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2000s - Page 16

  • Valse avec Bachir (2ème)

    Bachir 08.jpgSi la frontière entre documentaire et fiction a été, dès le départ, arpentée par bien des cinéastes, on assiste depuis plusieurs années à une flambée de projets mêlant indissociablement les deux registres, le spectre allant des pires docu-fictions télévisées aux oeuvres les plus originales de grands documentaristes. Dans son programme, le festival de Cannes 2008 nous promettait vaguement un "documentaire d'animation" en sélection officielle. Au final, Valse avec Bachir surprenait tout le monde (sauf le jury cannois) et s'imposait comme l'un des grands films de l'année écoulée, dépassant totalement son statut initial de curiosité cinématographique...

    (la suite de cette chronique dvd, s'ajoutant à ma première note sur le film, est à lire sur Kinok)

  • Ricky

    (François Ozon / France / 2009)

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    ricky.jpgRarement un film aura si abruptement fait changer le regard porté sur lui en plaçant à mi-chemin un évènement totalement inattendu (et par conséquent, rarement l'état d'esprit du spectateur aura été aussi dépendant de sa connaissance préalable du scénario). La première moitié de Rickys'inscrit dans la veine du drame social, dans un milieu ouvrier de familles éclatées. Katie, mère d'une petite fille, Lisa, qu'elle élève seule, rencontre à l'usine Paco. Coup de foudre, installation de l'homme dans l'appartement du HLM et bientôt, naissance d'un petit garçon, prénommé Ricky. Son arrivée dans le foyer coïncide avec le début d'une crise de couple.

    Ozon nous plonge dans le quotidien le plus trivial et ce dès le plan d'ouverture : une mère (*) qui craque dans le bureau d'une assistante sociale. En décrivant un parcours classique, il a recours à de nombreuses ellipses et traite les points saillants du récit (la première étreinte, la première engueulade) de manière détournée (en jouant sur le hors-champ et le son). Il crée surtout quelques espaces infimes où peut s'engouffrer l'étrangeté. L'effet n'est pas seulement rendu perceptible par notre attente d'un retournement de situation puisque ce sont bien ces brèves montées musicales et ses nombreuses fins de séquences cadrant le visage énigmatique de la petite Lisa se tenant à l'écart qui laissent affleurer l'inconnu.

    Arrive donc le moment décisif. Le plus surprenant dans cette affaire est que François Ozon n'échange pas un registre contre un autre mais les force à cohabiter, libérant ainsi le merveilleux au sein du naturalisme. En s'acharnant à filmer une chose incroyable dans les lieux les plus communs et les plus ingrats (supermarché, immeuble délabré) et sous une lumière hivernale, il nous demande de fournir un effort considérable et prend le risque de larguer totalement certains de ses spectateurs en route. Le hiatus est immense et nous voilà accrochés désèspérément à un mince fil : notre désir de ne pas nous laisser aller au cynisme qui renverrait toute cette entreprise culotée vers le ridicule. D'accord pour suspendre ma crédulité, mais comment le maintenir en l'air ?

    La solidité du lien unissant la mère et la fille ayant été bien montré dans la première partie, peut-être qu'une contamination plus évidente de l'esprit et du regard de Katie par ceux de Lisa aurait rendu la suite plus acceptable. Seulement, Ozon s'est bien gardé de livrer une clé quelconque à son étrange histoire. La thèse du fantasme enfantin reste de l'ordre de l'hypothèse et l'explication le moins risquée reste sans doute la simple symbolique autour de la maternité. De ce point de vue, l'ultime scène de séparation est assez belle (**).

    Déroutant, décevant sans doute, Rickyn'est pas du niveau des meilleurs Ozon (que sont pour moi Sous le sable et 5x2) mais reste bien moins énervant que ses quelques ratages (Huit femmes, Angel).

     

    (*) Alexandra Lamy interprète Katie et se sort bien, jusqu'à la fin, de l'épreuve, dévoilant notamment, sous des atours banals, un corps attirant, dans une démarche qui s'inscrit parfaitement dans la thèmatique du film (on ne peut toutefois pas s'empêcher de remarquer que la volonté de casser l'image d'une actrice passe invariablement par l'affichage de sa nudité et par la demande d'un dépassement physique, ici par exemple, l'immersion dans un lac).

    (**) Alors qu'elle intervient à bon escient dans la majeure partie des séquences, la musique gâche totalement l'épilogue quand The greatestde Cat Power déboule pour les dernières secondes. Sans même parler du fait que la chanson de Chan Marshall, si belle soit-elle (et elle en a composé de merveilleuses depuis quinze ans), commence à être sur-exploitée par le cinéma et la TV, je la trouve particulièrement inadéquate ici, ne collant ni à l'univers décrit, ni aux émotions ressenties.

  • Historias minimas

    (Carlos Sorin / Argentine / 2002)

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    historiasminimas.jpgHistorias minimasest un petit film argentin qui a le charme et les limites de son projet tout entier contenu dans son titre. Ce road movie nous propose de suivre trois trajectoires distinctes mais convergeant vers un même point géographique : la ville de San Julian, en Patagonie. Le vieux Don Justo s'y rend en stop et en cachette de son fils pour récupérer son chien fugueur, Maria, partant du même village, son bébé dans les bras, prend le bus pour participer à la finale d'un jeu télévisé et Roberto, le représentant de commerce, doit conduire pour visiter une cliente qu'il semble apprécier particulièrement.

    Le ton est celui de la chronique réaliste saupoudrée d'humour. On remarque, au fil de ces portraits de petites gens (la plupart des comédiens ne sont pas des professionnels), une gentillesse partagée par tous et qui sera à peine démentie au cours des trois dénouements plus doux-amers. Les seules vibrations négatives sont transmises par la télévision, présente à chaque étape du trajet, et par l'argent. Le périple de Maria aboutit à une scène convenue de jeu télévisé avec présentateur baignant forcément dans sa suffisance et son mépris des candidates.

    Des trois personnages principaux, le plus attachant est celui du commercial, sa psychologie étant plus évolutive et sa fonction le rendant plus dynamique et volubile. Il est au centre des séquences les plus drôles, notamment celles liées au gag récurrent du gâteau d'anniversaire qu'il faut redécorer de pâtisserie en pâtisserie, au fil des doutes de Roberto concernant son destinataire, le fils (ou la fille ?) de sa cliente. L'itinéraire de Don Justo laisse plus sceptique en lestant un cabot d'un poids moral qui masque un peu trop facilement un drame bien réel (de ce point de vue, l'Histoire vraiede Lynch, à laquelle on pense parfois, était bien plus touchante).

    La mise en scène de Carlos Sorin n'est pas d'une originalité foudroyante, malgré la belle lumière de bout du monde, mais le cinéaste trouve un bel équilibre dans le traitement polyphonique du sujet. Nous épargnant un banal montage parallèle, il passe d'un récit à l'autre en laissant s'écouler des durées très variables et en avançant ainsi par blocs. La gestion des croisements des intrigues et des rencontres des personnages est intelligente, ceux-ci étant souvent avortés ou repoussés et, lorsqu'ils adviennent, ce qui est rare, toujours inattendus. Dans ce monde poliment déséspéré (ou aux petites espérances), les leçons tirées par chacun sont similaires mais les destins restent uniques et les histoires personnelles bien séparées.

  • Walkyrie

    (Bryan Singer / Etats-Unis / 2008)

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    walkyrie.jpgPour être tout à fait franc, j'avais décidé d'aimer Walkyrie (Valkyrie) avant de le voir. Parce que la majorité de la critique s'en était saisi avec des pincettes (et "l'efficacité sans la profondeur..." et "la fascination pour l'uniforme..." et "le sujet en or gâché..." et blablabla). Parce que le Black book de Verhoeven, qui traitait de la même période, m'avait très agréablement surpris à sa sortie alors que j'y étais allé à reculons. Parce qu'il est devenu si facile de se foutre de la gueule de Tom Cruise. Parce que le sujet m'intriguait alors que je me foutais pas mal des précédents projets de Bryan Singer puisque, mis à part le fameux Usual suspects à propos duquel il est de bon ton aujourd'hui de passer sous silence le plaisir pris au moment de sa découverte, je ne connais que le premier X-Men, sans intérêt (parfois la presse semble juger les cinéastes sur leur réputation ou leur film précédent et non sur ce qu'elle a vraiment sous les yeux : on ne pardonne pas à Singer ses films de super-héros alors que l'on s'agenouille devant le Benjamin Button de Fincher en souvenir de l'excellent Zodiac). Soulagement à l'issue de la projection : j'avais raison et il serait inutile de plier les cheveux en quatre pour justifier mon enthousiasme.

    Menée par un noyau dur d'officiers de la Wehrmacht en 1944, l'opération Walkyrie était destinée à assassiner Hitler, prendre le pouvoir à Berlin et négocier la fin de la guerre avec les alliés. Le nom de code reprenait celui d'une directive signée par le Führer lui-même, donnant la possibilité d'une mise en alerte rapide des forces SS en cas de coup d'état de l'intérieur. Le cerveau et l'acteur principal de cette ultime tentative contre Hitler était le colonel Von Stauffenberg.

    On a reproché à Singer de ne pas proposer un travail d'historien novateur (fallait-il qu'il change de métier ?) et de ne pas aborder certains aspects (Tom Cruise aurait-il dû, en plus, sauver un petit juif ?). Pire, son film n'aurait finalement pour but que de faire le tri entre bons et méchants allemands. Rien n'est plus faux. Les officiers cherchant la rupture avec le troisième reich ne sont jamais présentés de manière attendrissante, seul Stauffenberg étant vu en présence de sa femme et de ses enfants, dont il n'aura d'ailleurs, comme le spectateur, plus aucune nouvelle à mi-parcours et ce jusqu'à la fin. Même s'ils gardent la dignité que leur confère leur rang, ce ne sont pas non plus des humanistes portés par un même idéal : le héros est fidèle à sa vision de l'Allemagne éternelle et à ses valeurs chrétiennes, les autres s'inquiètent du jugement de l'histoire, veulent en finir avec la guerre ou font preuve d'opportunisme.

    Le sujet est en lui-même passionnant et Singer a su le transcrire remarquablement. Certes, tous les personnages parlent en anglais (comme dans le formidable Croix de fer, mais comme il s'agit de Peckinpah, là cela ne gêne personne) mais le choix est assumé à l'écran de fort belle manière. Le titre du film s'annonce dans la langue originale (Walküre) et les premiers mots sont dits également en allemand, faisant entendre ce qu'écrit un soldat sur son journal. Puis, au fur et à mesure que la caméra nous laisse reconnaître Tom Cruise, sa voix se superpose pour prendre en charge le récit en anglais. Sans faire des pieds et des mains, Singer trouve ainsi régulièrement de belles idées. Il concentre son attention sur le groupe de gradés comploteurs mais sait aussi se tourner discrètement vers les sous-officiers et les employés, à l'affût de leurs réactions. On voit sur les visages déboussolés des standardistes et des simples soldats les effets de l'annonce de la mort d'Hitler et des informations contradictoires  qui en découlent. La vision de ce monde-là en paraît d'autant plus juste et l'économie est faîte d'une reconstitution plombante de l'extérieur.

    La larme sur la joue de la secrétaire de Stauffenberg est-elle dûe à son impuissance à contacter par téléphone la famille exilée de son chef, à sa tristesse devant son échec ou à sa peur d'être prise au piège des SS aux portes du bâtiment ? Le cinéaste laisse bien des choses adventices en suspens, comme il use avec parcimonie du spectaculaire, le rendant d'autant plus percutant (l'attaque sur le front, l'explosion dans le bunker) qu'il n'intervient pas forcément là où il le devrait (l'arrestation sans course poursuite). Le plus grisant dans tout cela est sans doute la montée et le maintien parfait d'un suspense confiné en des endroits clos et banals (bureaux, salles de réunion). Par l'excellence de l'interprétation, la mise en scène des objets (valises, explosifs, téléphones), le montage vigoureux mais toujours lisible, toute la partie centrale nous tient en haleine sans baisse d'intensité.

    L'un des pièges tendus à Singer était une ré-écriture de l'histoire dans un regard trop moderne et donc anachronique : mener un récit qui ne peut pas avoir été pensé comme cela par les protagonistes de cette époque (les plus savants parlent d'uchronie). Manifestement fidèle aux faits, il se détourne avec élégance de la chausse-trappe de la fiction historique mensongère. La question que tout le monde peut se poser ("Et si tout cela avait marché ?"), il n'en laisse passer que les prémisses en illustrant brièvement le déroulement idéal du programme de la prise de pouvoir au moment où il est dévoilé par les chefs à leurs sous-officiers ou, plus loin, en cadrant le visage de Stauffenberg s'enfuyant du bunker fumant, à la fois tendu et sûr d'avoir réussi son coup. Ce n'est pas mentir que de filmer ces moments-là, mais bien célébrer l'une des merveilleuses possibilités du cinéma, tout en restant honnête par rapport à son sujet.

    Mener à bien une telle entreprise en moins de deux heures et en proposant un spectacle si prenant vaut bien un coup de chapeau.

  • Un baiser s'il vous plaît

    (Emmanuel Mouret / France / 2007)

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    Unbaisersvp.jpgA Nantes, Gabriel rencontre Emilie, parisienne de passage, mariée et repartant le lendemain. Le courant passe si bien entre les deux, qu'après le dîner, il lui demande un baiser "sans conséquence", ce qu'elle lui refuse poliment. Elle se justifiera en lui racontant jusqu'au milieu de la nuit, l'aventure vécue par deux de ses amis : Judith et Nicolas. C'est cette histoire qui, sous forme de flash-back, est au centre du film.

    Dans Un baiser s'il vous plaît, un récit en cache un autre (ou deux), le comique cache une réflexion sur l'amour, l'amitié et le désir, une couette cache deux corps nus. L'humour naît ici du décalage entre ce que ressentent réellement les personnages et ce qu'ils veulent bien admettre (Judith et Nicolas sont attirés l'un par l'autre mais refusent de reconnaître qu'ils sont emportés par la passion même au plus fort de l'étreinte, cherchant à analyser sans cesse leur comportement, à leurs yeux inadéquat, comme si leur corps était détaché de leur esprit). Ce refus de se voir tel que l'on est ne contamine pas, heureusement, le regard d'Emmanuel Mouret cinéaste. On sent son plaisir à filmer cet argument. De plus, un jeu permanent avec ce milieu bourgeois, engoncé, cultivé et parisien se dégage du film. Sans aller jusqu'au second degré ou l'ironie féroce, l'insistance à placer les personnages en pleine discussion devant des bibliothèques ou des tableaux et l'étalement des séquences de bavardages font sourire.

    L'aberrante logique des réactions des personnages provoque quelques passages assez irrésistibles (dont une mémorable séquence de rupture empreinte de calme et de compréhension mutuelle parfaitement inattendue), le seul problème étant que le comique est strictement limité à ce registre. Le film n'avance donc pas beaucoup et au bout d'une heure, Mouret se décide à changer de cap en lançant Judith, Nicolas et Caline, l'ex de ce dernier, dans un fumeux stratagème. La mise en place de celui-ci est assez savoureuse mais ses conséquences sont décevantes, destinées qu'elles sont à ramener tout le monde sur terre, à tirer vers la morale de l'histoire. Le quatrième protagoniste, qui n'était jusqu'alors qu'une silhouette, prend de l'importance et offre au spectateur les premières réactions censées et réalistes dans ce microcosme si étrange, créant ainsi un déséquilibre malvenu.

    On finit par se détacher des personnages et le retour de bâton ne suffit pas à les rendre plus proches (après tout, comme aurait dit ma grand-mère, "ils sont bien bêtes et c'est bien fait pour eux"). Ce relatif désintérêt s'étend même au couple de départ (celui de Gabriel et Emilie), pourtant porteur de plus de réalité. Mais terminons sur une bonne note : le film est souvent drôle et remarquablement interprété (par Mouret lui-même, Virginie Ledoyen, Julie Gayet, Michael Cohen et l'épatante Frédérique Bel, dans le rôle de Caline, tête-à-claque très émouvante).

  • Che (2ème partie : Guérilla)

    (Steven Soderbergh / Etats-Unis / 2008)

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    che2.jpgEn sautant par-dessus les années d'exercice du pouvoir à Cuba, nous retrouvons donc Ernesto Guevara au milieu des années 60, prenant en main clandestinement la guérilla bolivienne. Cette seconde partie de Cheest plus linéaire, plus recentrée (même si Soderbergh ne peut pas s'empêcher de filmer quelques séquences explicatives dans les hautes sphères du pouvoir, insistant notamment sur le rôle des Américains dans l'affaire), plus vigoureuse lors des affrontements armés, plus éclairante sur ce qui relie et ce qui sépare les différents peuples d'Amérique latine, que la première, mais elle ne parvient toujours pas à passionner et n'inspire pas plus de réflexions.

    Guevara est bien évidemment au centre du récit, mais ne bouche pas totalement la vue sur l'ensemble du groupe de rebelles. Malheureusement, aucune autre figure ne se détache de celui-ci. Sans être épileptique, la mise en scène tient à faire resentir la véracité de ce qu'elle organise en privilégiant les ouvertures de plans saisissantes, le montage rapide et le tremblotement incessant du cadre. Ainsi, les plans se heurtent, sans continuité, y compris dans les séquences les plus calmes. Ce chaos stylistique est tellement répandu dans le cinéma contemporain qu'il en devient la marque du plus parfait conformisme. La formule pouvait marcher pour nous plonger dans les méandres de Traffic ou d'A fleur de peau, mais ici, la longue marche vers la mort du Che manque cruellement de fluidité et ne s'élève jamais au-dessus du reportage. Sa fin est traitée relativement sobrement, mais le cinéaste ne nous évite pas le contrechamp si éloquent sur les paysans boliviens. De peur d'en faire trop ou pas assez, Soderbergh regarde à droite et à gauche, au lieu de poser patiemment son regard vers le bas pour mieux l'élever par la suite, comme sût le faire Terrence Malick, son modèle, dans La ligne rouge.

  • A bord du Darjeeling Limited

    (Wes Anderson / Etats-Unis / 2007)

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    darjeelingltd.jpgSéance de rattrapage, à la faveur du festival Télérama, de l'un des petits succès de l'an dernier : A bord du Darjeeling Limited (The Darjeeling Limited) de Wes Anderson, auteur déjà culte comme diraient feu-Les Inrockuptibles mais dont je n'avais encore jamais croisé la route.

    Commençons par citer des noms puisque ce cinéma-là se veut référentiel et revendique son appartenance à une famille artistique. Tournant en Inde, Anderson convoque Satyajit Ray par le biais des musiques de ses films et n'oublie pas de remercier James Ivory à la fin du générique. Il invite Bill Murray, Angelica Huston et Barbet Schroeder à jouer une poignée de minutes (le dernier endosse avec plaisir le bleu de travail d'un garagiste spécialisé dans les voitures allemandes). Il co-signe le scénario avec son acteur Jason Schwartzman et Roman Coppola. Ces réunions de people classe et cool baignant dans le ciné indépendant US et la french touch musicale pourraient s'avérer agaçantes si l'on n'y trouvait pas une certaine qualité (ce film-là), voire une qualité certaine (les trois longs-métrages de Sofia Coppola).

    Ce Darjeelingdébute donc par un court-métrage séparé, tenant lieu de prologue, dans lequel un certain Jack Whitman renoue avec son ex-compagne. Située dans la chambre d'un hôtel parisien, cette mise en bouche est assez belle, Anderson réussissant à séduire le spectateur avec trois fois rien. Le cinéaste laisse les choses en suspens à l'image (usage du ralenti pour un déplacement a priori anodin), dans les dialogues (qui n'éclairent pas toute l'histoire du couple) et les comportements (le temps de réaction un peu lent de Jason Schwartzman que l'on remarque avant qu'il s'active).

    Mis au centre du prologue aux côtés de Natalie Portman, Jason Schwartzman a droit à un traitement de faveur qui ne sera pas contredit par la suite, bien que son personnage soit encadré par ses deux frères (le trio sillonne l'Inde à bord d'un train, dans un périple spirituel destiné à resserrer les liens distendus entre eux mais également à renouer avec leur mère, partie sans laisser d'adresse après la mort de leur père). L'acteur créé ici l'une des figures les plus attachantes vues sur un écran ces derniers temps. L'homme et sa petite moustache apportent en tout cas plus de nouveauté que ses deux acolytes : Adrien Brody et ses lunettes et Owen Wilson et ses bandages. La balance met ainsi un peu de temps à s'équilibrer entre les trois mais le huis-clos burlesque finit par porter ses fruits. On pense, dans les meilleurs moments de Darjeeling, au Jarmusch de Down by lawpour les périgrinations de loosers magnifiques ou au cinéma de Hal Hartley pour ses répliques tirant vers la formule absurde par leur déboulement à contre-courant du dialogue. Les gags récurrents finissent par être assez irrésistibles (notamment, celui, musical, de la chanson folk que Jack lance régulièrment dans les moments intimes). Anderson transmet son plaisir de filmer ce train, louvoyant entre réalisme coloré et onirisme artificiel et assumé. Il en ressort de très belles séquences (les panoramiques brouillant les repères spatiaux lors de l'arrêt en plein désert) qui n'étouffent jamais l'humour.

    Nous sommes donc conquis lorsqu'une bifurcation porte un sale coup au récit. Le train, en laissant à quai nos trois frères au bout d'une heure, nous rend un bien mauvais service. Fini le huis-clos décalé, voici venu le temps de s'émouvoir. Après l'esprit, le coeur. La séquence de l'accident et de la mort du petit indien brise le charme et l'on ne voit alors que trop bien où Anderson veut en venir : c'est au contact des gens et non dans les temples visités en touristes que les frères Whitman vivront leur expérience spirituelle et pourront se retrouver vraiment. De plus, le message est reçu avec une désagréable sensation : faire mourir un gamin autochtone, à peine une silhouette, n'importe ici qu'en termes scénaristiques de prise de conscience des héros. Le film aura beaucoup de mal à se relever par la suite, versant parfois dans le sentimentalisme (et ce n'est pas la déstabilisante arrivée de la séquence de l'enterrement du père, en flash-back, qui arrangera les choses).

    Quel merveilleux voyage cela aurait été si nous étions resté dans le wagon jusqu'au bout, avec cette serveuse dont un miroir bien placé révèle un dos et un tatouage des plus sexys, avec ce serpent fugueur, avec ces trois adultes refusant de vieillir...

    Passée cette parenthèse sympathique, dès demain, suite et fin des aventures de Fantômas.

  • Che (1ére partie : L'Argentin)

    (Steven Soderbergh / Etats-Unis / 2008)

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    che.jpgSteven Soderbergh signe là en quelque sorte la suite de Carnets de voyage de Walter Salles, en décrivant la lutte armée menée par Guevara et Castro à la fin des années 50 pour renverser le dictateur cubain Batista. La guérilla est sans doute une chose relativement difficile à filmer. Soderbergh a dû prendre peur et n'a pas voulu se lancer dans une expérience trop radicale en collant aux basques du Che crapahutant pendant des jours avec ses hommes dans la forêt. Il use donc d'un montage parallèle qui accole aux séquences de guérilla des moments du voyage du commandant Guevara à New York en 1964, séjour dont le point d'orgue était le discours tenu à la tribune de l'ONU. Ces images sont tournées avec beaucoup d'afféteries en noir et blanc granuleux, dans un style très différent du reste. Sans réel intérêt stylistique, le procédé alourdit l'ensemble en le recouvrant d'un didactisme dont on se serait bien passé. Pire : sur la bande-son, les propos que tient Guevara à une journaliste américaine reviennent fréquemment surligner ce que l'on voit, ou plutôt, ce qui passe si mal à l'écran. A un moment, le Che explique que la longue et pénible marche de plusieurs jours qu'il effectua avec les blessés de son armée a renforcé sa foi révolutionnaire. J'aurais aimé le resentir plutôt que d'avoir l'explication de texte, mais pour cela, il aurait fallu que Soderbergh filme cette épreuve avec un peu plus de ferveur (je pense, par opposition, aux douloureuses séquences d'évacuation des blessés dans Kippour de Gitai).

    Bref, pour ne pas avoir eu suffisamment confiance en son public, le cinéaste de Traffic n'a réussi qu'un biopic traditionnel, sans aucune aspérité. Les dernières séquences de guerre urbaine passent sans trop nous réveiller. Les ellipses se remarquent à peine (ah, tiens, on lui met un plâtre, il a dû être blessé...). Assez bien menés, les dialogues entre un Che peu loquace et un Castro monopolisant la parole auraient suffi pour l'apport des éléments nécessaires à la compréhension des enjeux, au sein d'un récit qui aurait gagné en force à se limiter à un seul niveau temporel.

    Voilà voilà...

    Cette première partie ne m'inspire guère. Il paraît que le second volet est un tout autre film.

    Bien bien...

    On se fait un peu Che là, non ?

  • Clément

    (Emmanuelle Bercot / France / 2003)

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    clement.jpgQu'est-ce que le Cinéma d'Auteur à la Française ?

    Y'a quelqu'un qui m'a dit que...

    ...c'était un cinéma aux sujets audacieux.

    Donc Emmanuelle Bercot nous raconte l'histoire d'une passion foudroyante entre une femme trentenaire et un ado de 13 ans. Le sujet est délicat et pour la cinéaste, il faut donc que les gens (et les critiques en premier lieu) repartent avec le sentiment d'avoir vu un film cru, mais aussi, pudique. Fort banalement, les scènes d'amour entre adultes seront donc franches et vigoureuses, tandis que celles entre Marion et Clément seront d'une grande délicatesse. Dans l'entre-deux, nous ne sommes ni choqués, ni émus.

    ...c'était un cinéma axé sur l'intime.

    Donc Emmanuelle Bercot s'agrippe à son sujet et ne regarde plus autour. Passée une première partie agitée et chorale, tout le reste du film, interminable, ne concernera quasiment plus que les rencontres de Marion et Clément, à l'abri des regards. Rencontres gênées tout d'abord, joyeuses ensuite et pour finir, douloureuses. Rien d'autre à voir, rien d'autre à dire. Pour Clément, quitter l'école ou le domicile familial n'est pas un problème. Quant à Marion, qui semble ne rien avoir à faire de ses journées, on nous dit qu'elle est photographe.

    ...c'était un cinéma d'expérimentations stylistiques.

    Donc Emmanuelle Bercot trouve une idée : elle filme ses séquences soit de façon sous-exposée (l'épaisseur du réel ?), soit de façon sur-exposée (la brûlure de la passion ?). La caméra DV se colle aux acteurs ou s'éloigne pour cadrer les visages en zoom. Le résultat est d'une laideur constante. Ajoutons le montage à la hussarde (ou plutôt à la Danoise) et l'instabilité perpétuelle du cadre (Bercot semble inventer sous nos yeux le concept du plan-fixe tremblotant) et nous aurons la définition parfaite d'une mise en scène informe et illisible.

    ...c'était un cinéma actuel et naturel.

    Donc Emmanuelle Bercot fait parler ses ados très mal. Les dialogues dans leur ensemble sont de toute manière d'une grande platitude. Des séquences de groupe veulent donner l'illusion de la vie, mais le travail sur la durée ne dépasse pas le collage d'instants captés sur le vif. Ainsi, le montage rend encore plus artificiel ce qui pourrait à la limite couler tout seul. Cela n'a pas empêché certains critiques de parler de Pialat (!).

    ...c'était un cinéma questionnant le corps.

    Donc Emmanuelle Bercot filme "physique". La moindre partie de football se transforme en catch. Et puisque le désir passe par là, tout ne sera qu'embrassades, roulades, danses, batailles de polochons. Ces corps, il faut les montrer et il faut les faire se dépasser. Il y aura donc, tous les quart d'heure, une scène de crise ou d'hystérie.

    ...c'était un cinéma de l'innocence.

    Donc Emmanuelle Bercot, au lieu de tirer le personnage de Clément vers le sien, infantilise totalement sa Marion. Allez vous attacher à une nana aussi inconséquente...

    ...c'était un cinéma à la première personne.

    Donc Emmanuelle Bercot est la réalisatrice, la scénariste et l'actrice principale de Clément. Pour mieux se mettre en danger, elle ne manque pas de se filmer elle-même sous toutes les coutures : souvent nue, victime de spectaculaires crises d'asthme, prostrée sur le carrelage ou sur le sable, en train de pisser (la caméra collée au plafond), parlant de ses vergetures etc...

    ...c'était un cinéma riche de son héritage.

    Donc Emmanuelle Bercot va chercher une figure tutélaire, si possible issue de la Nouvelle Vague, de façon à valider le fait d'en reprendre aveuglément les techniques et les formes. Jean-Pierre Léaud n'étant pas libre (véridique), c'est Lou Castel qui s'y colle. Son personnage est celui qui sait, celui que l'on consulte, celui qui dit la vérité. Et peu importe alors que les quatre scènes où il apparaît soient mauvaises, donnant l'impression d'improvisations poussives destinées à faire éclater ces colères imprévisibles et glaçantes dont est coutumier le comédien.

    ...c'était un cinéma allant du particulier à l'universel.

    Donc Emmanuelle Bercot doit dépasser son anecdote. Pour cela, il suffit de plaquer sur des images quelconques une partition lyrique, provoquant immédiatement le sentiment d'élévation.

    ...c'était un cinéma qui nous accompagnait longtemps.

    Les trois dernières séquences de Clément : 1/ Marion se retrouve à marcher, hébétée, dans la rue : caméra instable, lumière faiblarde, devantures de sex-shops en arrière-plan et musique de Bach sur la bande-son. 2/ Marion se revoie faisant l'amour : Emmanuelle Bercot se filme devant un miroir. 3/ Clément ouvre la lettre et la jette, puis nous gratifie d'un franc regard-caméra.

    Jusqu'à l'ultime seconde de ces 2h20 (!!), rien ne nous aura donc été épargné.

  • La terre des hommes rouges

    (Marco Bechis / Brésil - Italie / 2008)

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    terredeshommesrouges.jpgQuittant la réserve où ils sont confinés, un groupe d'indiens Guarani décide de reprendre possession des terres dont leurs ancêtres ont été chassés. Ils installent donc un campement de fortune en bordure d'un vaste champ cultivé, propriété d'un riche fermier de la région. D'autres indigènes se joignent à eux. Malgré les tensions, des liens se tissent avec les gardes, les ouvriers ou la fille du patron, mais l'intransigeance de ce dernier demeure.

    Dans La terre des hommes rouges (Birdwatchers - La terra degli uomini rossi), Marco Bechis, cinéaste italien d'origine chilienne et travaillant depuis toujours entre Europe et Amérique latine, se place résolument du côté des Guarani et commence par décrire non pas un choc des cultures mais une contamination irrémédiable de l'une par l'autre. Toutes les premières séquences sont construites en plaçant au centre un personnage qui nous apparaît comme attaché à certaines coutumes (par son apparence ou son comportement) et en laissant autour de lui parvenir de multiples signes, qu'ils soient sonores ou visuels, de "modernité". De cette réduction d'un espace culturel, le film passe vite à la question du territoire géographique, véritable enjeu du récit et surtout de la mise en scène.

    Le cinéaste dispose de manière limpide son décor naturel, découpé en segments mitoyens mais très différenciés : la route où défilent les camions / le bas-côté où est installé le campement / le champ du propriétaire, clôturé et gardé par une sentinelle / la forêt où l'on chasse sans ne plus rien pouvoir trouver vraiment et où l'on meurt / la rivière où l'on va chercher l'eau, où l'on s'aime, où l'on est enfin au calme. En un pas, on passe d'un monde à un autre. C'est là l'une des grandes réussites du film.

    Une autre tient dans le regard porté sur les indiens, qui évite de nous faire une leçon de choses. Bechis préfère enregistrer les comportements simplement, sans expliquer les fondements de cette société. Les échanges qui peuvent se faire entre des membres des deux groupes opposés sont également remarquablement développés. L'un d'eux aboutit à une scène de sexe dans une caravane sordide pour un résultat qu'il ne l'est pas, grâce à la vigueur, au désir et à l'humanité qui se dégagent des deux amants à ce moment-là. Une alternance se fait entre passages calmes et attentifs (où l'on sent tout de même la menace gronder) et affrontements. On pourra trouver monochrome le portrait des dominants mais il faut bien tenir jusqu'au bout l'intérêt dramatique... (et les évènements décrits sont apparemment fortement inspirés de la réalité).

    La mise en scène est discrète mais sûre, à une exception près. Bechis n'a pas trouvé de moyen satisfaisant pour traduire la présence d'un esprit maléfique, perçu, dans les moments de crise, par l'un des jeunes Guaranis. En mouvements désordonnés, une caméra subjective se rapproche vivement du protagoniste inquiet, agrémentée d'un effet sonore stressant. Deux ou trois scènes importantes sont ainsi quelque peu gâchées par l'irruption du procédé.

    Il ne s'agit que d'un détail désagréable. Quand, après le drame, Osvaldo vient dans un élan dérisoire demander des comptes, on se dit que Marco Bechis a gagné son pari, qui était selon ses dires de "parler de la forêt qui n'existe plus , plutôt que de celle qui est encore préservée".