(Ken Loach / Grande-Bretagne / 2007)
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Si différents et étalés sur plus de 15 ans, les trois derniers films évoqués sur ce blog (Le couperet, Une époque formidable et It's a free world, auxquels on peut ajouter La graine et le mulet) ont le même point de départ : "A la suite d'un licenciement brutal, le héros décide de...". Comme quoi, l'époque est toujours aussi formidable.
Ken Loach, mine de rien, continue de bâtir son oeuvre de description de la société britannique depuis les années 60, avec une régularité et un maintien digne d'un Woody Allen. It's a free world est l'un de ses opus les plus politiques et l'un des moins manichéens (manichéisme auquel se laissent aller aisément certains de ses commentateurs, même les mieux réceptifs, à coups de formules choc, du genre "Ken Loach repart en guerre", "Si il n'en reste qu'un", etc...). Car ici, la complexité des caractères et l'ambiguïté des actes montrés, ceux-ci pourtant lestés de plus en plus de gravité, sont préférés au développement d'un récit séparant clairement méchants exploiteurs et gentils exploités.
Dans l'évolution du personnage principal d'Angie, si il y a certes différents paliers franchis vers la déshumanisation des rapports sociaux, il est cependant faux de présenter la jeune femme comme une victime innocente qui serait poussée par les circonstances à se transformer en bourreau. Les séquences introductives nous la montrant, avant son licenciement, au service de l'entreprise de recrutement, n'offrent pas un éclairage particulièrement sympathique. Indiscutablement, le détournement des valeurs part, chez elle, de bien plus loin (et ses discussions avec son père, ancien ouvrier en son d'autant plus intéressantes). L'idée qui donne tout son intérêt au film est bien le choix par Loach, par son scénariste Paul Laverty et par l'actrice Kierston Wareing, de faire du personnage d'Angie le parfait symbole de l'époque actuelle. Son apparente sincérité, sa façon d'assumer ses décisions les moins excusables, sa croyance dans la fin qui justifie les moyens, voici des traits bien partagés par tous les tenants du libéralisme décomplexé. Angie, jouant de son image sexy jusqu'à la vulgarité, séduit avec appétit en même temps qu'elle se sert des hommes qui lui plaisent (très adroitement, les scènes où elle vient en aide à des immigrés sont en général suivies par des scènes où ses protégés lui servent d'interprètes et lui ouvrent de nouveaux marchés). Dans le même élan, sans y chercher la moindre contradiction, elle laisse parler ses sentiments et elle profite des autres, comme certains, d'un même mouvement, peuvent abolir la double peine et établir des quotas d'expulsions. Angie est bien dans l'air du temps.
Jusqu'au bout, Ken Loach tient cette ligne. En collant à la trajectoire d'Angie celle de son amie Rose, il peut la moduler, lui faire faire des allers-retours d'un côté et de l'autre de la ligne à ne pas dépasser. Ainsi, le scénario ne fait pas porter à l'une toute l'antipathie que le spectateur peut avoir à un moment ou à un autre. Cette amitié qui lie les deux associées, permet notamment la scène où celles-ci se mettent à la recherche des numéros de portables de leurs intérimaires pour finir leur soirée avec deux beaux mecs. Un simple délire entre copines symbolise alors très subtilement non pas tant la réduction d'êtres humains au statut d'objet sexuel que leur exploitation sociale.
Sur la fin, une succession de fils dramatiques un peu gros (pêché mignon de Loach et Laverty, mais reconnaissons que la scène de l'enlèvement est forte), n'empêche pas le film d'aller au bout du propos sans terminer sur une morale. Notons également, une nouvelle fois, la sensibilité et la justesse du Ken Loach des séquences familiales ou de la romance sans faux-semblants entre Angie et Karol.
L'histoire du Couperet, tirée d'un roman de Donald Westlake est assez connue. C'est celle de Bruno Davert, ex-cadre dans la papeterie qui, après deux ans de chômage, décide de décrocher le poste qu'il convoite en éliminant physiquement ses concurrents les plus sérieux et le titulaire en place. Le but de Costa-Gavras est clair et ambitieux et mérite l'attention, puisqu'il s'agit de dénoncer le capitalisme effréné par le biais d'une farce macabre. Si l'intention est là, la mise en oeuvre est tout de même laborieuse. Le film démarre d'emblée par la série de meurtres dont se rend coupable, plus ou moins facilement, Davert. Sa voix-off nous entraîne dans son sillage mais on ne sait pas bien si elle résulte de sa confession à son dictaphone après un assassinat pénible ou si elle nous guide indépendemment de cet événement (qui provoque d'ailleurs chez lui une réaction de malaise profond sinon incompréhensible, au regard de sa relative maîtrise dans les autres occasions, du moins trop proche des clichés habituels). Cet entre-deux empêche d'atteindre vraiment le but recherché : entrer dans la tête de Davert. Une autre ambiguité plombe un peu toute la première moitié du film, celle du non-choix entre la comédie noire (il y a peu de gags) et le polar froid. Le spectateur se retrouve alors dans une position bien inconfortable devant les scènes de meurtre. Ajoutons du mauvais côté de la balance les scènes appuyées censées montrer la montée des soupçons de la femme de Davert, une photographie fonctionnelle voire télévisuelle, et une fâcheuse tendance à faire monter la tension lors des tentatives d'assassinats uniquement par des astuces de scénario (l'irruption répétitive de passants entre "le chasseur de têtes" et ses victimes). Malade d'un sérieux problème de rythme, l'oeuvre semble sombrer petit à petit.
- Dis donc mon vieux, là je sors de I'm not there de Todd Haynes.
On ne redira jamais assez l'importance de revenir de temps en temps vers les travaux des grands documentaristes, afin de laver nos yeux fatigués par les mensonges des reportages télévisés consacrés aux vrais gens. Tout à coup, nous redécouvrons les notions de distance, de montage, de hors-champ.
Pour certains, Dupontel cinéaste c'est, sur le fond, l'anti-conformisme, la rébellion, la trash attitude, et dans la forme, un délire visuel sous le patronage de Terry Gilliam. Voilà pour la légende. Ne connaissant ni Bernie, ni Le créateur, j'ai découvert dernièrement Enfermés dehors et j'ai pu ainsi me faire une idée du phénomène. Quel résultat pour cet histoire de SDF qui enfile par hasard un uniforme de policier ? Une idéologie simpliste, les signes banals de la révolte contre l'ordre établi et au final, un message des plus consensuels. La charge contre la police est soit trop légère et attendue pour une oeuvre de combat, soit trop superficielle pour atteindre à la réflexion. Le port de l'uniforme donne l'impression d'accéder au pouvoir et à la puissance, donc le cinéaste utilise un effet de zoom violent sur son personnage transformé et plutôt trois fois qu'une, pour bien nous faire comprendre. L'appel fait à Noir Désir (groupe remarquable, mais là n'est pas la question) pour la bande-son est une autre preuve de la "subtilité" de l'ensemble. Le retournement d'une situation habituelle (le flic prend ici la défense des faibles voleurs) ne produit que du conformisme et du bien-pensant ironique. Et tout cela ne s'arrange pas avec la leçon donnée au PDG corrompu, prise de position très courageuse. Ne pas oublier aussi que la société de consommation, elle nous bouffe. Il y aura donc une séquence idiote avec des panneaux publicitaires qui s'animent. Les gags visuels ne sont pas, il est vrai, tous aussi malheureux et on est vraiment peiné de voir échouer cette tentative de dynamisation du cinéma comique à la française. Dans le genre, on pense parfois, à regrets, à la grande comédie italienne des années 70, là où les personnages étaient mille fois plus travaillés et où les scénarios ne se terminaient pas de façon aussi cul-cul avec la famille reconstituée. Le PDG a pris conscience, les SDF ont mangé, le néo-flic a sauvé la petite fille. Et malgré tout ça, on a donné l'impression d'avoir donné un grand coup de pied dans le système et dans le cinéma français. Chapeau...



Sept ans après Chansons du deuxième étage, Roy Andersson, revient avec Nous, les vivants (Du levande), en reprenant la même esthétique radicale. Ces scènes de la vie citadine se présentent en une succession de tableaux ironiques, indépendants les uns des autres mais baignés par la même lumière mortifère. La palette de couleurs ne se décline que du vert kaki à l'ocre, quand le brouillard n'envahit pas toute cette ville à l'ambiance sonore portuaire. Des personnages, presque toujours tristes, presque toujours vieux (joués par des non professionnels, pour la majorité d'entre eux) se succèdent. Les teints sont ostensiblement blafards, les costumes sont uniformément gris, les postures immobiles. Avec ses plans séquences et sa caméra fixe, Andersson joue sur l'ennui et s'arrange toujours pour déclencher à un moment donné un micro-événement dans le cadre. L'humour se fait décalé, inattendu, après plusieurs secondes où le cinéaste laisse à l'oeil du spectateur le soin de scruter le décor (Andersson serait de ce point de vue une sorte de Tati triste).
Salomon (JP Marielle) devient vieux. Tout le monde le lui dit et lui refuse de l'entendre. Sa femme, qui l'a quitté quelques années auparavant, déjà dérangée, ne voit pas son état mental s'arranger. Sa fille est bouleversée par sa grossesse tardive. Alors Salomon danse en pensant à Fred Astaire et passe une petite annonce pour trouver une femme...
Le troisième long métrage de James Gray, La nuit nous appartient (We own the night), est de nouveau un film noir tournant autour d'une affaire de famille. Dans les années 80, Bobby Green, frère et fils de haut-gradés dans la police new yorkaise, gravit les échelons du monde de la nuit, devenant gérant de night club grâce à ses connaissances dans le milieu. Les dealers et la police se livrant une guerre sanglante et lui-même ayant caché à ses patrons et clients ses liens de parenté, il est obligé de choisir son camp lorsque les membres de sa famille sont menacés de mort par des mafieux russes.