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France - Page 10

  • Micmacs à tire-larigot

    (Jean-Pierre Jeunet / France / 2009)

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    micmacs.jpgMon espoir de trouver en Micmacs à tire-larigot une comédie française qui soit à la fois "grand public" et inventive a vécu une vingtaine de minutes. La façon dont Jeunet nous fait entrer dans son nouveau conte, se passant quasiment de dialogues et laissant son fil narratif prendre tout son temps pour se nouer, m'a plutôt séduit.

    Malheureusement, passée cette longue mise en bouche, l'argument (se venger astucieusement de deux industriels de l'armement) est fixé une fois pour toute et devient l'unique ressort du film. S'ensuit un désintérêt progressif devant les différentes phases de la sympathique machination, phases bien séparées par le récit et dont la nécessité nous échappe tant elles peinent à s'organiser en engrenage narratif imparable. De plus, alors que le premier quart d'heure est assez amusant (les deux "playbacks" de Dany Boon, par exemple), le sourire s'efface au fil du temps et de la laborieuse progression de l'histoire.

    L'esthétique de Jeunet n'est pas vraiment en cause (à moins de jeter le bébé Micmacs avec l'eau qui coule depuis Delicatessen), la présence de Dany Boon non plus, ni transcendante, ni insupportable, plutôt bien intégrée à l'univers. Non, ce qui ne va pas ce sont ces dialogues "à l'ancienne", écrits de manière mécanique (qu'un personnage, celui d'Omar Sy, s'accapare une langue construite uniquement sur des formules toutes faites, l'effet peut être plaisant, mais que tous jonglent avec les bons mots et la lassitude arrive aussitôt). Ce qui ne va pas c'est cette vision de l'amour particulièrement niaise, ne véhiculant qu'une soit-disante "poésie", sans aucun désir physique, le sexe étant réservé dans toute sa vulgarité aux employées-chaudasses-de-passage et aux professionnels de peep-show (ou comment protéger les enfants tout en mettant les rieurs dans sa poche). Ce qui ne va pas c'est la gentillesse dégoulinante de cette histoire de vengeance débouchant sur un final d'un ridicule à peine atténué par l'hommage à la machinerie du cinématographe. Ce qui ne va pas c'est le refrain publicitaire du "tous ensemble" (le repas où chacun se met à parler dans une langue étrangère n'a d'autre but que d'attendrir à peu de frais).

    Jeunet se voit en Carné mais fait penser à Dréville (certains trucs de la supercherie renvoient à Copie conforme) ou à Zidi (j'avais certains mauvais De Funès en tête), la patine esthétique en plus. Considérée depuis les toits de Delicatessen, la chute du cinéaste, d'une régularité métronomique (on descend d'une marche à chaque fois), devient rude.

  • Je suis heureux que ma mère soit vivante

    (Claude et Nathan Miller / France / 2009)

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    jesuisheureux.jpgMisère du cinéma français du milieu, rentrée 2009, épisode 2 (*)

    Décrire de façon troublante les retrouvailles d'un jeune homme avec sa mère, quinze ans après son abandon, comme une passion amoureuse est plutôt une bonne idée. C'est la seule à se détacher de Je suis heureux que ma mère soit vivante, film qui n'a pour lui que sa relative brièveté (90 minutes).

    Nous sommes dans un drame PSYCHOLOGIQUE, au sens Stabilo du terme. C'est à dire que dès la première séquence, celle de la baignade estivale entre père et fils (adoptif), tout concourt à nous faire sentir qu'il y a du lourd en train de se jouer là : de l'étrangeté dans le quotidien, du secret familial pesant, du traumatisme qui affleure, des regards intenses, des dialogues appuyés. Pas une scène, pas un plan dans ce film qui ne soient écrasés par du sur-signifiant. Le seul moment qui échappe à cette fatalité est celui où la violence éclate, de manière totalement inattendue. Pour un instant, l'étude psychologique se suspend enfin... avant de reprendre son cours.

    A l'inscription sociale des personnages, on ne croit pas un instant (à côté, le Rickyde François Ozon passerait pour du Ken Loach). Bien évidemment, les auteurs clament qu'il était hors de question de porter un jugement. Or, dans la façon de la regarder, de la faire bouger ou parler, il n'est laissé aucune chance à la mère "indigne", qui ne peut que provoquer l'apitoiement du spectateur (comparez avec le personnage similaire interprété par Kierston Warreing dans le récent Fish tank). De toute manière, tous les acteurs sont affreusement dirigés et la mise en scène n'a aucune grâce.

    Auteur passionnant pendant ses quinze premières années d'activité, Claude Miller ne cesse de s'enliser depuis quelques temps dans un cinéma de papa où l'âpreté des sujets est relayée par une réalisation pachydermique et déprimante. L'association avec son fils Nathan n'a rien changé à l'affaire : après La petite Lili et Un secret, il réalise une troisième horreur d'affilée.

     

    (*) : Pour l'épisode 1, voir ici.

    Un avis voisin : Rob Gordon

    Un avis opposé : Goin' to the movies

  • Les regrets

    (Cédric Kahn / France / 2009)

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    lesregrets.jpgSi vous n'aimez pas la campagne et ses rustauds...

    Si vous n'aimez pas la ville et ses architectes...

    Si vous n'aimez pas le cinéma français psychologique...

    Si vous n'aimez pas les histoires de couples et d'adultères...

    Si vous n'aimez pas les clichés sur la crise de la quarantaine...

    Si vous n'aimez pas les dialogues du quotidien...

    Si vous n'aimez pas les conversations en voiture...

    Si vous n'aimez pas l'esthétique naturaliste...

    Si vous n'aimez pas les zooms qui révèlent, les cadres tremblés qui urgent et la musique qui romantise...

    Si vous n'aimez pas les films où les gens ne donnent jamais l'impression de travailler réellement...

    Si vous n'aimez pas les films où les gens prennent leur après-midi pour aller baiser au relai château d'à-côté...

    Si vous n'aimez pas les films où les gens changent d'avis toutes les cinq minutes...

    Si vous n'aimez pas voir Valeria Bruni-Tedeschi faire sa crise de larmes...

    Si vous n'aimez pas voir Yvan Attal faire sa crise de nerfs...

    Si vous n'aimez pas (re)voir François Négret le temps d'une mauvaise scène...

    Si vous n'aimez pas voir Philippe Katerine avec la moustache...

    Si vous n'aimez pas ne pas savoir s'il faut en rire ou en pleurer...

    Si vous n'aimez pas les histoires qui n'en finissent pas...

    Si vous n'aimez pas le déjà-vu...

    Si vous n'aimez pas avoir l'impression de déjà connaître la fin de la séquence au moment même où elle débute...

    Si vous n'aimez pas l'emploi banalisé d'une chanson déjà génialement utilisée ailleurs (Sinnerman par Nina Simone)...

    ... allez vous faire... un autre film que Les regrets, qui nous donnent presque envie de dire, après avoir été indulgents la dernière fois : "Bye bye Cédric".

  • L'armée du crime

    (Robert Guédiguian / France / 2009)

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    Sorti à la mi-septembre, L'armée du crime a été traité avec une grande négligence par la presse. Passée la sempiternelle remarque préliminaire, reprise par tous ("seul Guédiguian pouvait faire ce film sur le Groupe Manouchian, lui, le communiste d'origine arménienne") et destinée à dédouaner par avance les critiques de leur erreur de jugement (voire à renvoyer Guédiguian vers un "cinéma officiel", comme l'on disait au temps de l'U.R.S.S.), sont tombées les accusations d'amidonnage télévisuel, en vertu de l'équation bien connue : reconstitution historique = académisme. Les journalistes s'étant engagés au-delà se comptent sur les doigts d'une main (De Bruyn, Leherpeur et pas beaucoup d'autres...). Mieux vaut donc se tourner vers les blogs : celui de Pierre Léon ou celui de Griffe, qui a écrit le texte le plus sensible et le plus pertinent sur cette oeuvre magnifique. Avec cette note, je voudrai à mon tour tenter de rendre justice au film le plus émouvant qu'il m'ait été donné de voir cette année.

    L'armée du crime s'attache à décrire les activités de plusieurs membres d'un groupe de résistants. Or, il n'use d'aucune des lourdeurs et des facilités sur lesquelles reposent très souvent les films choraux, qu'elles tiennent dans les torsions du scénario ou dans les arabesques stylistiques. Les liaisons entre les séquences consacrées aux divers protagonistes deviennent invisibles car elles se coulent dans un mouvement perpétuel, celui de l'urgence et celui de la jeunesse (la transition la plus belle voit la marche rapide de Virginie Ledoyen, partant du fond du plan, s'enchaîner au regard intense de Robinson Stévenin, comme si ce déplacement lui devait son impulsion). Dans cette première partie où s'accumulent les coups d'éclats isolés et désordonnés, Guédiguian tient à la brièveté des séquences, non pour gagner en vitesse mais pour aller à l'essentiel : à l'action, au geste.

    larmeeducrime2.jpg

    L'une des grandes idées du cinéaste a été d'insister sur la jeunesse de ces partisans. Par l'imprévisibilité des réactions, leur caractère irréfléchi parfois, nous sommes entraîné. Les personnages sont situés dans leur cadre familial et affectif mais ils ne sont pas pour autant "biographiés" et "psychologisés" comme dans un vulgaire téléfilm : si la liaison amoureuse d'untel est mentionnée, c'est qu'elle a une fonction précise dans le déroulement dramatique. Guédiguian se tient au plus près d'eux. On annonce que les Allemands fusillent dix prisonniers pour un seul de leurs soldats tué mais nous ne voyons sur l'écran que ce que les résistants peuvent voir : un camarade arrêté, abattu ou torturé.

    Ainsi, Guédiguian se garde bien, fort heureusement, de crier "Nous sommes tous des juifs arméniens" et de placer les grands idéaux au premier plan. Certes, un homme se souciant peu de liberté et d'éthique est moins susceptible de conduire un mouvement de résistance qu'un autre plus concerné, mais à cette leçon se substitue ici, le plus souvent, la mise à jour d'un mécanisme entraîné par un désir de vengeance personnelle. A cet égard, la façon dont est articulée l'annonce de la déportation du père de Marcel et la série d'assassinat de soldats allemands esseulés par ce dernier est particulièrement parlante. Le plus exemplaire de tous, Manouchian lui-même, convoque un souvenir douloureux au moment de passer à l'acte (ce que visualise une surimpression et un ralenti qui sont peut-être les seuls détails discutables du film). Il ne s'agit pas bien sûr de réduire un combat à une simple histoire de vengeance mais bien, d'une part, d'échapper à l'idéalisation unanimiste et, d'autre part, de rester à la hauteur des personnages. De même, l'évidence de la permanence des enjeux moraux et politiques évoqués par le film vient d'elle-même et non d'un discours d'aujourd'hui qui se retrouverait plaqué sur des événements relativement lointains. Guédiguian n'est pas un propagandiste.

    La reconstitution de ce passé est simple et sobre. Souvent, nous ne voyons que des coins de rue, en accord avec la nécessité de montrer des gens discrets, risquant leur peau à chaque instant (la peur, la brutalité, les éclairs de violence sont remarquablement filmés). Dans les décors, il y a peu de signes ostentatoires, pas de panoramique sur les plaques des rues, pas de réunions autour d'un poste de radio. Il n'y a qu'à comparer avec l'affligeant film de Claude Miller, Un secret, pour comprendre la réussite de L'armée du crime sur cet autre point. Ici, on trouve bien des messages radiophoniques d'époque mais ils recouvrent des images qui ne sont pas "de situation". La radio, chez Miller, servait d'illustration. Chez Guédiguian, elle devient commentaire, comme les tracts et les affiches qui apparaissent en glissant en surimpression.

    larmeeducrime3.jpg

    La justesse de la reconstitution nécessite également une crédibilité dans les gestes et dans les postures qu'assure parfaitement l'ensemble des comédiens. Les moins attendus, Robinson Stévenin et Grégoire Leprince-Ringuet, ne sont pas les moins remarquables, semblant même être croisés réellement pour la première fois. La performance de Jean-Pierre Darroussin a marqué jusqu'aux esprits les plus chagrins. Cependant, il faut bien préciser ce que celle-ci doit à la mise en scène de Guédiguian. Ce petit officier de police est brutalement confronté à la réalité de la chasse aux juifs au moment où il assiste à une séance de torture dans le sous-sol du commissariat. Un bref gros plan sur le visage, une phrase qui écourte la "visite" et l'accompagnement muet, pendant quelques secondes, dans la rue : voilà qui laisse supposer un prise de conscience... qui sera démentie un peu plus tard. L'ambiguïté du comportement du personnage doit autant à l'interprète (et à son image) qu'à la mise en scène.

    Reste à évoquer la plus grande qualité de L'armée du crime : sa capacité à faire naître l'émotion sans en appeler au mélodrame. Jamais nous ne nous sentons tirés vers la grande scène déchirante car chaque séquence est parcourue d'une vibration souterraine. Cette vibration, cela peut-être celle soutenant le retour de captivité de Manouchian : ces gestes magnifiquement tendres de sa femme qui l'assoit et lui ôte ses chaussures, avant qu'il ne l'arrête en disant simplement "Laisse, je suis trop sale". Cela peut-être aussi toutes ces parts "non-négociables" comme le protestent certains résistants : ces attachements à un petit frère, à une femme aimée, aux parents, dont on ne peut s'éloigner malgré les risques encourus.

    Comme le classicisme ne se confond pas avec l'académisme, ni le didactisme avec le manichéisme, l'émotion que libère L'armée du crime n'a rien à voir avec un quelconque chantage. Et à propos du carton final, dans lequel Guédiguian explique qu'il a dû faire entrer dans son récit une part d'imagination et bousculer la chronologie au bénéfice de la dramaturgie, à la place de la supposée gêne de l'auteur que certains ont cru déceler, je vois plutôt une ultime marque de politesse et de respect pour le spectateur.

     

    Photos : Studio Canal

  • Les deux orphelines

    (David W. Griffith / Etats-Unis / 1921 & Maurice Tourneur / France / 1933)

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    A l'époque où se font entendre les premiers grondements révolutionnaires, deux jeunes femmes arrivent à Paris. Henriette et Louise, qui est aveugle et a été abandonnée enfant par sa véritable mère, ont été élevées comme des soeurs. Dans la capitale, livrées à elles-mêmes, elles sont brutalement séparées. Henriette tombe sous la coupe d'un aristocrate pervers et Louise sous celle d'une mendiante brutale.

    orphans.jpgJ'ai découvert il y a cinq ans de cela la version de Griffith des Deux orphelines (Orphans of the storm). Quelques notes griffonées alors me permettent de me la remémorer, au moment d'écrire sur celle de Tourneur.

    Ce qui impressionne d'abord chez Griffith est l'ampleur de la narration. La présentation des divers personnages laisse d'abord craindre d'avoir à feuilleter un simple catalogue de la reconstitution historique mais très vite, le cinéaste déploie les panneaux de son récit, multiplie les parallèles, développe les relations entre les nombreux protagonistes et éclaire leurs motivations par de courts flash-backs.

    La première partie culmine avec une longue et magnifique séquence de retrouvailles avortées entre Louise et Henriette. Cette dernière croit divaguer en entendant sa soeur chanter dans la rue, en contrebas et tarde à aller à sa fenêtre. L'écoulement du temps provoque le déchirement et la scène devient l'une des plus belles du cinéma muet.

    La deuxième partie est peut-être légèrement inférieure, plus linéaire et plus marquée par l'idéologie. En effet, Griffith a greffé à l'argument original l'Histoire avec un(e) grand(e) H(ache). Les figures les plus connues de la Révolution française apparaissent. Le peuple est dépeint comme une entité manipulable à l'envi et se lançant aveuglément dans l'expérience de la Terreur. Le péril bolchévique est là. Au final, les deux tyrannies, celle du peuple et celle du Roi, sont renvoyées dos à dos, à la faveur d'un éloge de l'individualisme et de la famille.

    Les deux "soeurs" sont interprétées par Dorothy et Lilian Gish, ce qui suffit déjà à faire naître une émotion. Lilian, dont le visage illumine comme toujours le moindre plan, joue d'ailleurs ici pour la dernière fois sous la direction de son mentor.

    Le film de Griffith est parfois négligé par rapport à ses oeuvres antérieures, certains lui reprochant la répétition stérile de certains effets (comme le sauvetage de dernière minute). Il s'en dégage, selon moi, une telle impression de "cinéma total" (mêlant l'histoire, le mélodrame, le comique, le politique et l'intime) que les quelques réserves qu'il peut susciter sont vite balayées.

    orphelines.jpgDouze ans plus tard, Maurice Tourneur réalise à son tour Les Deux orphelines pour un résultat qui n'est point trop indigne du précédent (il existe plusieurs autres versions, dont une de Riccardo Freda, datant des années 60). Nous n'y trouvons certes pas les mêmes fulgurantes inspirations et Rosine Déréan et Renée Saint-Cyr n'ont pas l'aura des soeurs Gish. Toutefois, le plaisir du récit mélodramatique est toujours présent. Le développement narratif est moins complexe mais assez rigoureux. Tourneur est resté fidèle au roman d'Eugène Cormon et Adolphe d'Ennery : de la Révolution, nous ne sentons qu'à peine les frémissements, là où Griffith faisait intervenir dans son scénario Danton et Robespierre.

    Le film a parfois du mal à se libérer totalement des pesanteurs inhérentes aux débuts du parlant et se voit, par endroits, coincé entre deux tendances du cinéma français, la volonté du réalisme et la tentation du théâtre. Cette double tension se ressent dans le jeu des comédiens : certains peuvent paraître cabotins avant d'accéder à une expressivité assez forte.

    Le soin apporté aux décors est notable et Tourneur arrive le plus souvent à faire vivre les scènes à plusieurs personnages (en revanche, les bagarres sont assez médiocrement filmées, sans doute tributaires des difficultés techniques liés au son). Quelques passages atteignent une réelle beauté. Ils concernent essentiellement les malheurs de Louise, réduite à la mendicité et dont l'histoire est plus poignante que celle de sa soeur. Sa cécité, que Tourneur utilise fort bien, ajoute à l'émotion, bien qu'il y ait, tout le long du film, de ce point de vue, une retenue de notre part. Le plus beau moment est sans conteste le dialogue et l'échange de pardessus entre Louise et le "bon" fils de la famille la séquestrant, filmés en plan-séquence fixe, enrobé de neige. Le dénouement est plus intime que chez Griffith, plus contraint par le cadre et plus théâtral par le positionnement des acteurs dans l'espace réduit.

  • Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages & Le grand bazar

    (Michel Audiard / France / 1968 & Claude Zidi / France / 1973)

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    Jeudi soir dernier, sur une chaîne de la TNT (celle du grand journaliste J.M. Morandini), c'était soirée thématique "comédies françaises cultes". Entendez : "gros navets". J'ai testé pour vous.

    fautpasprendre.jpgFaut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages est la première réalisation de Michel Audiard. Cela démarre sur un monologue de Marlène Jobert, préfigurant les apostrophes au spectateur qu'affectionnera un peu plus tard Bertrand Blier, en plus long et en moins saillant. En fait, pratiquement le quart du métrage est encombré par ce procédé (Jobert laissant parfois la parole à André Pousse, Mario David ou Bernard Blier) faisant ainsi patiner un récit qui n'est déjà pas particulièrement stimulant car ressassant toujours les mêmes histoires de règlements de comptes rigolards entre truands. Pour faire cinéaste, Audiard brise le rythme, façonne des gags cartoonesques (minables), insère des textes décalés en guise de débuts de chapitres. Les dialogues n'offrent aucune progression narrative, Audiard étant trop occupé à coller ses formules les unes aux autres. Même sortant de la bouche de Bernard Blier, ce déluge provoque vite la saturation. Marlène Jobert est supportable à condition de se boucher les oreilles en reluquant son joli corps régulièrement dénudé (et c'est encore la meilleure façon d'illustrer cette note). Au milieu de cette sinistre comédie, nous avons droit à une pitoyable parodie de comédie musicale à la Jacques Demy. On se moque aussi des hippies, du pop-art, de tout ce qui représente la jeunesse et on idolâtre ces vieilles flingueuses et ces vieux gangsters qui savent vivre, eux. Un film de gérontophile. Un film très con, pour parler comme son auteur.

    legrandbazar.jpgPar rapport à la connerie, la crétinerie peut apparaître parfois plus sympathique. Le grand bazar est réputé pour être le "meilleur" film des Charlots. C'est peut-être vrai : c'est nul mais pas foncièrement déplaisant. Pendant une demie-heure, on relève quelques gags réussis, disons un sur quatre ou cinq, les autres étant affligeants. Le film bénéficie de l'abattage de Michel Galabru et de Michel Serrault. La sûreté de leur jeu, même dans un registre extrèmement limité comme celui qui leur est imposé, contraste avec l'amateurisme désespérant de celui des Charlots. Contrairement au titre précédemment évoqué, Le grand bazar capte (mal, mais il capte quand même) un certain air du temps avec son scénario anti-consumériste (la bataille que mène un petit commerçant contre un gérant de supermarché) et sa vision d'une banlieue peu attrayante. Comme Audiard avec Demy, Zidi fait lui aussi un renvoi cinéphilique en filmant Galabru partant à l'assaut de son concurrent au son du thème à l'harmonica créé par Morricone pour Il était une fois dans l'Ouest. L'écart, par son gigantisme, provoque un sourire bienveillant, loin du sentiment de mépris que véhicule la parodie d'Audiard. Cela dit, à la mi-parcours (à peu près à la coupure de pub !), ma relative indulgence s'est évaporée devant l'essoufflement du récit, la débilité continue des gags, l'étirement insupportable de certaines séquences comme celles du pillage du magasin et de la virée en boîte et la nullité du dénouement, totalement inoffensif, montrant les Charlots heureux de leur renoncement.

    Bon, là, j'ai comme une envie de me faire un Tarkovski...

  • Copie conforme

    (Jean Dréville / France / 1947)

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    copieconforme.jpgIsmora est un escroc génial qui par son art du travestissement réalise une série de vols spectaculaires. Il se trouve qu'il a un sosie parfait, Mr Dupon, paisible représentant de commerce. Il met la main sur ce dernier et le manipule de façon à ce qu'il accepte de jouer son double dans le beau monde, ce subterfuge fournissant un alibi imparable pendant qu'il commet ses forfaits.

    De façon bien légère, Jean Dréville tient à s'assurer d'une distinction permanente entre les deux sosies par le spectateur (grâce à une différence flagrante dans la démarche, les intonations, la coiffure, le regard), tout en laissant croire que, dans ce récit, les victimes et les proches se laissent abuser sans sourciller. De ce principe découle une série de péripéties à base de substitutions d'identité totalement invraisemblables.

    Louis Jouvet commence par se transformer physiquement au gré des arnaques du personnage d'Ismora, avant de jouer aussi son double, Dupon. L'acteur, qui peut être par ailleurs si impressionnant, nous offre là une performance pénible, appuyant tous ses effets de manière particulièrement insupportable dans son rôle d'homme médiocre.

    La dévitalisation contamine pareillement les dialogues. Absolument toutes les répliques se veulent gorgées d'esprit, se gargarisant de jeux de mots, de formules sur le thème du double, de rimes et d'échos. Ce tourbillon est épuisant. L'oeil, lui, n'est attiré que par quelques cadrages et éclairages expressionnistes mais de ce sujet à la Feuillade ne s'échappe aucun mystère. Nous restons dans le boulevard. Le dénouement, enclenché par la révélation de la supercherie à une Suzie Delair qui ne s'en étonne aucunement, est nul.

  • Peindre ou faire l'amour

    (Arnaud et Jean-Marie Larrieu / France / 2005)

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    peindreoufaire.jpgLa découverte d'Un homme, un vrai (2003), toute petite chose auteuriste, ne m'avait aucunement incité à continuer plus avant l'aventure avec les Larrieu. Il fallut donc attendre l'intrigante bande-annonce des Derniers jours du monde pour me décider à tenter à nouveau ma chance. Le résultat étant plutôt satisfaisant, la diffusion télé fort opportune de Peindre ou faire l'amour prenait la valeur d'une oeillade. Et voici comment, en quatre jours, mon rapport au cinéma des deux frangins s'est trouvé totalement renversé. Croyez-moi, j'en suis autant étonné qu'un Daniel Auteuil au petit matin de sa première nuit d'échangiste.

    Neuf fois sur dix, si la première séquence d'un film nous séduit, le reste suit tout seul. Madeleine (Sabine Azéma), qui aime peindre en amateur pour se détendre du boulot, installe son matériel sur le flan d'une colline et voit bientôt entrer dans son cadre un promeneur aveugle qui s'avère être le maire du village d'à côté (Sergi Lopez). La concentration de Madeleine bientôt perturbée par l'amusement devant l'étrange trajectoire de la silhouette en contrebas, l'attention visuelle et auditive portée à la nature, le frissonnement provoqué par l'air vivifiant annoncent un film sur le désir et le titillement des sens.

    Les Larrieu prennent tout d'abord un plaisir évident à filmer la campagne et sa lumière, à y placer une Sabine Azéma rayonnante (voir les poses qu'elle prend lorsqu'elle fait visiter à son mari la propriété qu'elle souhaite acquérir). Faire d'Adam, le personnage-catalyseur, un aveugle leur permet d'introduire immédiatement une dimension sensuelle exacerbée. Adam est très sensible aux odeurs, les parfums l'aidant à se guider. Plus tard, William, le mari de Madeleine, pourra lui dire "Tu sens fort", phrase plus triviale que les envolées de leur ami aveugle mais aussi troublante. Adam "voit" également mieux que les autres dans l'obscurité, ce qui nous vaut une séquence plongée intégralement dans le noir, effet de mise en scène justifié comme rarement et donc particulièrement savoureux (il s'agit pour Adam de raccompagner sans lumière Madeleine et William chez eux, à travers bois).

    Personnages et paysages sont carressés en de longs plans (peut-être un peu trop régulièrement soutenus par la musique, bien que celle-ci soit agréable et fort bien "ressentie", comme lors du retour de William et Madeleine après leur promenade où ils retrouvent leur fille et son petit ami sur la terrasse en train d'écouter un disque à plein volume, la scène baignant longuement dans cette ambiance). L'intérêt du récit tient à la tension érotique qui semble naître avant tout du lieu. L'achat de cette nouvelle maison provoque un rapprochement entre William et Madeleine qui, au début du film, n'étaient pas présentés au spectateur ensemble, malgré leur vie commune. Le désir est inséparrable de l'habitat : il ne se passe rien chez Adam et le voyage à Wallis-et-Futuna a ennuyé le couple.

    La mise en scène des Larrieu est simple et sensuelle (par moments trop chaste : la deuxième séquence dans le noir, lors de la scène d'amour à quatre, aurait gagné en trouble si elle n'était pas si vite coupée). Lorsqu'Eva, la femme d'Adam (interprétée par Amira Casar), demande à Madeleine de peindre son portrait, elle se déshabille entièrement sans la prévenir. Le découpage nous fait alors épouser exactement le regard de Madeleine, celle-ci regardant d'abord Eva enlever ses bottes et sa ceinture, réalisant alors ce qu'elle fait, détournant les yeux pour préparer fébrilement ses pinceaux et les relevant enfin, au moment où elle sait que son amie est nue, la découvrant comme nous.

    Dans la vie de Madeleine et William, le séisme sexuel d'un ménage à quatre est tel que l'on redoute un retour de bâton. Mais les Larrieu tiennent bien leur ligne. Les conséquences souterraines du cataclysme sont observées calmement (la fuite de la maison) et la mauvaise foi humoristique trahit la violence de la remise en question (William : "Ce sont des échangistes, ils sont dangereux !", profitons en pour saluer ici Auteuil qui, en cette année-là, réussissait à Cannes un grand écart spectaculaire puisqu'on le retrouvait également à l'affiche du film qui aurait dû obtenir la palme d'or, Caché de Michael Haneke).

    Une dernière partie inattendue mais rendue logique par la mise en scène nous attache définitivement à la rêverie érotique des frères Larrieu.

  • Un prophète

    (Jacques Audiard / France / 2009)

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    prophete.jpgUn prophète était probablement l'un des plus sérieux prétendants à la Palme d'or du dernier festival de Cannes, sera assurément bien placé dans ma liste de fin d'année et s'impose pour l'instant comme le meilleur film français sorti en 2009. J'avoue toutefois qu'il m'est assez difficile d'en rendre compte. Ce nouvel Audiard m'a laissé sur une étrange sensation de film inattaquable. Je ne parle pas ici d'un éventuel étalage de bonnes intentions (on n'y trouve pas, fort heureusement, la prudence qui tétanise la majorité des cinéastes lorsqu'ils se penchent sur les réglements de comptes communautaires, prudence qui trahit leur peur de voir leurs histoires particulières être prises pour des généralités et qui les pousse au final à ne rien dire du tout de la réalité). Non, je parle en fait de la difficulté extrême qu'il y a à s'y agripper et à en tirer quelques fils. Je me trompe peut-être mais il me semble ne pas être le seul à avoir ainsi buter quelque peu contre sa surface (si celle de Dasola est assez enthousiaste, les notes d'autres blogueurs émérites comme Vincent et Rob Gordon laissent paraître une admiration très contenue). L'attente était-elle trop forte, après les échos, prolongés tout l'été, de l'excellent accueil cannois ? Il y a de cela, mais pas seulement.

    Dans Un prophéte, chaque séquence semble évidente, par son traitement esthétique, par le jeu d'acteur qu'elle donne à voir et par sa place au sein d'un scénario parfaitement agencé. L'évidence laisse-t-elle sans voix ? L'entrée en matière est absolument remarquable. Malik est envoyé en Centrale pour 6 ans et découvre la taule. On suit son arrivée, le dépôt de ses vêtements, la fouille, l'entretien avec le surveillant, la plongée dans cette lumière si particulière et les premiers croisements de regards qui font baisser les yeux. Audiard n'a pas besoin de nous jeter à la figure des bastonnades et des tortures stylisées à la Hunger pour faire affleurer la crainte et l'envie d'être n'importe où sauf ici. Le lieu (construit pour le tournage, si j'ai bien suivi) est investi de manière extraordinaire, notamment en visualisant les tensions entre les différents clans à travers leur occupation du territoire de la prison (les différents bâtiments, les différentes parcelles dans la cour, les différents lieux de rendez-vous des caïds).

    Manipulé et poussé à tuer un détenu gênant, Malik se retrouve sous la protection du Corse Luciani, qui le prend sous son aile et lui fait de plus en plus confiance. Au milieu des nationalistes, Malik reste toutefois "l'Arabe", tandis que les "Barbus" le traîtent de sale Corse. Il semble coincé, mais, profitant des "leçons" et des connaissances de Luciani (à l'insu de ce dernier) et d'un régime de semi-liberté, il parvient à se frayer son chemin en navigant dangereusement mais intelligemment entre les diverses mafias italiennes, corses, arabes et gitanes. La ronde criminelle qui se joue sous nos yeux est absolument passionnante, le système de réseaux multiples faisant rebondir d'un groupe à l'autre en élargissant sans cesse le champ d'action, tout en restant relié au centre névralgique que constitue la prison. La description des trafics et de la vie quotidienne à la Centrale est striée par des séquences de thriller impeccablement rythmées et fortement incarnées. Peut-être Audiard aurait-il pu assêcher encore son film en s'en tenant à cette observation et à ces griffures car les trouées irréelles, bien qu'elles marchent la plupart du temps (le fantôme de l'homme tué montrant à nouveau une évidence : la hantise d'un acte insoutenable), se trouvent légèrement en-deça du reste.

    En plus du plaisir de voir enfin un cinéaste français qui ne prenne pas de gants pour filmer la criminalité dans son pays, à la suite de certains américains et italiens, j'ai apprécié, comme tout le monde, l'interprétation d'ensemble, la solidité du scénario, le retour sur la thématique du lien filial construit et coupé, la gestion du temps (plus de 2h30 sans regarder sa montre) et l'équilibre tenu entre la fascination et la répulsion (jusqu'à la scène finale).

    Alors quoi ? Audiard, après trois films déjà remarquables, avait passé un palier avec De battre mon coeur s'est arrêté (2004), entre autres grâce à la mise en scène des corps, au travail réalisé avec Romain Duris, à l'appel du pied vers le meilleur cinéma américain des années 70 (à propos d'Un prophète, on pourrait très injustement ironiser sur l'inscription scorsesienne, en arrêt sur image, des noms de certains personnages dans un coin de l'écran, en disant que l'on s'attend presque à entendre débouler les Rolling Stones sur la bande-son, mais Audiard, très raisonnablement, module son effet au fil du temps). Les mêmes qualités se retrouvent d'un film à l'autre et on sent qu'il ne reste plus qu'une marche à gravir, vraiment pas loin, celle qui mène au chef-d'oeuvre. Peut-être faudra-t-il revoir Un prophète dans dix ans pour décider s'il se tient toujours juste en dessous du meilleur film français sur le sujet (Le Trou de Jacques Becker) ou s'il en est l'égal.

  • Les derniers jours du monde

    (Arnaud et Jean-Marie Larrieu / France / 2009)

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    lesderniersjours.jpgOn ne peut pas dire que Les derniers jours du monde, le nouveau film des frères Larrieu, soit tendu comme un string, tant au niveau du scénario qu'à celui de la mise en scène. Ça flotte, ça tangue, ça digresse, ça monte, ça descend, c'est de l'à-peu-près et du n'importe quoi, c'est foutrement inégal et, en bout de course, fichtrement intéressant.

    Robinson (attention, ceci est une piste !) Laborde est un homme déboussolé par sa liaison adultère avec Laetitia, une jeune brésilienne. Ayant perdu la trace de celle-ci, vivotant seul dans son appartement à Biarritz, il observe, détaché, le chaos dans lequel est plongé le monde entier : attentats, attaques de missiles, empoisonnements des ressources, catastrophes naturelles, fuites des gouvernants, exodes des populations...

    Le récit de la passion qui emporte Robinson est menée de façon bien trop routinière : calepin d'écrivain, voix off, flash-backs. De plus, les Larrieu ont choisi pour le rôle de Laetitia une actrice au charme étrange... et auquel je suis resté totalement étranger. On doit alors résister à quelques escapades amoureuses toutes plus soporifiques les unes que les autres : la plage naturiste, le voyage à Taïwan, le mini-polar au Canada. Mathieu Amalric, qui doit faire avec une prothèse en lieu et place de sa main droite (un pauvre Mac Guffin plus encombrant que burlesque), n'a pas à se forcer pour rendre l'hébétude de son personnage avec ses yeux globuleux, sa coiffure et sa dégaine. Les cinéastes auraient donc pu tout aussi bien se limiter à une simple évocation de son passé par la parole, comme ils l'ont fait pour celui d'Ombeline, la libraire qui croise Robinson à Biarritz et qui l'accompagne vers l'Espagne au moment de l'évacuation de la Côte Atlantique.

    Ombeline, c'est Catherine Frot et c'est tout un poème. Impériale, l'actrice s'offre une petit moment d'anthologie : un monologue lâché par inadvertance sous l'emprise de la sangria (une séquence d'ivresse réussie c'est rare). Plus loin, au moment où elle apprend que Toulouse devient capitale de la France et que chacun doit y rester, elle aura cette réaction admirable : "J'aurai préféré Bordeaux. J'y ai des amis qui auraient pu nous loger dans leur château. On aurait pu faire l'amour et boire du vin toute la journée." Aux côtés de Mme Frot, Karin Viard n'est pas en reste, libérant le troublant érotisme de la mère de famille, et Sergi Lopez est égal à lui-même, terriblement doux et légèrement inquiétant.

    Peu à peu, le vide se fait autour de Robinson, ce qui nous le rend plus proche et plus émouvant, alors que ses premières larmes (l'aveu de son adultère) ne convainquaient qu'à moitié. Ce qui nous amène à ce thème, ambitieux, de la fin du monde. Qui l'eût cru, voilà l'endroit où les Larrieu réussissent le mieux à emporter notre adhésion. Sur ce plan-là, le début est certes également hésitant. On passe ainsi, avec étonnement, de la panique de l'exode depuis Biarritz à l'insouciance de la feria de Pampelune. La population en rouge et blanc semble bien indifférente aux problèmes du monde. Filmer de manière documentaire cette marée humaine apporte cependant, indirectement, de l'eau au moulin des cinéastes : ces plans impressionnants captent dans le même mouvement l'archaïque, l'apocalyptique et le vivant.

    Tout le long du périple de Robinson, un équilibre est maintenu entre l'absurde et le dramatique. L'image de la biche dans une rue déserte a trop souvent été employée ailleurs pour garder toute son étrangeté mais celles de Paris traversé à la seule lueur d'une lampe torche ne s'oublieront pas de sitôt. L'état de guerre et de catastrophe est simplement et remarquablement rendu. Les comportements de chacun paraissent bien vus, la plupart des survivants profitant de l'inconséquence soudaine de leurs actes (coucher avec son père, fracasser la tête d'un homme, vivre intensément, souvent par le sexe, chaque nouvelle rencontre...).

    Ainsi, à l'image de la musique, qui passe des bandas du Pays Basque à Bertrand Burgalat et Léo Ferré, le film s'améliore au fil de ses 2h10 (la longueur, c'est de saison). Le temps passe sans que les Larrieu ne paraissent vouloir en finir. On est toujours dans le n'importe quoi, mais on s'habitue, on profite, on est de mieux en mieux. On passe par un château où se tiennent des orgies bunuéliennes et on se quitte après un final astucieux et touchant, dans lequel les cinéastes trouvent une équivalence inversée au plan attendu de l'homme seul dans la ville fantôme : deux corps nus courant dans des rues bien vivantes.