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Nightswimming - Page 39

  • Blanche (Walerian Borowczyk, 1971)

    **
    Tragédie médiévale entre quatre murs de château, que Borowczyk filme frontalement en créant un mélange de théâtralité et de réalisme d'abord déconcertant puis plus prenant au fil d'un récit finalement politique (l'arrivée du roi et de son page plonge la famille qui les accueillent dans les troubles du désir, les affres de la suspicion et le malheur). Trois vedettes, Michel Simon, Georges Wilson et Jacques Perrin se partagent les rôles principaux masculins autour de Ligia Branice, dont le seul instant de nudité advient durant le générique de début. Par la suite, son corps est serré dans ses habits très couvrants mais aussi très moulants. L'érotisme est donc réprimé mais le désir reste éveillé. 

  • Les Damnés de l'océan (Josef von Sternberg, 1928)

    ***
    Beau et étonnant Sternberg muet, situé quasiment dans un seul lieu (un bar à filles sur le port de New-York dans le brouillard) et se déroulant d'une soirée au lendemain matin. Le décor est utilisé magistralement et, une fois présenté les personnages, l'histoire peut se dérouler avec fluidité et provoquer un attachement croissant. Ce qui touche, c'est l'égalité posée d'emblée entre la femme et l'homme, une prostituée (probablement) et un soutier de passage, jamais jugés (leur passé n'est même pas évoqué), profitant de la possibilité soudain offerte, d'une nouvelle chance ou bien d'un bon moment, en parfaite honnêteté. Sternberg évite tous les piégés avec subtilité : le naturalisme et le pittoresque, le fatalisme, l'effet miroir trop prononcé avec la destinée malheureuse d'un autre couple (fantastique résolution du meurtre du boss, reposant là aussi sur une honnêteté de comportement rare). L'érotisme "réaliste" des corps et l'amour des femmes sans aucune mièvrerie participent aussi au dépassement de ce qui pourrait n'apparaître que comme un mélo. Le film est ainsi de plus en plus émouvant et retourne en quelque sorte les attentes, y compris morales, fait de l'union non pas un compromis commercial mais une nécessité vitale et rebelle. 

  • Il Bidone (Federico Fellini, 1955)

    ***
    Sombre Fellini, bien gris en tout cas, dans lequel le comique reste toujours attaché à une certaine gêne. Si la vigueur de la forme et les lueurs d'espoir (dans les regards amoureux ou dans les rares personnages innocents) empêchent l'ensemble de sombrer totalement, il apparaît évident qu'en 1955, le monde allait (toujours, ou déjà) bien mal. Fellini montre une série d'humiliations verticales, son petit groupe d'arnaqueurs abusant des plus pauvres mais se voyant aussi rabaissé par les plus puissants. Comme il était encore dans sa première période réaliste, sans proposer d'échappée dans l'imaginaire, et qu'il ne sauve pas du tout, au final, son personnage principal, son film garde un ton désespéré qui l'a rendu assez mal-aimé. Même à la deuxième vision, il est pourtant à la hauteur des autres, par moments extraordinaire (la fête du nouvel an chez les bourgeois dévergondés), et construit très solidement (l'ultime arnaque qui rappelle la première et boucle la boucle tragique). 

  • The Dead Don't Die (Jim Jarmusch, 2019)

    **
    Comme l'on pouvait s'y attendre, le film de zombies de Jarmusch est aimablement référentiel, calmement politique, doucement distancié. Il trouve tranquillement mais exactement sa place entre la réussite de Ghost Dog et l'échec d'Only Lovers Left Alive. Un peu plus de sérieux n'aurait pas nuit (difficile de s'émouvoir), un peu plus de nerfs n'aurait pas fait de mal (le slowburn peut lasser de temps à autre), un peu plus de tours de vis dans le scénario n'aurait pas été de trop (s'il parvient à surprendre dans le détail, il n'est pas des plus transcendants ni des plus passionnants dans sa globalité). Les côtés les plus appréciables sont notamment la gestion des trépas, les images de l'Amérique de la marge en travellings, le dénouement "commenté" assez beau et créant un petit écart avec la fiction plus subtilement que les dialogues soudainement extérieurs de Driver et Murray sur le film lui-même. 

  • El Reino (Rodrigo Sorogoyen, 2018)

    *
    Un film politique sur un conseiller régional espagnol pris dans un scandale de corruption réalisé comme un thriller survitaminé. C'est donc mené au pas de charge du début à la fin, boosté par de la musique électro, tourné au plus près de l'acteur principal, de tous les plans où presque (Antonio de la Torre, très bien). L'efficacité est indéniable et il est difficile de ne pas être pris par certaines séquences tendues. Cependant, l'impression d'une avancée par tours de force successifs devient de plus en plus vive, notamment lors d'une dernière demi-heure assez pénible de ce point de vue. Surtout, ce qui pouvait donner lieu à une description précise de sales rouages politiques n'est finalement qu'un film immersif de plus. Un The Revenant de bureaux, de villas et de palais. Ça peut prendre aux tripes occasionnellement mais ça annihile toute analyse et toute réflexion.

  • 42ème Rue (Lloyd Bacon, 1933)

    ****
    Sur la création d'un spectacle de comédie musicale, un film fondateur et une réussite totale. C'est d'abord le réalisme qui frappe, dans les gestes et les situations, dans le rendu des répétitions. On verra plus tard des dizaines de fois ces histoires de préparation de show, ces destins croisés, ces amours parallèles, ces accessions de figurant(e)s au statut de vedette, mais ici tout sonne juste grâce au savoir faire de tous les départements concernés. Le film est très dynamique, coupé court, remarquablement dialogué, fort bien joué (excellente Bebe Daniels dans le rôle de la jeune femme sans expérience devenant tête d'affiche), équilibré à merveille (les apartés comiques et les personnages secondaires créés pour les amener sont parfaitement intégrés), franc comme l'est le cinéma pré-code, jusqu'à la trivialité, tout en faisant dénoncer par les femmes elles-mêmes la légèreté, voire la violence, avec laquelle elles sont traitées. Regroupant de très nombreux personnages, le scénario est fédérateur sans pour autant gommer les contradictions et oppositions. Au contraire, la crise économique est constamment évoquée et les séquences de répétitions qui s'enchaînent montrent avant toute chose, de façon très crédible, la fatigue des danseurs et les engueulades du metteur en scène anxieux. Le fait que les 3/4 du film alternent ainsi entre le travail éreintant et les aventures sentimentales fait que le dernier quart, consacré à la première représentation, apparaît comme un feu d'artifices grisant. Trois grands numéros se succèdent, réglés par Busby Berkeley, et véhiculent un enthousiasme débordant. Sentiment décuplé par la nature de ce qui précédait et par le changement, à ce moment là, du principe de mise en scène, le point de vue dépassant pour la première fois celui du public ou du metteur en scène du spectacle, pour saisir le plus cinématographiquement possible la chorégraphie, pour s'affranchir totalement de la vision théâtrale. Cerise (amère) sur le gâteau : la dernière séquence, brève, directement collée au numéro final, n'est pas consacrée à la nouvelle star mais au metteur en scène seul et au bout du rouleau.

  • Star Wars VIII : Les Derniers Jedi (Rian Johnson, 2017)

    *
    Rendu confiant par un agréable numéro 7 qui permettait de retrouver enfin les simples plaisirs de l'aventure après quatre purges successives, je me suis fort ennuyé à la vision de ce volet, plombé d'un bout à l'autre par les mêmes éternels dilemmes moraux et autres problèmes douloureux de filiation... Il faut se fader en plus une énième séance de formation de chevalier Jedi, explications sur la Force à la clé. Celle-ci devient de plus en plus puissante et l'on se demande bien comment quelqu'un qui l'utilise peut finir par trépasser (voir la fausse mort de Leia, scène passant d'une assez saisissante cruauté à une affligeante résolution). Sous une assourdissante bande originale, le recyclage continue donc, thèmes et figures, points de bascule et combats obligés, et les nouvelles apparitions tournent court (Laura Dern, Benicio Del Toro). À noter tout de même, in extremis dans la dernière demi-heure, une certaine beauté esthétique obtenue à grands renforts de rouge (le combat autour du trône du méchant en chef puis les traînées dans la neige de la bataille finale, renvoyant peut-être au désert des Mad Max). 

  • France Société Anonyme (Alain Corneau, 1974)

    **
    Le premier film de Corneau est très étonnant, farce d'anticipation noire et politique qui croise le cinéma américain à la Robert Aldrich et un théâtre absurde bien français. À la fois drôle dans certains dialogues et situations, et anxiogène dans sa description d'un paysage national en désolation, il rivalise, au moins pendant une bonne heure, avec les meilleurs Blier et Mocky de l'époque. Corneau ose tout, se moque du pouvoir, de l'impérialisme, de la publicité, montre la défonce, la violence sanglante, le sexe jusqu'au hard. Il bénéficie de la présence magistrale de Bouquet, flanqué d'un irrésistible Dubillard, homme de main ne comprenant jamais rien. Malheureusement, en même temps qu'il sépare ce duo, le scénario tire encore plus les cheveux dans la dernière partie contant la lutte entre le gouvernement et un groupe révolutionnaire sur le marché de la drogue, devenue instrument de contrôle, jusqu'à une fin assez décevante, surtout en regard de l'explosive première moitié. 

  • La Famille Addams (Barry Sonnenfeld, 1991)

    °
    N'ayant jamais été en contact avec l'univers de la Famille Addams, je le découvre avec le film à succès de Sonnenfeld. Tout cela m'échappe. L'humour m'apparaît lourdingue, l'histoire, tournant comme toujours autour de l'appât du gain et de la bonté du cœur, sans intérêt et mal racontée, l'interprétation soit outrancière (Christopher Lloyd) soit juste correcte (Angelica Huston, Raul Julia), la réalisation tout à fait impersonnelle et sans aucune mesure avec la poésie macabre burtonienne se déployant à la même époque. Coincée par la visée familiale de l'affaire, la mise en scène relègue à chaque coup les jeux horrifiques dans le hors-champ, ce qui est désespérant. Enfin, je ne vois absolument pas qui sont ces gens et je ne comprends pas leurs rapports avec les autres, dits "normaux". 

  • Arizona Junior (Joel & Ethan Coen, 1987)

    ***
    Peut-être le fait de le revisiter régulièrement accentue-t-il l'impression (et encore, ce n'est pas énorme, trois ou quatre visionnages sur, déjà !, 32 ans) mais le 2ème Coen apparaît décidément remarquablement cohérent. Miraculeusement, même, peut-on dire, tant les références, clins d'œil, hommages et influences qu'il brasse sont nombreuses. Un univers est créé immédiatement sous nos yeux, dans ce coin désertique d'Amérique, grâce, entre autres, au fameux (long) prologue, irrésistible et ébouriffant. La réussite tient en particulier à l'écriture (on a tendance à l'oublier, pensant d'abord le cinéma des deux frères en termes d'images), qui donne une œuvre certes à l'apparence plaisamment "déjantée" mais restant finalement très tenue jusque dans ses explosions. Le rythme est si travaillé que le film semble aussi bon dans la vitesse folle que dans la pause (c'est peut-être en cela qu'il est le plus tex-averyen). Le plaisir continu fait également que les trucs de mise en scène, les plans ostensiblement bizarres ne paraissent pas gratuits mais participant à la constitution de cet univers. Univers qui, ultime exploit, tient un équilibre des plus surprenants : entre l'ironie et la sincérité, entre la caricature et l'émotion réelle. Cela en grande partie aussi grâce au couple Hunter-Cage, ce dernier donnant peut-être là, dans ce registre d'ahuri allumé en tout cas, sa meilleure prestation.