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2000s - Page 14

  • Les trois royaumes

    (John Woo / Chine / 2008)

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    les3royaumes.jpgLes trois royaumes (Chi bi) c'est :

    - le cinéma comme un livre d'images bruyant,

    - l'art de faire croire que l'on propose une réflexion originale sur la guerre alors que l'on ne fait qu'accumuler de banales considérations stratégiques,

    - le cinéma pensé en termes de morcellement et la transformation des rares plans-séquences en jeu vidéo,

    - l'adhésion à une vision moderne de la guerre, rendant compte de la confusion totale des combats, mais seulement réduite ici à une toile de fond servant à mettre en valeur les exploits physiques hors du commun (et en apesanteur) de quelques héros,

    - 2h30 de plans centrés sur une poignée de généraux et 4 secondes sur une femme pleurant au milieu de dizaines de cadavres de soldats (flash appuyé, il est vrai, par une sage parole du vainqueur de l'homérique bataille : "Aujourd'hui, nous avons TOUS perdu"),

    - une troupe de comédiens photogéniques et compétents (Tony Leung et Takeshi Kaneshiro en tête),

    - une débauche d'effets numériques ne parvenant toujours pas à lester du poids du réel un passé lointain et se limitant à donner une certaine idée (transparente) du gigantisme,

    - le cinéma de grande consommation de John Woo, ni pire ni meilleur aujourd'hui qu'hier (Volte/Face) ou avant-hier (The killer).

  • Tokyo sonata

    (Kiyoshi Kurosawa / Japon / 2008)

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    tokyosonata.jpgAprès dix ans de rendez-vous manqués, je rencontre enfin Kiyoshi Kurosawa. Il me plaît.

    La singulière réussite de Tokyo sonata tient tout d'abord à son imprévisibilité. Le thème abordé (le délitement d'une cellule familiale) n'a pourtant rien de novateur et l'argument moteur (le licenciement du père, qui n'en dit mot à personne) a déjà été utilisé ailleurs. Au départ, chacun se trouve dans la position attendue : le père stressé par son travail, la mère discrète au foyer, l'ado toujours absent de la maison et le petit dernier sensible et doué. Les subterfuges du chef de famille et l'organisation de ses journées, entre recherche d'emploi humiliante et soupe populaire, tracent la voie principale du récit, qui frappe assez vite par ses constantes ruptures de ton. Kurosawa ayant souvent oeuvré dans le genre du fantastique, il excelle à faire naître l'étrange par petites touches esthétiques (la lumière projetée par un téléviseur, le bruits des trains) et il nous entraîne, dans les pas de son héros malheureux, à la découverte d'un monde insoupçonné et absurde, là où derrière un groupe de cadres supérieurs cravatés et pendus à leur mobile peut se cacher une armée de l'ombre de chômeurs au bord du gouffre.

    A ce premier point de vue, le film en ajoute deux autres : celui du fils aîné qui, lassé des petits boulots ne menant nulle part, décide de s'engager dans l'armée américaine et celui du plus jeune qui prend des cours de piano en cachette. Ces développements narratifs parallèles pourraient être unifiés par une mise en scène chorale et unanimiste privilégiant la fluidité des transitions. Or, ces histoires (toutes secrètes) sont étanches. En effet, Kiyoshi Kurosawa use d'ellipses et de raccords brutaux, heurtant ses séquences. La coupe, c'est un mur. Tout est séparation.

    Tokyo sonata est un précis de dynamique, soit l'étude des forces et des mouvements qu'elles provoquent. A ce stade du récit, l'édifice familial ne semble tenir que par la présence en arrière-plan de la mère. Celle-ci n'a pas encore eu droit à son histoire à elle (ça viendra). Elle se contente de faire le lien. Mais la pression est trop forte et le foyer doit exploser. Une série de crises familiales éclate donc et les déflagrations successives affolent les trajectoires : trois fuites opposées, trois courses effrénées en résultent (la quatrième, celle du fils aîné, se fait hors-champ). Le sentiment de liberté que procure cette prise de vitesse soudaine est toutefois de courte durée. Finalement, la plus grande douleur ne vient pas de l'explosion elle-même, mais de son souffle, projetant les personnages trop violemment. Il leur faudra reprendre tous leurs esprits pour repartir à zéro, après avoir, en quelque sorte, ressuscité.

    Dans le dernier tiers du film, Kurosawa ne cesse donc de tordre son récit. Comme il nous a habitué au fur et à mesure à cette avancée chaotique, il peut tout se permettre et laisser flotter d'admirables moments de cinéma (l'accompagnement par la caméra de la fuite en voiture, la révélation sur la plage au petit matin). Il peut surtout, au final, faire converger toutes les lignes qu'il a tracé, à l'occasion de l'un des plus beaux dénouements qu'il nous ait été donné de voir depuis longtemps. La musique, si parcimonieusement mais si remarquablement utilisée jusque là, envahit alors l'espace et les différentes histoires ne font plus qu'une, enfin.

  • Wendy et Lucy

    (Kelly Reichardt / Etats-Unis / 2008)

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    wendyandlucy.jpgC'est l'histoire d'une fille fauchée, en route pour l'Alaska, seulement accompagnée de sa chienne Lucy, et qui se retrouve coincée dans une petite ville de l'Oregon par la panne de sa voiture et la perte de l'animal.

    Pour Wendy et Lucy (Wendy and Lucy), Kelly Reichardt fait le pari du minimalisme des moyens, de la mise en scène et de l'argument. Si ténu soit-il, le fil narratif ne se délite pas. L'intérêt est constamment maintenu car la cinéaste co-scénariste prend soin, bien que ne filmant que des situations a priori anodines, de faire naître des micro-récits du quotidien (les différentes rencontres que fait Wendy, son bref séjour en cellule...) et de charger certaines séquences d'un potentiel fictionnel sans prolongement effectif (ces passages sont le plus souvent inquiétants, porteurs de menaces d'autant plus oppressantes que l'héroïne est, à ces moments-là, clairement vulnérable). Le spectre de l'ennui est déjà repoussé sur ce flan.

    Kelly Reichardt se détourne de la non-fiction extrémiste (l'absence de récit) aussi bien que du néo-réalisme formaliste (la beauté du vide). Un équilibre est trouvé entre les quelques plans larges situant Wendy dans les rues de la ville et une majorité de plans rapprochés sur les personnages. Ne surtout pas voir dans ce dernier choix de mise en scène un manque d'inventivité ou d'ampleur. Cette proximité vise évidemment à l'empathie mais elle n'est pas forcée par une caméra à l'épaule qui se plaquerait sous le nez des comédiens. Ces cadrages à hauteur de poitrine libèrent surtout une évidence : celle de la présence de chacun. Ces gens sont vraiment là, ils lestent le plan de tout leur poids. De plus, ce rapprochement qui ne vise que l'essentiel permet à Reichardt de ne pas surplomber son sujet, de ne pas livrer son message social clé en main. De ce point de vue, la séquence dans le commissariat de police est remarquable par son refus d'écraser Wendy sous le poids de l'institution qu'il faudrait critiquer. Il n'y a aucun plan d'ensemble. Nous ne voyons que des bribes de décors, quelques détails, quelques gestes de policiers (qui, malgré cette parcellisation, gardent leur identité puisqu'il ne s'agit pas non plus de les déshumaniser). C'est ainsi, sans en avoir l'air, que Wendy et Lucy décrit un monde en déshérence nécessitant une lutte de tous les jours.

    Dessinant de formidables portraits, captant la ville sans artifices et faisant parfaitement ressentir le basculement des repères entre le jour et la nuit (alternance si importante pour Wendy dans son mode de vie marginal) Kelly Reichardt offre également un rôle magnifique, mystérieux et émouvant à Michelle Williams. A deux ou trois reprises, lorsqu'elle rapproche son visage d'une vitre de voiture, elle ressemble à Barbara Loden dans Wanda.

  • La Famille Tenenbaum

    (Wes Anderson / Etats-Unis / 2001)

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    tenenbaums.jpgLa Famille Tenenbaum (The Royal Tenenbaums) ou la comédie américaine la plus surévaluée de la décennie.

    Dès un prologue tant vanté, prenant la forme d'un album de famille déjantée et traînant déjà en longueur, la réussite technique et décorative soutient, sous couvert d'originalité, un bon paquet d'idioties. Nous sommes devant un cinéma de la vignette ironique. Chaque plan est autonome et du découpage ne naît aucune progression narrative. Anderson parvient même, à l'occasion du "morceau de bravoure" du film, à filmer un plan-séquence qui ne lie pas les différents groupes auxquels il s'intéresse mais semble les séparer en leur réservant des dialogues distincts sous forme de mini-sketch.

    Chantre d'un certain humour décalé, le jeune cinéaste use et abuse des champs-contrechamps fixes donnant à voir soudainement, de manière totalement inattendue, des personnages impassibles, accoutrés bizarrement et placés dans un cadre improbable, généralement surchargé de couleurs criardes et de bibelots concentrant toute la nostalgie de l'enfance. Wes Anderson ne semble connaître que cette figure de style. De plus, 1h45 de slowburn, ça finit par lasser et par donner l'impression que le film dure 3 plombes, sans parler de l'uniformisation du jeu des acteurs. Pris dans ce glacis, les trois gags burlesques (la chute de Danny Glover, le coup de couteau donné à Gene Hackman et l'accident de voiture d'Owen Wilson) tombent à plat, ne provoquant aucun effet notable sur le spectateur endormi.

    Chaque personnage n'est qu'un bloc. Seul celui d'Hackman évolue mais de façon totalement prévisible. Jusqu'au dernier quart d'heure, les protagonistes sont caractérisés par une unique tenue : Ben Stiller et ses deux garçons sont en survet' Adidas rouge (Ha Ha Ha !), Owen Wilson est en cowboy (Ho Ho Ho !), Luke Wilson ne quitte pas son bandeau de tennisman (Hi Hi Hi !)... A force de se décaler, le regard nous fait perdre tout contact avec le sujet et les personnages et l'humour devient incompréhensible.

    La bande-originale nous fait voyager à travers les différentes époques de la musique underground et indépendante. Si remarquable qu'elle soit, au lieu de charmer, elle ne fait que souligner les petites manières du cinéaste, par la maladresse de l'emploi qui en est fait (enchaîner autour d'une séquence de tentative de suicide deux chansons des regrettés Elliott Smith et Nick Drake, quelle classe ! et puis c'est tellement plus subtil que de faire appel au répertoire de Kurt Cobain ou de Ian Curtis, n'est-ce pas...?).

    Enfin, inutile de préciser que cette crise familiale ne fera que renforcer les liens et que tout le monde, au terme de cette histoire à l'eau de rose, se sera amélioré.

    Si ça se trouve, il vaut mieux fréquenter les Familles Addams, Foldingue, Pierrafeu, Cucuroux, Duraton... que sais-je encore...

     

    Merci (quand même) à Mariaque.

  • Martyrs

    (Pascal Laugier / France / 2008)

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    martyrs.jpgJe vous ai parlé l'autre jour de cet ami qui m'a prêté le dvd du navet d'Alexandre Bustillo et Julien Maury. J'ai omis toutefois de vous préciser qu'il s'agissait d'un paquet à double détente, comprenant l'autre "film de genre à la française" ayant défrayé la chronique en 2008.

    Je ne peux pas dire que Martyrs (puisqu'il s'agit bien de lui) m'ait plu, mais je l'ai trouvé bien moins naze qu'A l'intérieur. L'introduction nous montre la fin du calvaire de Lucie, dix ans, s'évadant de l'endroit où elle fut longtemps séquestrée et torturée. Tentant, tant bien que mal, de se reconstruire en hôpital psychiatrique, elle se lie d'amitié avec Anna. Quinze ans plus tard, les deux jeunes femmes se côtoient toujours. Lucie retrouve la trace de ses anciens tortionnaires, cachés sous l'apparence d'une famille sans histoire, et les abat au fusil de chasse. Anna l'aide à nettoyer le pavillon. Cela prend tu temps, d'autant que Lucie se débat avec ses propres démons sanglants. Anna découvre alors un sous-sol...

    La première heure de Martyrs voit s'accumuler de manière éprouvante des agressions à répétition qui, hormis un carnage familial filmé très brutalement, en appellent aux tics esthétiques habituels destinés à créer l'angoisse (ce qui ne manque pas d'arriver) : stridences sonores, brusques changements de point de vue, caméra flottante épousant un regard de voyeur. La psychologie se réduit à peu de choses, ne découlant que du traumatisme initial (ce que l'on peut, dans une certaine mesure, accepter, en comprenant que le cinéaste souhaite foncer tête baissée et sans porter de jugement moral) et l'interprétation est dans l'ensemble assez mauvaise (ce qui est beaucoup plus rédhibitoire). La bataille engagée entre Lucie et son effrayante alter ego imaginaire met à contribution le coeur et l'estomac (ça taillade à tout va). Malgré leur relative réussite technique, ces scènes-là sont particulièrement fatigantes.

    Le film avance par segments d'intérêt inégal mais cette construction finit par intriguer. Le scénario déroule un programme qui n'est pas vraiment celui auquel nous nous attendons. Des protagonistes disparaissent subitement, sans que ne clignote juste avant, sur leur front, l'avertissement "Prochaine victime". De leur côté, les deux filles restent sans trop de raison valable dans ce pavillon inondé de sang, le monde semblant se réduire à ce lieu clos. L'arbitraire se change alors imperceptiblement en étrangeté, permettant l'acceptation de nouvelles ouvertures narratives fort improbables.

    Le dernier virage amorcé par le récit fait tout le prix (certes discount) de Martyrs. Du slasher pur jus, nous basculons dans la parabole mystique, certes toujours extrèmement violente mais beaucoup plus froide (et plus reposante, oserai-je dire, sinon moralement, du moins physiquement). La caméra se fixe enfin, la lumière est plus vive, les dialogues remplacent les cris incessants, le regard est clinique. Moins protégé par la présence d'un genre définissable, on s'interrogera à satiété sur le terme de "complaisance" après avoir assister à cette série de tortures sur une femme. Notons tout de même de réels parti-pris qui tendent selon moi à rendre supportable et donc intéressante la chose : l'ancrage du récit dans un nouveau décor inclinant vers la science-fiction, la mise à jour d'un complot dont on ne soupçonnait rien, la ritualisation des outrages, la caractérisation de bourreaux-fonctionnaires. Dans cette dernière demi-heure, Laugier met sa caméra à la bonne distance.

    Finalement, il s'agissait donc de torturer pour créer des figures de martyrs pouvant témoigner de l'au-delà. Moralement, la réflexion des auteurs est fort discutable mais le ridicule est évité constamment, notamment dans ce dénouement terriblement casse-gueule et dans lequel le cinéaste, avec un bel aplomb et une audace certaine, tend vers l'abstraction et laisse affleurer quelques réminiscences glorieuses, de Dreyer à Kubrick. Que ces noms remontent, même de manière subliminale, dans ce contexte-là, est plutôt un bon signe.

    Trop de défauts plombent la première heure de Martyrs pour que je m'engage dans une réelle défense de l'oeuvre, mais elle est à prendre au sérieux et mérite mieux qu'un revers de main dédaigneux (ou une réduction à une affaire d'interdiction aux moins de 18 ans).

  • OSS 117 : Rio ne répond plus

    (Michel Hazanavicius / France / 2009)

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    oss1172.jpgLa même chose, en mieux (à tous points de vue), pour aboutir enfin à ce miracle : une comédie française hilarante, soignée, audacieuse et surtout, réellement travaillée.

    Michel Hazanavicius et son co-scénariste Jean-François Halin ont envoyé cette fois-ci OSS 117 en mission à Rio, le forçant à faire équipe avec le Mossad ("-...le quoi ? - Le Mossad, les services secrets israéliens.") afin de récupérer un microfilm détenu par un ancien nazi. Dès le début, on se réjouit d'une écriture réfléchie, aux effets soupesés non dans le sens d'une recherche de compromis mais bien dans celle de la bonne place d'un curseur poussé le plus loin possible sans mettre en danger la cohérence de l'ensemble. Les scènes ne se réduisent jamais à un gag ou une réplique mais vont à leur terme, dans une succession logique et parfaitement articulée. Avant de partir pour le Brésil, OSS 117 récupère les plans d'un pédalo, imaginé par un copain de bureau. Bien plus tard (le temps que le spectateur les oublie), ceux-ci lui serviront lorsqu'il s'agira de traverser un fleuve infesté de crocodiles. Mais, là réside l'habileté du cinéaste, ce pédalo ridicule, nous ne le verrons pas, l'énorme gag visuel nous étant épargné par une ellipse (qui en décuple d'autant la force). Ailleurs, à l'occasion d'une réception, OSS 117 se déguise en Robin des Bois (celui d'Errol Flynn). L'effet est déjà réjouissant en tant que tel, mais il y aura mieux : transfiguré par son habit, notre homme lancera un vibrant "message d'espoir" à ces dignitaires nazis dont il "comprend la colère". Plusieurs fois, il est fait allusion au vertige dont souffre le héros. L'éternel retour du souvenir traumatisant d'un passé de trapéziste ne se fait toutefois pas seulement dans le but d'ajouter un clin d'oeil esthétique mais nous prépare à un dénouement bâti sur d'élégantes variations hitchcockiennes.

    Le contexte historique (celui des années 50) contribuait déjà à la bonne tenue du premier épisode. L'idée de situer le deuxième en 1967 est tout aussi riche. Les ahurissantes lectures géopolitiques dont nous gratifie le meilleur espion français sont proprement irrésistibles. Parmi tant d'autres, un brillant dialogue tournant autour de la définition d'une dictature égratigne bien malicieusement la France de De Gaulle. Même en fréquentant le monde des hippies, si facile à moquer, Hazanavicius s'en sort. Le moralisme dont fait preuve OSS 117 à leur encontre est toujours aussi savoureusement con mais surtout, le passage obligé vers la drogue et l'amour libre nous vaut une séquence particulièrement étonnante, centrée autour des fesses à Dujardin.

    Soulignons que le jeu de ce dernier a gagné en précision, tant dans ses expressions que dans ses mouvements. Son corps devient source de burlesque par sa façon de traverser les pluies de balles en se protégeant le visage, de sursauter à la rencontre de son ombre, de s'acharner à vider un crocodile. Dans le rôle féminin, je découvre avec plaisir Louise Monot, parfaite en double d'OSS 117 qui a oublié d'être idiote. Cette Dolorès, obligée de cohabiter avec lui et repoussant clairement ses basses avances, sait contrer fermement les propos racistes sans donner de leçon (l'une des faiblesses du premier épisode).

    Et sur ce plan-là, elle a du boulot ! Les dérapages machistes, xénophobes et antisémites ("ces propos maladroits" comme le dit OSS) abondent, débouchant de manière surprenante sur les définitions des humours juifs et nazis. Hazanavicius et Halin, c'est certain, seraient vite virés de Charlie Hebdo s'ils y travaillaient. Faire rire de ce qui n'est pas drôle (puisqu'incorrect ou vraiment vaseux) et nous faire demander si l'on rit de la bêtise du personnage ou de ce qu'il dit : voilà bien l'un des tours de force du film. Bien plus que Le Caire, nid d'espions, Rio ne répond plus est un feu d'artifice de répliques, désarmantes de connerie ("- Le génocide. - Ah oui... Quelle histoire !") ou savoureuses par leur désuétude ("Je vais l'occire", "Vous avez vos vapeurs ?"), et c'est tout à l'honneur des auteurs que cette série de mots "bientôt cultes" soit bien plus délicate à placer que les (trop) fameux "Félix il a un gros kiki", "Okkkay !" et autres expressions du Nord.

    Bien sûr, ces inventions de dialoguistes tourneraient à vide sans une mise en scène pertinente. On se pince donc en se voyant de surcroît gratifiés de belles idées, qu'elles soient visuelles (les tâches de sang des diverses victimes ou du crocodile, les héros désignés par leur accoutrement au milieu d'uniformes nazis), sonores (la poursuite autour des chutes d'eau) ou rythmiques (le flash-back gigogne de la double séance de torture de l'agent secret par le général SS). L'usage récurrent du split screen ne renvoie pas à un film en particulier, il s'insère parfaitement à l'esthétique et au récit. Ainsi, sans que l'efficacité comique ne s'amenuise, l'écart se trouve resserré entre le monde décrit, qui a sa cohérence, et le regard humoristique le surplombant. L'oeuvre s'est extraite du pastiche, elle est devenue autonome. Un miracle, oui.

  • The wrestler

    (Darren Aronofsky / Etats-Unis / 2008)

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    thewrestler.jpgPour raconter la fin de carrière d'une ancienne gloire du catch Randy "The Ram", Darren Aronofsky choisit de filmer l'icône Mickey Rourke à l'européenne (ou, plus précisément, à la belge ?) : plans-séquences en caméra portée, cadrages à hauteur de nuque, photographie granuleuse et environnement sans attrait (salles des fêtes, vestiaires, supermarchés...). Ce qui pourrait apparaître comme une coquetterie auteuriste est vite justifié par l'immersion dans ce monde si particulier du catch et par l'ébahissement devant un corps d'acteur incroyable.

    L'approche documentaire à l'oeuvre dans The wrestlerpermet de faire passer de multiples détails informatifs sans faire dans le didactisme. Le regard d'Aronofsky sur ces catcheurs est empathique, fraternel, à l'opposé d'une démarche qui traquerait la supercherie du spectacle. Si la "mise en scène" des shows est démontée, elle ne l'est jamais au détriment des protagonistes. Rendre ces derniers attachants, même lorsqu'ils écoutent du hard rock, était pour le cinéaste un sacré pari, finalement remporté haut la main.

    Etre allé chercher Mickey Rourke en était un autre, tout aussi payant. L'imposante présence de l'ex-boxeur est ici un formidable gage d'authenticité. Cette vérité corporelle qu'il dégage empêche que le parallèle pouvant être fait entre l'acteur et son personnage viennent parasiter le plaisir éprouvé à ce récit (mais pour qui a revu récemment Rusty James, le choc est tout de même rude lors de la découverte du Mickey Rourke d'aujourd'hui). Développer cette double dimension à partir d'un autre sujet, non sportif, n'aurait certainement pas eu cet impact. Ici, le physique bouscule tout.

    La première moitié du film tient du petit chef d'oeuvre. La seconde, une fois tombé le couperet de la crise cardiaque, passionne moins. La tentative de reconversion et le rachat auprès de la fille dirigent la fiction vers un terrain plus convenu, sur-dramatisant, malgré les précautions prises par le cinéaste, jouant en sobriété sur un fond de mélo. Quelques séquences traînent en longueur (celles au supermarché) et le redoublement du parcours de Randy par celui de son amie strip-teaseuse alourdit sensiblement le scénario. Le monde du catch s'éloignant, les surprises diminuent. Les corps s'effacent derrière les mots (Randy doit renouer le dialogue, intime et social) et c'est un peu moins fascinant. Mais le film reste émouvant jusqu'à la fin, proposant de beaux portraits de marginaux magnifiques.

    PS : Vous avez sans doute remarqué que je n'ai pas écrit la phrase que l'on peut lire partout : "Le nouveau Darren Aronofsky est pour moi une agréable surprise". C'est que je n'avais encore rien vu du bonhomme. Cependant, comme j'entends de plus en plus de gens dire "Je suis sans doute la seule personne au monde à ne pas avoir aiméRequiem for a dream", j'ai comme une envie soudaine de découvrir au moins celui-là.

  • Ponyo sur la falaise

    (Hayao Miyazaki / Japon / 2008)

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    ponyo.jpgPonyo sur la falaise (Gake no ue no Ponyo) est l'occasion pour moi de renouer avec plaisir avec l'oeuvre de Miyazaki, délaissé (involontairement) depuis l'extraordinaire Princesse Mononoke. Le miracle de ce cinéma-là est décidemment sa capacité à toucher avec la même intensité et dans le même mouvement les spectateurs de tous âges. Si les meilleures productions animées américaines peuvent y parvenir également, elles usent de moyens différenciés à l'intérieur même de leurs récits, en contentant le plus souvent le public adulte par la perfection technique ou l'emploi du second degré et des clins d'oeil cinématographiques. Les films du maître japonais sont en ce sens beaucoup plus homogènes, l'émotion et le rire des "petits et grands" éclatant en même temps.

    Vu de notre hauteur à nous, si Ponyo est aussi plaisant, il l'est d'abord par son apparente simplicité et le calme de son tempo. Certes, quelques temps forts se détachent mais ils ne sont pas placés stratégiquement dans le récit afin d'organiser un crescendo émotionnel efficace. A l'image de la longue discussion entre la déesse de la mer et le sorcier Fujimoto, chaque séquence prend le temps qu'il faut. La simplicité de l'argument et l'approche réaliste de la société japonaise contemporaine permet à Miyazaki un traitement tout en délicatesse des thèmes qui lui tiennent toujours à coeur. Le message écologique passe sans ostentation, par deux ou trois répliques non généralisantes. De même, la façon dont le cinéaste aborde le tsunami est éblouissante et particulièrement émouvante, nous renvoyant vers les forces de la nature et nous maintenant en équilibre sur une corde tendue entre l'angoisse et le jeu.

    Le dessin de Miyazaki mêle archaïsme et modernité, fonds crayonnés et aplats denses. Le merveilleux et le quotidien peuvent s'y cotoyer dans le plus grand naturel (formidables séquences de "traque" de Ponyo et Sosuke par Fujimoto). L'apparente acceptation de l'improbable par les adultes, leur refus de questionner plus avant les enfants aident également à entretenir ce climat. C'est que tout, dans Ponyo, tend à unifier idéalement deux mondes distincts. Dans les dernières scènes, nous ne savons plus si l'on se trouve dans l'eau ou à l'air pur, qui est humain et qui ne l'est pas. Et le plus beau dans tout cela est que rien n'est expliqué, laissant ainsi à chaque spectateur (avec son âge, sa sensibilité et sa culture propres) toute latitude dans l'interprétation. Libre à nous d'emprunter ou pas les pistes ouvertes sous des prétextes magiques. Parle-t-on de la vie et de la mort ? Aucun dialogue n'y renvoie explicitement mais des signes sont posés : l'engloutissement, le passage du tunnel, le "rajeunissement" des pensionnaires de la maison de retraite...

    Ponyo chante la réunion possible de l'homme et de la nature, des enfants et des parents, des poissons préhistoriques et des bateaux à moteur, des vieillards et des gamins. L'harmonie est le but ultime, atteint ici par le recours au merveilleux plutôt qu'à la sentence et au sentimentalisme.

  • A l'intérieur

    (Julien Maury et Alexandre Bustillo / France / 2007)

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    alinterieur.jpgUn ami bien intentionné (?), amateur d'horreur, m'a prêté cet A l'intérieur qui l'avait fortement marqué à sa sortie en salles. Grâce à lui, j'ai donc pu voir un prodigieux navet.

    Le film de Maury et Bustillo a beau s'intégrer à un corpus d'oeuvres récentes visant à imposer un vrai cinéma de genre à la française, reprendre de manière "décomplexée" tous les codes du slasher et affronter sans détour le gore, il lui manque, à tous les niveaux, ce sans quoi rien ne peut tenir lorsque l'on a la volonté d'éviter le second degré : la rigueur.

    La mise en scène repose uniquement sur une série d'idées visuelles, le problème étant qu'elles sont toutes mauvaises (une seule exception : la présence, à peine perceptible, de Béatrice Dalle dans la profondeur, lorsqu'Alysson Paradis téléphone sur son canapé). La plus débile est assurément l'insertion, lors des séquences de lutte ou de chocs, de plans intra-utérins du foetus porté par l'héroïne et subissant lui aussi les agressions. Pas plus heureux : les décrochages expérimentaux lynchiens consacrés à Béatrice Dalle en crise. Le décor a, lui, une caractéristique singulière : il est brumeux, ce qui est assez étrange pour l'intérieur d'un pavillon de banlieue.

    On me dira peut-être que la loi du genre est respectée mais pourquoi doit-on se taper des apparitions-disparitions de la tueuse aussi invraisemblables, des pièces aussi bien isolées mais aux portes aussi peu résistantes, des comparses victimes aussi dépassés et des policiers aussi incompétents ? Faire entrer dans la maison d'où éclatent des coups de feu un troisième flic inquiet du sort de ses deux collègues et entraînant de force un pauvre jeune de la cité d'à côté, arrêté juste avant pour des broutilles : ce choix a-t-il une autre logique que celle du chantage à l'originalité (lancer dans la mêlée sanglante deux hommes enchaînés l'un à l'autre) ? Le récit est situé en pleine crise des banlieues. Sous-texte politique ? Non, juste une manière de justifier que la police soit débordée. L'héroïne est photographe ? Il faut donc qu'elle découvre à la loupe la présence de la tueuse dans ses propres clichés et qu'elle utilise le flash de son appareil photo pour y voir quand le courant est coupé (brillante trouvaille partagée par à peine une centaine d'autres cinéastes).

    A coups de mouvements de caméra anxiogènes (et totalement gratuits), la première demi-heure met efficacement sous tension. La suite, l'entrée dans le vif du sujet, est paradoxalement plus reposante, si tant est que l'on ne soit pas allergique aux plans gores. En effet, nous sommes au cirque. Rien n'a vraiment d'importance. La moindre ébauche de situation un peu troublante ou dérangeante cède aussitôt la place à un effet violent. Aucune dimension nouvelle par rapport à la maternité ou la folie, la résolution de l'intrigue se révélant très basique et "l'épaisseur" du propos ne devant se lire que dans les deux derniers plans, compositions morbides à la Cronenberg.

    Si j'ai levé, en quelques occasions, les yeux au ciel, ce n'était pas pour détourner le regard, mais bien par dépit. Je ne suis en effet pas près d'oublier le piteux coup de la mère tuée par erreur, l'impayable plan sur le visage vengeur de l'héroïne se redressant dans sa cuisine, vraiment très remontée après trente minutes de tortures et de meurtres, et enfin la ridicule résurrection (très passagère) du flic joué par Duvauchelle. Chapeau les artistes !

  • 24 City

    (Jia Zhangke / Chine / 2008)

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    24city.jpgMoi qui, il y a peu, trouvais que l'année cinéma 2009 démarrait bien et promettait une belle moisson dès le printemps, je commence à déchanter sérieusement. Je prie pour que le prochain Barnum cannois change la donne, sans quoi je vais finir par limiter mon activité de cinéphile au cercle domestique et à la chronique de dvd (sur lesquelles j'ai d'ailleurs du retard). La déconvenue du jour vient de Jia Zhangke, duquel j'attendais pourtant beaucoup. Mais après avoir trouvé ses trois premiers longs-métrages admirables (Xiao Wu pickpocket, Platform, Unknown pleasures) puis émis quelques réserves sur les deux suivants (The World, Still life), il était sans doute fatal que le sixième m'ennuie pour de bon.

    24 City (Er shi si cheng ji) est un documentaire-joué ayant pour cadre la ville de Chengdu et plus précisemment son usine d'armement nationale, démantelée pièce par pièce pour laisser sortir de terre un gigantesque projet immobilier privé ultra-moderne (portant le nom donnant son titre au film). Il est entendu que le cinéaste continue là sa formidable entreprise d'enregistrement des soubresauts de la société chinoise contemporaine. Ce qui me gêne cependant de plus en plus dans son travail, c'est l'emprise du concept. Entre de magnifiques mais brèves prises de vues documentaires de l'usine agonisante, Jia Zhangke filme, dans d'interminables plans-séquences, les monologues récités par d'anciens ouvriers (ou des comédiens jouant les ouvriers) et abordant leur expérience professionnelle dans les ateliers et surtout des souvenirs personnels douloureux. Dès le premier vrai-faux entretien, j'avoue m'être peu intéressé à ces histoires et le mélange entre documentaire et fiction ne m'a pas paru concluant.

    Le projet, lié à la mémoire collective et individuelle, la fabrication et les intentions sont plus stimulants que le film lui-même, ce qui est relativement embêtant. Cela me ramène à cette idée de concept étouffant. Pour ses trois dernières réalisations en date (hors court-métrages), le cinéaste investit un lieu fort, singulier et propice au développement d'une métaphore politique et sociale (parc d'attractions dans The World, ville engloutie dans Still life, usine désafectée ici) et il y déroule des récits minimalistes, tout en espérant en dégager de profondes réflexions. A cette démarche de grand témoin-auteur de son temps, je préférais définitivement la tension parcourant Xiao Wu, le ballottement historique et le tissage scénaristique de Platform, le travail sur la durée et les surprises du quotidien d'Unknown pleasures.