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  • Retour de La Rochelle (4/12) : 2 films de Teuvo Tulio

    Parmi les rétrospectives organisées par le 40e Festival International du Film de La Rochelle, une était consacrée au Finlandais Teuvo Tulio qui fut, pendant une quinzaine d'années, avant et après la seconde guerre mondiale, l'un des réalisateurs scandinaves les plus importants.

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    Tu es entré dans mon sang

    Pour nous faire entrer tout de suite dans la tête de son héroïne, Réa, Teuvo Tulio commence par styliser au maximum sa mise en scène. Ainsi, les premières minutes de Tu es entré dans mon sang baignent dans une ambiance irréelle, la lumière isolant de manière artificielle les personnages dans les décors, des apparitions se faisant en surimpression. Ce sont en fait les vapeurs d'alcool qui altèrent la perception. Un flash-back se met en place pour nous entraîner dans les souvenirs récents de Réa, qui nous raconte sa vie, son ascension sociale et sa déchéance. Sa voix, off, nous guide... et devient rapidement un problème.

    En effet, omniprésente sur la bande son, elle recouvre tout, en confessions sussurées à notre oreille. Sous elle, défilent lentement des images de plus en plus guindées. La répétition stylistique redouble celle du scénario : un amour, puis un autre amour, et toujours l'appel de l'alcool produisant le même constat, le même état affligeant, décrit sans variations. Aussi étouffante que la présence de la voix off est celle de la musique, dont la solennité plombe encore le mélodrame. Le retour en arrière se termine en fait au bout d'une heure et les évènements se mettent alors à se bousculer dans un temps plus ramassé mais l'ennui persiste. On se détache alors définitivement de ce drame moral et figé, malgré les choix esthétiques qui le font tenir à l'écran.

    Réalisé en 1956, Tu es entré dans mon sang serait le dernier film "digne d'intérêt" de Teuvo Tulio, les pics de sa carrière se situant, d'après les spécialistes, en amont, au cœur des décennies 30 et 40. Malgré la déception générée par cette première expérience, la nécessité de lui donner une deuxième chance s'imposait donc à moi.

     

    C'est ainsi que tu me voulais

    Daté de 1944, C'est ainsi que tu me voulais, autre mélodrame, est pire. Bien sûr, il y a toujours (je devrais écrire plutôt, pour respecter la chronologie : "il y a déjà") le soin apporté aux éclairages, la création d'ambiances nocturnes pesantes, le travail sur les cadrages et le montage. Mais, malheureusement, se retrouvent surtout, de manière quasi-exhaustive, les tares qui rendent parfois possible la moquerie à l'encontre du genre mélodramatique. Les interprètes cèdent à tout moment à l'outrance, à la gestuelle démonstrative (l'actrice principale, Marie-Louise Fock, est particulièrement mauvaise) ; les rebondissements de l'intrigue abusent sans vergogne de notre crédulité (toutes les embûches que vous pouvez imaginer sur le chemin de croix d'une petite campagnarde poussée à la prostitution dans la grande ville, vous les trouverez ici, avec d'autres encore) ; les dialogues s'écrasent dans le poético-fatalisme le long des pavés luisants ; la musique se fait pléonastique et incessante ; les gros plans déclament ; le but est la moralisation. Impossible, dès lors, de tenter une remise en contexte historique, politique ou culturelle du film, de chercher à en débusquer les mérites esthétiques. Pour une fois, on ne blâmera pas ceux, nombreux, qui, lors des dernières minutes de la projection, ne purent réprimer l'envie de rire devant ce spectacle édifiant.

    Ayant eu pourtant, au départ, ma curiosité piquée, j'abandonnais là, découragé, mon exploration de la filmographie de Teuvo Tulio et laissais de côté les cinq autres films présentés. Tant pis pour lui, tant mieux pour Raoul Walsh...

     

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    tuesentre00.jpgcestainsi00.jpgTU ES ENTRÉ DANS MON SANG (Olet mennyt minun)

    C'EST AINSI QUE TU ME VOULAIS (Sellaisena kuin sinä minut halusit)

    de Teuvo Tulio

    (Finlande / 100 min, 100 min / 1956, 1944)

  • The deep blue sea

    davies,grande-bretagne,mélodrame,2010s

    The deep blue sea se maintient tout du long si intensément dans son genre (le mélodrame), dans son sujet (une femme venant de quitter son mari tente de vivre avec son amant), dans son époque (avec une reconstitution du début des années 50) qu'il arrive à transformer l'académisme qui le guette en une forme de radicalité. Le film de Terence Davies est tourné vers le passé au point d'en retrouver par instants une force primitive (un peu comme cela peut se passer chez Oliveira par exemple).

    Les premières minutes sont très belles. Quasiment sans paroles, elles se déroulent accompagnées, portées, par les violons d'un concerto de Samuel Barber. Sous ces cordes, une femme repliée dans son appartement fait une tentative de suicide, est sauvée par l'intervention des voisins, émerge difficilement et subit, bribes par bribes, les assauts de sa mémoire. Ainsi nous est présentée Hester Collyer (Rachel Weisz), sa situation s'expliquant par quelques flash-backs regroupés. De façon très délicate, cette construction narrative introductive va rendre la suite flottante, comme indéterminée par endroits, alors qu'elle prend pourtant une apparence linéaire. Les scènes vont se succéder sans que leur statut (passé, présent, songe ?) ne soit absolument assuré. L'importance de ce qui se joue et le fait que nous soient contées seulement un peu plus de vingt quatre heures de la vie de cette femme renforcent l'impression que des blocs d'un autre temps ont très bien pu se déplacer, à notre insu, entre les autres.

    L'esthétique déployée par Davies va également dans le sens d'une étrange suspension. Impressionne en premier lieu une série de fondus au noir recoupant les eclipses de la conscience d'Hester lors de la préparation de son suicide. Par la suite, ce sont les cadres eux-mêmes qui vont se voir plongés dans le noir sur leur plus grande surface. Les images de The deep blue sea, si elles frappent d'abord par leur aspect cotonneux, finissent par baigner dans l'obscurité : les personnages sont cernés, tels de petites flammèches résistant vaillamment.

    Ce choix de lumière provoque une focalisation et un isolement. Il renvoie aussi la reconstitution dans l'ombre : un objet, un meuble apparaît comme signe avant d'être obscurci. De même, peu de gens gravitent autour du triangle amoureux, hormis à l'intérieur des pubs (et dans le métro transformé en abri anti-bombardements), là où sont entonnées les chansons populaires qu'aime tant faire revivre Terence Davies.

    Le récit est faussement bouclé à son terme. Plus précisément, il l'est par la mise en scène, alors qu'il signale plutôt une ouverture (doublement paradoxale : la fin d'une liaison est l'occasion d'un nouveau départ, et, sur les décombres encore fumants de la guerre, un enfant joue). Entre ses deux extrémités, The deep blue sea semble l'archétype du film bavard. Or, il l'est en fait assez peu. Ce sentiment, nous l'avons surtout à cause de la lenteur extrême qui caractérise les dialogues. A chaque phrase, succède un silence profond. Les acteurs ont travaillé la lenteur de la diction, ont cherché à révéler les affects par leur attitude entre les mots. Cela se voit souvent. Comme le travail sur la lumière, cet autre parti-pris vise le respect de la réalité d'un temps révolu, dans lequel s'enferme volontairement Terence Davies. Il provoque aussi, malgré tout, avouons-le, un certain ennui.

     

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    davies,grande-bretagne,mélodrame,2010sTHE DEEP BLUE SEA

    de Terence Davies

    (Grande-Bretagne - Etats-Unis / 98 min / 2011)

  • Retour de La Rochelle (3/12) : 2 films de Benjamin Christensen

    Au 40e Festival International du Film de La Rochelle étaient présentés quatre films sur les seize réalisés dans sa carrière par Benjamin Christensen (entre 1914 et 1942, au Danemark, en Allemagne et aux Etats-Unis). Pour la plupart, ils appartiennent au cinéma muet (et certains ont disparu). Dans la liste rochelaise, je connaissais bien sûr Häxan, la sorcellerie à travers les âges et je n'ai malheureusement pas pu cocher Le Mystérieux X. Les deux autres titres étaient les suivants :

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    L'idiot

    Voilà une œuvre assez originale dans le filon hollywoodien de la guerre civile et de la révolution russe. Comme souvent, on croit très moyennement, d'une scène à l'autre, à la reconstitution et à l'interprétation et, contre toute attente, alors qu'il est impérial et déchirant chez Tod Browning, Lon Chaney, sous les traits ici de l'idiot du titre (un paysan balloté par les événements), donne l'impression d'en rajouter énormément, mettant en péril quelques moments dramatiques. Il est vrai que le rôle, écrit sans beaucoup de nuances, est difficile à endosser.

    La dimension politique de L'idiot est plutôt intéressante et moins manichéenne que ce que l'on pouvait redouter. Le peuple révolutionnaire est certes vu comme une masse inculte, violente, bestiale et le personnage de domestique qui pousse le héros à épouser la cause et à se révolter est décrit comme un vulgaire manipulateur, mais la classe dominante n'est pas regardée avec beaucoup plus de bienveillance. Les profiteurs de guerre sont odieux et même la belle comtesse paraît finalement peu empressée de tenir les humanistes promesses qu'elle avait pu formuler au début (promesses que l'on ne sentait pas, de toute façon, chargées d'une grande sincérité).

    Le mépris de classe est donc ressenti fortement des deux côtés. Habilement, celui-ci se double d'une frustration d'origine sexuelle, le paysan s'imaginant être réellement devenu l'ami de la comtesse et espérant passer bientôt, carrément, au statut d'amant, alors qu'à cent lieues de la réciprocité, elle est logiquement attirée par un beau militaire. Toutefois, si stimulante soit-elle, cette approche a un inconvénient : dans L'idiot, les contradictions sont dépassées non pas politiquement, par la victoire d'un camp ou de l'autre, mais en se plaçant sur un terrain bien moins accidenté, celui de la morale et de la bonté du cœur. Et oubliant alors l'Histoire, le film ne fait que résoudre finalement, de façon conventionnelle cette fois-ci, un problème individuel.

     

    Nuit vengeresse

    Réalisé au Danemark, onze ans avant L'idiot, Nuit vengeresse est un très bon mélodrame familial, élaboré à partir d'éléments bien connus : innocent emprisonné, enfant perdu, différence de classe sociale... Surtout, Benjamin Christensen apparaît déjà (en 1916 !) très à l'aise avec le langage cinématographique. Changements d'échelle, effets de perspective, mouvements de caméra, plans rapprochés (parfois jusqu'au détail) et flashbacks sont encore utilisés avec parcimonie mais toujours à bon escient. Le parallélisme imposé à certaines action est bien un peu rigide mais le récit s'en trouve enrichi et dynamisé. Du coup, il se suit avec un réel intérêt.

    Benjamin Christensen acteur, vieilli par un épais maquillage, en fait paradoxalement moins que n'en fera Lon Chaney plus tard devant sa caméra. L'ensemble de la troupe de Nuit vengeresse produit d'ailleurs un résultat agréablement homogène. Dans la dernière partie, là où les choses s'accélèrent considérablement, les acteurs ne semblent penser qu'à la justesse de leurs gestes, sans fioriture.

    D'une mise en scène qui rend parfaitement la peur de la nuit et l'éclat de la violence, on retient deux inspirations parmi d'autres. La première se trouve dans une séquence de bonheur familial. La caméra fixe un lit de bébé au sein duquel on voit se redresser une petite silhouette. A l'arrière-plan, apparaît alors une tête d'adulte mais énorme, totalement disproportionnée. Le bébé du lit se tourne vers nous : c'était une poupée (de singe !) et non le bambin attendu. Un plan d'ensemble révèle enfin la réalité de la scène : les parents amusaient leur progéniture avec ce petit théâtre improvisé. La seconde se situe vers la fin. Christensen descend à la cave pour récupérer une corde. En bas, on se retrouve soudain en compagnie d'une bonne vingtaine de chiens. L'effet visuel est puissant autant qu'humoristique puisqu'il nous rappelle subtilement que le gang auquel appartient cette planque se livre notamment au kidnapping d'animaux. Et cet effet, le plan suivant le démultiplie en montrant l'invasion de la pièce principale du repaire par les chiens ainsi échappés du sous-sol.

    Au-delà donc du plaisir du mélodrame impeccablement ficelé, on profite de ce genre de trouvailles, fulgurantes et/ou tordues, qui nous apportent la confirmation que nous regardons bien un film du futur réalisateur d'Häxan.

     

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    christensen,etats-unis,danemark,histoire,mélodrame,20s,10schristensen,etats-unis,danemark,histoire,mélodrame,20s,10sL'IDIOT (Mockery)

    NUIT VENGERESSE (Haevnens nat)

    de Benjamin Christensen

    (Etats-Unis, Danemark / 63 min,  100 min / 1927, 1916)

  • Cosmopolis

    cronenberg,canada,2010s

    La plus grande partie de Cosmopolis se passe donc dans une limousine. Cronenberg en fait un fascinant objet flottant sur la mer maintenant démontée du capitalisme. A l'intérieur : son propriétaire, Eric Packer, souhaitant traverser un New York embouteillé sous le prétexte d'une coupe de cheveux. A l'extérieur : la contestation puis le chaos.

    La limousine est blindée et calfeutrée de liège, stoppant ainsi non seulement les projectiles mais également tous les bruits du dehors. Les conversations dans le véhicule se font donc sans pollution sonore, sans ambiance, dans un silence qui se remarque. Par conséquent, baisser une vitre provoque un sursaut : la rumeur du monde, que l'on avait oublié, s'engouffre tout à coup. Le monde est toujours là.

    Ces vitres font écran. Aussi, elles sont des écrans. Des images défilent derrière elles, à moins qu'elles défilent sur elles. Comment Cronenberg a-t-il obtenu cet effet déstabilisant ? On dirait de la vieille transparence, une production de faux, un simulacre. Pourtant, il suffit que la vitre se baisse pour que l'on se rende compte que la réalité est bien là, pour que l'on passe en quelque sorte du virtuel au réel. Le cinéaste d'eXistenZ est à l'aise sur ce terrain théorique et le maniement d'images au dégrés de réalité si divers qu'ils peuvent être mal définis ne lui pose aucun problème.

    L'histoire se déroule sur une journée. Pour la raconter, on ne s'embarasse pas de transitions. La présence de nombre d'interlocuteurs défilant dans la limousine s'impose à notre regard sans aucune préparation et, de la même façon, le montage expulse brutalement ces figures secondaires à la fin de leur intervention. Lors des rares changements de lieu, chacun, certes, très proche de la limousine, ne sont pas plus ménagés des plans d'ensemble qui feraient office de liant. Ainsi est repoussé le monde, en dehors de cette bulle parfaite.

    C'est étrange : la chute du golden boy se fait, pour une fois, de manière horizontale. On assiste plutôt à une avancée, un voyage vers la mort. Tout aussi étrange est le rapport au temps que la projection produit. Le glissement du navire sur roues dans les rues se fait au ralenti mais le temps n'en est pas plus facile à saisir, à appréhender. Eric Packer et ses semblables sont à l'origine d'une révolution : l'argent, auparavant lié au travail au présent, se gagne en spéculant sur le futur et la notion du temps, soumis à une incroyable accélération, s'en trouve pulvérisée. Fort de ce constat, Cosmopolis peut concentrer les événements en une seule et improbable journée, peut passer outre les justifications des rencontres, peut faire voisiner les projections dans le futur et les souvenirs de l'enfance.

    Bavard, le film l'est mais il l'est en toute logique. Il faut en passer par là. Comment représenter ce monde-bulle de la finance déconnectée et volatile sans montrer ces corps et ses têtes brasser de l'air avec leurs mots en apparence vides de sens ? Bien des tournures nous échappent, quoi de plus normal ?

    Ces répliques, Cronenberg les distribue en champs-contrechamps réguliers mais cette figure de style classique, il la tord en donnant des proportions bizarres, en aspirant les visages et en rejetant loin les arrière-plans (qui restent cependant nets). Les perspectives sont déformées. De même, au-delà des surfaces lisses, des reflets et des simulacres, se trouve l'asymétrie, celle qui met en péril l'empire financier de Packer, celle qui entraîne et explique la faillite. C'est une idée qui devient constituant de l'image elle-même : à l'intérieur de la limousine, dans sa longueur, on s'aperçoit vite que la symétrie n'y est pas. Cette dernière marque-t-elle même un seul plan du film (à l'exception du tout premier) ? Il ne me semble pas. Il y a toujours un détail, un objet, un verre, une tablette, d'un côté ou de l'autre, quelque chose qui déséquilibre légèrement les plans. Dois-je encore mentionner l'instabilité du navire dans la foule déchaînée et la coupe de cheveux terminée à moitié ?

    Car bien sûr, à l'image de sa voiture, Packer l'hygiénique va être taché, bousculé, dépenaillé, avant d'être éliminé (sortant du coiffeur, il semble avoir été scalpé : le golden boy vu comme le cowboy cerné par les indiens !). Et la représentation de ces outrages successifs nourrit le terreau cronenbergien, là d'où proviennent par exemple les réflexions sur l'hybridation. Pisser dans sa limousine : le geste que l'on observe fait croire à une souillure mais le rapprochement de la caméra oppose un démenti. L'urine est en fait récoltée, assimilée par la mécanique.

    Co-existence et union du mécanique et du vivant, du réel et du virtuel, du futur, du passé et du présent, tout cela n'empêche pas ce qui fait l'homme de remonter à la surface, les fluides par exemple. Le visage blanc de Robert Pattinson peut spectaculairement rougir, à un doigt de l'explosion, et les odeurs remonter à de nombreuses occasions, surtout après le sexe. Si sagement illustré dans A dangerous method, il redevient, ici, troublant, jouant autour du grotesque et de la pornographie.

    Sa limousine, Eric Packer l'a faite rallonger, selon son propre aveu. Comme il aurait pu augmenter la taille de son sexe. Son engin, il ne se lasse d'ailleurs pas de le sortir. En prenant garde, toutefois, car le sortir peut s'avérer dangereux. Il pourrait s'en voir déposséder et se retrouver du mauvais côté du sexe. L'homme d'argent viril (en représailles à une agression, il frappe bien évidemment entre les jambes) craint l'intrusion et la perforation (un virus informatique, un doigt de médecin, une balle de flingue, généralement gros, démesuré). Mais s'il est dangereux de sortir son engin, il est également dangereux de sortir de son engin. Packer le sait, quittant rarement sa limousine. Sa seule véritable sortie sera en effet définitive.

    Plus ingrate que les autres, la dernière partie du film est presque rendue autonome. Du moins, elle se place en miroir. Packer est sorti de son véhicule, délesté de tout (costume, garde du corps, pistolet high-tech), quittant l'air aseptisé pour du désordre et de la crasse. La parole cherche alors à comprendre le pourquoi d'une haine, à la verbaliser et donc, à prendre du recul par rapport à ce qui a précédé à l'écran afin d'en proposer un règlement. Le théâtre fait irruption et une autre étrangeté s'installe (la longueur du dialogue, l'amas dans l'appartement). Cronenberg sera radical jusqu'au bout. Ciselant sa théorie sans se laisser distraire (avec le premier plan sur Packer, hiératique, prenant en charge une diction blanche, imperméabilisant son regard derrière ses lunettes, le programme était déjà établi), peaufinant son objet jusqu'aux limites de l'abstraction, il n'en laisse pas moins remonter des bouffées de fictions précédentes, celles du temps d'avant sa période un brin corsetée 2002-2011 : meurtre télévisé, complots, gourous... Pincées qui rendent plus fascinant encore cet ovni, lui faisant prendre place à côté d'un Crash encore prégnant.

    Dernière remarque : la logique cinématographique (qui n'a bien sûr que peu à voir avec la réalité) aurait voulu que l'on retrouvât plutôt Juliette Binoche dans la limousine de Lavant/Carax. Or, c'est bien dans celle de Pattinson/Cronenberg qu'elle déboule finalement. Est-ce là la raison fondamentale de ma préférence ?

     

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    cronenberg,canada,2010sCOSMOPOLIS

    de David Cronenberg

    (Canada - France / 110 min / 2012)

  • Retour de La Rochelle (2/12) : Les innocents charmeurs

    Vu au 40e Festival International du Film de La Rochelle

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    Après quatre grands films historiques sur la guerre de 40 (Une fille a parlé, Kanal, Cendres et diamants, Lotna, réalisés entre 1955 et 1959), qu'est-ce qui a poussé Andrzej Wajda, certes encore très jeune à l'époque (34 ans en 1960), à se saisir d'une histoire contemporaine aussi mince (une journée dans la vie d'un jeune médecin sportif et surtout la soirée qu'il passe avec une fille) que généralisable (derrière les personnages, c'est bien sûr toute la jeunesse polonaise qui est portraiturée) ? Probablement le chamboulement provoqué par l'émergence de la Nouvelle Vague française. Peut-être aussi le bouillonnement ambiant, saisissant notamment deux personnes se retrouvant dans Les innocents charmeurs parmi les petits rôles mais aussi, pour le second, parmi les scénaristes : Roman Polanski (déjà auteur d'une demi-douzaine de courts métrages) et Jerzy Skolimowski (qui se lance à son tour dans la réalisation, cette même année 1960). Si on ajoute que le compositeur Krzysztof Komeda débute quasiment à cette occasion (jouant de surcroît, à l'écran, plus ou moins son propre rôle), que l'icône Zbigniew Cybulski est toujours fidèle à Wajda, que les filles de l'Est sont aussi charmantes que d'habitude, que le jazz résonne et que la rue bruisse, on a vite fait de qualifier le film de manifeste du Jeune Cinéma polonais.

    Malheureusement, il déçoit et irrite. La première séquence, sur laquelle se cale le générique, est consacrée au lever de Basile (Tadeusz Lomnicki) dans son petit appartement. Il nous est présenté en train d'effectuer mille choses à la fois : il se rase, fait couler et boit son café, met la radio et un magnétophone en route, remplit une grille de mots croisés, tout cela en se déplaçant et en se contorsionnant pour utiliser ses mains et ses pieds. Le problème, à la vision de cette séquence, est que sa longueur et l'accumulation qu'elle impose provoquent l'évanouissement du naturel. La désinvolture affichée paraît forcée. Et ce grief est à faire à bien des endroits, tout du long. Même à partir de ce petit sujet, Wajda se complaît à étaler sa virtuosité dans les plans séquences, à cadrer régulièrement en plongée ou contre-plongée. Cette esthétique, qui peut accompagner si bien les débordements dramatiques de ses films les plus ambitieux, joue ici contre le film.

    Agacent également les comportements et les mots. Ceux-ci sont à chaque instant mis en décalage, en suspens, signalent une indécision ou un contre-pied. Ils ne sont jamais directs dans cette ambiance de tergiversations et de refus d'aller au bout des choses. Pour faire se déshabiller une fille, consentante, on doit en passer par un jeu de gamin. Et encore, une ultime pudeur vient tout gâcher... La quantité importante des références culturelles pour nous, aujourd'hui, obscures, n'arrange rien. En voulant trop coller tout à coup à la jeunesse de son pays, Wajda éloigne les autres de son film. Dès lors, si on tient à rester dans ce registre-là, mieux vaut se tourner vers d'autres films. Ceux du dynamique Skolimowski ou du mordant Polanski par exemple...

     

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    wajda,pologne,60sLES INNOCENTS CHARMEURS (Niewinni czarodzieje)

    d'Andrzej Wajda

    (Pologne / 87 min / 1960)

  • Retour de La Rochelle (1/12) : 4 films avec Anouk Aimée

    Cette note est la première d'une série de douze, consacrée aux films vus au 40e Festival de La Rochelle. Honneur aux dames, pour commencer : quatre titres choisis au fil de l'hommage rendu, en sa présence, à Anouk Aimée.

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    Le farceur

    C'est du théâtre de boulevard tourné à la sauce Nouvelle Vague. De la mécanique habillée d'une liberté de ton rendue soudainement possible au cinéma. Mais ce grand écart, cette œuvre comique a du mal à le tenir, bien qu'elle se révèle trépidante et plutôt élégamment mise en image par son auteur, Philippe de Broca. La différence entre les scènes d'extérieurs et celles d'intérieurs, par exemple, saute aux yeux. L'intérieur, là où se joue l'essentiel, c'est une maison défraîchie, tortueuse et poussiéreuse. Une surprenante famille, aux mœurs particulièrement libres, l'occupe. Trois hommes la dominent, un oncle et ses deux neveux. Autour d'eux, gravitent deux jeunes enfants de peu d'importance et surtout deux femmes : la première est mariée à l'un des frères, la seconde est amoureuse de l'autre. Toutes les deux sont malmenées par un humour graveleux.

    En effet, Le farceur est un vaudeville ouvertement sexuel et volontiers vulgaire. On y trouve trucs théâtraux, mimiques appuyées et cabotinage à tous les étages. Les dialogues sont non seulement omniprésents, mais ils sont de plus chargés, à chaque phrase, de bons mots, ce qui les rend parfaitement épuisants à entendre. Ce surpoids poético-comique encombre tous les échanges, y compris le principal, amoureux, qui devient totalement vain. Je dois dire que, face à Anouk Aimée, Jean-Pierre Cassel, tête d'affiche, m'a paru peu supportable par sa façon de surjouer la légèreté et le charme. Les scènes obligées auxquelles il se livre, danse ou ivresse, m'ont laissé de marbre.

    Le film s'améliore lorsqu'il se fait plus cassant, quand la satire est plus directe. Tel est le cas avec les interventions de l'entrepreneur, le mari d'Anouk Aimée bientôt cocu. Pète-sec et peu concerné par les activités de sa femme, il se détend tout à coup dès qu'il la quitte et se retrouve avec son majordome. Dans le rôle, François Maistre est très drôle. Pour le reste, et bien qu'il se termine de manière assez déroutante dans la demi-teinte, Le farceur étale trop son aspiration au bonheur pour me convaincre.

     

    Model shop

    De manière générale, on ne peut pas dire que Jacques Demy fut un cinéaste se laissant aller à la facilité. Juste après le succès des Demoiselles de Rochefort, il sauta par dessus l'Atlantique pour tourner Model shop aux Etats-Unis et se frotter à la société de Los Angeles.

    Le choix d'un récit minimaliste fait que l'intrigue tient à rien (par moments, le film semble annoncer tout un pan du cinéma américain indépendant et sous-dramatisé). Un homme sur le point de se séparer de sa copine recherche 100 dollars pour payer une traite et garder sa voiture. Il passe une journée à rendre visite à ses amis et rencontre Lola, une Française, dont il tombe amoureux (oui, c'est bien la Lola/Anouk de Nantes que l'on retrouve sept ans plus tard).

    La façon dont Demy s'imprègne du lieu et de l'époque force le respect. Du moins lorsqu'il joue sur une note basse, car dès qu'il marque plus nettement les choses, il se rapproche dangereusement du cliché (il en va ainsi de l'annonce du départ pour le Vietnam, du conflit avec les parents, éclatant à l'occasion d'un coup de fil etc.).

    Le film, plein de temps morts et recouvert progressivement d'un large voile de tristesse, déroute en laissant l'impression que Demy joue en quelque sorte sur le terrain d'Antonioni (qui foulera bientôt, lui aussi, ce sol américain pour Zabriskie Point). Malheureusement, le geste décoratif l'emporte sur l'architectural et, se tenant loin du caractère tranchant du cinéma de l'Italien (période années 60), la tentative, malgré de belles intuitions, donne un résultat un peu mou. La description calme et douloureuse d'un amour mort-né déchire moins qu'elle assoupit.

    Je regrette de n'avoir pas plus aimé ce film. Certains semblent le porter dans leur cœur, à côté d'autres Demy (n'est-ce pas Docteur ?). En 68/69, Les Cahiers du Cinéma lui avaient offert une couverture et dans Positif, revue qui ne fut demyphile que par intermittences, Bernard Cohn lui consacra un très beau texte titré "Le visage de la mort".

     

    Le saut dans le vide

    De la folie dans le giron familial : le terrain est connu de Marco Bellocchio. Anouk Aimée est Marta, une femme vivant dans un grand appartement romain sous la protection de son frère magistrat, Mauro (Michel Piccoli), et aidée par une femme de ménage. Y passant toutes ses journées sans en sortir jamais, ou presque, elle est sujette à de brusques sautes d'humeur et passe pour folle auprès de son entourage et de ses voisins.

    La belle idée sur laquelle repose ce Saut dans le vide est que l'on ne va pas assister à la chute de Marta, que l'on pensait prévoir, mais à celle de Mauro. En collant à ces deux personnages, Bellocchio filme deux mouvements inter-dépendants et inverses. La folie se transmet ici comme dans un système de vases communicants. Ce système, précisément, c'est l'appartement, et la folie circule d'une pièce à l'autre, profite des ouvertures, passe par les portes. Ce décor est le personnage principal du film. Bellocchio nous gratifie bien de quelques échappées extérieures mais toujours il nous ramène dans cet endroit. Très attentif aux visages, il se plait pourtant à s'en éloigner régulièrement pour mieux coincer les corps dans les multiples cadres que fournissent meubles, murs, portes et fenêtres. Pour autant, ce dispositif n'est pas rigide mais modulé, ce lieu n'est pas inerte mais mouvant. Arpenté en tous sens, l'appartement vit et ses pièces paraissent toutes communiquer entre elles. Du coup, nos repères vacillent.

    De plus, les dialogues virent vers l'absurde, la réalité des choses devient de moins en moins assurée et le temps se creuse lui aussi. A intervalles réguliers, une troupe d'enfants envahit le lieu : rêve, hallucination ou réminiscence du passé familial ? Le saut dans le vide dialogue par moments avec Le locataire de Polanski, même si il est plus froid, moins grotesque.

    Piccoli est glaçant, laissant se fissurer la façade de respectabilité qu'il arbore. Rarement personnage aura autant frayer avec la mort, l'imaginant pour ses proches, ne vivant plus qu'avec cette idée. Et plus Mauro s'engage vers les ténèbres, plus Marta avance vers la ville, le fleuve, la mer, la lumière.

     

    La petite prairie aux bouleaux

    Film relativement récent, La petite prairie aux bouleaux est méconnu, souvent oublié, me semble-t-il, lorsqu'il s'agit d'évoquer la Shoah au cinéma. Sa forme relativement simple joue peut-être contre lui. Il n'est pas parfait, souffre de quelques longueurs et bute par moments, quand il s'engage sur la voie de la gravité extrême (reconnaissons qu'il est certes difficile, si on tient à en passer par là, d'éviter solennité et didactisme).

    Anouk Aimée interprète une femme revenant à Auschwitz-Birkenau pour la première fois, soixante ans après y avoir été déportée, en 1943, à l'âge de 15 ans (cela arriva à Marceline Loridan Ivens, qui s'appuie ici, en partie, sur sa propre expérience). L'actrice s'en sort de manière remarquable mais elle ne peut éviter un certain blocage à deux ou trois reprises. Quelque chose est freiné quand elle se met à parler seule (ou plutôt au spectateur), une fois qu'elle s'est glissée dans le camp, que ses souvenirs remonte alors qu'elle s'arrête dans son ancien baraquement ou dans les latrines. Là, entre la femme qui témoigne et l'actrice qui joue, une distance ne s'efface pas.

    Ce bémol avancé, je peux dire que le film m'a passionné, et cela pas forcément là où je l'attendais. Tout d'abord dans la fiction, tout à fait assumée. Un personnage "médiateur" de photographe allemand, petit fils de SS de surcroît a été inventé. Et contre toute attente, il "fonctionne" avec celui de la vieille dame juive. Celle-ci, comme toutes ses amies rencontrées au début à l'occasion d'une surprenante séquence de retrouvailles, se caractérise par son ton parfois cassant et son humour, grinçant et toujours lié à la catastrophe.

    Le récit est joliment agencé, ménageant des ellipses tout en semblant ressasser, à l'image de son héroïne qui, après y avoir mis les pieds pour la seconde fois, ne peut plus quitter Birkenau et ses environs. Mais l'aspect le plus passionnant est encore ailleurs : ce film signe la fin d'un cycle. Il arrive au moment où se pose, pour les historiens notamment, la question : "Que faire d'Auschwitz aujourd'hui ?" Cette question, la cinéaste ne la pose pas bêtement, frontalement. Sur ses images, apparaît un camp presque vide (les silhouettes de "touristes" sont quasi-absentes) et traversé ça et là par des pointes d'onirisme. Non, la question est posée à travers celle d'une mémoire singulière, individuelle et qui se perd dans ses propres méandres puisque le personnage semble parfois à deux doigts de "perdre la boule". Ce qui est montré ici, aussi, c'est la force de l'occultation ou tout simplement l'impossibilité de la mémoire : les anciens déportés, qui, bientôt, auront tous disparu, ne s'accordent pas eux-mêmes sur certains points, certaines scènes qu'ils ont pourtant vécu ensemble.

    Il faut voir La petite prairie aux bouleaux pour la borne historique qu'il marque, croisant intelligemment documentaire et fiction, histoire personnelle et universelle.

     

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    MODEL SHOP de Jacques Demy (Etats-Unis / 85 min / 1969)

    LE SAUT DANS LE VIDE (Salto nel vuoto) de Marco Bellocchio (Italie - France - Allemagne / 120 min / 1980)

    LA PETITE PRAIRIE AUX BOULEAUX de Marceline Loridan Ivens (France - Allemagne - Pologne / 90 min / 2003)

  • Journal de France

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    Journal de France : modeste ou prétentieux, ce titre est en tout cas très imparfaitement adapté puisqu'il ne recouvre qu'une partie de ce qui constitue ce film, avant tout un hommage enamouré rendu à Raymond Depardon par Claudine Nougaret. Au générique, pour l'écriture et la réalisation, le nom de Depardon s'affiche après celui de Nougaret. La voix off nous le confirmera un peu plus tard, l'initiative revient essentiellement à Madame. Malgré cela, sachant que depuis quelques années la collaboration est très étroite, on ne peut s'empêcher de mesurer tout le long de ce film l'écart qui se crée ici par rapport au geste cinématographique habituel de Depardon. Ainsi, plusieurs choses jurent sur l'écran : un habillage musical peu discret, un montage serré, une sonorisation et un non respect du format original de certains plans d'archives, des changements d'axe voulant pourtant garder l'illusion de la continuité d'une discussion, un statut vague des images proposées (chutes, inédits, extraits ?)...

    La moitié du temps, nous suivons Raymond Depardon dans son périple en camping car à travers la France. Il est filmé en train de photographier et souvent la caméra fait mine d'épouser son regard. Or cette coïncidence est fausse : la caméra ne peut pas être au même moment à la même place que l'appareil photo. Il y a là une forme de tricherie. Ce détail peut paraître négligeable mais il est révélateur et gênant lorsque l'on pense à la rigueur et à la précision du point de vue qui caractérisent les films de Depardon.

    Autre réserve, sur la construction de l'ensemble. Alternent donc la description du travail de terrain qu'effectue le photographe et le défilement chronologique d'archives filmées par lui depuis sa jeunesse, retraçant ainsi toute sa carrière. Deux ou trois phrases seulement, dites en off par Claudine Nougaret, situent ces images remontées à la surface. Ce manque de contextualisation fait qu'elles nous sont jetées au visage et rendues spectaculaires. Ces séquences n'ont dès lors que leur force à offrir (certaines sont particulièrement marquantes), elles ne sont que choc.

    Le film peut tout de même être vu pour appréhender l'ensemble du parcours effectué par Depardon, pour déceler ce qui évolue, avec le temps, dans sa méthode, son style, sa manière de voir, ainsi que ses obsessions qui perdurent. Par ailleurs, l'aspect le plus prosaïque de Journal de France n'est pas inintéressant : comment notre homme organise ses journées sur la route, mène ses rencontres avec les habitants, effectue techniquement son travail... De plus, in extremis dira-t-on, Claudine Nougaret attrape quelque chose sur la fin. En choisissant de terminer avec une série de courts plans prélevés dans l'ensemble de l'œuvre, elle provoque un écho avec ceux présentés au début, les premiers essais du jeune homme dans les années 60 braquant sa caméra sur des couples d'amoureux lors d'une fête foraine. Au bord de ces manèges, comme plus tard ailleurs aux quatre coins du monde, l'important serait donc de soutenir le regard de l'autre, du passant, du filmé, afin de ne pas s'en tenir à un enregistrement mais plutôt de faire circuler quelque chose sur cette ligne invisible et inconfortable allant des yeux des uns à l'objectif de l'autre. Tracer cette ligne, voilà ce que semble avoir cherché à faire Raymond Depardon tout au long de sa carrière.

     

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    nougaret,depardon,france,documentaire,2010sJOURNAL DE FRANCE

    de Claudine Nougaret et Raymond Depardon

    (France / 100 min / 2012)

  • Holy motors

    holymotors.jpg

    Etonnant spectacle, tout de même, que ce ballet journalistique entre des titres de presse nous vendant l'hommage absolu, ultime, au septième art (tapis rouge critique souvent accompagné de la rencontre "exclusive" avec le phénomène) et un cinéaste campant sur sa position de déni bravache. La réalité de Holy motors, ce que j'en perçois en tout cas, est un peu différente : une œuvre boiteuse, provocante, inégale, fulgurante, exténuante et, en un sens, déprimante.

    Il ne faut pas trop, me semble-t-il, insister sur l'ode aux acteurs. Carax dit qu'il leur accorde peu d'importance en général et, en effet, si hommage il y a ici, il n'est pas adressé à une profession (ou alors juste à une activité : comment on fait, concrètement, l'acteur) mais simplement à Denis Lavant. Impossible de généraliser face à ce corps et cet esprit si particuliers. De plus, le lien qui unit les deux hommes depuis longtemps (forcément, les incarnations précédentes affleurent constamment sous la surface de Holy motors) empêche de trop théoriser et de se lancer dans une célébration si vaste.

    En revanche, l'interrogation du rapport de son propre film au cinéma, la place qu'il s'y donne, Carax ne peut l'éluder. Holy motors est composé de plusieurs segments, reliés par un mince fil, le trajet en limousine qu'effectue, en compagnie de sa conductrice-secrétaire, Mr Oscar pour aller d'un rendez-vous à l'autre dans Paris. Ces rendez-vous diffèrent à chaque fois par les lieux, les ambiances et les gens rencontrés, mais surtout ils génèrent des micro-récits et s'inscrivent dans des genres ou des sous-genres cinématographiques distincts (film réaliste, intimiste, farce, animation, comédie musicale...). Là où le film interpelle vraiment, c'est qu'il ne cherche pas à affirmer une pérennité ou des capacités de renouvellement mais au contraire à dire ce qu'est devenu le cinéma et ce qu'il pourrait encore devenir.

    Et apparemment, Leos Carax pense qu'il est mort, que c'est plié, que maintenant c'est autre chose, qu'il ne sert à rien de tenter d'en refaire. La belle image, par exemple, il faut la rayer, la saloper. Par le recours au grotesque, notamment : cela donne les agressions de Mr Merde ou bien le gag de gamin qui consiste à faire parler des voitures. Quand l'émotion monte, quand la magnifique chanson de Manset résonne, Carax introduit la mauvaise note avec ses singes, histoire qu'on ne s'en tire pas comme ça. L'humour remplit donc le film, bouffon et mal élevé. Il est ici la première forme de rébellion de Carax. C'est toujours sa tentation du bras d'honneur, son air de dire : "Ce que vous attendez, je pourrais vous le donner, mais je ne vous le donne pas."

    La posture amuse autant qu'elle agace mais force est de constater que le geste est impressionnant et que le film "travaille" constamment, que la faiblesse de certains segments s'efface devant l'ampleur de l'ensemble. Et ce qui relie ces neufs bouts éparpillés véhicule l'émotion qu'ils se refusent ou qu'ils échouent parfois (souvent ?) à libérer eux-mêmes. Car il y a cette fatigue qui leste le corps de Lavant au fur et à mesure qu'il avance, contaminant le film entier.

    Il y a aussi une déshumanisation, comme le confirme l'ultime plan qui exclut toute présence autre que celle des limousines. Peut-être que pour Carax, le cinéma n'est plus parce qu'il n'est plus humain (ni "techniquement", ni "moralement"). Le jeu de rôles sur lequel repose le fil narratif est d'abord jouissif  par la façon dont on s'y relève de la mort et de la maladie, par la façon dont les identités peuvent fluctuer, mais il glace vite le sang quand on se demande si, finalement, ce n'est pas le monde lui-même qui a disparu, si tous ces gens s'agitant sur l'écran sont bien réels et si Mr Oscar n'est pas, après tout, le seul être vivant à occuper cet espace. Céline, au volant de la limousine, n'est-elle pas elle aussi, pour l'éternité, marquée du sceau de la fiction passée, comme prisonnière ? Cette ultime sensation provient d'un éclair, comme le film en contient beaucoup. Mais pour avoir produit celui-ci en particulier, pour avoir osé demander à Edith Scob de faire ce geste que je n'aurais pas imaginé (re)voir un jour, poser un masque sur son visage, j'adresse mes chaleureux remerciements à Leos Carax.

     

    A lire aussi chez les ami(e)s : Les nuits du chasseur de films, Inisfree, Dr Orlof, Ciné-club de Caen

     

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    holymotors00.jpgHOLY MOTORS

    de Leos Carax

    (France - Allemagne / 115 min / 2012)