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  • Tumultes

    (Robert Siodmak / France - Allemagne / 1932)

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    tumultes.jpgRalph Schwartz est un bon gars un peu brute, un voyou qui en impose tout en sachant mettre tout le monde dans sa poche par sa gouaille naturelle. Grâce à sa bonne conduite, il sort plus tôt que prévu de taule, où il a passé deux ans comme en colonie de vacances. Il court retrouver sa donzelle Ania. Elle est surprise mais heureuse. Elle pense un peu trop à la bagatelle alors que Ralph doit ouvrir tout son courrier. Elle lui fout du rouge à lèvres sur la joue. Faut pas pousser : Ralph lui en colle une. Quelque chose nous dit qu'elle l'a bien méritée. Les potes qui s'ramènent, ça détend l'atmosphère. Alors qu'on n'attend pas pour mettre au jus Ralph du casse à venir, Ania parle en douce à Gustave, son amant, "photographe d'art" (pour qui elle a posé nue, la garce). Le manège éveille les soupçons de Willy, le jeune garçon (d'une bonne trentaine d'années), que Ralph a été sortir de maison de correction (dette d'honneur). Doit-il tout balancer à son protecteur ? Il ne tient pas longtemps et c'est le drame : Gustave finit éclaté dans la mare. Ralph en colle une autre à Ania, mais cède à nouveau devant ses appâts, avant de s'enfuir pour pas se faire choper par les flics. Mais elle le trahit encore, et doublement même : elle le donne à la police et met le grappin sur Willy. Retour en taule pour Ralph. Il faut qu'il se fasse la malle pour se venger. Le différend se règle à coups de couteau et de poings, entre vrais hommes. Les deux se relèvent tant bien que mal. Ralph laisse volontiers cette grue à Willy, en lui souhaitant bon courage pour les années à venir. Au bon commissaire, il dit qu'il préfère encore la taule à toutes ces saloperies.

    Tumultes (Sturme der Leidenschaftpour les Allemands, selon la pratique de l'époque des doubles versions) est un bien mauvais film de Robert Siodmak, cinéaste cosmopolite par la force des choses (le nazisme le poussa à quitter l'Allemagne pour la France, puis l'Amérique) et auteur inégal parfois capable du meilleur (Les hommes le dimanche, Les tueurs, Les SS frappent la nuit). Ce drame criminel accumule tous les défauts possibles des oeuvres du début du parlant : des personnages univoques, des bons mots popus à chaque phrase, du théâtre, une interprétation appuyée, une profonde misogynie. Le cabotinage est la règle. Charles Boyer, dans le rôle de Ralph, est mauvais comme un pou. Florelle (Ania) lui donne la réplique en jetant de temps en temps quelques rapides coups d'oeil à la caméra (?!?). Une scène de hold-up totalement invraisemblable fait penser à celle du Pigeonalors qu'elle se veut sérieuse. Dans cet océan de clichés sur le petit monde des voyous des faubourgs, on pourrait mettre à l'actif de Siodmak quelques beaux travellings, une bagarre nerveuse filmée de manière expressionniste, une brève tentative de caméra subjective (mais annulée par le plan suivant, des plus banals, nous révélant l'identité du personnage dont on a épousé tout à coup la vision), une fulgurance érotique à la Louise Brooks - GW Pabst (quand Ania offre sa gorge, tête renversée, à Ralph), mais tous ces éléments ne raccordent jamais et accusent le statisme du reste. L'ensemble est d'un ennui à peu près total.

  • Un questionnaire cinéphile

    Depuis quelques jours, papillonne sur la toile un questionnaire cinéphilique, exercice toujours sympathique qui nous en apprend à chaque fois beaucoup sur chacun. Découvert pour ma part chez Dasola, il semble prendre l'allure d'un portrait chinois ("si vous étiez..., vous seriez...") mais comme certaines catégories collent moins bien que d'autres avec ce strict principe, mes réponses, lancées à la va-vite sans trop de réflexion, seraient plutôt la conséquence de la question :

    Si, aujourd'hui, vous deviez citer :

    mulholland-drive.jpgUn film : Mulholland Drive(D. Lynch)

    Un réalisateur : Stanley Kubrick

    Une histoire d'amour : Celle de L'Atalante(J. Vigo).

    Un sourire : Celui de Catherine Mouchet dans Thérèse (A. Cavalier)

    yeuxsansvisage.jpgUn regard : Celui d'Edith Scob dans Les yeux sans visage(G. Franju).

    Un acteur : Le Al Pacino des années 70.

    Une actrice : Louise Brooks.

    Un début : Walter Pigeon qui tient en joue Hitler dans Chasse à l'homme(F. Lang).

    Une fin : La photo de Nicholson au bal de l'hôtel Overlook (Shining, S. Kubrick)

    Un générique : Celui, invariable, des films de Woody Allen.

    prisonnieredesert.jpgUne scène clé : John Wayne qui soulève Natalie Wood qu'il vient de retrouver et qui lui dit : "Let's go home, Debbie" (La prisonnière du désert, J. Ford).

    Une révélation : Le "retour à la vie" de Paul Meurisse dans Les diaboliques(H.G. Clouzot).

    Un gag : Peter Sellers en Inspecteur Clouzot loupant la porte, se cognant au mur de la salle de billard et lançant, génial de mauvaise foi, à son hôte dépité : "Votre architecte devrait se faire interner..." (Quand l'inspecteur s'emmêle, B. Edwards).

    Un fou rire : Ceux de Irene Dunne devant les galères de Cary Grant dans Cette sacrée vérité(L. McCarey).

    amerique.jpgUne mort : Celle du plus jeune membre du gang de Noodles, qui tombe sous les balles du rival en disant "J'ai glissé" (Il était une fois en Amérique, S. Leone).

    Une rencontre d'acteur : Tom Cruise et Nicole Kidman (Eyes wide shut, S. Kubrick).

    Un baiser : Marlene Dietrich et une spectatrice (Morocco, J. von Sternberg) ou Ingrid Bergman et Cary Grant (Les enchaînés, A. Hitchcock).

    Une scène d'amour: Celle qui n'a pas lieu entre Scarlett Johansson et Bill Murray (Lost in translation, S. Coppola).

    Un plan séquence : L'ouverture de The Player(R. Altman).

    Un plan tout court: Filmée en plongée, Juliette Binoche regarde vers le haut et du coin de la bouche souffle et fait bouger ses cheveux noirs (Mauvais sang, L. Carax).

    moissons.jpgUn choc plastique en couleurs: Les moissons du ciel(T. Malick).

    Un choc plastique en N&B: Rouges et blancs(M. Jancso).

    Un choc tout court: Seul contre tous(G. Noé).

    Un artiste surestimé : Dans les contemporains, Albert Dupontel.

    Un traumatisme : La scène de torture, suggérée, sur Harry Dean Stanton dans Sailor et Lula(D. Lynch)

    Un gâchis : Hal Hartley après Amateur.

    Une découverte récente : Johnnie To.

    Pierrotlefou.jpgUne bande son : Celle de Pierrot le fou(J.L. Godard, dialogues, voix, bruits, musiques et chansons).

    Un somnifère : Les harmonies Werckmeister(B. Tarr)

    Un monstre : Nosferatu(F.W. Murnau).

    Un torrent de larmes : La séparation par les flics de The Kid(Ch. Chaplin) et la fin du Voleur de bicyclette(V. De Sica).

    lesautres.jpgUn frisson : La séquence de la petite fille transformée en vieille femme dans Les autres(A. Amenabar).

    Un artiste sous-estimé : Dans les contemporains, Lodge Kerrigan (Clean shaven, Claire Dolan, Keane).

    Un rêve : Matt Dillon survole la ville dans Rusty James(F.F. Coppola).

    Belle_de_jour.jpgUn fantasme : Tout Belle de jour(L. Bunuel).

  • La Chinoise

    (Jean-Luc Godard / France / 1967)

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    Si se promener de loin en loin dans la filmographie de JLG et découvrir ses films dans le désordre le plus total au fil du temps empêche d'avoir une nette vision de son évolution, cela a toutefois l'avantage certain de recevoir par moments de véritables uppercuts. La Chinoise date de 1967. Seulement huit années sont donc passées depuis A bout de souffleet Godard a déjà tout chamboulé, comme aucun cinéaste français avant lui et certainement aucun après lui, si l'on tient compte du resserrement du séisme sur quelques années (disons 1959/1968) et de l'amplitude de l'onde de choc, ressentie jusque chez les spectateurs de l'époque ne voyant aucun de ses films.

    "Il faut confronter des idées vagues avec des images claires". Dès le trois ou quatrième plan, Godard annonce son programme, écrit sur l'un des murs de l'appartement dans lequel se déroulera la quasi-totalité de La Chinoise. Si il y a bien une chose que l'on ne peut pas reprocher au cinéaste, c'est de ne pas jouer cartes sur table. Et rarement quelqu'un aura aussi parfaitement réussi à coller à son manifeste. Dans La Chinoise, tout se ramène à cet axiome. Cinq jeunes militants parisiens marxistes-léninistes ont investi pour l'été un appartement familial, pour y peaufiner leurs réflexions, mettre à l'épreuve leur foi révolutionnaire et trouver des moyens d'action. Pourfendant l'impérialisme des grandes nations occidentales autant que le socialisme soviétique abîmé dans le stalinisme, ils font reposer leur pensée politique sur la lutte des classes et la Révolution Culturelle chinoise de Mao. Dans ce lieu clos, se succèdent discussions enflammées, exposés sur des sujets précis, lectures de discours célèbres, tentatives de théâtre révolutionnaire. Parallèlement, chacun des personnages est interviewé par un journaliste (Godard lui-même, dont on entend faiblement la voix) et revient sur son parcours et sur le pourquoi de son engagement.

    chinoise.jpg

    Le montage entrechoque tout cela avec des slogans, des photos, des chansons, des cartons. L'éclatement est à nouveau total, claps à l'image et répétitions comprises. Du point de vue narratif, l'objet est déjà inouï. Le miracle est que cette distanciation (réellement brechtienne, puisque la citation est faîte littéralement), ces procédés qui poussent les acteurs à jouer un documentaire, cette accumulation d'exposés théoriques produisent tout de même de la fiction. L'expérimentation cohabite avec l'évidence d'un récit cinématographique. D'admirables comédiens parviennent à rendre crédibles et vivants des personnages qui, au départ ne dégagent qu'une curiosité idéologique. Jean-Pierre Léaud, que l'on croit connaître par coeur, étonne toujours autant par sa capacité à inventer une figure mémorable. Véronique et Yvonne, les deux femmes du groupe, sont incarnées, transfigurées, par Anne Wiazemsky et Juliet Berto, touchantes, bouleversantes. Au cours d'une séquence magnifique, Waziemsky fait croire à Léaud qu'elle ne l'aime plus en lui prouvant qu'elle peut faire deux choses à la fois. Mais la vie surgit aussi et surtout des entretiens et d'une discussion dans un train, entre Véronique et Francis Jeanson, fameux intellectuel ayant soutenu le FLN quelques années auparavant et intervenant ici dans son propre rôle. Ces échanges, ces questions posées interrogent sans cesse les militants maoïstes, mettent à jour les contradictions et pointent les propos abusifs, obligent à préciser inlassablement. Véronique et les autres défendent becs et ongles leurs positions tout en laissant passer dans leur regards, leurs hésitations, parfois, le déséquilibre et donc l'émotion.

    Comme les personnages travaillent incessamment à forger leurs arguments, cherchant dans la pensée marxiste des fondements scientifiques et donc irréfutables, Godard s'attache à éclaircir par le cinéma ces idées vagues. Dans un va et vient interrogateur, tantôt il épouse et prolonge la virulence des protagonistes, tantôt il use d'un recul contradictoire ou humoristique. En donnant autant d'importance à la foi révolutionnaire de l'une qu'à la désillusion de l'autre, il peut donner l'impression de reprendre à son compte toutes les positions et s'abîmer dans la confusion (reproche qui lui a été fait régulièrement par ses détracteurs, désarçonnés à ce moment-là, dans la deuxième moitié des années 60, par son virage idéologique vers l'extrême-gauche). Parlons plutôt d'une image de la complexité du monde, certes à mille lieues de la démarche de cinéastes plus humanistes. La Chinoise est l'exposition d'un mouvement révolutionnaire, de la théorie à l'activisme (ici terroriste). Je n'aime guère parler de prédiction d'un événement historique, tournure qui la plupart du temps débouche sur une ré-écriture fausse de l'histoire, mais force est de constater que bien des éléments qui feront Mai 68 se retrouvent dans le film.

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    Étonnement sensible vu le sujet, le film est aussi plastiquement superbe. L'utilisation de la couleur pourrait, comme celle du travelling, passer pour une affaire de morale. Cadrages et mouvements d'appareils sont d'une fluidité et d'une précision incroyables (l'alternance des plans fixes dans la discussion déjà évoquée entre Véronique et Jeanson) jusqu'à un dernier plan (annoncé par le carton : "Dernier plan du film") magnifique. Tout cela n'est pas mal pour "un film en train de se faire" (sous-titre de La Chinoise).

    Peur de passer à côté de certaines choses, de me tromper... L'envie de revoir dès maintenant, deux jours après, La Chinoise me taraude. C'est sans doute moins beau que Le mépris, moins génial que Pierrot le Fou, mais c'est le film qui me travaille le plus et le choc esthétique le plus évident parmi ceux vus ces derniers mois.

  • Une femme est une femme

    (Jean-Luc Godard / France / 1961)

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    unefemmeestunefemme.jpgTroisième long de Godard, après A bout de souffle et Le petit soldat (ce dernier sorti plus tard, suite aux problèmes que l'on sait), Une femme est une femmeest une petite chose au milieu d'oeuvres bien plus consistantes. Abordant la couleur pour la première fois, JLG annonce une comédie, parfois musicale, sous les auspices de René Clair et de Ernst Lubitsch (convoqués dans l'un de ces génériques aussi percutants que succincts dont notre homme a le secret).

    Angela, strip-teaseuse de son état, vit avec Emile. Elle veut un enfant. Aujourd'hui. Lui n'en veut pas. Pourquoi ne le ferait-elle donc pas avec le premier venu ou avec l'ami du couple, Alfred ? Il n'y a guère plus à dire de l'histoire. On suit d'abord Angela (Anna Karina et son accent si particulier) dans la rue, à sa boite de strip, au travail d'Emile (Brialy) ou en conversation avec Alfred (Belmondo). C'est la meilleure partie du film. Car ensuite, le couple s'enferme dans son appartement et n'en sort plus guère. Godard aime les scènes de ménage en chambre. L'étirement de celles d'A bout de souffle et du Méprisprovoquaient génialement. Celle qui met aux prises Karina et Brialy paraît ici bien superficielle. L'affrontement relève de l'enfantillage et la mise en scène toute en ruptures de tons nous laisse à penser que tout cela n'est finalement pas bien grave. Les personnages ont bien du mal à exister et tout ne semble tourner qu'autour du problème général et peu original de la guerre des sexes.

    Le générique nous prévenait, Godard fait une comédie. Mais si surprenantes et inventives que soient ses trouvailles (calembours, coqs à l'ânes, superpositions sonores...), nous sommes bien en peine de relever un gag particulier, hormis les blagues de bureau (on croise Marie Dubois qui est en train de lire Tirez sur le pianisteet Jeanne Moreau à laquelle Belmondo demande comment ça se passe sur Jules et Jim, Belmondo qui, ailleurs, dit qu'il aimerait bien aller voir A bout de soufflequi passe à côté...). Non, Godard n'est pas le plus drôle des cinéastes et il a même la fâcheuse habitude d'abuser des grossièretés de langage.

    Bien évidemment, et heureusement, la provocation godardienne ne se limite pas aux "Eva-te faire foutre" et autres "enfoiré". La déconstruction du récit bluffe toujours autant : bande-son extrêmement complexe et montage déstabilisant. Les meilleures séquences se déroulent dans les bars. Celle où Karina et Belmondo écoutent intégralement Tu t'laisses allerd'Aznavour est l'une des plus belles et des plus étranges. Quelques plans admirables ponctuent ainsi la fantaisie, la plupart centrés bien sûr sur Anna Karina. Mon préféré voit la caméra se substituer à Brialy et empêcher sa femme de forcer le passage jusqu'à la serrer dans un coin de l'appartement.

    Cela dit, j'ouvre mon parapluie afin de ne pas prêter le flanc aux attaques du style : "Ah Bravo ! tu préfères un Lelouch à un Godard...". Adorateurs du Maître Franco-Suisse, inutile d'affûter vos couteaux, ma prochaine note prendra la forme d'un éloge de La Chinoise.

  • Un homme et une femme

    (Claude Lelouch / France / 1966)

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    unhommeunefemme.jpgJe n'avais jamais vu Un homme et une femme. L'ensemble de la filmographie de Claude Lelouch m'est d'ailleurs inconnu. Les seules exceptions sont Itinéraire d'un enfant gâté et Il y a des jours et des lunes, vus à l'époque de leurs sorties en salles. A 16 ans, facilement impressionnable, en général on trouve ça bien Lelouch. Et souvent on abandonne ensuite, en suivant, à tort ou à raison, les conseils de contournement des critiques.

    Devant Un homme et une femme, je vois bien ce qui, en 66, gênait certains et, aujourd'hui encore, doit continuer à agacer les détracteurs du cinéaste. Lelouch, qui, avant cet énorme succès, avait connu une série d'échecs avec ses six premiers longs-métrages, utilise l'esthétique, les procédés narratifs et les techniques de la Nouvelle Vague en les lissant pour les rendre le plus acceptables possibles pour le public. Oui, en un sens, Lelouch fait un roman-photo avec le nouveau cinéma. On peut éventuellement parler d'affadissement, s'irriter du côté catalogue de la modernité (voire, avec mauvaise foi, prendre chaque plan du film et en référer tantôt à Godard, tantôt à Resnais, élargir même à Fellini ou Antonioni). Il n'empêche que c'est bien une certaine joie de faire du cinéma qui se dégage de ces longs dialogues jamais filmés ou illustrés de la même façon, c'est bien la liberté de la narration qui marque. Il est bon de rappeler que si tout le monde s'était extasié à l'époque, et à juste titre, devant telle séquence de The unbelievable truth(Hal Hartley, 1990) où une leçon de mécanique improvisée faisait office de discours amoureux, Lelouch avait fait exactement la même chose en faisant longuement parler Trintignant du bruit de son moteur en course à Anouk Aimée.

    Le cinéaste est un technicien sans faille. Il faudrait être aveugle pour ne pas admettre que jamais en France n'avaient alors été aussi bien filmées des courses automobiles, comme pour la longue séquence d'entraînement de Trintignant, entièrement couverte par les bruits de moteurs. L'histoire quant à elle est simplissime et émouvante (le couple est magnifique). Cette simplicité scénaristique sert beaucoup le film, qui évite ainsi de nous bassiner avec les grands problèmes sociaux et la philosophie de la vie, choses qui sont ailleurs beaucoup reprochées à Lelouch. Ici, nous avons plutôt des petites notations humoristiques, des bribes de cinéma direct, des apartés, des citations, bien dans l'esprit, encore une fois, de la Nouvelle Vague. Courir sur la plage, poursuivre un train en voiture, c'est cucul mais ça marche. Parfois, la vie est cucul.

    La mémoire télévisuelle, qui ressasse indéfiniment les mêmes signes sans jamais revenir à leur source, a réduit telle une tête jivaro Un homme et une femme au thème musical de Francis Lai. Celui-ci n'est pourtant que l'une des nombreuses interventions musicales qui parcourt la bande-son, jusqu'à donner l'impression d'un vrai film musical. Lelouch intègre magistralement dans son récit deux chansons de Pierre Barouh, qui pourrait se voir indépendemment comme l'un des scopitones que le cinéaste aimait tourner en début de carrière. D'autres procédés se remarquent, notamment l'usage godardien d'une musique venant en contrepoint de l'image (musique symphonique et grave sur des images qui ne le sont a priori pas...). Poussés à leur limite dans le dernier quart d'heure où se succèdent trois larges plages mélodiques, ces usages, aussi beaux soient-ils, laissent penser que Lelouch a du mal à trouver un moyen autre que musical pour boucler son voyage émotionnel. Mais cette impression de séquences qui n'en finissent pas de ne pas finir n'est pas si désagréable. Oui, tout cela est joli. Le terme n'est, pour une fois, nullement dépréciatif.

  • Interlude (Garden Nef Party 2008)

    gardennef party.jpgIl y a six ans de cela, le choix d'un arrêt temporaire des sorties concerts s'imposait quand fut chez nous résolue la mystérieuse équation 1+1=3. Le temporaire étant devenu permanent, la création en 2007 de la Garden Nef Party, festival rock angoumoisin (après un "numéro zéro" en 2006 avec 4 groupes sur une seule journée), fut accueillie dans notre chaumière comme une bénédiction et comme l'occasion rêvée d'un bon rattrapage. Ambiance agréable, programmation impeccable et site idéal à flanc de colline verte et boisée : cette première édition tenu ses promesses, et même au-delà (on parlera encore sur notre lit de mort de cette soirée de clôture qui vit se succéder les sets époustouflants d'Arcade Fire et de LCD Soundsystem). Un rendez-vous était donc pris.

    L'édition 2008, c'était le week-end dernier pour deux fois dix heures de musique enchaînées grâce aux allers-retours entre les deux scènes. Compte-rendu :

    Jour 1 :

    Le vent se lève - Les Anglais d'Archie Bronson Outfitouvraient le bal de manière fort à propos. Morceaux compacts et intenses soutenus par un saxophone bruitiste. On démarre fort.

    La guerre des boutons- Stars des couloirs de lycée (il faut entendre les cris aigus du premier rang) les teenagers de BB Brunes m'étaient totalement inconnus. Simple, direct, parfois amusant ("J'écoute les Cramps / Tu te mets à genoux...") : du rock'n'roll quoi. C'est toujours ça de pris à Amel Bent.

    Wanda - Toujours impressionnant de voir une petite bonne femme seule sur une grande scène, derrière sa guitare en bois, imposer le respect à une foule de festivalier. L'Américaine Alela Diane enveloppe d'une voix magnifique ses belles chansons folk.

    Punch drunk love- Sur le pont depuis une bonne douzaine d'années (deux djeunes derrière nous : "Putain, ils sont vieux !"), Nada Surfsait encore ciseler sa power-pop à merveille. Le trio, épaulé par un membre de Calexico, a réussit à enflammer les premières mèches dans le public. Leur sincérité et leur absence de pose nous les a toujours rendu éminemment sympathiques.

    Le carrosse d'or - Accessoires improbables, mimiques, apartés humoristiques, instruments traditionnels, Moriartydéploie son petit théâtre aussi atypique qu'attachant, autour de la diva Rosemary.

    Bonnie and Clyde- Pour beaucoup les plus attendus, Jamie "Hotel" et Alison "VV" n'ont pas déçu. The Kills ou le rock au plus près de l'os : une boite à rythme, une guitare, une chanteuse. Monsieur, sec comme un coup de trique, sourire aux lèvres. Madame, déchaînée, les yeux cachés derrière la longue chevelure. MON concert du festival.

    Le rock du bagneHeavy Trashest le nouveau groupe de Jon Spencer. Sans reprendre son souffle, il enchaîne les morceaux, emprutant au rockabilly et au rythm'n blues (jusqu'au costume).

    Pat Garrett et le Kid- Jack White, délaissant Meg et ses White Stripes, retrouve à chaque vacances Brendan Benson. Leur super-groupe, The Raconteurs, marie idéalement la déstructuration de l'un et l'écriture précise de l'autre. Jack triture toujours aussi savoureusement sa guitare. Leur Steady as she goesaura provoqué l'une des ondes de choc les plus fortes du week-end. (un mec qui quitte l'assistance en plein milieu du concert pour aller voir (boire) ailleurs : "Non mais j'adooore Jack White...")

    Easy rider- Ses frasques ont été immortalisées par le documentaire Dig !. Anton Newcombe, leader du Brian Jonestown Massacre, s'est quelque peu calmé au niveau de l'attitude. Ses propos sont toujours aussi déstabilisants ("Je dédie cette chanson à ma première femme, une française de Bordeaux. Elle a eu un bébé et est morte il y a un mois."!?!?) mais son rock psychédélique est toujours aussi hypnotique.

    A.I. Intelligence Artificielle - Au début, il faut s'y faire à cette débauche sonore et visuelle : deux hommes-troncs s'agitent entre deux immenses murs d'enceintes. Puis l'évidence s'impose. Justiceen concert déconstruit ses tubes. Ultra-découpé, D.A.N.C.E.se retrouve déshabillé de ses oripeaux putassiers et We are your friends prend des allures de tuerie imparable. Toute cette puissance éléctro impose le respect. MA bonne surprise du festival.

    Jour 2 :

    Velvet Goldmine - Le chanteur des Hushpuppiesa battu le record de distance parcourue en étant porté à bouts de bras par le public. Un exploit compte tenu de l'heure peu avancée (17 heures). C'est surtout la preuve que les petits gars de Perpignan savent nous mettre dans leur poche en dégageant une belle énergie et en troussant de sacrées mélodies rock.

    Manhattan- L'élégance vestimentaire, la tension des guitares, la concision du jeu et la langue sont new-yorkaises, mais les quatre petits jeunes des Kid Bombardossont bien de chez nous (de chez moi, même, puisque bordelais). Par moments, on pense aux Strokes et le compliment n'est pas mince. MA découverte du festival.

    Maîtresse - En pantalon de cuir, Mademoiselle K joue de la guitare comme un mec et entrecoupe ses petites histoires de "putain, merde, fait chier".

    La science des rêvesPatrick Watsona l'une des voix les plus touchantes qui soient et il est surtout l'un des meilleurs songwriters du moment. Tout heureux d'être là, plus rock avec son groupe sur scène que sur disque, le montréalais triture aussi bien son piano que sa boîte électronique pour le même résultat : flotter en apesanteur. MON moment de grâce du festival.

    Voyage à deux - Moins sucré et plus tranchant en live, The Dorafraîchit. Olivia, chanteuse parfaite, virevoltait, guitare en bandoulière, pieds nus et jupe fleurie (un charentais : "Elle arrache la drôlesse !"; un mec bourré : "Salope !").

    Boulevard de la mort - Pied au plancher, The Bellrayset leur sacrée chanteuse enquillent les chansons, mélange de rock dur et de soul.

    L'homme qui voulait être roi - S'autoproclamant "meilleur groupe de rock du monde" avec suffisamment d'insistance pour que l'on en sourit, les suédois de The Hives ont déroulé leur show avec l'énergie et l'efficacité attendue. L'explosif tube Tick Tick Boom a bien justifié sont nom.

    Cocktail - Dans sa belle veste en daim et à franges, Adam Green voyage au sein de toutes les musiques populaires américaines, de la ballade style Beach Boys au rock style Modern Lovers. Songwriter doué et humour bienvenu.

    La nuit de l'iguane- Déboulant comme un fou dans son habit de scène préféré (torse nu et jean moulant), Iggy Pop, en compagnie de ses vieux potes, a aligné les classiques des ("Fucking") Stooges comme si ils avaient été enregistrés le mois dernier : 1969, TV eye, Real cool time(avec invitation faîte à chacun de venir s'éclater sur scène avec lui, ce qui fut fait par une bonne poignée de djeunes) ou un I wanna be a dog qui reste toujours aussi furieux et fascinant. MA claque dans la gueule du festival.

    Recherche Susan désespérément - Peaches, laissant le bon goût aux autres en se présentant d'abord habillée comme un sac puis moulée dans une combinaison de super-héros, faisait la DJette lors d'un mix entraînant.

    The Party - ...se terminait avec Birdy Nam Nam, quatre pousse-disques dont les beats répétitifs avaient vocation à faire danser jusqu'au bout de la nuit.

    Voilà, c'était la Garden Nef Party 2008. C'était bien.

    Bon allez, après ça, on débouche les oreilles et on retourne au cinéma. On est pas chez feu-Les Inrocks ici.

  • L'amphithéâtre chez soi

    rencontre3type.jpgAprès un week end à rallonge consacré à tout autre chose et avant le prochain où j'irai pendant deux jours entendre les guitares, hier soir encore je n'ai pas vu de film, mais j'ai regardé ici l'enregistrement d'un intéressant débat intitulé "La critique de cinéma et le défi internet : de la revue au blog", auquel participait quelqu'un qu'on aime bien.

    Photo : Rencontres du troisième type (Steven Spielberg, 1977)

  • Êtes-vous Mankiewiczien(ne) ?

    mme muir.jpgLe cinéma près de chez moi propose de passer un été avec Joseph Leo Mankiewicz, en programmant six de ses films. Prétexte idéal pour continuer notre série des "Êtes-vous...".

    J.L. Mankiewicz au plus haut c'est la perfection classique de All about Eve, c'est l'incroyable noirceur de Soudain l'été dernier, c'est la jubilation du huis-clos théâtral inégalable du Limier. Mais si je ne devais en garder qu'un, ce serait cette Aventure de Mme Muir, revu deux fois, trois fois, quatre fois avec la même émotion. Chef d'oeuvre romanesque qui passe les âges comme le fantôme si vivant de Rex Harrison, fantôme qui n'a qu'à dire quelques phrases pour que le vent de toutes les aventures maritimes soulève un rideau de chambre. Et puis Mme Muir, c'est l'admirable Gene Tierney, dont on garde en mémoire les frémissements, les petits gestes traduisant sa volonté de garder la tête froide dans sa cuisine quand les premiers signes de surnaturel se manifestent et son sublime abandon, plus tard.

    D'autres films provoquent un vif plaisir comme l'étonnant On murmure dans la ville, le savoureux récit d'espionnage de L'Affaire Cicéronavec le grand James Mason ou bien sûr Ava Garner, la Comtesse... A l'autre bout du spectre, l'adaptation de Jules Césarm'avait paru bien ennuyeuse malgré Brando et les autres, le cinéaste tombant pour le coup dans le simple théâtre filmé que lui ont souvent reproché ses détracteurs. L'autre échec de Mankiewicz est selon moi Cléopâtre, longue fresque antique qui ne m'a guère captivé.

    Mes préférences :

    **** : L'aventure de Madame Muir (1947), Eve (1950), Soudain l'été dernier (1959), Le limier (1972)

    *** : Quelque part dans la nuit (1946), Chaînes conjugales (1949), On murmure dans la ville (1951), L'Affaire Cicéron (1952), La Comtesse aux pieds nus (1954), Guêpier pour trois abeilles (1967)

    ** : La maison des étrangers (1948), Le Reptile (1970)

    * : Jules César (1953), Cléopâtre (1963)

    o : -

    Pas vu : Le château du dragon (1946), Un mariage à Boston (1947), Escape (1948), La porte s'ouvre (1950), Blanches colombes et vilains messieurs (1955), Un Américain bien tranquille (1956)

    Comme d'habitude, n'hésitez pas à laisser les vôtres...

  • La montagne sacrée

    (Alexandro Jodorowsky / Mexique – Etats-Unis / 1973)

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    montagne sacre.jpgPar rapport à El Topo, La montagne sacrée (La montana sagrada) bénéficie d'une mise en scène fondée sur des compositions plastiques encore plus soignées et l'oeuvre n'est reliée à aucun genre cinématographique précis, ce qui a l'avantage de la délester de tout aspect parodique. Malheureusement, ce deuxième trip en compagnie d'Alexandro Jodorowsky m'a totalement découragé.

    Notre homme structure à nouveau son film en de larges panneaux découpant des parties très distinctes les unes des autres et use d'un mode de narration répétitif à l'intérieur de chacune. La première décrit l'arrivée dans une ville latino-américaine sous contrôle militaire d'un nouveau Christ. Celui-ci, toujours en tenue officielle (celle qu'il a sur la croix, à moitié nu donc), rencontre après quelques vicissitudes, un grand maître alchimiste qui le prend sous son aile et le présente à huit autres personnalités importantes (toutes sont les figures d'un certain pouvoir : entrepreneur, chef de la police, marchand d'armes...). Ce groupe ainsi formé, après avoir atteint un niveau spirituel précis, doit gagner le sommet de la Montagne sacrée pour étendre son influence sur le monde entier.

    Entrer plus précisément dans les détails pourrait être drôle, mais le coeur n'y est plus... Les déboires du Christ au milieu d'un peuple asservi sont rendus avec la frénésie surréaliste habituelle de Jodorowsky et ils s'inscrivent dans le registre de la farce (pas de dialogues véritables dans ces premières minutes, juste des grognements, des cris...). La plupart de ces séquences sont déjà gavées d'un symbolisme qui les rendent proprement incompréhensibles et du coup, à mes yeux, totalement arbitraires (la plus symptomatique étant celle où des individus habillés en soldats romains entraînent le Christ dans un entrepôt et en font des "copies"). La rencontre avec l'alchimiste, au sommet d'une tour, univers parallèle où s'effritent tous les repères spatiaux et temporels, laisse espérer une entrée dans le fantastique. Cet espoir d'une nouvelle approche, qui permettrait enfin de nous faire accepter toutes les aberrations, est vite réduit à néant. Le Maître (Jodorowsky lui-même) assène à son visiteur, pendant vingt minutes, des sentences ésotériques et l'accompagne dans une série de rituels improbables. Survient alors un nouveau changement de direction avec une succession de sketchs satiriques prenant pour guides chacun des nouveaux compagnons du Christ et pour cibles les principaux travers de la société (militarisme, course au progrès, absurdités technologiques, déshumanisation...). Dans leur majorité, ces huit sketchs sont assez mauvais (celui qui se termine dans un musée d'art contemporain sexuel, devant une machine à orgasme, est d'une bêtise sans nom), à l'exception de celui centré sur la femme dirigeant une usine d'armement et présentant sa gamme de fusils pour les jeunes hippies (fusils décorés donc aux couleurs du flower power) et surtout celui qui montre une étrange fabrique de jouets dont tous les ouvriers sont des vieillards et dans laquelle une patronne belle et hautaine se déplace sur fond de musique classique. Ce sera le seul moment où le cinéaste arrêtera la déconne et le mysticisme pour donner un peu de beauté triste à son film. Enfin, la dernière partie, très longue, nous achève en donnant au spectateur l'impression de partager le quotidien d'une communauté de hippies abrutis par toutes les substances possibles. Tout cela est vraiment très intéressant... Il y a bien, au cours du long chemin parcouru par cette secte, pendant cinq minutes, quatre ou cinq flashs saisissants qui renouent avec la cruauté du surréalisme mais le tout se termine par une pirouette de Jodorowsky qui dévoile l'envers du décor de la fiction et qui ne nous fait ni chaud ni froid.

    Il y aura donc eu de nombreux beaux corps dénudés, des visions extrêmes à base d'obscénités sexuelles ou de corps difformes nous sortant par instants de l'hébétude, des séquences très gonflées (un vieillard offre son oeil de verre à une fillette). Il y aura eu surtout un ennui insondable. Tiens, notons que La montagne sacrée se frotte un instant au tabou de la défécation, qui n'a vraiment été affronté, à ma connaissance, que dans ces années 70, dans des oeuvres aussi différentes que le Sweet moviede Dusan Makavejev ou Au fil du tempsde Wim Wenders. Je vous vois sourire (ou frémir) en attendant une chute scatologique pour terminer cette note, mais non, ne contez pas sur moi pour écrire des choses pareilles...

  • Valse avec Bachir

    (Ari Folman / Israël - Allemagne - France / 2008)

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    valsebachir.jpgValse avec Bachir (Waltz with Bashir) est, au départ, un documentaire, auquel s’ajoutent des séquences de rêves et de souvenirs, de fiction donc, le tout étant soumis, chacun le sait maintenant, au traitement du cinéma d'animation. Documentaire et fiction : le voisinage de ces deux termes au sein d’une oeuvre cinématographique est toujours extrêmement délicat à manier. Il se trouve qu'ils sont ici dépassés, neutralisés et unifiés par le troisième, l'animation. Quelque chose d'unique se produit sous nos yeux (comme tout le monde, sans en être totalement sûr, je suppose qu’Ari Folman agit en précurseur et crée un nouveau genre) : la question de la frontière entre réalité et fiction ne se pose absolument pas, l'entremêlement des divers registres n’est jamais un problème. Avant la projection, je croyais que le mode d’expression choisi permettait à l’auteur de toucher le non-représentable. Or, il ne s’agit pas vraiment de trouver une autre voie pour approcher l'insoutenable (la guerre et les massacres). Les images dessinées de Valse avec Bachir ne brisent pas de tabou et la violence qu'elles montrent ne va pas au-delà des limites de la représentation habituelle. Non, l'intérêt est ailleurs : dans la création d'un objet esthétique singulier et cohérent, qui agrège des éléments aussi disparates que des entretiens enregistrés, des récits de guerre et des cauchemars. Valse avec Bachir, c'est une certaine ambiance, une certaine lumière.

    Car avant d'être un film sur la guerre, c'est un film sur la mémoire. Ari Folman a fait la guerre du Liban en 1982 mais semble n'en avoir gardé aucun souvenir. Il a donc décidé d'interroger des psychanalystes et des compagnons d'armes, de façon à rassembler le plus d'éléments possibles et peut-être de déclencher un retour de mémoire. L'enquête est donc menée plus sur lui-même et sur son rapport à un passé traumatisant que sur un événement dont le contexte, les raisons et les acteurs sont déjà connus (les massacres des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, perpétrés par les Phalangistes, milice chrétienne libanaise, et facilités par la passivité des militaires israéliens occupant cette partie de Beyrouth). Tirés des enregistrements réalisés, les propos psychanalytiques sont passionnants et dits avec naturel. De même, les paroles des anciens soldats sont porteuses de détails et lâchées dans des phrasés qui ne peuvent se révéler que par le documentaire (autant que les saisissants récits de combat, les moments consacrés à l'arrière, à la vie qui y continue, sont très touchants). Vérité et esthétique : Ari Folman joue et gagne sur les deux tableaux.

    Comme toujours en animation, il faut un certain temps avant de s'habituer au style (Folman a d'abord filmé classiquement ses entretiens et a ensuite tout numérisé et animé). Les mouvements sont à la fois saccadés et ralentis, les dessins à gros traits laissent saillir des détails importants (les regards surtout) : cela s'accorde finalement très bien avec la thématique, celle d'une recherche introspective, d'un flottement à l'intérieur de soi. Certaines séquences sont plastiquement superbes, en particulier toutes celles qui montrent la mer.

    Au terme d'une progression parfaite où tous les niveaux (chronologie des événements passés, remontées des souvenirs...) convergent vers le même point, Ari Folman a recours in extremis à des images d'archives bien réelles de femmes palestiniennes en pleurs et de cadavres. La séquence peut heurter dans le sens où elle semble soudain en contradiction avec la recherche d'une autre voie qui a précédé. Mais on peut aussi bien trouver, comme je suis enclin à le faire, des justifications fortes. D'une part, telles qu'elles sont montées, ces images arrivent comme contrechamp du regard du soldat Folman. Il est parvenu au bout de sa recherche et revoit enfin clairement la réalité. D'autre part, l'effacement de toute frontière entre documentaire et fiction ayant eu cours magistralement pendant 90 minutes, sans doute n'est-il pas inutile de marteler cette évidence : cela a été.