(Jacques Feyder / Grande-Bretagne / 1937)
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En 1913, un journaliste anglais, correspondant en Russie, est menacé d'expulsion par le régime tsariste, se fait embaucher par l'Intelligence Service afin d'infiltrer les mouvements révolutionnaires, est déporté en Sibérie à la suite d'un attentat dont il n'est pas l'auteur, est libéré par la Révolution de 1917, devient adjoint d'un commissaire du peuple, sauve de la fusillade une comtesse et l'entraîne dans un périple au coeur de la guerre civile. Et là, les péripéties commencent vraiment...
Aussi rocambolesque que soit cette trame, cette première partie du Chevalier sans armure (Knight without armor) s'avère assez remarquable. Feyder croise habilement les trajectoires du journaliste (Robert Donat) et de la comtesse Vladinoff (Marlene Dietrich, quand même), avant qu'ils ne se rencontrent réellement : inconnus dans la foule de l'hippodrome londonien, se frôlant sans se remarquer dans un couloir de wagon ou embarqués dans deux trains aux destinations opposées. Les moyens importants dont a pu profiter le cinéaste français lui permettent de passer sans heurts des scènes extérieures mouvementées aux décors intérieurs travaillés. La mise en scène est fluide et prolonge les expériences du muet dans les éclairages et les travellings.
Le basculement vers la romance ballottée par les événements affaiblit l'ensemble. Surtout, ce qui pouvait passer au départ pour une vision d'ensemble dépassionnée de la guerre civile russe, pointant l'absolutisme du pouvoir tsariste autant que les excès révolutionnaires, se révèle au bout du compte une désagréable entreprise pour renvoyer les deux camps dos à dos. Le choix de montrer une exécution à la mitrailleuse par les Rouges, cinq minutes après celle effectuée par les Blancs, avec exactement le même cadrage, ne laisse pas le moindre doute là dessus. L'observation d'un pays en plein chaos, entre exodes, trains bondés et camps de prisonniers, est loin d'être ridicule, mais le seul personnage lucide est anglais et son amoureuse est si peu russe (comment la croire quand elle dit que "cette forêt c'est chez elle", quand on l'a vue si à l'aise au sein de la haute société britannique). L'impression se fait de plus en plus gênante, redoublée qu'elle est par le détachement affiché par les tourtereaux et par la facilité de leurs multiples évasions. Dietrich trouve le moyen de se baigner dans un lac en plein hiver russe, Donat se tire de toutes les situations sans tirer un coup de feu et l'American Red Cross permet à ce beau monde de sortir de l'enfer. La fin de ce mélo historique est aussi pénible que son début était soigné.