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Nightswimming - Page 27

  • L'Année tchèque (Jiri Trnka, 1947)

    ***
    On connaît généralement le nom de Trnka si l'on est spécialiste du cinéma d'animation ou bien si l'on a lu les Cahiers et les Positif des années 50. Son premier long métrage de marionnettes est composé de plusieurs tableaux consacrés à des contes et légendes liés à la vie des paysans, sans dialogue mais en musiques et chansons populaires. Celles-ci, alliées à un montage très vif, donnent au film son dynamisme. Trnka travaillant de plus, à partir de son matériel inanimé, sur la notion de mouvement, les décors et les éclairages étant variés, les éléments judicieusement convoqués, il n'y a donc là rien d'ennuyeux ni de statique. Enfin, une profondeur supplémentaire est apportée sur le plan narratif : chaque segment recèle en son sein un autre niveau de représentation (rêve, récit, spectacle... de marionnettes) pour offrir une belle série d'enchâssements (jusqu'à faire des paraboles chrétiennes, de plus en plus marquées au fil des histoires, des couches comme les autres, jusqu'à transformer toute bondieuserie en élément du merveilleux). 

  • Snobs (Jean-Pierre Mocky, 1962)

    °
    Un Mocky des débuts, et des plus pénibles, malgré ses compositions en noir et blanc, ses moqueries adressées à l'Armée et à l'Église, sa constitution d'une troupe. La caricature règne sans partage, jusque dans les voix des comédiens, forcées pour mieux atteindre la cible désignée, le snobisme. Cette cible est pourtant rendue floue, tout le monde finissant par se traiter de "snob", sans distinction. Les répliques, saturées de bons mots et de formules, se referment constamment sur elles-même, le comique est souvent de répétition, et la narration se révèle purement mécanique, guidée par le compte à rebours d'une élection servant à désigner un directeur général parmi quatre prétendants ambitieux, histoire prétexte trop hachée qui ne prend jamais.

  • Qui a tué le chat ? (Luigi Comencini, 1977)

    **
    On commence avec de la caricature plutôt épaisse mais le film trouve son rythme progressivement, astucieusement scénarisé et bien réalisé, dans le registre du comique policier. L'histoire, les efforts engagés par un frère et une sœur propriétaires d'un immeuble pour se débarrasser de leurs locataires afin de le vendre, est bien sûr prétexte à étaler toutes les tares d'une société italienne corrompue à chaque niveau, mais l'intérêt provient surtout de la belle mécanique qui permet d'arpenter, dans les pas de Tognazzi, au fil de son enquête interne sur la mort de son chat, la tortueuse construction, d'un appartement à l'autre. Le dernier tiers, aéré sans doute pour ne pas lasser puis précisant l'ampleur de la symbolique via un procès impliquant mafia, préfecture et gouvernement, tend toutefois à éparpiller les forces, malgré plusieurs bons gags. Tognazzi est excellent, de même que sa camarade Mariangela Melato, frère et sœur s'insultant à longueur de journées mais ne pouvant se séparer, contraints de s'épauler dans leur quête/épreuve. 

  • Maddalena (Jerzy Kawalerowicz, 1971)

    **
    Cinquième film de Kawalerowicz, Maddalena ne vaut ni Mère Jeanne des Anges ni Pharaon mais se révèle suffisamment curieux. L'histoire, celle d'une femme aux mœurs légères qui tourmente un jeune prêtre, est une variation érotique et contemporaine autour des figures de Marie Madeleine et du Christ. Cette co-production italiano-yougoslave dans laquelle Ennio Morricone rode un thème qui sera plus tard celui du Professionnel, souffre quelque peu de l'apparence aléatoire de sa construction, bien que le récit se voit bouclé au final. C'est que Kawalerowicz mêle fantasmes et réalité sans s'abstenir d'utiliser à fond les tics modernistes de l'époque : zooms, ralentis, caméras subjectives, plans qui se répètent... Il fait cependant sentir habilement, par les couleurs des habits ou par les dialogues (réels, opposés aux monologues déguisés des autres), le rapprochement de la femme et de l'homme de foi (en train de la perdre) et il signe plusieurs scènes marquantes, centrées sur le désir débordant de son héroïne. Montrée sous toutes les coutures, qu'elle craque d'ailleurs rapidement, Lisa Gastoni est une femme gironde entre deux âges, ce qui fait le principal intérêt du film, son personnage ne finissant ni jugé ni châtié mais au contraire sans doute libéré de l'emprise masculine. 

  • Maniac (William Lustig, 1980)

    **
    Le film "culte" de Lustig (et de Joe Spinell, acteur, scénariste, producteur) carbure sous deux régimes de mise en scène : l'un extérieur, comportemental, documentaire, à distance, sans fioriture, l'autre intérieur, subjectif, immersif, avec effets. Cette alternance accuse encore la répétition déjà imposée par le scénario, suite de meurtres sanglants (dont seul le mode opératoire varie) entrecoupée par des scènes dans l'intimité schizophrénique du tueur. Cela crée du déséquilibre (et quelques lourdeurs) mais aussi, indéniablement, de la tension, puisque ce procédé de renversement du point de vue s'applique aussi aux victimes. On parcourt les coins les plus cools du New York riant des 80's : plage venteuse, métro crado, appartement trop grand, cimetière brumeux... Joe Spinell en impose, notamment avec son corps prenant tout l'écran lors du meurtre de la prostituée, avec la peau de son visage aussi granuleuse que l'image. La débauche gore finale, autodestructrice, a sa logique, seul moyen d'en finir avec un film qui aura refuser jusqu'au bout de donner l'illusion d'une quelconque intervention salvatrice venant de l'extérieur. Insistant, intéressant, stressant.

  • Doctor Sleep (Mike Flanagan, 2019)

    *
    La curiosité pousse à suivre jusqu'au bout, d'autant plus que l'on nous annonce tout à coup, à l'approche du dernier quart, que l'on va revisiter l'Overlook. Mike Flanagan filme sans excès moderniste, préférant des trucages simples et des ressemblances d'acteurs plutôt qu'un recours entier au numérique. C'est sans doute en partie dû au roman de King mais l'une des choses frappantes est la dispersion, la multiplication des pistes, des personnages et des lieux, dans une vaine recherche de complexité, mouvement exactement inverse de celui de Shining, qui partait d'un argument ténu, dans un cadre bien délimité, pour ouvrir sur des abysses. Et notamment sur le thème familial, alors qu'ici, l'assassinat d'un père n'est qu'une péripétie parmi d'autres. Cependant, l'influence se faisant la plus sentir, avant donc le jeu moyennement pertinent de copié-collé final dans l'hôtel, est, avant celle de Kubrick, celle de Lynch, perceptible via la présence de nombreux motifs twinpeaksiens. L'un d'entre eux, le flottement dans l'espace de la méchante de l'histoire, dans la simplicité du merveilleux, donne une scène assez belle. 

  • Au nom du peuple italien (Dino Risi, 1971)

    **
    Un Risi mêlangeant comme souvent rires et grinçements de dents, la balance penchant ici franchement du côté sombre, la noirceur de la vision culminant dans une dernière séquence d'une méchanceté incroyable envers ce peuple italien (à travers des scènes de liesse, de désordre et de bêtise consécutives à une victoire au foot de la squadra azzura sur l'Angleterre). On ne sait pas trop sur quel pied danser, le cinéaste zigzagant entre rigidité et débordements, tentant quelques effets de distanciation bienvenus, notamment pour ses flashbacks, plaçant ses personnages dans des décors au symbolisme appuyé mais efficace (plage jonchée de détritus, palais de justice s'effritant) et bien sûr réunissant les monstres Tognazzi et Gassman. Leurs face-à-face sont les piliers de l'édifice. Ils sont étirés parfois plus que de raison, ce qui fait que le duo/duel bouffe littéralement tout le reste du film, qui essaie pourtant d'exister. Tout du long, Risi semble vouloir donner raison au premier, au juge inflexible et vertueux (et de gauche), et non à l'entrepreneur magouilleur et dépravé (et fasciste). Sans savoir exactement comment, on sent bien qu'à la fin, quelque chose va se retourner ou du moins, brouiller ce net partage.

  • Les Arpenteurs (Michel Soutter, 1972)

    ***
    Des deux filles du film, qui font tourner la tête du personnage principal masculin, l'une est anglaise et l'autre s'appelle Alice. Quant au récit, il est aussi imprévisible que celui de Lewis Carroll. En bien plus réaliste, cependant, bien ancré dans la "vraie vie" (un plan d'ouvriers ici, une séquence avec deux petits garçons là). Libre, plus aventureux encore que James ou pas, ce Soutter semble s'arrêter, repartir, se mettre encore en pause... Souvent, cela reprend grâce à des scènes de dialogues, dans lesquels excellent bien sûr les habitués Bideau et Denis, gracieusement accompagnés cette fois par Marie Dubois. Rarement aura-t-on eu aussi clairement l'impression d'observer des adultes se comportant comme des enfants, adoptant leur liberté de ton et de comportement, n'ayant pas peur de se lancer dans des conversations sans aucun sens apparent, et cherchant constamment à dire, entendre et vivre des histoires, qu'elles soient vraies ou fausses. L'humour, l'obsession sentimentale, la simplicité, pour ne pas dire la pauvreté, apparente, le goût du jeu narratif, tout cela me semble se retrouver plus tard chez Miguel Gomes et certains Roumains. 

  • Benedetta (Paul Verhoeven, 2021)

    °
    Après Elle, Benedetta vient me confirmer que le Verhoeven français produit un cinéma sonnant faux de A à Z, des dialogues aux décors, du casting au scénario. Pire encore que le précédent, celui-ci commet l'erreur fatale d'imposer dès le départ blasphème et subversion, rendant impossible toute réelle progression, l'évolution ne se faisant ensuite que dans l'escalade provocatrice et donc ennuyeuse. Écartant toute idée de secret ou de mystère, ne s'appuyant que sur celle, d'ailleurs mollement convoquée, de doute, le film se cogne à ces murs d'une épaisseur étrangement variable puisque laissant entendre les cris de douleur mais pas ceux de jouissance.

  • Bécassine ! (Bruno Podalydès, 2018)

    ***
    Étonnante réussite que cette adaptation d'une antique BD, qui retourne à son avantage tout ce qui me semble anodin ou agaçant chez le Podalydès "contemporain". La belle simplicité de la mise en scène repose et charme, comme celle des situations et des images, qui ne cherchent pas la composition graphique à outrance malgré le matériau d'origine. Celui-ci justifie en revanche toutes les petites trouvailles mécaniques ou poétiques, ainsi que les décrochages vers l'imaginaire. La distance et la gentillesse habituelles évitent une chute des personnages dans le ridicule total mais par ailleurs, dans ces habits d'un autre temps, les actrices et acteurs peuvent s'en donner à cœur joie sans que se crée un décalage préjudiciable par rapport au reste, le monde décrit étant loin du nôtre. Surtout, par rapport aux autres comédies du cinéaste, le mouvement s'inverse avec bonheur. Ici, pour une fois, pas de tentation nostalgico-recroquevillante pour échapper à la réalité de notre époque, mais au contraire, un passé résolument tourné vers l'avenir, cet élan étant notamment incarné par l'escroc sympathique attiré par les "States", traduit par l'inventivité technique de Bécassine, et parfaitement symbolisé par l'instant d'anachronisme, bref et savoureux, où Podalydès fait du scratch avec le gramophone.