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  • L'ange exterminateur

    (Luis Bunuel / Mexique / 1962)

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    Après l'opéra, les Nobile reçoivent chez eux vingt personnes du beau monde. Etrangement, tous leurs domestiques s'empressent dans le même temps de quitter la maison. A l'issue du dîner, les invités, pourtant fatigués, trouvent des excuses pour ne pas partir et se voient finalement dans l'impossibilité de sortir du salon. Ils restent ainsi cloîtrés plusieurs jours, les gens de l'extérieur ne passant pas, quant à eux, le portail de la demeure. Tel un petit groupe de rescapés livrés à eux-mêmes, ils doivent s'organiser malgré les tensions qui ne manquent pas d'éclater. Ils trouveront tardivement un moyen de sortir de cette situation absurde, mais la délivrance ne sera qu'illusoire.

    L'ange exterminateur (El angel exterminador) peut se laisser voir trois fois, quatre fois, indéfiniment, son mystère n'est jamais totalement percé. Luis Bunuel l'a voulu ainsi : insaisissable, irréductible à toute interprétation univoque, irrécupérable. Contrairement à L'âge d'or ou au Charme discret de la bourgeoisie, dont la force subversive découle en grande partie de constructions narratives déconcertantes, L'ange exterminateur apparaît paradoxalement comme l'un des films les plus réalistes de Bunuel. Le récit est ici linéaire. Les quelques rêves et hallucinations sont clairement circonscrits (et marquants : le très étrange songe collectif ou le cauchemar de la main coupée). La description des lieux et des personnages est des plus rigoureuse.

     

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    A chaque nouvelle vision, on reste stupéfait par la maîtrise du cinéaste dans le glissement vers l'irrationnel, tout en petites touches. Dès le début, au milieu d'amabilités convenues, des paroles semblent à double sens (souvent sexuel) quand d'autres ne semblent pas en avoir du tout. Mais avant même d'entendre ces conversations, et déjà étonnés du comportement des domestiques, nous  avons été troublés par un drôle de manège : nous avons vu les invités entrer deux fois dans le hall et leur hôte s'inquiéter de la même façon, doublement, de l'absence de son serviteur Lucas. Ceci n'est en fait que la première manifestation de la figure la plus notable du film : la répétition. Ainsi Nobile portera deux fois le même toast, deux invités se présenteront l'un à l'autre à plusieurs reprises dans la soirée, deux mains surgiront de l'armoire, le troupeau d'agneaux reviendra dans l'épilogue etc...

    angeb.jpgangea.jpgMais toutes ces répétitions, et c'est là tout le génie de Bunuel, ne se font pas de manière mécanique ni identique. Ainsi, l'arrivée des convives est filmée la seconde fois dans un rythme imperceptiblement différent et dans un cadrage légèrement rehaussé. Ce très léger décalage provoque un sentiment étrange, le spectateur percevant une image à la fois identique et à la fois différente. Bunuel joue en virtuose autour de cet entre-deux, faisant preuve d'une subtilité et d'une élégance confondante dans la description d'une situation si anormale. Une nouvelle preuve parmi d'autres : au début du repas, la chute du domestique avec son plateau est-elle vraiment un gag inventé par la maîtresse de maison, comme semblent le croire les invités ? Rien, bien évidemment ne nous en assure.

    On pourrait craindre que cette insolite claustration soit alimentée, à force, par des procédés d'écriture arbitraires. Il n'en est rien car là aussi, Bunuel fait preuve d'une intelligence incroyable. Chaque tentative de départ avortée d'un invité prend une forme différente. Le renoncement soudain sur le seuil peut être provoqué par un élément réaliste et crédible (l'arrivée du petit déjeuner qui redonnera des forces avant de partir), par un effondrement nerveux qui rameutera les autres convives, relancera le récit et recentrera l'action au milieu de la pièce, ou par une hésitation plus elliptique mais commentée en retrait par un petit groupe inquiet ("Regardez, ils vont s'arrêter... N'est-ce pas étrange ?"). Cette situation ne peut donc qu'être acceptée et alors, tout peut se détraquer petit à petit, le premier repère à se brouiller étant la notion du temps (personne ne réussissant précisément à savoir depuis combien de jours dure cette comédie).

     

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    Pendant 1h15, vingt protagonistes se croisent dans un décor unique (seules quelques échappées vers la rue sont accordées au spectateur). Par de délicats mouvements de caméra, on passe d'un petit groupe à un autre, au gré des conversations et des mouvements. Dans ce salon, Bunuel ne semble jamais choisir un cadrage ou un angle de prise de vue déjà utilisé auparavant. Comme s'il s'agissait d'épuiser toutes les possibilités avant de retomber au point de départ. C'est une fois que tous les recoins ont été scrutés, toutes les combinaisons ont été essayées, que le film peut s'arrêter, et par conséquent, le sortilège peut être levé. Les invités prennent conscience qu'après tant de jours passés dans cet enfer, ils ont retrouvé la place exacte qui était la leur au premier soir. Il leur suffit donc de rejouer le moment du départ pour, cette fois-ci, passer enfin le seuil. Dans le récit de L'ange exterminateur, il n'y a pas d'autre logique qu'une logique esthétique.

    Bunuel s'est toujours refusé à donner la moindre clé concernant son oeuvre, se bornant à répéter son avertissement initial : "La meilleure explication c'est que, raisonnablement, il n'y en a aucune." Inutile de convoquer le surnaturel. D'ailleurs, l'inefficacité des rituels superstitieux ou maçonniques est raillée, abaissant ceux-ci au même niveau que les ridicules croyances de la religion officielle. L'un des murs du salon se présente sous la forme de trois grands placards ornés d'images pieuses. Sous la protection des grands saints et à l'abri des regards, dans le premier, on se soulage dans des vases antiques, dans le deuxième, on cache les morts et dans le troisième, on consomme avant le mariage. La belle Silvia Pinal, après Viridiana, joue Leticia, qui sacrifiera sa virginité, se donnant derrière un rideau à Nobile dans un abandon qui déclenchera la sortie de la crise. L'athéisme (parfois ambigu) de Bunuel a toujours été réjouissant.

     

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    Parmi toutes les pistes broussailleuses qu'emprunte le film, il en est une qui paraît tout de même plus dégagée que les autres, celle d'une certaine vision politique et sociale. Tout d'abord, ce sont les domestiques qui sentent mieux que les autres que quelque chose va advenir. Seul le maître d'hôtel reste au service de ses patrons. Restant la première nuit dans la pièce adjacente au salon maudit, il finit par rejoindre les prisonniers. L'absence totale d'explication rationnelle à cette claustration laisse penser que celle-ci est finalement inconsciemment volontaire. Les us et les coutumes de la haute bourgeoisie ainsi poussés à l'extrême provoqueraient cet enfermement. La politesse empêche de partir. La volonté d'éviter à ses condisciples la honte pousse chacun à adopter les mêmes comportements, y compris les plus inconvenants. Le respect de l'étiquette ne peut mener qu'au conformisme et à la mort. Car la situation devient vite intenable. Tout ce que ces gens repoussent habituellement (vulgarité, crasse, laisser-aller...) s'infiltre irrémédiablement dans leur petit cercle. Mais c'est bien de l'intérieur que cette classe pourrit, contrairement à ce qu'elle croit (quand Leticia lance un cendrier à travers la vitre de la salle à manger, un convive, en pleine discussion dans la pièce d'à côté, pense que ce fracas est dû à "un juif qui passait").

    L'avertissement que constitue une telle mésaventure ne suffira pourtant pas. L'épilogue en donnera la preuve et cette fois la rue grondera de mouvements révolutionnaires. Cependant, Bunuel est bien trop malin pour brandir aussi simplement un drapeau. Il ne montre, brièvement, que des prémisses, une agitation, une répression militaire et termine sur un fameux plan de moutons s'engouffrant dans l'église où se rejoue le drame. Même la clé politique n'est donc pas dépourvue d'ambiguïtés et c'est bien cette position de méfiance devant toutes les idées reçues, doublée d'un rire salvateur, qui garantit la permanence de la place du cinéaste parmi les plus grands. Quand à cet Ange, précisément, on peut lui accoler facilement une bonne demie-douzaine de chefs-d'oeuvres bunueliens, s'étalant sur plus de quarante ans, mais il reste, je crois, le plus cher à mon coeur.

    Photos : dvd Calysta

  • Heat

    (Paul Morrissey / Etats-Unis / 1972)

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    heat.jpgAu sein de la production underground new yorkaise des années 60/70 chapeautée par Andy Warhol, les films réalisés par Paul Morrissey sont réputés comme étant les plus accessibles, intégrant quelques règles établies de narration et de technique que refusait d'utiliser le maître de la Factory dans ses propres oeuvres. Heat a l'aspect chaotique d'un documentaire avec l'enregistrement du son en direct (on entend régulièrement la circulation aux alentours du motel) et une lumière naturelle. Le découpage des séquences se fait plus volontiers à l'intérieur des plans, à coups de zooms et de recadrages, que par un montage classique. Les images ainsi captées à la volée peuvent laisser l'impression d'un style approximatif, bien que l'on remarque de ci de là d'évidentes compositions plastiques.

    Dans Heat, Paul Morrissey se penche sur Hollywood, côté cour. Il s'attache à des paumés, des marginaux, des has been, qui gravitent autour de la piscine d'un motel de Los Angeles, tenu par une grosse patronne aussi perverse que ses clients. Parmi ces artistes, apprentis-stars qui ne font plus la différence entre cinéma, télévision et shows érotiques, débarque Joey, un ex-enfant vedette, de retour de l'armée et d'autres galères. Arriviste mais sans trop faire d'efforts, il séduit la mère de sa voisine, actrice sur le déclin, riche et encore désirable.

    Le film ne cesse de se référencer au temps du glorieux Hollywood. Pendant le générique, on voit Joey se promener au milieu des décombres d'un vieux studio en démolition. L'ombre des stars du muet et des grands producteurs plane sur des villas devenues trop grandes. Les excès sentimentaux des protagonistes évoquent le mélodrame de la grande époque. Mais Morrissey insiste bien sur l'envers du décor, se focalisant sur son petit peuple de loosers, montrant en particulier ce qui était peu ou pas dévoilé alors : appât du gain, folie et, surtout, frasques sexuelles. De ce point de vue, Heat n'est pas un film piqué des hannetons et comme dirait l'Office Catholique, des images peuvent heurter. Le cinéaste joue autant avec les codes des genres cinématographiques qu'avec la censure, la limite avec le hard ne tenant guère qu'à la mince épaisseur d'un tissu qui ne cache pas grand chose de la forme se trouvant dessous. Ces scènes-là sont d'autant plus surprenantes qu'elles sont traitées avec le même naturel que le reste, allant parfois jusqu'à des plaisanteries hardies.

    C'est que, autre sujet d'étonnement, l'humour est constant. Certains dialogues sont franchement hilarants. On n'oubliera pas la réflexion de la mère à sa fille, fâchée que cette dernière vive avec une femme : "Tu n'es pas lesbienne, c'est provisoire" (et de fait, cela se révélera vrai); ni l'échange avec l'ex-mari, vivant lui avec un homo : "- Je ne veux plus que tu donnes tout mon argent à ce Jockey. - Il s'appelle Joey." Si l'esthétique à l'oeuvre, peu gratifiante, lasse parfois, elle porte cependant ses fruits lors des nombreuses scènes de ménage, assurément les meilleurs moments du film.

    Monstrueux ou touchants, les personnages semblent se confondre avec les acteurs hors-normes qui les incarnent. On sent une inégalité de jeu entre eux et à l'intérieur des registres de chacun, mais tous assument leur caractère tête brûlée. Joey c'est Joe Dallesandro, qui traverse le film en faisant converger tout les regards sans faire grand chose, magnifié en maillot de bain par une mise en scène qui doit beaucoup à l'imagerie gay. Sous sa longue chevelure, il est assez magnétique.

  • Êtes-vous Rohmerien(ne) ?

    manda.jpgLe résultat n'était pas forcément attendu : le réalisateur le plus cité au terme de la récente consultation lancée par Ludovic Maubreuil sur son blog Cinématique, en rapport avec ce qu'il reste du cinéma français de ces vingt dernières années, est Eric Rohmer.

    Rohmerien, je le suis assez, pour ma part, même si il a fallu un peu de temps pour que je le devienne. Si l'on n'a pas fréquenté son cinéma depuis un moment, entrer dès le début dans un film de Rohmer est rarement chose aisée. Le plus souvent, il faut compter quelques minutes d'acclimatation face à ces parlés très travaillés et cette mise en scène transparente (ce qui ne veut bien sûr pas dire inexistante, loin de là).

    A l'échelle de l'oeuvre entière, le sentiment est similaire. Je crois me souvenir avoir découvert le cinéaste à la fin des années 80, avec La collectionneuse et n'avoir guère apprécié ce style dandy et bavard. Le plaisir fut à peine plus vif avec Le genou de Claire ou L'ami de mon amie mais, au fil des films abordés dans le plus complet désordre, l'homme finit par m'intéresser. Quatre étapes importantes pour expliquer cela : La Marquise d'O... est le premier Rohmer à m'avoir vraiment marqué, bien que le film soit plutôt atypique par rapport aux autres (ou plutôt, compte tenu de mon regard d'alors, grâce à ses différences). Quatre aventures de Reinette et Mirabelle m'étonna ensuite agréablement par sa légèreté et sa liberté. Puis, devant Ma nuit chez Maud, vu à l'occasion d'une reprise en salles, l'évidence s'imposait. Enfin, lorsque je vis en rediffusion à la télévision le formidable documentaire de la série Cinéastes de notre temps (ou Cinéma..., je ne sais plus) consacré à Rohmer, j'y découvris un cinéaste s'exprimer sur son travail de façon incroyablement précise, comme jamais je n'avais entendu quelqu'un le faire à ce point.

    Parmi les titres remarquables de ces dernières années, j'aime moins que certains l'expérience osée de L'Anglaise et le Duc mais je place toujours au plus haut le Conte d'été, frémissant encore en pensant à ces retrouvailles avec la délicieuse Amanda Langlet, 13 ans après Pauline à la plage.

    **** : Ma nuit chez Maud (1969), Conte d'été (1996)

    *** : La Marquise d'O... (1976), Pauline à la plage (1983), Les nuits de la pleine lune (1984), Quatre aventures de Reinette et Mirabelle (1987), Conte d'hiver (1992), Conte d'automne (1998), L'arbre, le maire et la médiathèque (1993), Triple agent (2004)

    ** : Le genou de Claire (1970), Le beau mariage (1983), L'ami de mon amie (1987), Conte de printemps (1990), Les rendez-vous de Paris (1995), L'Anglaise et le Duc (2001)

    * : La collectionneuse (1967)

    o : -

    Pas vus : Le signe du lion (1959), La boulangère de Monceau (1962), La carrière de Suzanne (1963), L'amour l'après-midi (1972), Perceval le Gallois (1978), La femme de l'aviateur (1981), Le rayon vert (1986), Les amours d'Astrée et de Céladon (2007)

    A vos commentaires...

  • 1984

    (Michael Radford / Grande-Bretagne / 1984)

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    1984.jpgSi vous êtes un(e) visiteur(se) régulier(e) de ce blog, vous devez commencer à vous rendre compte de mon inculture littéraire. Je n'étonnerai donc personne en confessant ne connaître du mythique roman de George Orwell que quelques mots (Big Brother, guerre, totalitarisme, écrans...). Le film de Michael Radford ne sera donc pas jugé ici par rapport au livre (vos éventuels commentaires, positifs ou négatifs, sur l'adaptation elle-même sont bien sûr les bienvenus).

    Vu sans son référent, 1984se tient très bien tout seul et dégage une puissance et une cohérence peu commune. La première séquence est dédiée à l'un de ces meetings où des travailleurs sont abreuvés de discours belliqueux, par l'intermédiaire d'un écran géant. Tout en montrant, avec sa caméra balayant la foule, l'instrumentalisation des émotions, le lavage de cerveau et la véhémence de réactions dirigées, le cinéaste laisse deviner quelques espaces libres. Tous, dans la foule, ne font pas exactement les mêmes gestes et pas au même moment, certains regards fuient l'écran, une tête se retourne... Si le mécanisme abrutissant est bien à l'oeuvre, il reste (il restera toujours) du jeu dans la machine, il reste l'irréductible "esprit humain", comme le nommera plus tard Winston Smith.

    Celui-ci cultive en lui l'une des graines de résistance à un pouvoir autoritaire et tentaculaire qui, sous le prétexte de la guerre, maintient le peuple dans l'ignorance et la pauvreté, ré-écrit l'histoire et s'acharne à annhiler tout libre arbitre. Smith résiste tout d'abord en passant par l'écriture. Sur un cahier, à l'abri du regard de Big Brother, il ré-apprend à utiliser une langue que les dirigeants s'escriment à simplifier, à contrôler, à expurger, avec la même énergie qu'ils mettent à broyer les consciences individuelles. Il s'agit pour lui d'exercer par là une subjectivité qui lui est refusée (exercer car cela demande un réel effort).

    Parallèlement, Winston Smith s'engage sur une autre voie, tout aussi déviante au regard des autorités : celle de la passion amoureuse. Dans un monde où la voix du Maître se félicite de la chute du nombre de mariages, où l'on fait voeu de célibat et où l'on combat la recherche de l'orgasme, un nouveau couple se forme, décidé à assumer ses pulsions. "I want you" ne cessent de se dire Winston et Julia. L'appauvrissement imposé du langage redouble l'impact et la crudité de ces situations. La révélation soudaine des corps dans leur nudité crée le même choc. Ceux-ci se détachent des murs gris de la chambre et s'opposent aux uniformes qui sont partout. Rarement mise à nu d'une femme à l'écran (et d'un homme, mais, comme d'habitude, un peu moins) n'aura été autant justifiée scénaristiquement, esthétiquement et moralement.

    Dans le rôle de Julia, Suzanna Hamilton est une découverte, et pas seulement plastique, tant elle fait preuve de sensibilité. L'actrice n'est pas la seule à être digne de louanges. John Hurt traverse le film avec son corps souffrant et sa force intérieure. Devant lui se dresse un prodigieux et massif Richard Burton (dans son dernier rôle), qui incarne la toute puissance dictatoriale avec le minimum d'effets. Leur face à face final est d'anthologie.

    Michael Radford a su créer l'atmosphère pesante adéquate avec sobriété, lestant tous les décors d'une réelle présence. Il obtient un équilibre parfait entre flash-backs, divagations et réalité jusqu'à égarer doucement son spectateur. Dans la chambre, de très simples mouvements d'appareil partent de l'écran mural pour cadrer dans un recoin Winston Smith écrivant sur son journal. De beaux fondus enchaînés parsèment l'oeuvre, le plus marquant et le plus étrange nous amène vers un plan où Richard Burton tient dans ses bras John Hurt, qu'il vient de torturer. Le retour d'images identiques n'ennuie pas, la répétition étant l'un des fondements de la société décrite. L'utilisation de la musique participe pleinement à l'ambiance. Elle est signée par Dominic Muldowney et le fameux groupe électro-pop Eurythmics (sur la bande-son, pas de tube comme Sex crime, la voix d'Annie Lennox ne s'entendant que sur le générique de fin, mais des boucles synthétiques tout à fait pertinentes).

  • Collateral

    (Michael Mann / Etats-Unis / 2004)

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    collateral2.jpgCollateralest énervant et ce d'autant plus que le film de genre s'y drape d'esthétisme forcené. Michael Mann a eu ce qu'il a voulu : il passe maintenant pour un grand styliste...

    Nous n'avons pas tant là une oeuvre formaliste qu'un objet chichiteux, dans lequel le cinéaste ne se résout jamais à laisser passer un seul plan, même le plus bref, qui n'en mette plein la vue par le choix du cadrage, de la lumière ou de la composition interne. Ces effets à répétition donnent une esthétique chic et lisse qui sombre vite dans la vacuité clipesque. La bande son subit le même traitement hyper-chiadé (c'est la première fois que je me trouve devant une séquence de discothèque où l'on entend à peine la musique, et cela sans aucune raison). La bande originale, elle, se résume à une soupe rock-FM imbuvable.

    Tout ceci n'est encore rien à côté du scénario, dont nous devrions accepter la nullité sous prétexte de mise en scène "souveraine" et de récit à rebondissements. L'invraisemblable est partout : aucune péripétie n'y échappe. La moindre séquence de Collateral pourrait être contestée sur ce point, la plus ahurissante étant celle qui voit le brave chauffeur de taxi se substituer au tueur lors du rendez-vous avec les commanditaires.

    La relation qui se tisse entre les deux personnages principaux, que jouent mal Tom Cruise et Jamie Foxx, repose elle aussi sur du vide. La peur et la fascination mêlée, la tentation d'une autre vie, le flirt avec la limite : aucune piste n'aboutit, plombées qu'elles sont de toute façon par des touches d'humour pathétiques (la visite rendue à la mère hospitalisée) et par une philosophie de bazar. Car bien entendu, le tueur est la personnification du Mal et de ce fait, philosophe beaucoup. Une incarnation similaire mais ô combien plus inquiétante sera proposée par Javier Bardem, plus tard, chez les frères Coen (No country for old man). L'acteur espagnol tient un rôle secondaire ici, placé au centre d'une scène symptomatique de l'échec total du film. Dans la peau de celui qui tire les ficelles, il use de périphrases, prenant un détour idiot le menant vers une fable mexicaine sur Santa Claus au lieu d'avoir une discussion simple et claire. Mais Michael Mann n'est pas à un tic auteuriste près.

    Non content de nous faire subir d'incessants retournements de situations (le dernier, qui nous révèle l'identité de la dernière victime sur la liste, est affligeant), il se montre parfois d'une grande complaisance, comme dans cette scène où Tom Cruise dégomme deux petites frappes qui en voulaient à sa mallette. Tarantino a été lynché pour trois fois moins que ça. Que l'on ne s'inquiète pas, le héros noir, que toutes les polices prennent pour le tueur, ne sera pas abattu par erreur par les flics. Nous ne sommes pas chez Romero. Nous sommes plutôt à l'opposé du spectre : dans le douteux, le clinquant, la frime...

  • C'était mieux avant... (Octobre 1983)

    Je vous propose aujourd'hui d'aborder la deuxième étape de notre voyage dans le temps, entamé le mois dernier.

    Octobre 1983 dans les salles françaises, c'était ça :

    retourjedi.jpgLe retour du jedi, réalisé par Richard Marquand (qui ça ?), arrivait enfin sur nos écrans pour clore (provisoirement) la trilogie de George Lucas. J'avais bien évidemment adoré ça à l'époque (je vous rappelle que j'allais sur mes 12 ans), enthousiasmé par la course poursuite entre les arbres de la forêt des Ewoks et secrètement troublé par la tenue des plus légères de la Princesse Leia, prisonnière de Jabba. Cependant, il ne fallut pas attendre bien longtemps pour se rendre compte que l'épisode était de loin le plus faible des trois. Ma dernière visite de ce film impersonnel et gnan-gnan fut plutôt pénible, annonçant parfaitement les trois daubes numériques qui suivirent au tournant des années 2000. Mon excellent confrère Mariaque a d'ailleurs fait un sort à ce Jedi pas plus tard que l'autre jour.

    Mais à cette époque-là, il n'y avait pas que la guerre des étoiles, il y avait aussi la guerre des Bond. Deux mois avant Sean Connery (Jamais plus jamais), Roger Moore dégainait le premier dans Octopussy(de John Glen). Et moi, je ne comprenais pas pourquoi les plus vieux n'arrêtaient pas de dire que le deuxième ne valait pas le premier. Je le trouvais tellement cool Roger Moore...

    marginal.jpgHeureusement, face à ces mastodontes, le ciné français avait Bébel. Dans Le Marginal, il n'hésite pas à passer outre la loi pour désouder ces salauds de trafiquants de drogue et autres dépravés amateurs de cuir. Deray était derrière la caméra, Morricone à la musique et Audiard aux dialogues, mais est-ce pour autant regardable aujourd'hui ? Je vous pose la question.

    Le navet du mois devait être Le bourreau des coeurs(de Christian Gion, avec Aldo Maccionne). A moins que ce ne soit Staying alive, la suite de Saturday night fever, réalisé par Sylvester Stallone (le film obtient une note de cancre sur l'imdb : 3,8 sur 10). Je ne sais absolument pas (je vous demande de me croire) si je l'ai vu un jour.

    Compte tenu de tout cela, on se dit que c'était bien Papy fait de la résistance qui remplissait le mieux son contrat de film populaire. La comédie prestigieuse et pluri-générationnelle de Jean-Marie Poiré tient encore le coup, offrant notamment à Villeret et à Jugnot l'occasion de grands numéros. Parmi les films inlassablement rediffusés par la télévision, voici l'un des rares qui arrive à nous accrocher cinq minutes lorsque l'on tombe dessus.

    Trois oeuvres a priori intéressantes sortirent également en octobre : Vive la sociale !(Gérard Mordillat), Poussière d'empire (Lam Le) et En haut des marches(Vecchiali). Parmi les autres films, je savais que Le général de l'armée morteréunissait Mastroianni et Piccoli, mais je n'avais aucune idée du réalisateur (c'est un certain Luciano Tovoli). Enfin, la découverte est peut-être à chercher du côté de Racket (The long good friday), polar britannique de John McKenzie, avec Bob Hoskins et Helen Mirren.

    cinematographe93.jpgDans les kiosques, Première (79) offrait sa couverture aux comiques de Papy... (il me semble me rappeller que la campagne de publicité avait été rondement menée). La revue du cinéma (387) choisissait de soutenir Le destin de Juliette d'Aline Issermann (qui sortit en septembre de cette année-là, ce que j'ai oublié de mentionner le mois dernier). Du côté de Starfix (8), on mettait en vedette un Guerrier de l'espace croquignolet, qui ne semble pas avoir laissé de souvenir impérissable. Les deux soeurs-ennemies, Positif (272) et les Cahiers (352), apparemment peu inspirées par l'actualité, préféraient se projeter vers l'avenir, en présentant deux films très attendus, qui n'allaient sortir qu'au mois de janvier 84 : Et vogue le navire de Fellini et Prénom Carmen de Godard. Une photo de Danielle Darrieux, interprète du Vecchiali, ornait la couverture de Cinéma 83 (298). Et c'est la grande Lilian Gish qui illuminait celle de Cinématographe (93).

    Voilà pour Octobre 83. La suite le mois prochain...

    (P.S. le 06/10/08 : la sortie française de Honkytonk man de Clint Eastwood est datée, selon les sources, de début octobre ou de mi-novembre. Nous en reparlerons donc le mois prochain. Il serait en effet dommage de ne point l'évoquer.)