Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • L'insoumis

    (Alain Cavalier / France - Italie / 1964)

    ■■■□

    insoumis.jpgL'insoumisdémarre en Kabylie en 1959 avec une embuscade dans laquelle des soldats sont pris sous le feu de tireurs algériens. Thomas, l'un des légionnaires, tente un coup d'éclat en allant porter secours à un camarade amoché en contrebas. Arrivé difficilement à ses côtés, il s'aperçoit que l'homme est déjà mort. Le deuxième long-métrage d'Alain Cavalier, dès son introduction, annonce la couleur : noire. A ses débuts, le cinéaste, comme Claude Sautet à la même époque, oeuvrait dans le film noir (avec Le combat dans l'île en 1962, puis Mise à sac en 1967). L'insoumisest en plein dans le genre, mais son argument de départ, lié à la guerre d'Algérie, change déjà beaucoup de choses (et ce film, avec d'autres, tord encore le cou à la légende tenace selon laquelle le cinéma français aurait traîné pour traiter de la question).

    En 1961, Thomas (Alain Delon) a déserté l'armée française. Son ancien lieutenant a fait le même choix et lui propose de participer à une action sous ses ordres et, devine-t-on, ceux de l'OAS. Il s'agit de kidnapper une avocate ayant l'habitude de défendre des Algériens, de manière à faire pression sur son entourage et obtenir de nouveaux noms de "terroristes", comme les nomme le lieutenant. Le rapt se déroule comme prévu, mais Thomas, qui a la garde de Dominique, l'avocate (Lea Massari), finit par la laisser partir après avoir tué, en étât de légitime défense, l'autre gardien, non sans recevoir lui aussi une balle dans le ventre. Grièvement blessé, il parvient à quitter l'Algérie et commence à traverser la France pour rentrer chez lui. Arrivé à Lyon, il s'arrête pourtant et sonne à la porte de Dominique. Elle lui vient en aide. Une histoire d'amour naît entre eux, malgré que la femme soit mariée. Les anciens amis de Thomas, toujours menés par le lieutenant, retrouvent leurs traces et la cavale reprend. Thomas, de plus en plus faible, verra son chemin s'arrêter dans la ferme familiale.

    Le scénario d'Alain Cavalier et Jean Cau est tiré d'une histoire bien réelle. Sachant que le film date de 1964, on imagine les tracasseries qu'il a pu rencontrer. De fait, quelques semaines après la sortie, une plainte de l'avocate en question eu pour effet son retrait de l'affiche. C'est en 1967 qu'il réapparut, mais avec vingt-cinq minutes coupées. Fort heureusement, des années après, Cavalier a retrouvé une copie américaine complète du film. L'épilogue judiciaire de 1965 arrangeait beaucoup de monde. En effet, le film aborde la guerre d'Algérie d'une façon particulièrement claire. Si l'OAS n'est pas citée directement et si Thomas n'est pas Français mais Luxembourgeois, ces petites précautions n'abusent personne.

    Cette clarté et cette lucidité impressionne, tant au niveau des dialogues qu'au niveau de la mise en scène du quasi-débutant Cavalier. Les échanges sont simples, concis. Les mots pitorresques du pied noir qui accompagne Thomas se font vite haineux (c'est Robert Castel, fameux second rôle, que l'on croisera ensuite dans bien des pantalonnades). Tous les inteprètes sont remarquables : Delon (producteur courageux du film) est insaisissable et Lea Massari dégage une belle sensibilité. Avec cette oeuvre de facture plutôt classique, on est certes loin du type de cinéma que Cavalier proposera à partir du Plein de super et plus encore après Thérèse. On peut cependant apprécier déjà le soin apporté aux gestes (Delon tient toujours quelque chose dans ses mains : ventilateur, bouteille de Coca ou revolver), la présentation des hommes à l'ouvrage et un certain goût pour la fragmentation, pour les gros plans de mains ou de visages.

    De fait, Cavalier se révèle finalement un excellent metteur en scène d'action. La fulgurance des règlements de comptes laisse pantois. La façon dont Delon élimine celui qui le tient en joue dans l'appartement est digne des plus beaux gestes vus dans les grands films noirs ou westerns américains (l'ombre de Huston plane beaucoup sur le film). Autant qu'une touchante et adulte histoire d'amour, L'insoumis est un film sur un corps, celui de Thomas. Un corps d'abord bondissant, puis de plus en plus souffrant, traînant une blessure inguérissable (ou voulue par lui-même comme telle). Un corps déjà mort lorsqu'il atteint son but. Un corps qui ne peut finalement que s'écrouler.

    Ce dernier plan, admirable, on en trouve une trace, un instantané, sur la pochette de mon disque de chevet depuis vingt ans :

    queenisdead.jpg
  • Le silence de Lorna

    (Jean-Pierre et Luc Dardenne / Belgique / 2008)

    ■■■□

    silencelorna.jpgUne fois encore, les frères Dardenne m'ont eu à l'arrache.

    Le soleil ne brille toujours pas au dessus de la Belgique. Lorna, d'origine albanaise, est fraîchement devenue citoyenne belge, grâce à un mariage blanc avec Claudy, un jeune drogué. Le deal s'est fait sous les ordres de Fabio, lequel envisage maintenant un nouveau mariage entre Lorna et un Russe, dès que Claudy aura succombé à une overdose, fortuite ou provoquée.

    Toutes ces informations et la nature des rapports entre chaque personnage ne sont lâchés qu'avec parcimonie, certains détails étant même explicités très loin dans le récit. Internationalisation des trafics, fragilité des plus démunis, argent-roi : les Dardenne brassent les grands sujets contemporains propres aux films à thèses pour mieux les évider et n'en dégager que de terribles constats sur l'état de nos sociétés. Le style du Silence de Lornaest plus posé qu'à l'accoutumé. Si l'on ne quitte pas l'héroïne un instant, son interprète, Arta Dobroshi, est filmée avec un peu plus de recul que ne l'était Emilie Duquenne, il y a de cela 9 ans (Rosetta). Moins radicale, la mise en scène n'offre pas, par conséquent, de grands morceaux de bravoure basés sur la durée des plans, équivalants par exemple à la séquence de l'échange dans L'enfant.

    Du coup, c'est bien l'écriture qui s'impose. Par bribes, les cinéastes-scénaristes disposent autour de Lorna un triangle masculin (Claudy, Fabio et Sokol, l'amoureux constamment de passage) auquel la jeune femme va se cogner et rebondir. L'intérêt de ce personnage et le talent des Dardenne tient dans la totale sincérité qu'il affiche, en face de chacun. Passée une mise en place un peu lente, une fois l'engrenage en marche, il est difficile de ne pas se sentir emporté. Les multiples fils tirés donnent une grande force à des scènes à priori banales (l'interrogatoire de Lorna par les deux policiers).

    Ce cinéma en appelle à des situations très fortes, mais les frères Dardenne ne cessent de tout ramener à hauteur d'homme. Ils ne gomment pas les hésitations ou les petites erreurs de leurs personnages (prendre un instant un quidam pour la personne que l'on veut aborder, comme souvent dans la vie et pratiquement jamais au cinéma). Par ce naturel, ils font ainsi passer bien des tours de force scénaristiques. Car il y en a. Au moins deux. Le premier, à mi-course, survient sous la forme d'une ellipse stupéfiante (et qui, pendant quelques minutes, n'est même pas donnée comme telle). Un peu plus tard, le second est à première vue moins adroit mais est ensuite très habilement effacé.

    A l'énergie, cela marche donc encore, malgré un dénouement à la fois ouvert et signifiant qui ne m'a convaincu qu'à moitié.

  • La nuit des fous vivants

    (George A. Romero / Etats-Unis / 1973)

    ■■□□

    crazies.jpgThe crazies a été baptisé lors de sa sortie en France La nuit des fous vivants, afin de le rattacher bien sûr au classique de son auteur : La nuit des morts-vivants. Si déplorable soit ce titre, il faut admettre que de multiples points communs caractérisent les deux oeuvres, au point que The craziespeut facilement être pris pour un codicille à la célèbre série sur les zombies. Même approche réaliste, même fond politique, mêmes cibles (militaires et scientifiques), même emploi d'inserts gores (pas forcément justifiés ici) et toujours l'attachement à un petit groupe de personnes pris au piège. Si il s'agit cette fois encore de combattre une contagion mortelle, son origine est cependant connue : la pollution accidentelle d'une rivière par une arme bactériologique à l'essai a provoqué une épidémie de folie furieuse au sein d'une ville de Pennsylvanie de 3000 habitants. L'armée envoie plusieurs compagnies pour boucler la zone et mettre en quarantaine toute la population. Les responsables politiques et militaires envisagent le pire pour régler le problème (le recours à une bombe atomique) alors que les soldats sur place accumulent les bavures et doivent faire face à des mouvements de révolte armés.

    La séquence pré-générique, glaçante, semblait promettre un thriller horrifique mais Romero, fidèle à ses habitudes, détourne l'attente et nous entraîne dans un docu-fiction speedé. Comme prises sur le vif, les images sont soumises à un montage particulièrement heurté qui épouse le rythme des ping-pong verbaux auxquels se livrent les multiples protagonistes, tous dépassés par les événements. Le chaos des premières heures est ainsi rendu par ces accélérations incessantes, que redouble une bande-son surchargée de musique agressive, de sirènes hurlantes et autres bruits mécaniques. La mise en scène de Romero porte ses fruits admirablement quand elle dilate par le découpage les espaces réduits (le désarmement des policiers municipaux par les soldats, la boucherie que provoque Clank dans la cuisine). Elle est moins pertinente dans certaines séquences de chasse à l'homme, où elle peine à masquer les invraisemblances, comme lorsque les fugitifs mettent en déroute toute une troupe de soldats et un hélicoptère. Et si la tension perpétuelle tient en haleine pendant une bonne heure, la fatigue finit par se faire sentir par la suite (la marche militaire qui retentit dès que des soldats sont au centre d'une scène).

    L'un des points forts de The craziesest, pour une fois chez Romero, la solidité de l'interprétation. Le trio de rebelles (le couple David et Judy, enceinte, et l'ami Clank), auquel nous collons aux basques pendant tout le film se révèle intéressant et finit par être réellement émouvant. Le rapport entre les deux hommes, basé sur l'expérience (ou non) du Vietnam, permet de glisser de subtiles réflexions politiques et psychologiques et le couple d'amoureux est à sans lieues des habituels tourtereaux sans cervelle que nous offrent d'habitude le genre. Lane Carroll, Will McMillan et Harold Wayne Jones semblent être toutefois, aussitôt après le film, retombés dans l'anonymat. L'attachement grandissant à ce petit noyau est aussi l'une des explications de la baisse d'intérêt face aux turpitudes militaro-scientifiques étalées en parallèle jusqu'au dénouement.

    Une épidémie de "folie" est moins évidente à mettre en images que des morsures répétées de zombies. De fait, la différence entre le dérèglement d'un esprit par un agent bactériologique et la fêlure qui peut bouleverser à tout moment n'importe quelle personne, est une donnée qui n'est guère prise en compte par le scénario, sinon à travers le personnage assez passionnant de Clank, pris par moments de pulsions meurtrières inquiétantes. La mort, dans les bois, de ce cousin de Rambo est l'un des grands moments de The crazies, film hors-série de Romero, inégal mais non négligeable.

  • Le corbeau

    (Roger Corman / Etats-Unis / 1963)

    ■□□□

    corbeau.jpgUn Roger Corman pour enfants ? Quasiment. Et il y a, malheureusement, peu de choses à ajouter à propos de ce tout petit Corbeau (The raven). Comptant parmi les nombreuses adaptations d'Edgar Allan Poe écrites par Richard Matheson pour le pape de la série B, celle-ci est ouvertement comique et aussi peu inquiétante que possible. On y trouve bien des châteaux imposants, des cercueils qu'il faut rouvrir, une main qui s'aggrippe à une épaule et un dénouement dans les flammes, mais ces éléments ont plus valeur de clin d'oeil qu'autre chose.

    L'intrigue se réduit à un affrontement entre trois magiciens : le maléfique Dr. Scarabus (Boris Karloff), l'alcoolique Dr. Bedlo (Peter Lorre) et le mélancolique Dr. Craven (Vincent Price). La distribution réunissait donc trois ingrédients de choix, mais la potion obtenue fait plutôt pchitt... Boris Karloff se retrouve quelque peu momifié et Peter Lorre ne joue que de ses yeux ronds quand il ne se voit pas transformé en corbeau. Vincent Price est lui au-delà du cabotinage, tantôt brillant, tantôt ridicule. Entre les trois, deux belles femmes et le jeunot Jack Nicholson comptent les points.

    Corman s'est sans doute bien amusé mais il ne s'est guère creusé la tête en termes de mise en scène, hormis pour trouver des effets spéciaux amusants (notamment pour le duel final, longuet, entre Scarabus et Craven). Volumes et couleurs sont peu mis en valeur dans les deux décors principaux et quasi-uniques du film. On accordera cependant à Corman un certain bonheur dans quelques cadrages et une invention constante dans la reprise de figures éprouvées (soulever un couvercle de cercueil, transformer par une simple coupe dans le plan un corbeau en magicien bedonnant).

  • Gomorra

    (Matteo Garrone / Italie / 2008)

    ■■■□ 

    gomorra.jpgTout en privilégiant, comme la plupart de ses prédécesseurs cinéastes-enquêteurs, un regard documentaire, il ne s'agit plus maintenant pour Matteo Garrone de décrire les rouages de la mafia (plus précisément de la Camorra napolitaine) mais bien de se placer au centre et d'observer, médusé, les dégâts. Aux études verticales passées qui mettaient l'accent sur la structure pyramidale de l'organisation, Gomorrasubstitue une succession de visions horizontales. Cinq histoires parallèles se jouent, autour de Naples, à cinq niveaux différents : le très jeune Toto entre dans la bande qui contrôle son quartier; Marco et Ciro se veulent indépendants et n'arrêtent pas de "foutre la merde" dans la zone réservée; Don Ciro sillonne les barres d'immeubles, chargé par l'organisation de dédommager les familles des mafieux emprisonnés; Franco est un entrepreneur empoisonnant la terre avec ses décharges; et Pasquale est un tailleur remarquable qui ne se satisfait pas de son travail au sein d'un atelier clandestin et se lie, au péril de sa vie, à des collègues Chinois.

    Ces différentes histoires, Matteo Garrone a l'intelligence de ne pas les relier arbitrairement, ce qui nous évite les lourdeurs du film choral contemporain. La narration les fait se succéder par longues séquences, le montage les entremèle mais en les séparant clairement. Les principaux protagonistes ne se croisent pas. Cette indépendance témoigne bien sûr de l'emprise totale de la Camorra sur cette société mais surtout enserre d'une part les personnages dans l'étau, ne leur offrant pas d'autre horizon, et souligne d'autre part la dilution des responsabilités et les court-circuitages constants des ordres descendants. On parle bien de quelques "oncles" mais pas besoin de les nommer (on dit "Ils", "eux", et tout est dit). Le système est désormais tellement ancré qu'il ne semble même plus soutenu par une hiérarchie mais qu'il s'auto-alimente indéfiniment. Il faut être contre ou avec (et le choix doit se faire, quasiment, le pistolet sur la tempe). C'est "ami" ou "ennemi". La mythologie de la famille, de l'honneur, de la respectabilité n'a plus cours. Il faut "marquer des points et faire du fric". Les mafieux, jusqu'aux plus installés, affichent une vulgarité sans nom.

    Matteo Garrone impose le long de ces 2h15 une certaine égalité de rythme, assurée par une caméra mobile mais sans hystérie, qui sert le constat documentaire. Ce choix a pour conséquence de laisser l'inquiétude face à la violence contaminer toutes les séquences, même les plus anodines, même celles qui apaisent un instant. Gomorraest ainsi un grand film sur la peur. Aucun des protagonistes n'y échappe. Garrone capte remarquablement les regards d'effroi, le plus marquant, le plus bref pourtant, étant celui qui pétrifie Toto lors de la fusillade en bas de l'immeuble. Les rares lueurs d'espoir sont toujours lestées d'une certaine inquiétude. Personne n'est excusé ou sauvé. Autant que par un ordre du chef local, le sort de Ciro et Marco est scellé par leur bêtise. Pessimisme absolu : à la fin, sur une plage déserte baignée par le soleil couchant, un bulldozer soulève des corps, sous l'oeil de deux gros porte-flingues en short et chemise hawaïenne.

  • Salvatore Giuliano

    (Francesco Rosi / Italie / 1962)

    ■■■□

    salvatoregiuliano.jpgSalvatore Giuliano, film-enquête de Francesco Rosi, se base tout entier sur un mouvement analytique. Un mouvement de rapprochement allant du général au particulier, du paysage aux individus. Mais contrairement à l'habitude, ce resserrement ne fait qu'épaissir et complexifier le mystère de départ. Démarrant sur la découverte du cadavre du célèbre bandit sicilien au cours de l'été 1950, le récit se déploie en deux lignes temporelles. De la fin de la guerre, où lui et ses hommes, instruments des indépendantistes, se battent contre l'armée italienne, à son assassinat, nous suivons les principales étapes du parcours de Giuliano, dont le massacre de Portella delle Ginestre (une dizaine de personnes assistant à une réunion organisée par les communistes, le 1er mai 1947, abattue par la bande à Giuliano, sur demande d'un commanditaire resté inconnu). Parallèlement, nous sont montrés quelques événements suivant sa mort, jusqu'au procès de ses compagnons.

    Francesco Rosi a choisi une esthétique radicale, d'abord basée sur une multitude de plans larges au détriment des plans rapprochés. Ni Giuliano, ni ses camarades ne sont réellement individualisés par l'image (le "héros" n'est même jamais vu de près autrement qu'allongé mort). C'est bien plutôt le peuple sicilien qu'a voulu filmer Rosi. De longs panoramiques circulaires décrivent les lieux, ces montagnes, ces villages, ces fiefs ratissés sans succès par les forces de l'ordre. La focalisation se fait par moments, à l'aide de zooms rapides, lors des attaques des convois de carabiniers. Plus tard, ce sont plutôt de brusques raccords, des changements d'échelles saisissants qui prennent le relais pour saisir la réalité de plus près (la conversation entre Pisciotta et le mafioso dans la carrière).

    Adepte du réalisme, le cinéaste tourne sur les lieux mêmes, avec des acteurs non-professionnels et seulement une dizaine d'années après les faits. Mais réalisme ne veut pas dire pauvreté d'expression. Salvatore Giulianose fait démystificateur tout en gardant son lyrisme. Une scène pivot montre si besoin en était que la quête de la vérité menée par Rosi passe aussi par la composition plastique : celle de la reconnaissance du corps de Giuliano par sa mère. Ce moment marque l'emploi plus régulier des gros plans qui nous étaient refusé pendant une heure. Et lors du procès, les panoramiques ne seront plus destinés à embrasser la campagne sicilienne mais les visages des accusés dans leur box.

    Du combat bipolaire entre bandits séparatistes siciliens et soldats italiens, on passe ensuite à une partie à joueurs multiples. Et plus la vision devient précise et proche des hommes, plus le réseau se révèle dense et indémélable. Si la caméra parvient à mieux cerner les protagonistes, ceux-ci ne cessent de renvoyer vers d'autres, de citer de nouveaux noms, de mettre à jour des liens insoupçonnables entre chaque entité : bandits, mafia, politiciens, magistrats, carabiniers... A tous les niveaux, les choses se compliquent. Car l'analyse se fait aussi par le montage : Giuliano est celui qui prenait aux riches pour donner aux pauvres, dit un témoin local (et la mémoire populaire) et Rosi de coller l'un à l'autre la révolte des femmes du village, la douleur de la mère de Giuliano et les images du massacre des militants communistes. De tout cela ne ressort qu'une victime véritable : le paysan sicilien.

    L'épilogue, situé en 1960, reprend la figure du début : un homme abattu au milieu de la foule. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Rosi ne boucle pas la boucle. Franchement pessimiste, il montre plutôt que la gangrène n'en finit pas de bouffer la société sicilienne. Salvatore Giuliano est bien un acte fondateur, tant pour son auteur que pour tout un cinéma politique européen et jusqu'aux films de complots américains des années 70. C'est aussi, peut-être, un bonne préparation avant de découvrir cette semaine en salles Gomorra.

  • Wall-E

    (Andrew Stanton / Etats-Unis / 2008)

    ■■□□ 

    walle.jpgDepuis quelques années moins attentif aux sorties de films d'animation en général et des productions Pixar en particulier (dont je n'avais finalement vu, comme longs-métrages, que les excellents 1001 pattes et Monstres et Cie, puisque ne connaissant que quelques passages de Cars ou Nemo, croisés au hasard de ces fins de soirées entre amis où les enfants se calment devant un dvd), je me suis laissé porté vers ce nouveau Wall-E, cédant à la fois à une critique enthousiaste et à une forte pression familiale. Après la projection, le dessin animé événement de 2008 me laissa un brin perplexe : proprement stupéfait par la technique mais désappointé par la faiblesse du scénario et la réflexion sérieuse mais limitée que propose le film.

    Toute la première partie se déroule sur une Terre croulant sous les déchets, dépourvue d'humains et, croit-on pendant un petit moment, de toute matière vivante. Wall-E, petit robot nettoyeur doté de sentiments, est le seul à s'y activer encore (accompagné toutefois d'un minuscule insecte mécanique, vieille tradition disneyenne du compagnon secondaire). Aucune parole n'est logiquement prononcée pendant tout ce temps, jusqu'à l'arrivée d'un deuxième robot, plus sophistiqué, plus féminin : cette Eve dont Wall-E tombe aussitôt amoureux. Est-ce le fait d'avoir raté quelques étapes dans la production Pixar ? Toujours est-il que le choc esthétique fut pour moi réel. Fluidité parfaite des mouvements, rendu des textures, travail sur la lumière et la profondeur de champ : pratiquement tous les plans rivalisent avec n'importe quelle grosse production tournée en images réelles. Cette vision d'une Terre (d'une Amérique, plutôt) d'après-Apocalypse se tient, sans faire appel à de trop évidentes références iconographiques ou cinématographiques (cela ne durera pas, malheureusement). L'ambition est donc indéniable mais ces belles promesses sont malmenées dans une seconde partie bien moins intéressante.

    Quelques signes nous le faisaient pressentir : des humains ne sont pas très loin de là. En effet, Eve est une sonde envoyée à la recherche d'une trace de vie. Sa mission remplie, elle repart vers le vaisseau spatial d'où elle a été lancée, avec Wall-E accroché au carénage de sa fusée. Nous découvrons alors un nouveau cadre : celui d'une ville flottante où les humains, obèses, ne quittent jamais leurs fauteuils volants, gardent les yeux rivés sur leur écran et laissent toutes sortes de robots sophistiqués faire tout à leur place. Le message est clair et l'idée est bonne, mais ce n'est qu'une idée. Jamais aucun personnage humain ne prendra une quelconque épaisseur (si je puis dire) et jamais le scénario n'ira plus loin que cela, cantonnant le reste du métrage à une banale course poursuite. De plus, imaginer un futur apocalyptique est toujours plus gratifiant esthétiquement que décrire un monde aseptisé, immaculé et rondouillard. Point de détail qui agace également, Andrew Stanton ne peut s'empêcher de lâcher les sempiternelles références à 2001, l'Odyssée de l'espace. Les valses de Strauss, l'oeil rouge de l'ordinateur : il va falloir que quelqu'un dise aux réalisateurs d'arrêter avec ces clins d'oeil qui deviennent des grosses tapes sur l'épaule. Les adultes ont déjà vu ça cent fois et les enfants ne savent pas qui est Stanley Kubrick.

    De par son sujet forcément moins drôle, mais aussi moins profond qu'il n'y paraît (Monstres et Cie, au-delà des péripéties, ouvrait bien davantage sur l'imaginaire), Wall-E, tout agréable qu'il soit, se trouve finalement un peu trop réduit à une jolie histoire d'amour légèrement sirupeuse et à un message d'alerte appuyé sur le devenir de notre planète. D'où cette petite déception, ce goût d'inachevé, de renoncement à une oeuvre totalement originale dans son propos et sa construction.

  • Un questionnaire cinéphile (série-) bis

    Au questionnairequi marche cet été chez les bloggeurs cinéphiles, le camarade Joachim a ajouté une variation, basée sur les souvenirs dont on a plutôt honte aujourd'hui, mais qui restent bien ancrés : nanars, séries Z, mauvais films croisés à l'adolescence... Ce deuxième exercice est aussi difficile que le premier (et de fait, la mémoire a sûrement effacé d'autres horreurs vues dans ces jeunes et innocentes années). Essayons quand même... Voici quelques réponses rapides. En comptant sur votre indulgence...

    zidi.jpgUn cinéaste : Claude Zidi.

    Un acteur : Le Jean-Paul Belmondo des années 80.

    Une actrice : Maruschka Detmers dans La vengeance du serpent à plumes.

    Une rencontre d'acteur : Terence Hill et Bud Spencer.

    Un sourire : Celui de Daniel Auteuil dans Les sous-doués.

    Un regard : Celui des Frères Terrieur : Alain Terrieur qui louche et Alex Terrieur qui a les yeux qui partent dans les coins opposés. Impossible de me rappeller de quel film ça sort.

    roismages.jpgUn gag : Deux ou trois dans Les Rois Mages, des Inconnus, m'avaient vraiment fait rire.

    Une révélation : L'arrivée du magnétoscope au début des années 80 et le plaisir de suivre les parents qui allaient en ville au vidéo club tous les quinze jours.

    Une fin : Celle de Karaté Kidavec le coup imparable inventé par Ralph Macchio.

    Un générique : Ceux de la série des Gendarmes.

    taistoi.jpgUne affiche : Celle de Tais-toi quand tu parles, avec Aldo Maccione, qui est restée des années accrochée au mur de la salle de jeux chez mes parents, sans aucune raison particulière (même pas vu le film).

    Une mort : Toutes les têtes qu'il faut trancher dans Highlander.

    Un monstre : Coluche et sa tête enflée dans Banzaï.

    Un traumatisme : Les corps brûlés sur le navire de guerre de The Philadelphia Experiment.

    Un moment de lâcheté : Quand je n'allais pas avec mes potes regarder des films d'horreur le samedi après-midi en l'absence de leurs parents.

    Une erreur de jugement : Penser qu'Alan Parker est le plus grand cinéaste du monde.

    Une faute de goût : Préférer Besson à Bresson.

    Un gâchis : La cité de la peur.

    porkys.jpgUne scène qui a éveillé ma libido : Dans Porky's, l'un des ados hallucine en visualisant la fille qu'il aime les seins à l'air, à la place (me semble-t-il) de la prostituée assise sur le bord du lit.

    Une oeuvre surestimée : Le Corniaud.

    Une oeuvre sous-estimé : Les fugitifs.

    Un décor : Le désert des Morfalous.

    Un somnifère : Un Max Pécas sur M6.

    Un choc plastique : Plan 9 from outer space (les soucoupes volantes, la salle de commande).

  • Diary of the dead

    (George A. Romero / Etats-Unis / 2008)

    ■□□□

    Diaryofthedead.jpgCinquième volet de la série des Morts-vivantsde Romero, Diary of the deada, depuis sa sortie en juin dernier, partagé un peu la critique et beaucoup les bloggeurs (voir plus bas). Personnellement, seul le quatrième épisode (Land of the dead) m'est inconnu. Les trois premiers (dont Le jour des morts-vivants auquel j'ai consacré une note ici) m'avaient fortement intéressé, sans toutefois me faire prendre George A. Romero pour autre chose qu'un petit maître de l'horreur (si je considère l'après-Mario Bava, je ne qualifierai d'ailleurs personne, dans le genre, de grand maître : ni Argento, ni Carpenter, ni Craven, en sachant que si Cronenberg mérite l'appellation c'est qu'il est vite passé à autre chose. Fin de la parenthèse, début des commentaires outrés ?). J'attendais cependant avec une certaine impatience de voir cette variation. Assez cruelle fut la déception.

    Il y a plusieurs raisons à cela, mais l'une dépasse toutes les autres. On le sait, chaque film de la série traitait en creux d'un mal de l'époque. Le Romero 2008 s'attaque à la multiplication des images, au nouvelles technologies et aux nouvelles sources d'informations qui en découlent. Je viens d'écrire, concernant les épisodes précédents, "traitait en creux" : le problème se limitait à un fond politique ou à un cadre symbolique. Or, Diary of the deadest un discours et il n'est presque que cela. Une poignée d'étudiants en cinéma part tourner un film d'horreur dans leur mini-bus quand se déclare la fameuse épidémie. Le metteur en scène du groupe décide alors de tout filmer autour de lui, pour témoigner, via internet, du chaos (que l'on ne ressent guère de par le dispositif choisi par Romero, j'y reviendrai). Ses compagnons lui rappellent sans cesse qu'il y a autre chose à faire que de filmer (mais comme les morts entraînent les morts, le virus de la caméra-témoin se propage lui aussi à toute l'équipe). Tourner au lieu de (sur-)vivre, être dépendant des flots d'images, se laisser avaler par tous ces écrans sans exercer de sens critique : voilà le mal dénoncé par Romero dans une mise en garde qui ne se distingue pas par sa nouveauté. Si seulement tout cela était dit à une ou deux occasions... Mais non, absolument chaque scène rabâche cette même idée et le plus souvent en passant par les dialogues, ce qui ajoute encore à la lourdeur.

    Diary of the dead, hormis quelques inserts venant d'internet, a pour unique source d'image les rushes tournés par l'équipe d'étudiants. Ce choix, encore une fois peu original (Le projet Blair Witchm'avait, à l'époque, plus bluffé sur ce plan-là), nous prive de la mise en scène des espaces clôts sur laquelle les précédents volets étaient basés. Mise à part la luxueuse résidence du dénouement, aucun décor n'est marquant. Et nous de nous dire qu'un film au regard classiquement objectif, qui permettrait d'élargir le cadre, quitte à le mélanger avec ces prises de vues documentaires, aurait très bien pu aborder pertinemment le thème tout en bénéficiant d'une plus ample mise en scène. Le profit que tire Romero de son dispositif est bien mince : quelques jeux plaisants autour des images manquantes (problèmes de batteries déchargées, place du cameraman trop éloignée de l'action) et crédibilisation des attaques des zombies par le resserrement du cadre.

    Mais, autres soucis, Romero ne propose toujours pas une direction d'acteurs convaincante ni des dialogues brillants et l'habituel renversement des valeurs (les milices Noires généreuses et la Garde Nationale qui pille) devient routinier. Le meilleur réside donc encore une fois dans la façon de filmer les morts-vivants, toujours inventive et très poussée ici vers le hors-champ. Un léger redressement se remarque dans le dernier quart d'heure, si l'on excepte le passage ridicule de la répétition dans la réalité de la scène de la momie et de la fuite de Tracy avec le bus. La contamination de l'acte de filmer, déjà évoqué, la démarche alcoolisée qui devient zombiesque, l'enfermement des survivants, la séquence-choc finale qui interroge frontalement notre voyeurisme, nous font un peu oublier la lourdeur du dispositif. Mais on note aussi que pour la première fois dans la série, les gestes et les stratégies sont très peu réfléchis au regard du danger, ce qui facilite grandement les morsures. Une chose étonne : ces étudiants en cinéma, connectés et sur-informés n'ont manifestement jamais vu aucun film de Romero.

    Autres avis, très partagés, à lire chez : Ishmael, Doc Orlof, Shangols, Pibe San, Rob Gordon, Norman Bates.

  • Choses secrètes

    (Jean-Claude Brisseau / France / 2002)

    ■■■□ 

    chosessecretes.jpgJe précise d'emblée que vous ne trouverez ici nulle remarque sur "l'affaire Brisseau" qui occupa bien du monde en 2005. Je n'en connais précisément ni les détails ni les conséquences actuelles. Des deux positions les plus affirmées par les commentateurs de l'époque aucune ne me convient : ni le lynchage d'une personnalité hors-norme, ni l'excuse de tout écart au nom d'une grande oeuvre. Je ne tiens pas à ajouter d'autres sottises.

    Passée une introduction aussi franche que possible (un show érotique), il n'est pas aisé de s'installer de suite dans Choses secrètes. Image aplatie, (faussement) neutre, diction des comédiens soignée, rigueur et simplicité des cadrages : Brisseau suit une ligne claire, à peine perturbée dans ces premières minutes par une apparition et le caractère sacré de la musique. Sandrine, serveuse dans une boite à strip-tease est fascinée par Nathalie, qui lui propose bientôt de s'installer chez elle et d'abandonner leur job respectif. Nathalie, la sublime et mystérieuse brune, pousse la plus sage et classique Sandrine à oser. Oser aller au bout de ses fantasmes, sans s'attacher aux hommes rencontrés, en ne pensant qu'à son plaisir.

    Choses secrètescommence donc ainsi, par une exploration du désir féminin, et se poursuit selon le programme établi par les deux filles : gravir l'échelle sociale en se servant de leur corps, en séduisant tour à tour des hommes de pouvoir. La neutralité de la mise en scène est donc voulue, exclusivement au service de l'histoire que l'on nous présente. Comme les personnages, elle évoluera. Le début de l'ascension sociale nous le suivons avec un double plaisir : celui du récit au premier degré et celui de la confrontation avec la "feuille de route" établie auparavant. Lors de ces séquences de bureau (ceux d'une entreprise filmée comme une bulle : on n'en sort guère avant le dernier acte et Natalie disparaît quasiment de l'intrigue, laissant Sandrine nous conduire), Brisseau commence à libérer sa caméra. Il excelle à filmer les conversations entre collègues, entre supérieurs et subordonnés.

    Par petites doses, le fantastique est distillé et la dernière partie peut alors y verser allègrement, sans mettre en péril l'équilibre de l'ensemble. Un restaurant désert, un pacte avec le diable, un château, une orgie : il faut une belle naïveté ou une foi inébranlable dans les pouvoirs du cinéma pour oser ainsi aller à contre-courant. Mais Brisseau peut se permettre ces éclats car de la simplicité du début aux audaces de la fin, c'est tout un art de la mise en scène et de la construction narrative qui se déploie sous nos yeux. Il faut voir cette façon évolutive de filmer les bureaux et les couloirs, cette façon d'amener le personnage machiavélique du fils du vieux patron qui prendra bientôt le pouvoir (le présenter n'importe comment dans des petites saynètes étranges l'aurait fait paraître au mieux saugrenu, au pire ridicule, alors qu'ici son importance grandit dans tous les sens du terme au fil du récit).

    Histoire d'une initiation, satire sociale et conte fantastique : ces trois registres se superposent et sont bien sûr encore surplombés par celui de l'érotisme. Car Choses secrètesest, caractéristique rare, un film érotique. Et rare également est la voie choisie par Brisseau. Cette plongée dans la sexualité féminine, à rebours de la quasi totalité des cinéastes travaillant le sujet, il l'aborde sans vraiment poser la question, habituelle depuis quelques années, de la limite de la représentation du sexe. Nulle scène choc vers laquelle convergerait tout le film, nul débat autour de la pornographie, aucun questionnement autour de la position du curseur. La réflexion de Brisseau n'est pas là. Intégrée à un jeu sur les clichés, sur les rapports hommes-femmes, sur les fantasmes et sur les genres cinématographiques, elle est plus profonde. C'est l'un des nombreux mérites de ce beau film.