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France - Page 13

  • Clément

    (Emmanuelle Bercot / France / 2003)

    □□□□

    clement.jpgQu'est-ce que le Cinéma d'Auteur à la Française ?

    Y'a quelqu'un qui m'a dit que...

    ...c'était un cinéma aux sujets audacieux.

    Donc Emmanuelle Bercot nous raconte l'histoire d'une passion foudroyante entre une femme trentenaire et un ado de 13 ans. Le sujet est délicat et pour la cinéaste, il faut donc que les gens (et les critiques en premier lieu) repartent avec le sentiment d'avoir vu un film cru, mais aussi, pudique. Fort banalement, les scènes d'amour entre adultes seront donc franches et vigoureuses, tandis que celles entre Marion et Clément seront d'une grande délicatesse. Dans l'entre-deux, nous ne sommes ni choqués, ni émus.

    ...c'était un cinéma axé sur l'intime.

    Donc Emmanuelle Bercot s'agrippe à son sujet et ne regarde plus autour. Passée une première partie agitée et chorale, tout le reste du film, interminable, ne concernera quasiment plus que les rencontres de Marion et Clément, à l'abri des regards. Rencontres gênées tout d'abord, joyeuses ensuite et pour finir, douloureuses. Rien d'autre à voir, rien d'autre à dire. Pour Clément, quitter l'école ou le domicile familial n'est pas un problème. Quant à Marion, qui semble ne rien avoir à faire de ses journées, on nous dit qu'elle est photographe.

    ...c'était un cinéma d'expérimentations stylistiques.

    Donc Emmanuelle Bercot trouve une idée : elle filme ses séquences soit de façon sous-exposée (l'épaisseur du réel ?), soit de façon sur-exposée (la brûlure de la passion ?). La caméra DV se colle aux acteurs ou s'éloigne pour cadrer les visages en zoom. Le résultat est d'une laideur constante. Ajoutons le montage à la hussarde (ou plutôt à la Danoise) et l'instabilité perpétuelle du cadre (Bercot semble inventer sous nos yeux le concept du plan-fixe tremblotant) et nous aurons la définition parfaite d'une mise en scène informe et illisible.

    ...c'était un cinéma actuel et naturel.

    Donc Emmanuelle Bercot fait parler ses ados très mal. Les dialogues dans leur ensemble sont de toute manière d'une grande platitude. Des séquences de groupe veulent donner l'illusion de la vie, mais le travail sur la durée ne dépasse pas le collage d'instants captés sur le vif. Ainsi, le montage rend encore plus artificiel ce qui pourrait à la limite couler tout seul. Cela n'a pas empêché certains critiques de parler de Pialat (!).

    ...c'était un cinéma questionnant le corps.

    Donc Emmanuelle Bercot filme "physique". La moindre partie de football se transforme en catch. Et puisque le désir passe par là, tout ne sera qu'embrassades, roulades, danses, batailles de polochons. Ces corps, il faut les montrer et il faut les faire se dépasser. Il y aura donc, tous les quart d'heure, une scène de crise ou d'hystérie.

    ...c'était un cinéma de l'innocence.

    Donc Emmanuelle Bercot, au lieu de tirer le personnage de Clément vers le sien, infantilise totalement sa Marion. Allez vous attacher à une nana aussi inconséquente...

    ...c'était un cinéma à la première personne.

    Donc Emmanuelle Bercot est la réalisatrice, la scénariste et l'actrice principale de Clément. Pour mieux se mettre en danger, elle ne manque pas de se filmer elle-même sous toutes les coutures : souvent nue, victime de spectaculaires crises d'asthme, prostrée sur le carrelage ou sur le sable, en train de pisser (la caméra collée au plafond), parlant de ses vergetures etc...

    ...c'était un cinéma riche de son héritage.

    Donc Emmanuelle Bercot va chercher une figure tutélaire, si possible issue de la Nouvelle Vague, de façon à valider le fait d'en reprendre aveuglément les techniques et les formes. Jean-Pierre Léaud n'étant pas libre (véridique), c'est Lou Castel qui s'y colle. Son personnage est celui qui sait, celui que l'on consulte, celui qui dit la vérité. Et peu importe alors que les quatre scènes où il apparaît soient mauvaises, donnant l'impression d'improvisations poussives destinées à faire éclater ces colères imprévisibles et glaçantes dont est coutumier le comédien.

    ...c'était un cinéma allant du particulier à l'universel.

    Donc Emmanuelle Bercot doit dépasser son anecdote. Pour cela, il suffit de plaquer sur des images quelconques une partition lyrique, provoquant immédiatement le sentiment d'élévation.

    ...c'était un cinéma qui nous accompagnait longtemps.

    Les trois dernières séquences de Clément : 1/ Marion se retrouve à marcher, hébétée, dans la rue : caméra instable, lumière faiblarde, devantures de sex-shops en arrière-plan et musique de Bach sur la bande-son. 2/ Marion se revoie faisant l'amour : Emmanuelle Bercot se filme devant un miroir. 3/ Clément ouvre la lettre et la jette, puis nous gratifie d'un franc regard-caméra.

    Jusqu'à l'ultime seconde de ces 2h20 (!!), rien ne nous aura donc été épargné.

  • La crise

    (Coline Serreau / France / 1992)

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    crise.jpgVictor tombe à son réveil sur une lettre de sa femme lui annonçant qu'elle le quitte. Le temps de mettre ses enfants dans le train pour des vacances d'hiver avec Mamie, il se retrouve au bureau où une seconde lettre l'attend, celle de son licenciement. Victor va donc passer son temps à chercher dans son entourage une oreille attentive, mais chacun sera trop absorbé par ses propres problèmes. Seul Michou, pauvre gars de Saint-Denis, pas très fin et pot de colle, rencontré dans un bar, saura l'écouter vraiment et, en retour, lui fera prendre conscience de ses défauts.

    La trame de La crisefait relativement peur. Heureusement, Coline Serreau ne traite pas seulement de la crise sociale, mais aussi de crise morale, de crise du couple, de crises de nerfs. Ce sont d'ailleurs ces dernières qui gouvernent le récit dans la première partie par une succession de scènes de ménages sur-vitaminées, répétitives mais distrayantes. Si l'on passe sur quelques gros plans de réaction superflus, on remarquera que Coline Serreau trouve par chacune de ces scènes le bon rythme, grâce à une photographie relativement soignée et une alternance adéquate de champs-contrechamps et de plans séquences qui, tantôt souligne la précision des répliques, tantôt laisse libre cours à l'abattage des comédiens. Pour une fois, Michèle Laroque est drôle et impose un personnage pourtant présent dans seulement trois ou quatre séquences. Dans le rôle de Victor, Vincent Lindon est crédible en jeune cadre dépassé et touche parfois à l'excellence, dans l'agitation ou le calme. Ses moins bons moments concernent le duo formé avec Patrick Timsit. Celui-ci est insupportable et son personnage de Michou handicape tout le film. On comprend mal pourquoi Victor s'attache à cet alcoolo et vrai-faux raciste, ou plutôt, on voit trop bien l'utilité de cet appariement contre-nature en termes de scénario.

    Quelques flêches sont savoureuses, bien que pas toujours d'une grande finesse (un dîner chez un "baron" du socialisme, avec grand discours humaniste et foie gras), et le racisme est traité de manière assez pertinente, évitant le politiquement correct sans tomber non plus dans l'ambiguïté. Il est vrai que même dans la pure comédie, la cinéaste tient toujours à placer ses réflexions sur l'air du temps. La dernière partie, heureusement la plus courte, décrit l'ouverture au monde de Victor. Coline Serreau y va franco, au risque de tomber par moments dans le ridicule, mais elle trouve parfois quelques belles idées assez incongrues et rêveuses, entre deux saynètes réalistes : les larmes de Michou au sommet de la montagne, la séance de yoga de Michèle Laroque au petit matin, sur un quai de Seine désert. Cousu de fil blanc, le happy end est rendu à peu près comestible par une trouvaille sympathique autour d'un jeu de mot (Victor au téléphone reconnaît qu'il "ne sait pas voir", qu'il est "dans le brouillard", alors qu'une silhouette s'anime dans le flou de l'arrière-plan).

    Découvert aujourd'hui, La crise fait plutôt l'effet d'une assez bonne surprise dans le cadre de la comédie populaire à la française, comparable à celle d'Une époque formidablede Jugnot, réalisé l'année précédente. On notera cependant que, venant après Trois hommes et un couffin et Romuald et Juliette, il s'agit, à ce que l'on en dit, du dernier film de Coline Serreau qui soit quelque peu digne d'intérêt.

  • Les plages d'Agnès

    (Agnès Varda / France / 2008)

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    plagesdagnes.jpgCertainement dans un mauvais jour, je n'ai guère goûté ce voyage au pays des merveilles d'Agnès et me suis ainsi retrouvé à nager à contre-courant, croisant l'ensemble des critiques et blogueurs. Cette autobiographie en images de Varda démarre assez joliment : nous voyons le film en train de se faire, la cinéaste et ses techniciens mettant en place tout un dispositif scénographique à base de miroirs sur une plage. A partir de là, les souvenirs affleurent, qui iront de l'enfance en Belgique à la mort de Jacques Demy et aux récentes invitations à exposer dans de grands musées d'art contemporain. Mêlant photographies, extraits de films, reconstitutions et balades, le récit d'une vie se déroule, passant souvent du coq à l'âne, bien que la chronologie soit, dans l'ensemble, préservée.

    Mis à part son enfance, bien évidemment, et ses années de formation de photographe (la partie la plus intéressante), le parcours d'Agnès Varda est très bien connu et il n'y a malheureusement, de ce côté-là aucune surprise. Cela d'autant moins, que cette sacrée bonne femme a toujours lesté ses oeuvres d'une grande part autobiographique. Nous n'apprenons donc rien de bien nouveau (certaines séquences, comme celle avec Harrison Ford, sont mises en avant par beaucoup de commentateurs qui ne précisent pas qu'elles sont tirées de films précédents de la cinéaste) et Les plages d'Agnèsprennent parfois l'allure d'un best of dispensable. A chaque période, ses films ont parlé pour elle : Cléo de 5 à 7 est tellement dans la Nouvelle Vague, L'une chante l'autre pasest tellement dans le féminisme, qu'il est inutile de les survoler ainsi, aussi superficiellement, malgré le plaisir que l'on peut prendre à en grappiller quelques plans.

    Pour articuler dans le présent ces souvenirs, Varda, cherche des trucs improbables, bricole avec plus ou moins de bonheur, déploie une série de dispositifs tirant vers le surréalisme. J'avoue ne pas avoir saisi l'intérêt d'installer des trapézistes au bord de la mer, ne pas avoir souri à la vision de cette plage-bureau créée en pleine rue parisienne. Toutes ces installations ont fini par me lasser.

    Bien sûr, pour parler d'elle, Agnès Varda a voulu parler des autres. De Jacques Demy, en premier lieu. L'évocation des derniers jours, pendant le tournage de Jacquot de Nantes est émouvante, mais cette oeuvre de 1990 me semble justement plus forte et mieux équilibrée. Parmi les nombreux amis de passage, le génial et mystérieux Chris Marker a droit à un traitement bien pataud. D'autres ne sont que des silhouettes, dont on se demande un peu pourquoi elles apparaissent, sinon pour le plaisir que prend la réalisatrice à les nommer. La brièveté des séquences (mais le film est déjà de toute façon trop long) font que certains portraits tombent dans le pittoresque (l'amateur de trains) ou l'anecdotique (le couple marié depuis 45 ans). Agnès Varda sût pourtant si bien faire parler les anonymes ailleurs que dans ce film monotone (voir les merveilleux Daguerréotypes, Les glaneurs et la glaneuse et son bonus Deux ans après, Quelques veuves de Noirmoutier).

    Je termine là cette note qui peut paraître sévère. C'est que l'on m'avait promis monts et merveilles et je me suis ennuyé. Un mauvais jour, vous dis-je...

  • Les amants réguliers

    (Philippe Garrel / France / 2005)

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    amantsreguliers.jpgC'est certain, un Garrel, ça ne se donne pas comme ça. Tellement Auteur, tellement centré (sur une certaine ville, sur un certain milieu social). Le long des 175 minutes que dure Les amants réguliers, il faut passer par quelques moments de flottement pour récolter ici ou là de réelles beautés et pour profiter d'une dernière heure magique.

    Dans un noir et blanc épais comme une peinture ou un muet, est décrite la constitution, en mai 68, d'une petite communauté d'artistes-étudiants-révolutionnaires-petits-bourgeois, puis son délittement au fil des mois. Devant la caméra économe du cinéaste, le joli mai se fait nocturne et les échaufourées autour des barricades sont perçues, depuis la deuxième ligne, dans la longueur et l'attente, comme par l'oeil du cinéma direct. Garrel aime étirer ses plans plus que de raison. Il y manque alors parfois une tension, un but, un décalage ou une révélation, si infime soit-elle, qui justifierait en bout de course cet écoulement. Mais l'insatisfaction peut être retournée si l'on veut bien admettre que l'on partage ici comme rarement les états des personnages (au risque donc de se sentir nous aussi, de temps à autre, avachi, la pipe d'opium au bec).

    Contrairement à l'idée reçue, Garrel n'est-il pas à son meilleur dans la forme courte et vive ? Dans l'insert musical ou visuel (les numéros des maisons qui annoncent l'année en cours : 68, 69) ? Dans le court récit oral (untel racontant une anecdote, souvent liée à ses déboires avec les flics) ? Je tendrai à le penser, préférant ces flashes aux plans-séquences de groupes, où la caméra va d'un visage à l'autre, de manière plutôt répétitive. Mieux et plus passionnant encore : ce qui se passe entre les plans. Le montage est elliptique, la coupe abrupte et le raccord déstabilisant. Il en va ainsi du tournant émotionnel du film, à l'arrivée du dernier tiers : coupe pour un changement de lieu / dans l'atelier, plan très court sur le peintre (Marc Barbé) qui propose à Lilie de changer de vie / coupe / long gros plan sur Lilie qui pleure en silence.

    Philippe Garrel tarde à faire de son couple d'amants réguliers (Clotilde Hesme et Louis Garrel) le pivot du récit. Si l'on s'attache assez vite à eux, il faut laisser les autres personnages sortir de leurs poses, gagner en épaisseur et se consolider (au fur et à mesure qu'ils se fissurent). Si le sujet du film nous touche, c'est que cette désillusion post-68 passe par la désintégration d'un groupe en suivant un chemin moins politique ou sociétal (la drogue) que profondément intime.

    Dans l'une des dernières scènes, Lilie et François se retrouvent dans la rue. La lumière du jour éclate et pour la première fois, les bruits ambiants semblent envahir l'espace sonore de tout leur poids de réalité. Les deux amants sortent de leur rêve. Mais François, lui, y retournera in fine, se condamnant. Il est intéressant de voir que Garrel aborde la période 68 sous le même angle que son collègue Bernardo Bertolucci (cité dans le film à propos de son Prima della rivoluzione) dans Innocents : l'opposition entre l'intérieur et l'extérieur, l'hésitation entre le repli et l'ouverture sur le monde.

  • Crainquebille

    (Jacques Feyder / France - Belgique / 1922)

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    crainquebille.jpgCrainquebille est un vieux maraîcher des Halles, tirant chaque matin sa charrette dans les petites rues parisiennes. A la suite d'un quiproquo, il est arrêté par un agent de police pour outrage, celui-ci ayant mal compris une parole du vieil homme. Crainquebille passe trois jours en prison avant d'être traduit en justice, au cours d'un procès qui le dépasse totalement. Après avoir purgé une peine de réclusion complémentaire, il reprend son activité mais voit ses clients habituels se détourner de lui. Il tombe dans la déchéance.

    Par son regard documentaire et la modestie de son argument, ce film de 1922 peut passer pour l'un des ancêtres du néo-réalisme (et Crainquebille pour une sorte d'Umberto D.). Si la première caractéristique donne son intérêt à l'oeuvre (images comme prises à la volée, tournage dans la rue pour la majorité des scènes), la deuxième se révèle être sa limite. Les auteurs voudraient que la banalité du cas prenne valeur d'exemple. Il m'a été cependant bien difficile de m'intéresser à cette histoire d'injustice, cela d'autant moins qu'elle ne paraît apporter dans un premier temps que peu de désagrément à la victime, qui se trouve particulièrement à l'aise en prison (confort de la cellule et visite médicale). De plus, la simplicité apparente n'empêche pas la leçon de morale, passant essentiellement dans les inter-titres, sous forme d'abord plaisamment ironique (les maraîchers qui traversent les beaux quartiers à l'heure où les noctambules de la classe supérieure vont se coucher) mais sur la fin beaucoup plus lourde.

    Crainquebille est une dénonciation de "l'injustice de la justice", cette justice opaque qui écrase les petites gens. Le long procès du héros est vu comme un cirque, impression accentuée par une partition musicale guillerette. Ce qui devrait être poignant dans le parcours de cet homme est rendu finalement plutôt comique et bon enfant. Quand ensuite la chute du personnage nous est contée, il est trop tard pour nous émouvoir.

    La mise en scène de Feyder est cependant assez alerte pour nous maintenir en éveil.

  • Parade & Forza Bastia 78

    (Jacques Tati / Suède - France / 1974 & Jacques Tati et Sophie Tatischeff / France / 1978-2000)

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    Pour finir notre mini-cycle Tati, jetons un coup d'oeil sur les deux points de suspension qui clôturent l'oeuvre après Trafic (1971).

    parade.jpgBien que le dernier long-métrage de Jacques Tati ait été distribué dans les salles françaises à la fin de l'année 1974, Parade n'est pas un film de cinéma. Il s'agit d'une commande passée par la télévision publique suédoise, consistant à capter en vidéo un spectacle de cirque.

    Il y a deux façons de juger l'oeuvre. Si l'on opte pour la plus bienveillante, on insistera sur la singularité du projet. Tati, filmant avec quatre caméras pendant trois jours, rend hommage aux spectacles vivants (cirque, music-hall, concerts). A la représentation classique, il intègre pleinement le public, abolissant les frontières entre gradins, scène et coulisses et montrant que des spectateurs ou des ouvriers peuvent devenir tout naturellement des artistes, magiciens ou acrobates. Plusieurs plans sont d'ailleurs cadrés depuis le fond du décor, de manière à avoir le public à l'image. A côté de cette perméabilité des univers qui permet un spectacle total, on retrouve un autre thème récurrent : l'enfance. Une petit garçon et une petite fille dans le public sont deux des "héros" du film. Après le spectacle, une fois les gradins et la piste  désertés, Tati les laisse prendre possession des lieux, assurant ainsi le passage de témoin. Voilà pour la politique de l'auteur.

    Si l'on s'attache maintenant à ce qui se passe réellement sur l'écran pendant 1h25, le résultat n'est pas très captivant. Tati-acteur est dans la peau du Monsieur Loyal. Il n'est cependant au centre que d'une poignée de séquences, toutes de mime sportif (gardien de but, tennisman, boxeur...), exercice qui fit sa réputation à ses débuts au music-hall. La succession des numéros des autres artistes n'échappe pas à la règle du genre : l'inégalité. De jongles impressionnants, on passe à un pénible rodéo avec une mule et avant un savoureux concerto burlesque par trois vieux musiciens, on supporte un languissant intermède musical.

    Dans l'esprit du cinéaste, ce spectacle se veut démocratique, au sens où tout le monde peut en être l'un des acteurs. Louable intention, contredite cependant par plusieurs choses. D'une part c'est bien lui Tati, le metteur en scène, le Mr Loyal et la star du show, que l'on vient voir. D'autre part, les intervenants descendant des gradins sont de manière bien trop évidente des professionnels. Que l'on ne s'y trompe pas, même avec tous ces jeunes spectateurs suédois peace and love, Parade n'est pas un happening.

    Pressé par le temps et serré par son budget, Tati ne peut pas peaufiner tous les gags comme à son habitude et certains sont mal mis en valeur par le cadre et la photo. Le son, si important ailleurs, se réduit le plus souvent à quelques bruitages et au vacarme de l'audience. Le film n'est donc ni très rigoureux, ni très naturel.

    Parade était sans doute en 1974 une bonne émission de télévision. Mais même à l'époque, cela ne suffisait certainement pas à en faire un bon film.

    forzabastia.jpgPlus intéressant est le documentaire tourné en 1978, à la demande de Gilbert Trigano. Celui-ci proposa à Tati d'immortaliser la journée du 26 avril où Bastia affrontait les Hollandais du PSV Eindhoven, en match aller de la finale de coupe de l'UEFA. Oubliées dans une cave pendant des années, les bobines du film furent restaurées et montées par Sophie Tatischeff, fille du réalisateur, en 2000, pour aboutir à ce Forza Bastia de 26 minutes.

    On suit d'abord les préparatifs de la fête, les déambulations des supporters et la transformation de toute une ville en blanc et bleu. Les images d'une population en liesse sont des plus classiques mais elles sont rendues assez touchantes par le passage du temps et réhaussées par le regard légèrement décalé de Tati qui, de façon impressionniste, aime s'attarder sur une vieille dame, une petite fille ou un chien. Pour que le film décolle véritablement, il faut un coup de pouce du destin. Il arrive sous la forme d'un violent orage. Un déluge s'abat sur Bastia, douchant l'enthousiasme des supporters dans le stade et rendant le terrain impraticable.

    Tout le film semble alors suivre les hauts et les bas par lesquels passe le public : l'inquiétude, les encouragements et les silences. Armé de balais, de seaux ou de sacs de sable, on tente désespérément de redonner à la mare aux canards l'allure d'un terrain de foot. Après de longues discussions entre officiels, le coup d'envoi peut finalement être donné (la télévision, déjà en 1978, semble dicter ses impératifs), mais la fête commence à avoir un drôle de goût. Du match, nous ne voyons que des jambes pataugeant dans la boue. Tati préfère braquer ses caméras sur les supporters, filmer les réactions d'un public de plus en plus stressé. Au bout de 90 minutes dantesques, les locaux ne pourront faire mieux qu'un frustrant 0-0.

    De la matinée joyeuse et ensoleillée, nous sommes passé à la tristesse d'une nuit humide. Le film n'a pas besoin de dire la suite : quinze jours plus tard, Eindhoven gagnait le match retour 3-0 et brisait les espoirs français de sacre européen.

     

    P.S. 1 : Merci beaucoup à Michèle et à Joachim pour les prêts de dvd.

    P.S. 2 : Après avoir vu les quatre longs-métrages avec lui (j'ai volontairement évité, je le rappelle, Playtime et Trafic), voici les préférences de mon fiston de 6 ans, "du plus rigolo au moins drôle" : 1- Jour de fête, 2- Les vacances de Mr Hulot, 3- Parade, 4- Mon oncle. Si vous êtes parents, vous savez maintenant ce qu'il vous reste à faire...

  • Les vacances de Mr Hulot

    (Jacques Tati / France / 1953)

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    "La plus belle carte postale de l'histoire du cinéma" peut-on lire je ne sais plus où. En effet, nulle part ailleurs que dans Les vacances de Mr Hulot nous épousons mieux le rythme de ces moment particuliers où tout semble être mis en parenthèse. Nous avons là le Tati le plus harmonieux, le plus calme, le plus équilibré, le plus tendre.

    vacancesHulot1.jpg

    Dans la petite station balnéaire perturbée par l'arrivée de Hulot, certains personnages, comme le patron de l'hôtel renfrogné ou le vieux militaire dirigiste, gardent leur part de ridicule et hésitent encore à faire tomber leur masque. Cependant, même eux, il est difficile de ne pas les considérer avec sympathie. Tati joue moins ici qu'ailleurs sur le principe d'opposition. Il arrive à nous faire croire à la vertu égalitaire des vacances. Sur la plage, plus de différences. Par conséquent, Hulot est moins mis à l'écart par principe que par une réaction exaspérée, provoquée par sa série de maladresses mal comprises.

    Certes, notre rêveur reste résolument du côté des enfants. Le gamin avec ses glaces à la main ne monte-t-il pas les marches aussi précautionneusement que Hulot encombré de valises ? De nombreuses saynètes font ainsi le rapprochement. Mais il arrive que de vraies rencontres se fassent et pas toujours avec ceux que l'on attend. Le plus surprenant pensionnaire de l'Hôtel de la Plage est assurément cet homme silencieux se tenant toujours cinq mètres derrière sa femme lors de leurs promenades quotidiennes. On pense d'abord que sa position en retrait lui permet quelques regards en biais vers de belles jeunes filles ou que cet éloignement lui permet de respirer en laissant sa femme s'émerveiller devant le moindre bateau ou le moindre coquillage, avant de réaliser que cet homme est celui qui sait regarder. Car c'est bien lui, le discret, qui viendra contre toute attente serrer chaleureusement la main à Hulot pour le remercier du spectacle. C'est bien lui qui l'aura apprécié à sa plus juste valeur.

    La jeune femme d'à côté, la dame anglaise, un groupe de scouts s'attachent aussi à Hulot. On sent qu'il ne faudrait pas grand chose de plus pour que tout l'Hôtel suive et imite ce pas de côté. Les travers de chacun sont si gentiment moqués. Tout cela n'est pas bien grave. Pour chasser les problèmes politiques, il suffit de couvrir le discours de la radio par la musique de l'électrophone. Attention, absence de méchanceté ne veut pas dire mièvrerie. La netteté avec laquelle est dessinée chaque silhouette permet d'éviter l'écueil.

    vacancesHulot2.jpg

    L'extraordinaire travail d'unification par la mise en scène se traduit par ce rythme parfait, alternant avec autant de bonheur gags et pauses, mêlant les deux registres parfois. Du rire poétique, rendu possible par le sens de l'observation du cinéaste, qui commence avec ce second long-métrage à construire des gags visuels très élaborés, pas toujours décelables à la première vision.

    Enfin, le son a toujours énormément compté dans ce cinéma-là. Dans Les vacances, son utilisation se fait touchante. Une dimension émotionnelle s'en dégage, transmise par la musique. La dame anglaise qui s'inquiète de ne plus trouver nulle part Mr Hulot entend soudain résonner le tintamarre jazz venant de la chambre de celui-ci et son visage s'illumine. Plus tard, c'est la jeune femme qui le cherche en vain lors des prémisses du bal masqué, caché qu'il est par un paravent. Revenant donc sur ses pas, elle s'apprête à sortir de la pièce quand retentit le thème du film. Elle suspend donc son geste, se retourne et tombe sur lui. La musique illustrative est entrée dans la fiction. Tout est possible.

     

    Pour continuer, cette visite de Tatiland, motivée, je le rappelle, par un partage avec le fiston (qui a bien reçu celui-ci également), je passerai par dessus Playtime et Trafic. Parade sera donc la prochaine station (et cette fois-ci, une découverte pour moi aussi).

    Photos : Premiere.fr

  • Profils paysans : la vie moderne

    (Raymond Depardon / France / 2008)

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    viemoderne.jpgComme tout le monde le sait maintenant, on entre dans La vie modernepar un travelling avant automobile sur une route de campagne et on en sort par un travelling arrière. Morale ou esthétique, Depardon ne triche pas. S'il est, dans son domaine, le plus grand cinéaste français, c'est que son style symbolise exactement ce que devrait être le travail de tout documentariste : approche patiente et documentée de son sujet et inscription dans une forme précise et pensée.

    En guise de générique de fin, une touchante série de "photos animées" nous rappelle à quel point Raymond Depardon est un portraitiste hors-pair. Mais tout au long du film, c'est chaque entretien qui pourrait s'analyser en termes de composition. Pendant l'échange avec les deux vieux frères Privat, on remarque vite la présence de l'horloge dans le coin. Paul Argaud, lui, est filmé en train de regarder l'enterrement de l'Abbé Pierre à la télévision; le son et la lumière l'entourant paraissent venir de nulle part et chargent ce plan magnifique d'une étrange dimension spirituelle.

    Très strict, le dispositif, décidé une fois arrivé sur place, laisse aussi bien entrer l'imprévu : un chien s'invite à la table, un jeune garçon qui se balance sur sa chaise rentre à nouveau dans le cadre... La scène du petit déjeuner chez les Chalaye est à cet égard magnifique. Invité par ses hôtes à s'asseoir pour partager le café, Depardon entre dans le cadre qu'il a fixé. Puis, il se relève pour décaler légèrement sa caméra vers la droite afin d'obtenir un plan mieux équilibré. Tout l'art du cinéaste est condensé dans la gestion de ce petit accident du réel.

    Moins spectateur qu'auparavant, Raymond Depardon intervient beaucoup pour relancer les conversations avec les paysans. Le plus souvent, il n'obtient que des réponses brèves, accompagnées d'un regard évasif. Les "oui" ou les "non" suffisent et la rareté de cette parole interpelle et fascine. Quels silences entre ces phrases ! Des silences qui en disent long, dirait-on. A ceci près, qu'ils trahissent moins des pensées inavouées qu'ils ne font comprendre tout de suite le caractère de la personne.

    La vie moderne clôt de manière admirable une trilogie inestimable (dont le deuxième volet, Le quotidien, a déjà été évoqué ici). L'éternel retour et le passage du temps font de cet ultime épisode le plus émouvant. Le plus beau aussi, avec ce format scope (contrairement aux deux autres, celui-ci a été tourné directement pour le cinéma et non la télévision). Les images du début se seraient presque suffi à elle-mêmes, sans la musique de Fauré, tout comme celles de la fin, sur lesquelles Depardon avoue son attachement à cette terre. Sauf à considérer, à propos de ces dernières, qu'il y a des choses qu'il faut un jour savoir dire.

  • Travaux

    (Brigitte Roüan / France / 2005)

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    travaux.jpgUne comédie (!) française (!!) contemporaine (!!!) et à message (!!!!) réussie (!!!!!). Certes, à la deuxième vision, des facilités apparaissent de ci-de là, quelques passages sont à la limite, et certaines images sont un peu trop sagement métissées, mais Travaux, troisième et meilleur film de Brigitte Roüan, a quelque chose du petit miracle. La principale qualité de l'ouvrage est de ne pas chercher à jouer au malin. Les bons sentiments y sont assumés. Mieux, par l'évocation (directe mais humoristique) du système répressif en place contre les étrangers en France, ils sont, pour ainsi dire, légitimés. De surcroît, l'engagement humaniste est discrètement mais constamment, interrogé, mis à l'épreuve par la complexité des rapports avec l'autre.

    Cette histoire d'avocate, bourgeoise de gauche, qui confie les travaux de son appartement à un groupe d'immigrés, privilégie le burlesque et le grotesque plutôt que l'ironie. Le second degré télévisuel de type Canal+, qui rend la majorité des comédies françaises actuelles déplaisantes, n'a guère sa place ici. Tout juste y trouve-t-on un jeu, pas désagréable, autour de l'image de Carole Bouquet (et, à un autre niveau, de Bernard Menez et Aldo Maccionne, dans des seconds rôles). L'actrice confirme d'ailleurs dans Travaux, une fois de plus, ses dispositions pour le comique.

    Le rythme est vif, maintenu pendant les 85 minutes du film. La réactivité de la mise en scène, d'un gag à l'autre, au fil de séquences parfois très courtes, n'empêche pas une parfaite lisibilité. Quelques idées visuelles pertinentes assurent la satisfaction de l'oeil (vu en plongée, l'attroupement bavard des ouvriers sur le trottoir, jetés dehors par leur "patronne", éclate soudain aux quatre coins de la rue à l'arrivée d'une voiture de police).

    La légèreté avec laquelle est abordé la réalité de l'immigration permet de faire passer le message. Le dialogue entre Chantal (Bouquet) et son artisan sud-américain, qui lui raconte son périple tragique ayant provoqué son exil, pourrait tomber dans la facilité. Or, la scène n'est pas vue de haut et le discours n'apparaît pas plaqué, rendu possible par un instant de calme propice à la confession (tout se termine d'ailleurs par un petit gag). Quelque chose de l'altérité passe vraiment.

    L'insertion de passages de comédie musicale peuvent apparaître moins heureux que le reste. Ils sont cependant bien justifiés et leur évolution épouse parfaitement celle de l'état d'esprit de l'héroïne. Ces chorégraphies sont l'un des vecteurs du travail de Brigitte Roüan sur les corps. Toujours dans l'optique d'un confrontation du mythe Bouquet avec l'épaisseur du réel (et de ces torses latins et velus), les frottements que les ouvriers imposent par moments à Chantal (desquels elle se sort toujours avec grâce) participent aussi à ce sentiment d'équilibre tenu par le film. Même la pirouette finale a son charme. Sûre d'elle et de ses effets, n'ayant pas eu peur de frôler le ridicule, c'est bien dans la franche comédie que la cinéaste a trouvé son expression la meilleure.

  • Les sièges de l'Alcazar

    (Luc Moullet / France / 1989)

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    siegesalcazar.jpgDans les années 50 à Paris, Guy, critique aux Cahiers du Cinéma, fréquente la salle de l'Alcazar pour y voir notamment les films de Vittorio Cottafavi, son cinéaste favori. Un soir, il y aperçoit Jeanne, qui écrit, elle, dans Positif. Au fil des séances, les deux vont jouer au chat et à la souris, leurs prises de becs cachant certainement une réelle complicité.

    Ce film de Luc Moullet titillait ma curiosité depuis longtemps par son sujet. L'histoire de la rivalité développée, quasiment dès leurs premières années, entre les deux grandes revues cinéphiles françaises m'a toujours beaucoup intéressé.

    Premier étrange sentiment : Les sièges de l'Alcazar a été tourné en 1989 et semble pourtant dater, sinon de 1955, l'époque décrite, du moins des années 60. Pensant au départ que le film était plus ancien, il me fallut attendre de reconnaître Sabine Haudepin dans un second rôle pour me persuader de sa date de production. Est-on là en face d'un extraordinaire travail de reconstitution ou est-ce plutôt l'effet secondaire de l'esthétique économe de Luc Moullet ? Défaut ou qualité ? Il faudrait sans doute, pour répondre à ces interrogations, connaître plus avant l'oeuvre du cinéaste (ou demander à des autorités plus compétentes).

    Drôle de personnage que ce Luc Moullet et drôle de film que celui-ci. Mais film drôle aussi. Les purs cinéphiles s'amuseront de certaines formules ("Antonioni est le Cottafavi du pauvre" etc...), mais plus que les dialogues, surtout axés sur les capacités de réparties de chaque personnage, ce sont les trouvailles de la scénographie qui charment. La caméra reste la plupart du temps dans le cinéma et les meilleurs moments mettent en scène le corps de Guy, les positions qu'il doit prendre pour tenir sur les petits sièges inconfortables. Plus que les private jokes, c'est le burlesque léger de Moullet qui séduit. Le film offre ainsi de très jolis plans de Guy, assis au milieu des gamins des deux premiers rangs.

    Dans le rôle principal, Olivier Maltinti est remarquable et ses duos avec Elizabeth Moreau (Jeanne) et surtout Micha Bayard (l'irascible ouvreuse) sont assez réjouissants. Le reste est plus inégal, Moullet étant l'un des rares cinéastes à ne pas couper les hésitations et les erreurs de dictions de ses comédiens. Autre bémol, le montage intègre de longs extraits de films de Cottafavi, pas forcément nécessaires.

    Sympathique et très plaisant, partant d'un sujet précis et n'en déviant jamais, restant confiné, Les sièges de l'Alcazar subit un peu le contrecoup de sa rigueur. Et se pose alors la question : peut-il résonner au-delà d'un petit cercle de passionnés ?