Laura Guerrero vit à Tijuana avec son père et son frère en revendant des vêtements. Avec une amie, elle veut tenter de se présenter à un concours de beauté. Au-delà de ses espérances, elle deviendra Miss Basse Californie. Mais, propulsée dans un univers violent dont tous les codes lui échappent, elle doit cette victoire au chef du gang de narcotrafiquants entre les griffes duquel elle est tombée.
Avec Miss Bala, Gerardo Naranjo donne un beau coup de fouet au genre, essentiellement grâce à deux partis pris intimement liés, l'un touchant au point de vue, l'autre à l'espace.
Le point de vue adopté est celui de l'héroïne, que l'on ne lâche pas d'une semelle pendant tout le film. A tout moment, on voit ce qu'elle voit et on ignore ce qu'elle n'est pas en mesure de percevoir elle-même. Découlent de ce principe une vision parcellaire des actions et l'impression d'une grande inventivité dans le traitement de celles-ci. L'attachement au personnage est également facilité par cette proximité et par la convergence des regards. Certes, Laura ne cesse de subir, mais persiste tout de même chez elle une résistance, un désir de fuite, une faculté de faire des choix. Malgré les violences auxquelles elle assiste et celles qui lui sont faites, on décèle un noyau inaltérable, une pulsion de vie (celle qui lui fait se jeter à terre lorsque les balles fusent). L'épreuve traumatisante lui dessille les paupières : devant la violence partagée des gangs et des forces de l'ordre, groupes difficiles à différencier, ou devant l'inanité des concours de beauté. L'énergie vitale (et solaire) qui parcoure le film l'empêche de tomber dans les ténèbres, mais le constat est effrayant.
En resserrant ainsi sur son personnage principal, Naranjo se permet un intéressant jeu sur le flou et le net, sur la perception des choses. Quand Laura se réfugie dans la voiture d'un flic, le point est fait sur elle tandis que l'homme n'est pas net. Et pour cause... Mais ailleurs, cela peut être Lino, le chef de bande, qui, installé au premier plan, apparaît avec précision quand Laura se déshabille plus loin, dans le vague. Le corps de la femme forcé ou exposé, dont on se sert pour le plaisir ou l'utilité criminelle (superbe séquence de la pose, autour de la taille, des liasses de billets, qui répond à celle de la présentation au concours) : c'est l'un des thèmes forts du film. Or cette idée d'exposition ne sert jamais au cinéaste à nous entraîner sur le terrain du voyeurisme, sa mise en scène étant à la fois directe et respectueuse, brutale sans rabaisser.
Elle est aussi précise sans être rigide, nette sans être contraignante. Dans Miss Bala, l'espace est balayé par de longs et fluides travellings. Pour autant, cette forme particulière ne verse pas dans le tape-à-l'œil. La caractérisent plutôt la souplesse, la présence de la vie sur chaque bords (les scènes de rue sont nombreuses) et la durée de certains plans allant un petit peu au-delà de ce qui serait attendu afin de donner l'impression d'un temps "vrai", de ponctuer par un détail ou un regard qui échappe. Le film apparaît dès lors comme un continuum, espace et temps idéalement mêlés. Trois ou quatre jours seulement se passent mais beaucoup d'événements surviennent, la vraisemblance n'étant rendue possible que par la remarquable manière dont ces longs plans sont reliés.
Et après tout, elle importe peu, puisque l'univers décrit est terriblement, violemment, absurde. Flics et voyous, on l'a dit, vont jusqu'à se confondre. Quant à Laura, ses échappées la font régulièrement revenir au même point. Cependant, les plans larges sur lesquels s'appuie la mise en scène montrent bien la possibilité d'une ligne de fuite, la nécessité d'une tentative, l'existence d'un espace autre. Il faut toujours en profiter, quitte à répéter l'effort encore et encore.
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MISS BALA
de Gerardo Naranjo
(Mexique / 115 min / 2011)