adultes seront donc franches et vigoureuses, tandis que celles entre Marion et Clément seront d'une grande délicatesse. Dans l'entre-deux, nous ne sommes ni choqués, ni émus.

    ...c'était un cinéma axé sur l'intime.

    Donc Emmanuelle Bercot s'agrippe à son sujet et ne regarde plus autour. Passée une première partie agitée et chorale, tout le reste du film, interminable, ne concernera quasiment plus que les rencontres de Marion et Clément, à l'abri des regards. Rencontres gênées tout d'abord, joyeuses ensuite et pour finir, douloureuses. Rien d'autre à voir, rien d'autre à dire. Pour Clément, quitter l'école ou le domicile familial n'est pas un problème. Quant à Marion, qui semble ne rien avoir à faire de ses journées, on nous dit qu'elle est photographe.

    ...c'était un cinéma d'expérimentations stylistiques.

    Donc Emmanuelle Bercot trouve une idée : elle filme ses séquences soit de façon sous-exposée (l'épaisseur du réel ?), soit de façon sur-exposée (la brûlure de la passion ?). La caméra DV se colle aux acteurs ou s'éloigne pour cadrer les visages en zoom. Le résultat est d'une laideur constante. Ajoutons le montage à la hussarde (ou plutôt à la Danoise) et l'instabilité perpétuelle du cadre (Bercot semble inventer sous nos yeux le concept du plan-fixe tremblotant) et nous aurons la définition parfaite d'une mise en scène informe et illisible.

    ...c'était un cinéma actuel et naturel.

    Donc Emmanuelle Bercot fait parler ses ados très mal. Les dialogues dans leur ensemble sont de toute manière d'une grande platitude. Des séquences de groupe veulent donner l'illusion de la vie, mais le travail sur la durée ne dépasse pas le collage d'instants captés sur le vif. Ainsi, le montage rend encore plus artificiel ce qui pourrait à la limite couler tout seul. Cela n'a pas empêché certains critiques de parler de Pialat (!).

    ...c'était un cinéma questionnant le corps.

    Donc Emmanuelle Bercot filme "physique". La moindre partie de football se transforme en catch. Et puisque le désir passe par là, tout ne sera qu'embrassades, roulades, danses, batailles de polochons. Ces corps, il faut les montrer et il faut les faire se dépasser. Il y aura donc, tous les quart d'heure, une scène de crise ou d'hystérie.

    ...c'était un cinéma de l'innocence.

    Donc Emmanuelle Bercot, au lieu de tirer le personnage de Clément vers le sien, infantilise totalement sa Marion. Allez vous attacher à une nana aussi inconséquente...

    ...c'était un cinéma à la première personne.

    Donc Emmanuelle Bercot est la réalisatrice, la scénariste et l'actrice principale de Clément. Pour mieux se mettre en danger, elle ne manque pas de se filmer elle-même sous toutes les coutures : souvent nue, victime de spectaculaires crises d'asthme, prostrée sur le carrelage ou sur le sable, en train de pisser (la caméra collée au plafond), parlant de ses vergetures etc...

    ...c'était un cinéma riche de son héritage.

    Donc Emmanuelle Bercot va chercher une figure tutélaire, si possible issue de la Nouvelle Vague, de façon à valider le fait d'en reprendre aveuglément les techniques et les formes. Jean-Pierre Léaud n'étant pas libre (véridique), c'est Lou Castel qui s'y colle. Son personnage est celui qui sait, celui que l'on consulte, celui qui dit la vérité. Et peu importe alors que les quatre scènes où il apparaît soient mauvaises, donnant l'impression d'improvisations poussives destinées à faire éclater ces colères imprévisibles et glaçantes dont est coutumier le comédien.

    ...c'était un cinéma allant du particulier à l'universel.

    Donc Emmanuelle Bercot doit dépasser son anecdote. Pour cela, il suffit de plaquer sur des images quelconques une partition lyrique, provoquant immédiatement le sentiment d'élévation.

    ...c'était un cinéma qui nous accompagnait longtemps.

    Les trois dernières séquences de Clément : 1/ Marion se retrouve à marcher, hébétée, dans la rue : caméra instable, lumière faiblarde, devantures de sex-shops en arrière-plan et musique de Bach sur la bande-son. 2/ Marion se revoie faisant l'amour : Emmanuelle Bercot se filme devant un miroir. 3/ Clément ouvre la lettre et la jette, puis nous gratifie d'un franc regard-caméra.

    Jusqu'à l'ultime seconde de ces 2h20 (!!), rien ne nous aura donc été épargné.

  • La terre des hommes rouges

    (Marco Bechis / Brésil - Italie / 2008)

    ■■■□

    terredeshommesrouges.jpgQuittant la réserve où ils sont confinés, un groupe d'indiens Guarani décide de reprendre possession des terres dont leurs ancêtres ont été chassés. Ils installent donc un campement de fortune en bordure d'un vaste champ cultivé, propriété d'un riche fermier de la région. D'autres indigènes se joignent à eux. Malgré les tensions, des liens se tissent avec les gardes, les ouvriers ou la fille du patron, mais l'intransigeance de ce dernier demeure.

    Dans La terre des hommes rouges (Birdwatchers - La terra degli uomini rossi), Marco Bechis, cinéaste italien d'origine chilienne et travaillant depuis toujours entre Europe et Amérique latine, se place résolument du côté des Guarani et commence par décrire non pas un choc des cultures mais une contamination irrémédiable de l'une par l'autre. Toutes les premières séquences sont construites en plaçant au centre un personnage qui nous apparaît comme attaché à certaines coutumes (par son apparence ou son comportement) et en laissant autour de lui parvenir de multiples signes, qu'ils soient sonores ou visuels, de "modernité". De cette réduction d'un espace culturel, le film passe vite à la question du territoire géographique, véritable enjeu du récit et surtout de la mise en scène.

    Le cinéaste dispose de manière limpide son décor naturel, découpé en segments mitoyens mais très différenciés : la route où défilent les camions / le bas-côté où est installé le campement / le champ du propriétaire, clôturé et gardé par une sentinelle / la forêt où l'on chasse sans ne plus rien pouvoir trouver vraiment et où l'on meurt / la rivière où l'on va chercher l'eau, où l'on s'aime, où l'on est enfin au calme. En un pas, on passe d'un monde à un autre. C'est là l'une des grandes réussites du film.

    Une autre tient dans le regard porté sur les indiens, qui évite de nous faire une leçon de choses. Bechis préfère enregistrer les comportements simplement, sans expliquer les fondements de cette société. Les échanges qui peuvent se faire entre des membres des deux groupes opposés sont également remarquablement développés. L'un d'eux aboutit à une scène de sexe dans une caravane sordide pour un résultat qu'il ne l'est pas, grâce à la vigueur, au désir et à l'humanité qui se dégagent des deux amants à ce moment-là. Une alternance se fait entre passages calmes et attentifs (où l'on sent tout de même la menace gronder) et affrontements. On pourra trouver monochrome le portrait des dominants mais il faut bien tenir jusqu'au bout l'intérêt dramatique... (et les évènements décrits sont apparemment fortement inspirés de la réalité).

    La mise en scène est discrète mais sûre, à une exception près. Bechis n'a pas trouvé de moyen satisfaisant pour traduire la présence d'un esprit maléfique, perçu, dans les moments de crise, par l'un des jeunes Guaranis. En mouvements désordonnés, une caméra subjective se rapproche vivement du protagoniste inquiet, agrémentée d'un effet sonore stressant. Deux ou trois scènes importantes sont ainsi quelque peu gâchées par l'irruption du procédé.

    Il ne s'agit que d'un détail désagréable. Quand, après le drame, Osvaldo vient dans un élan dérisoire demander des comptes, on se dit que Marco Bechis a gagné son pari, qui était selon ses dires de "parler de la forêt qui n'existe plus , plutôt que de celle qui est encore préservée".

  • Burn after reading

    (Joel et Ethan Coen / Etats-Unis / 2008)

    ■■□□

    burnafterreading.jpgAprès le très noir No country for old men, les Coen retrouvent (a priori) le sourire avec ce Burn after reading qui reprend le thème connu de l'emballement absurde d'une situation à partir d'un infime raté (ici la perte d'un cd de données personnelles appartenant à un agent de la CIA démissionaire) pour mieux ausculter la bêtise humaine. A la linéarité du précédent, succède une narration trouée et dressant un écheveau relativement complexe qui retient l'attention. Sous nos yeux s'agite une belle confrérie d'abrutis, interprétés par un trio de stars (Pitt, Clooney, Malkovich) et deux actrices pétulantes (Tilda Swinton et l'inévitable Frances McDormand). Sans offrir un résultat à tomber par terre, cette belle brochette de cabotins assure le spectacle de façon très plaisante. Sur un rythme assez bizarre (un moteur qui tourne, mais déréglé ?) et, plus étonnant, sans véritable atout plastique, le film passe, agréable mais laissant jaillir une pointe de déception.

    A moins que... nous commencions par la fin.

    Avant-dernière séquence : Coxx (Malkovich) laisse éclater toute sa haine, éructant contre ce qu'il appelle "le complot des crétins" et ne pensant pas seulement, à ce moment-là, aux quelques imbéciles essayant de lui extorquer quelques milliers de dollars mais plus largement, à tous ceux qui lui ont pourri sa vie depuis le début. L'évidence nous frappe alors. Coxx, homme par ailleurs peu aimable, est le seul être lucide de ce monde déjanté. Les insultes qu'il finissait par balancer immanquablement à chacun de ses interlocuteurs n'étaient donc pas dénuées de sens. Et contrairement à tous les autres, affligés par une paranoïa ridicule, lui est bel et bien écrasé par la bêtise ambiante. Point d'orgue d'une exaspération fort bien dosée par les auteurs, son "discours" final, aussi monstrueux soit-il, nous le montre terriblement humain.

    Dernière séquence : Deux hauts responsables de la CIA tirent les conclusions de l'affaire au cours d'un dialogue d'anthologie. A la fois dépassés et satisfaits, ils en viennent à reconnaître qu'ils n'ont rien appris, sinon à ne pas renouveler leurs erreurs (et nous pouvons être sûr du contraire). L'absurdité de la situation est aussi drôle qu'inquiétante. Le monde est décidemment insaisissable (No country... faisait le même constat), d'ailleurs, il n'y a qu'à voir la brutalité avec laquelle peut disparaître un protagoniste, même le plus "cool".

    Peu de films donnent ainsi dans leurs derniers moments l'envie de les reprendre au début, non pour éclaircir leur déroulement mais pour les refaire défiler en étant dans un autre état d'esprit. Sous les airs de la comédie farfelue, il y aurait bien du désespoir. Certains reprochent aux Coen de se vautrer dans le cynisme. Je vois plutôt chez eux une évolution pessimiste, une volonté de dénonciation de plus en plus virulente qui les pousse à ne laisser quasiment plus aucune chance à leurs personnages. Joel et Ethan continuent d'alterner grands films et oeuvres mineures mais suffisamment étranges et/ou délectables. Continuons à croire en eux...

  • Les plages d'Agnès

    (Agnès Varda / France / 2008)

    ■□□□

    plagesdagnes.jpgCertainement dans un mauvais jour, je n'ai guère goûté ce voyage au pays des merveilles d'Agnès et me suis ainsi retrouvé à nager à contre-courant, croisant l'ensemble des critiques et blogueurs. Cette autobiographie en images de Varda démarre assez joliment : nous voyons le film en train de se faire, la cinéaste et ses techniciens mettant en place tout un dispositif scénographique à base de miroirs sur une plage. A partir de là, les souvenirs affleurent, qui iront de l'enfance en Belgique à la mort de Jacques Demy et aux récentes invitations à exposer dans de grands musées d'art contemporain. Mêlant photographies, extraits de films, reconstitutions et balades, le récit d'une vie se déroule, passant souvent du coq à l'âne, bien que la chronologie soit, dans l'ensemble, préservée.

    Mis à part son enfance, bien évidemment, et ses années de formation de photographe (la partie la plus intéressante), le parcours d'Agnès Varda est très bien connu et il n'y a malheureusement, de ce côté-là aucune surprise. Cela d'autant moins, que cette sacrée bonne femme a toujours lesté ses oeuvres d'une grande part autobiographique. Nous n'apprenons donc rien de bien nouveau (certaines séquences, comme celle avec Harrison Ford, sont mises en avant par beaucoup de commentateurs qui ne précisent pas qu'elles sont tirées de films précédents de la cinéaste) et Les plages d'Agnèsprennent parfois l'allure d'un best of dispensable. A chaque période, ses films ont parlé pour elle : Cléo de 5 à 7 est tellement dans la Nouvelle Vague, L'une chante l'autre pasest tellement dans le féminisme, qu'il est inutile de les survoler ainsi, aussi superficiellement, malgré le plaisir que l'on peut prendre à en grappiller quelques plans.

    Pour articuler dans le présent ces souvenirs, Varda, cherche des trucs improbables, bricole avec plus ou moins de bonheur, déploie une série de dispositifs tirant vers le surréalisme. J'avoue ne pas avoir saisi l'intérêt d'installer des trapézistes au bord de la mer, ne pas avoir souri à la vision de cette plage-bureau créée en pleine rue parisienne. Toutes ces installations ont fini par me lasser.

    Bien sûr, pour parler d'elle, Agnès Varda a voulu parler des autres. De Jacques Demy, en premier lieu. L'évocation des derniers jours, pendant le tournage de Jacquot de Nantes est émouvante, mais cette oeuvre de 1990 me semble justement plus forte et mieux équilibrée. Parmi les nombreux amis de passage, le génial et mystérieux Chris Marker a droit à un traitement bien pataud. D'autres ne sont que des silhouettes, dont on se demande un peu pourquoi elles apparaissent, sinon pour le plaisir que prend la réalisatrice à les nommer. La brièveté des séquences (mais le film est déjà de toute façon trop long) font que certains portraits tombent dans le pittoresque (l'amateur de trains) ou l'anecdotique (le couple marié depuis 45 ans). Agnès Varda sût pourtant si bien faire parler les anonymes ailleurs que dans ce film monotone (voir les merveilleux Daguerréotypes, Les glaneurs et la glaneuse et son bonus Deux ans après, Quelques veuves de Noirmoutier).

    Je termine là cette note qui peut paraître sévère. C'est que l'on m'avait promis monts et merveilles et je me suis ennuyé. Un mauvais jour, vous dis-je...

  • Two lovers

    (James Gray / Etats-Unis / 2008)

    ■■■□

    twolovers.jpgA propos de Two lovers, les admirateurs de James Gray n'ont pas manqué de relever la constance des thèmes (la famille, le choix qui engage toute une vie) et de l'ambiance (nocturne, épaisse). Je me suis réjouis pour ma part de voir le cinéaste cette fois-ci s'éloigner de son genre de prédilection, à savoir le film noir, qui, s'il lui avait permis d'effectuer de fracassants débuts (Little Odessa), l'avait ensuite vu quelque peu encombré (The yards, La nuit nous appartient).

    La trame de son nouveau film n'a rien de novateur, reprenant le dilemme, vieux comme le monde, de l'homme hésitant entre la blonde et la brune, l'aventure et la tranquilité. Mais la convention s'accepte mieux ici que dans les deux polars précédents, grâce à l'approche terre à terre et quotidienne, qui ne grandit pas éxagéremment les personnages par rapport au récit. Comme son héros Leonard, qui ne peut s'empêcher de faire sonner ses quelques mensonges comme autant d'aveux (voir, en réponse, les contrechamps silencieux sur la mère ou la fiancée), Gray est un artiste foncièrement honnête, ne cherchant jamais à jouer au plus malin, assumant son sujet et son traitement sans prendre tout cela de haut.

    Tout au long de cette série de scènes attendues, il se sort du piège d'abord par son sens du tempo qui lui permet de les laisser durer exactement le temps qu'il faut, celui nécessaire à une modulation des états d'âme de chacun. L'homme a également un don pour poser un décor, faire vivre un lieu, qu'il soit intime (la chambre) ou public (la discothèque). Il excelle enfin dans l'approche physique des personnages, sans esbroufe ni effet-choc de proximité sensorielle, mais en faisant ressentir la présence des corps avec une grande sensibilité (plans magnifiques de baisers et de mains caressant les visages).

    La grâce et la finesse des deux interprètes féminines, Gwyneth Paltrow et Vinessa Shaw, permettent de balayer tous les clichés que pourraient véhiculer leurs personnages antagonistes. Joaquin Phoenix est, lui, dans la peau d'un homme étrange. Insister sur ses troubles psychologiques n'est sans doute pas la meilleure idée, à moins que James Gray n'ait pas trouvé mieux pour faire accepter ses petites gamineries et le fait que son acteur paraisse parfois un peu trop âgé pour le rôle. Phoenix est toutefois assez passionnant à voir jouer : son "travail" peut se faire visible mais c'est probablement le prix à payer pour atteindre l'émotion des ultimes séquences.

    Dans Two lovers, tout est affaire d'équilibre. Lors d'une scène d'amour, on remarque tout juste que les stores de la chambre ne sont pas baissés, Gray ne nous imposant aucun plan insistant sur la fenêtre, alors que le détail est primordial (non pas dramatiquement, puisqu'il ne provoque rien, mais psychologiquement). De même, le film en appelle bien d'autres mais on parlera de réminiscences et non d'hommages. Bien que (ou en raison du fait que) l'action se déroule à New York, ces réminiscences sont d'ailleurs essentiellement européennes, et particulièrement italiennes.

    Pas aussi bouleversant que l'on pourrait le souhaiter, Two lovers est toutefois un beau film triste, qui semble de bon augure pour la suite du parcours de son auteur et qui vieillira, je pense, assez bien. C'est déjà pas mal en cette année cinéma 2008 qui n'aura pas été extraordinaire (à une exception près...).

  • Hunger

    (Steve McQueen / Irlande / 2008)

    ■□□□

    hunger.jpgDès le début de Hunger, quelque chose ne va pas. Cette façon de suivre ce gardien de prison, ces contre-plongées dans le couloir, ces gestes quotidiens qui en disent long...

    Dans Hunger, on m'a montré comme jamais la réalité de l'incarcération, les sévices, la survie, la démerde. Je le savais, maintenant j'ai l'illustration. Je le visualise mieux. Merci.

    Hunger est un film à sensations, dans tous les sens du terme. Les excréments des prisonniers de l'IRA recouvrent les murs. J'ai pensé au film, bancal mais intéressant, de Philip Kaufman sur Sade (Quills, la plume et le sang).

    Hunger accumule les scènes de bastonnades dans les couloirs de cette prison anglaise qui devient le symbole de tous les lieux où l'on bafoue les plus élémentaires des droits. Steve McQueen s'intéresse aux corps, déploie une mise en scène exclusivement physique et repousse les limites de la représentation en jouant sur la répétition et la durée.

    En plein milieu de ce film aux dialogues rares, un plan séquence fixe de vingt minutes enregistrant une conversation entre Bobby Sands et un prêtre nous signale qu'il est temps de réfléchir après avoir pris tant de coups. Plutôt : il est temps d'écouter l'exposé. La lutte doit-elle être poursuivie de façon radicale ou la négociation doit-elle prendre le pas ? Le rythme des réparties est rapide, les partitions antagonistes coulent parfaitement, sans une butée sur un mot, sans une hésitation. Je suis au théâtre.

    Séquence suivante : un employé nettoie le sol du couloir, inondé de pisse. Tout le couloir. McQueen laisse tourner la caméra indéfiniment (le temps de repenser aux discours précédents ?). Gage de radicalité. Bruno Dumont ne s'y est pas trompé, allez : Caméra d'or !

    Dernière partie de Hunger : le martyr de Bobby Sands, gréviste de la faim. Description clinique mais recherche esthétique. Vomi et caméra aérienne en même temps. Le corps de l'acteur Michael Fassbender se transforme sous nos yeux. Performance.

    Je peux voir toutes les horreurs possibles au cinéma. Je déteste en revanche voir la mort en direct, ou du moins enregistrée. Celle que l'on peut se repasser en boucle sur le net. Je regarde Hunger comme je regarde la vidéo d'un pauvre américain se faire sauter la cervelle devant une caméra de télé.

    J'aime, au cinéma, être libre de mes mouvements et de mes pensées. Je me suis vu, devant Hunger, dans la peau d'Alex :

    orangemecanique.jpg
  • Les amants réguliers

    (Philippe Garrel / France / 2005)

    ■■■□

    amantsreguliers.jpgC'est certain, un Garrel, ça ne se donne pas comme ça. Tellement Auteur, tellement centré (sur une certaine ville, sur un certain milieu social). Le long des 175 minutes que dure Les amants réguliers, il faut passer par quelques moments de flottement pour récolter ici ou là de réelles beautés et pour profiter d'une dernière heure magique.

    Dans un noir et blanc épais comme une peinture ou un muet, est décrite la constitution, en mai 68, d'une petite communauté d'artistes-étudiants-révolutionnaires-petits-bourgeois, puis son délittement au fil des mois. Devant la caméra économe du cinéaste, le joli mai se fait nocturne et les échaufourées autour des barricades sont perçues, depuis la deuxième ligne, dans la longueur et l'attente, comme par l'oeil du cinéma direct. Garrel aime étirer ses plans plus que de raison. Il y manque alors parfois une tension, un but, un décalage ou une révélation, si infime soit-elle, qui justifierait en bout de course cet écoulement. Mais l'insatisfaction peut être retournée si l'on veut bien admettre que l'on partage ici comme rarement les états des personnages (au risque donc de se sentir nous aussi, de temps à autre, avachi, la pipe d'opium au bec).

    Contrairement à l'idée reçue, Garrel n'est-il pas à son meilleur dans la forme courte et vive ? Dans l'insert musical ou visuel (les numéros des maisons qui annoncent l'année en cours : 68, 69) ? Dans le court récit oral (untel racontant une anecdote, souvent liée à ses déboires avec les flics) ? Je tendrai à le penser, préférant ces flashes aux plans-séquences de groupes, où la caméra va d'un visage à l'autre, de manière plutôt répétitive. Mieux et plus passionnant encore : ce qui se passe entre les plans. Le montage est elliptique, la coupe abrupte et le raccord déstabilisant. Il en va ainsi du tournant émotionnel du film, à l'arrivée du dernier tiers : coupe pour un changement de lieu / dans l'atelier, plan très court sur le peintre (Marc Barbé) qui propose à Lilie de changer de vie / coupe / long gros plan sur Lilie qui pleure en silence.

    Philippe Garrel tarde à faire de son couple d'amants réguliers (Clotilde Hesme et Louis Garrel) le pivot du récit. Si l'on s'attache assez vite à eux, il faut laisser les autres personnages sortir de leurs poses, gagner en épaisseur et se consolider (au fur et à mesure qu'ils se fissurent). Si le sujet du film nous touche, c'est que cette désillusion post-68 passe par la désintégration d'un groupe en suivant un chemin moins politique ou sociétal (la drogue) que profondément intime.

    Dans l'une des dernières scènes, Lilie et François se retrouvent dans la rue. La lumière du jour éclate et pour la première fois, les bruits ambiants semblent envahir l'espace sonore de tout leur poids de réalité. Les deux amants sortent de leur rêve. Mais François, lui, y retournera in fine, se condamnant. Il est intéressant de voir que Garrel aborde la période 68 sous le même angle que son collègue Bernardo Bertolucci (cité dans le film à propos de son Prima della rivoluzione) dans Innocents : l'opposition entre l'intérieur et l'extérieur, l'hésitation entre le repli et l'ouverture sur le monde.