Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

grande-bretagne - Page 4

  • Innocents

    (Bernardo Bertolucci / France, Grande-Bretagne, Italie / 2003)

    ■■■□

    1797905959.jpg"La rue est entrée dans la chambre". Vers la fin d'Innocents (The dreamers), Isabelle explique ainsi le bris de glace, provoqué par un pavé, à Matthew et Theo, réveillés en sursaut. L'incident semble n'exister que comme tour scénaristique un peu forcé. Mais il y a le rythme que Bertolucci donne à sa scène, l'affairement d'Isabelle occupée à cacher quelque chose aux deux autres et surtout cette phrase, qui sonne comme une belle trouvaille, appropriée à la fois à l'instant et à l'heure et demie que nous venons de passer avec ces trois personnes. Tout le charme fragile du film est résumé dans cette scène.

    Bertolucci replonge dans 68. Il démarre son récit (après un superbe générique) par une évocation de l'affaire Langlois. Matthew, le jeune étudiant américain, fait la connaissance d'Isabelle et Theo, soeur et frère, lors d'une manifestation organisée à la Cinémathèque et visant à soutenir son directeur, menacé par le Ministère. La reconstitution est appliquée, mais déjà, Bertolucci tente un coup audacieux : mêler des plans actuels de Jean-Pierre Léaud (et de Jean-Pierre Kalfon) en train de rejouer ce qu'il faisait à l'époque (harangue au mégaphone, lancer de tracts...) aux images d'archives réelles, allant jusqu'à raccorder les unes aux autres dans le mouvement et créant ainsi une émotion inédite. Plus que sur la politique, c'est sur la cinéphilie que se forme le trio. Matthew a tôt fait d'emménager chez ses deux nouveaux amis, d'autant plus facilement que les parents de ceux-ci doivent quitter l'appartement pour plusieurs jours. S'ensuivent des discussions tournant autour du cinéma, des devinettes, des mimes entretenant la mémoire et les connaissances de chacun. Parfois, comme pour situer les événements de mai, la patte de Bertolucci se fait un peu trop pédagogique (la comparaison entre Chaplin et Keaton ou l'inévitable blague à propos de Jerry Lewis, génie vu de France et pitre sans intérêt vu des Etats-Unis). La plupart du temps, c'est le plaisir de la citation qui l'emporte, essentiellement grâce au choix du cinéaste d'insérer dans son film des extraits des titres évoqués. Une simple énumération verbale serait vite lassante. Montés avec bonheur, ces flashs de classiques en noir et blanc donnent une autre dimension émotionnelle à la chose (mais le même principe appliqué à la musique, avec l'utilisation parsemée dans tout le récit de célèbres partitions, passe moins bien).

    Puis, la politique et la cinéphilie disparaissent. L'enfermement des trois se fait total dans ce luxueux appartement et les jeux se font sur le terrain de la séduction et du sexe. Il n'y aura plus d'extraits (sauf un, de Mouchette, pour le coup pas indispensable). La caméra joue merveilleusement de ce décor aux larges pièces et aux couloirs étroits. L'appartement est un lieu à la fois vaste (on y joue à cache-cache) et exigu (on est toujours collé l'un contre l'autre). Une belle scène montre cela clairement : trois corps sont recroquevillés dans une petite baignoire, au milieu d'une grande salle de bain. L'inceste, l'autodesctruction, les rapports de force (qui s'inversent joliment par rapport à la donnée de départ : le couple cool qui déniaise le troisième), le repli : tout cela sonne fort. Pourtant, jamais le film ne tend vers la noirceur du Dernier tango à Paris. Extrêmement vivant, Innocentsest surtout un film diablement sexy. Des trois jeunes comédiens, Michael Pitt, tout à fait crédible, qui était là entre Bully et Last days, est le plus étonnant. Louis Garrel, que je découvre sur un écran à cette occasion, est très bien (même si il m'a semblé l'avoir vu faire son Léaud dans deux ou trois scènes, mais c'est pas très gênant). Quant à Eva Green, elle est... hum... comment dire ça... affriolante est un peu faible... enfin vous comprenez.

    N'ayant plus rien vu de Bertolucci depuis la sortie d'Un thé au Sahara en 90, je n'attendais pas grand chose d'Innocents. En passant sur quelques scories (le retour des parents, des scènes de rue moyennes...), la surprise en est donc d'autant plus agréable.

  • Orange mécanique

    (Stanley Kubrick / Grande-Bretagne / 1971)

    ■■■■

    Mon (déjà ancien) projet de me procurer tous les films de Kubrick disponibles en dvd pour passer quinze jours à les revisiter un par un étant en veilleuse, je profite qu'Orange mécanique (A clockwork orange) soit encore frais dans ma mémoire après l'avoir revu il y a quelques semaines, pour lâcher diverses remarques sur ce classique par ailleurs mille fois commenté :

    676449149.jpg

    - L'introduction est toujours aussi saisissante : les trois premières séquences démarrent de la même façon par un plan fixe de détail en amorce et la vision qui s'élargit grâce à un travelling arrière.

    - Trois parties dans le film, mais aussi un renversement en miroir : avant son arrivée à l'hôpital, Alex est confronté tour à tour au clochard, à ses Drougs devenus policiers et à l'homme de la villa. Le bourreau est devenu victime et la violence s'est déplacée.

    - Le montage court le dispute aux plans séquences fixes. Souvent, les protagonistes déboulent du fond du décor, façon de mettre en valeur les volumes.

    - Orange mécaniqueimpose une heure de représentation de la violence, de sa jouissance et de son absurdité, filmée à l'exacte distance. Cette violence est "chaude" (l'instinct, l'énergie déployée, les sauts aériens dans l'affrontement avec le gang rival) ou "froide" (l'agression préparée du couple, les coups donnés par Alex qui chante a capella). Passée cette première partie, viennent la prison et la politique. Le rythme se calme, dans un ralentissement propice à la réflexion sur la violence et ses différentes formes, en attendant un nouveau déchaînement dont Alex sera cette fois la victime.

    - Comme tous les Kubrick, c'est un film-monde, une bulle autonome. Cette société n'est pas très éloignée mais ce n'est pas tout à fait la nôtre (aucun plan de rue réaliste avec figurants). Elle est à la fois futuriste et passée. Le film est-il vraiment une mise en garde ? Pas sûr. C'est en tout cas un constat, une vision politique claire et l'aboutissement d'une pensée pessimiste.

    1878110637.jpg

    - Le souvenir de la violence atténue dans la mémoire l'importance de l'humour noir, du grotesque, du masque. L'expressivité des visages est poussée jusqu'à la grimace et une étrange absurdité baigne quelques scènes.

    - On y voit tous les films suivants se coltinant le thème de la violence, les meilleurs comme les pires. Les traces les plus évidentes se retrouvent dans les recherches esthétiques de Gaspar Noé, dans l'inquiétude et le grotesque chez Lynch, et dans le regard froid de Haneke.

    - Film important, fort et clair, passage obligé de nos jeunesses cinéphiles, parmi les nombreux monuments Kubrickiens, celui-ci, en dehors du problème d'un vieillissement esthétique sans doute plus rapide que les autres, serait le chef-d'oeuvre imparfait (la partie centrale à la prison un peu plus faible), en comparaison duquel on préfère quatre ou cinq autres titres plus beaux, plus humains, plus tristes ou plus mystérieux.

    Photos : premiere.fr et dvdbeaver.com

  • La ronde de nuit

    (Peter Greenaway / Grande-Bretagne - Pays-Bas - Pologne / 2007)

    ■■□□

    772942635.jpgRetour en demi-teinte pour Peter Greenaway avec cette évocation d'épisodes de la vie de Rembrandt s'articulant autour de la réalisation du tableau La ronde de nuit. Celui-ci est censé glorifier une milice, soit une quinzaine de gardes civiles, personnalités de haut rang aux fortes ambitions marchandes et politiques. L'oeuvre a fait date en rompant avec les conventions picturales en vigueur, notamment par la présentation dynamique des corps en un temps où les peintres proposaient dans cet exercice des portraits figés.

    Toujours stimulé par les jeux intellectuels, Greenaway, partant de ce tableau aux nombreux détails énigmatiques, a développé une intrigue montrant que Rembrandt, s'acquittant à contre-coeur de cette commande, a peint sciemment une oeuvre accusatrice révélant les activités meurtrières de ses commanditaires. Cependant, si l'on s'attend à une sorte d'enquête criminelle par le biais de l'art, La ronde de nuit (Nightwatching) déçoit quelque peu. Je me suis retrouvé fréquemment perdu au milieu de ces multiples personnages sollicitant Rembrandt et le goût de Greenaway pour les références culturelles et les phrases à double sens ne m'a guère aidé à reprendre pied. On finirait par croire le film réservé aux spécialistes de la peinture du XVIIe. Si l'on a plaisir à retrouver l'esthétique théâtrale si particulière du britannique, elle semble ici plus froide, comme en sourdine (à l'instar de la musique, qui n'est pas signée cette fois-ci par Michael Nyman).

    Le film est long (2h25) mais, oserait-on-écrire, plus long au début qu'à la fin (ce qui vaut mieux que l'inverse). Car au bout d'une heure, Greenaway daigne enfin nous montrer le fameux tableau et ses indices. La confrontation des sujets-commanditaires avec le résultat final, organisée et théâtralisée par Rembrand, est une scène formidable qui éclaire enfin et accélère le récit. Dans le même esprit, la discussion lors de l'exposition du tableau, cet échange entre Rembrandt et De Roy, fait office pour le spectateur d'explication de texte pédagogique tout à fait bienvenue et pertinente. Ainsi, c'est bien dans cette seconde partie du film que l'on retrouve toutes les qualités du cinéaste. La scène de la mort de Saskia arrive à émouvoir grâce à la distanciation. La répétition, procédé qui donna de si belles choses dans les années 80 chez Greenaway, charge d'émotion également les trois apartés que Rembrandt réserve au spectateur pour présenter ses trois femmes successives. Se remarquent enfin les obsessions habituelles du gars Peter : corps singuliers offrant une fois dénudés une beauté certaine et cohabitation dans les dialogues d'un langage savant et d'invectives grossières.

  • It's a free world

    (Ken Loach / Grande-Bretagne / 2007)

    ■■■□

    381870e2ba3d5cd186fe818600361bd6.jpgSi différents et étalés sur plus de 15 ans, les trois derniers films évoqués sur ce blog (Le couperet, Une époque formidable et  It's a free world, auxquels on peut ajouter La graine et le mulet) ont le même point de départ : "A la suite d'un licenciement brutal, le héros décide de...". Comme quoi, l'époque est toujours aussi formidable.

    Ken Loach, mine de rien, continue de bâtir son oeuvre de description de la société britannique depuis les années 60, avec une régularité et un maintien digne d'un Woody Allen. It's a free world est l'un de ses opus les plus politiques et l'un des moins manichéens (manichéisme auquel se laissent aller aisément certains de ses commentateurs, même les mieux réceptifs, à coups de formules choc, du genre "Ken Loach repart en guerre", "Si il n'en reste qu'un", etc...). Car ici, la complexité des caractères et l'ambiguïté des actes montrés, ceux-ci pourtant lestés de plus en plus de gravité, sont préférés au développement d'un récit séparant clairement méchants exploiteurs et gentils exploités.

    Dans l'évolution du personnage principal d'Angie, si il y a certes différents paliers franchis vers la déshumanisation des rapports sociaux, il est cependant faux de présenter la jeune femme comme une victime innocente qui serait poussée par les circonstances à se transformer en bourreau. Les séquences introductives nous la montrant, avant son licenciement, au service de l'entreprise de recrutement, n'offrent pas un éclairage particulièrement sympathique. Indiscutablement, le détournement des valeurs part, chez elle, de bien plus loin (et ses discussions avec son père, ancien ouvrier en son d'autant plus intéressantes). L'idée qui donne tout son intérêt au film est bien le choix par Loach, par son scénariste Paul Laverty et par l'actrice Kierston Wareing, de faire du personnage d'Angie le parfait symbole de l'époque actuelle. Son apparente sincérité, sa façon d'assumer ses décisions les moins excusables, sa croyance dans la fin qui justifie les moyens, voici des traits bien partagés par tous les tenants du libéralisme décomplexé. Angie, jouant de son image sexy jusqu'à la vulgarité, séduit avec appétit en même temps qu'elle se sert des hommes qui lui plaisent (très adroitement, les scènes où elle vient en aide à des immigrés sont en général suivies par des scènes où ses protégés lui servent d'interprètes et lui ouvrent de nouveaux marchés). Dans le même élan, sans y chercher la moindre contradiction, elle laisse parler ses sentiments et elle profite des autres, comme certains, d'un même mouvement, peuvent abolir la double peine et établir des quotas d'expulsions. Angie est bien dans l'air du temps.

    Jusqu'au bout, Ken Loach tient cette ligne. En collant à la trajectoire d'Angie celle de son amie Rose, il peut la moduler, lui faire faire des allers-retours d'un côté et de l'autre de la ligne à ne pas dépasser. Ainsi, le scénario ne fait pas porter à l'une toute l'antipathie que le spectateur peut avoir à un moment ou à un autre. Cette amitié qui lie les deux associées, permet notamment la scène où celles-ci se mettent à la recherche des numéros de portables de leurs intérimaires pour finir leur soirée avec deux beaux mecs. Un simple délire entre copines symbolise alors très subtilement non pas tant la réduction d'êtres humains au statut d'objet sexuel que leur exploitation sociale.

    Sur la fin, une succession de fils dramatiques un peu gros (pêché mignon de Loach et Laverty, mais reconnaissons que la scène de l'enlèvement est forte), n'empêche pas le film d'aller au bout du propos sans terminer sur une morale. Notons également, une nouvelle fois, la sensibilité et la justesse du Ken Loach des séquences familiales ou de la romance sans faux-semblants entre Angie et Karol.

  • Baroud

    (Rex Ingram et Alice Terry / France - Grande-Bretagne / 1932)

    □□□□

    3f539018d8078d13801326b99cd2ac47.jpgRex Ingram, bien oublié aujourd'hui, était l'un des plus prestigieux réalisateurs du temps du muet. Balayé par l'arrivée du parlant, il ne signa comme film sonore que ce Baroud (prononcer baroude, "guerre" en arabe), en tandem avec sa femme Alice Terry. Comme cela arrivait souvent à l'époque, cette coproduction fut tournée en deux versions, l'une française, l'autre en anglais, avec pour cette dernière l'interprétation du premier rôle par Ingram lui-même. C'est la version française que Patrick Brion diffusa en 2007 au Cinéma de minuit.

    Le Maroc sous protectorat français est le cadre d'un mélodrame se nouant entre Zinah, une princesse arabe, son frère soldat Si Hamed, et l'ami de celui-ci, le sergent André Duval, bientôt amant de la première. A cette trame s'ajoutent les attaques, contre la communauté et les militaires, lancées par le chef de bande Si Amarock. Si les premières séquences laissent espérer, par les nombreuses vues documentaires, un regard pertinent (Ingram était apparemment un grand connaisseur du Maghreb et s'est converti à l'islam plus tard), la suite nous fait vite déchanter. Le jeu des comédiens paraît affreusement daté, la palme revenant sans conteste à Roland Caillaux dans le rôle d'André. Tous parlent très dis-tin-cte-ment et avec beaucoup d'emphase. Les scènes de discussions en studio sont particulièrement mauvaises. Petit à petit, le film prend sa place au sein du cinéma colonial de l'époque. Jamais le peuple marocain n'est filmé à hauteur d'homme. Aucun des personnages d'Arabes n'est interprété par un acteur de cette origine : la sud-américaine Rosita Garcia joue Zinah, Philippe Moretti est Si Allal, Pierre Batcheff est Si Hamed et Andrews Engelmann est un impayable Si Amarock. Personne n'essaie même de prendre le moindre accent local. Des touches humoristiques grossières sont portées par des silhouettes secondaires : autour de Mabrouka, la nourrice du palais, très mal jouée par Arabella Fields, cela devient carrément gênant tellement c'est idiot. Le sauvetage de dernière minute, qui de Griffith a gardé la naïveté en oubliant la tension et la poésie, n'avait pas tellement lieu d'être vu que ces Arabes tombent sous les balles comme des mouches (ou comme des Apaches). La seule chose à sauver de ce monument est le traitement de l'affaire d'honneur qu'est la liaison entre André et Zinah. Le dénouement honnête de cette crise étonne agréablement. Mais combien le dilemme aurait-il été ressenti plus fortement si le rôle de Si Hamed avait été donné à un maghrébin ?

  • Le chevalier sans armure

    (Jacques Feyder / Grande-Bretagne / 1937)

    ■□□□

    51bb6a449e88a4ffd6c3d3cb93f62ffe.jpgEn 1913, un journaliste anglais, correspondant en Russie, est menacé d'expulsion par le régime tsariste, se fait embaucher par l'Intelligence Service afin d'infiltrer les mouvements révolutionnaires, est déporté en Sibérie à la suite d'un attentat dont il n'est pas l'auteur, est libéré par la Révolution de 1917, devient adjoint d'un commissaire du peuple, sauve de la fusillade une comtesse et l'entraîne dans un périple au coeur de la guerre civile. Et là, les péripéties commencent vraiment...

    Aussi rocambolesque que soit cette trame, cette première partie du Chevalier sans armure (Knight without armor) s'avère assez remarquable. Feyder croise habilement les trajectoires du journaliste (Robert Donat) et de la comtesse Vladinoff (Marlene Dietrich, quand même), avant qu'ils ne se rencontrent réellement : inconnus dans la foule de l'hippodrome londonien, se frôlant sans se remarquer dans un couloir de wagon ou embarqués dans deux trains aux destinations opposées. Les moyens importants dont a pu profiter le cinéaste français lui permettent de passer sans heurts des scènes extérieures mouvementées aux décors intérieurs travaillés. La mise en scène est fluide et prolonge les expériences du muet dans les éclairages et les travellings.

    Le basculement vers la romance ballottée par les événements affaiblit l'ensemble. Surtout, ce qui pouvait passer au départ pour une vision d'ensemble dépassionnée de la guerre civile russe, pointant l'absolutisme du pouvoir tsariste autant que les excès révolutionnaires, se révèle au bout du compte une désagréable entreprise pour renvoyer les deux camps dos à dos. Le choix de montrer une exécution à la mitrailleuse par les Rouges, cinq minutes après celle effectuée par les Blancs, avec exactement le même cadrage, ne laisse pas le moindre doute là dessus. L'observation d'un pays en plein chaos, entre exodes, trains bondés et camps de prisonniers, est loin d'être ridicule, mais le seul personnage lucide est anglais et son amoureuse est si peu russe (comment la croire quand elle dit que "cette forêt c'est chez elle", quand on l'a vue si à l'aise au sein de la haute société britannique). L'impression se fait de plus en plus gênante, redoublée qu'elle est par le détachement affiché par les tourtereaux et par la facilité de leurs multiples évasions. Dietrich trouve le moyen de se baigner dans un lac en plein hiver russe, Donat se tire de toutes les situations sans tirer un coup de feu et l'American Red Cross permet à ce beau monde de sortir de l'enfer. La fin de ce mélo historique est aussi pénible que son début était soigné.

  • Le rêve de Cassandre

    (Woody Allen / Grande-Bretagne - Etats-Unis / 2007)

    ■■■□

    906d7dfd78492e8f3ea7823c720d737b.jpgC'est (presque) la passe de trois pour Allen (ou le hat trick, puisque nous sommes à Londres).

    Sa trilogie anglaise se termine donc sur une nouvelle réussite qui, si elle n'est pas aussi éclatante que les deux précédentes, confirme que le new-yorkais a bien eu raison de venir voir du côté du vieux continent (le prochain serait situé à Barcelone, si je ne me trompe). Comme dans Match point, nulle trace de comique, sinon un rire jaune, dans Le rêve de Cassandre (Casandra's dream), histoire de deux frères à la recherche d'argent pour combler des dettes de jeu ou partir en Californie aux bras d'une superbe actrice. Woody Allen ne s'intéresse pas ici à la haute société anglaise mais à la classe moyenne. En posant le décor et les personnages pendant de longues minutes, avant l'élément déclencheur du drame, il nous épate là où l'on ne l'attendait absolument pas : le portrait réaliste de deux frangins et de leur famille, l'obsession de l'argent, l'importance du travail.

    Nous ne sommes bien sûr pas chez Ken Loach, mais il n'empêche que dès la première scène autour du bateau convoité (bientôt baptisé Casandra's dream, du nom du lévrier gagnant ayant permit à Terry de ramasser un peu de monnaie), la crédibilité est là. D'emblée l'évidence de la complémentarité et de la différence des deux frères éclate. Autant qu'à Allen, le mérite en revient évidemment à Ewan McGregor et de façon plus étonnante à Colin Farrell. Celui qui m'avait gâché une bonne partie du plaisir pris au Nouveau monde de Malick joue ici les loosers de manière très subtile et attachante, juste par ses regards en biais, sa coiffure et son blouson en cuir. Toute la première partie brille d'une mise en scène simple et souple, laissant quand il le faut s'étaler des dialogues d'une précision incroyable. A ce titre, l'entrevue entre les deux frères et leur oncle qui leur demande un service effrayant est un sommet. Comment faire passer un telle scène, à la vraisemblance limite ? Allen la traite toute en longueur, ciselant son écriture, détaillant les réactions de chacun, faisant le tour du problème posé sans oublier aucun aspect, intégrant des contrepoints comme l'arrivée de la pluie et le refuge sous le feuillage. Par la suite, les valses-hésitations pathétiques et dramatiques de Terry et Ian, entrecroisées avec leur vie amoureuse respective, sont l'occasion pour Allen de développer sa noire vision des choses. Le point de non-retour est atteint au final d'une partie de cache-cache dans un quartier charmant et deux petits coups de revolvers artisanaux suffisent à faire basculer l'âme humaine.

    Il faut cependant reconnaître que le rythme faiblit ensuite, lors de la dernière partie. Allen se répète quelque peu, par rapport à son oeuvre et à l'intérieur même du film, en appuyant sur la question du remord. L'évolution psychologique des personnages se fait prévisible, alors qu'elle faisait tout le sel de la mise en route de la machine infernale, et le dénouement n'a pas la force qu'il devrait avoir.

  • Les promesses de l'ombre

    (David Cronenberg / Canada - Grande-Bretagne / 2007)

    ■■■□

    b7c414b7f820d418d38fe5c86ec4605b.jpgDécidément, entre Woody Allen et David Cronenberg, Londres semble inspirer actuellement les grands créateurs. Et toujours, les cadavres s'amoncellent.

    Comme A history of violence, Les promesses de l'ombre (Eastern promises) se pare des habits du film noir pour mieux développer les réflexions de Cronenberg sur la violence et sur les corps. Le milieu choisi ici est celui de la mafia russe, représentée par l'une des familles du puissant clan des Vory. Nous sommes guidé par deux personnages, deux regards croisés, l'un intérieur, celui de Nikolai, le chauffeur et croque-mort, l'homme qui gravira un à un les échelons dans la hiérarchie du clan, et l'autre extérieur, celui d'Anna Khitrova, sage-femme ayant récupéré le journal tenu par une prostituée décédée en accouchant de sa petite fille, journal qui l'amène à rencontrer cette famille en question.

    Naomi Watts rend avec sa classe habituelle les tiraillements d'Anna. Ses fêlures, son manque d'enfant, l'actrice et son réalisateur les font ressortir sans emphase. Cronenberg, par le biais de propos terribles assénés par son oncle à Anna, relatifs à sa liaison passée avec un Noir et la perte d'un bébé, précise cela pour ne plus jamais aborder explicitement le problème par la suite, procédé qu'il emploie dans tout le film, faisant confiance à l'intelligence de ses spectateurs (voir les ellipses vertigineuses du dernier quart d'heure). La rencontre entre Naomi Watts et Cronenberg pouvait faire espérer de grands moments d'érotisme entre l'actrice de Mulholland Drive et le cinéaste de Crash. Il n'en est rien, le Canadien n'abordant à aucun moment, pour une fois, ce registre (l'intérêt de la seule scène sexuelle du film, entre Nikolai et une jeune prostituée, se joue ailleurs).

    La violence, par contre, est le coeur du sujet. Et tout d'abord la crainte de cette violence. Cronenberg ne  jette pas inconsidérément son héroïne dans la gueule du loup. A chaque instant, nous sentons son appréhension à rencontrer ces gens, y compris le patriarche, à priori si prévenant. Elle connaît leur réputation et sent parfaitement qu'ils sont capables des pires horreurs. Nous avons en effet droit à quelques unes des images les plus violentes vues récemment sur un écran. L'affrontement au couteau entre Nikolai et deux mafieux tchétchènes est d'ores et déjà une séquence anthologique. Ici, la violence du corps à corps est décuplée par le fait que Viggo Mortensen combatte entièrement nu, crudité stupéfiante pour ce genre de scène d'action. Notons au passage que le travail du réalisateur autour de la violence englobe ici cette question de la crudité et de la vulgarité (celle des corps, tatoués ou mutilés, des comportements, irresponsables ou infantiles, et des propos, homophobes ou racistes). Cette distance réflexive que prend Cronenberg, cette démonstration qui s'appuie sur un matériau relativement classique, on la sent tout du long. C'est selon moi la petite limite du film (et de History of violence) et ce qui fait que je préfère la mise en scène envoûtante et moins théorique de Crash ou de Faux-semblants. Et tant que j'en suis aux bémols, il y a aussi dans les trois derniers films un certain goût pour la performance d'acteur, le jeu appuyé, dans l'introspection autant que dans les débordements, qui gêne par moments (Ralph Fiennes dans Spider, Cassel ici. En passant, par rapport à notre grande presse cinéphile, genre feu-Les Inrocks : Cronenberg fait parler Vincent Cassel en anglais avec un accent russe et c'est un chef-d'oeuvre absolu, mais si Corneau place des mots d'argots des années 60 dans la bouche de Michel Blanc ou Daniel Auteuil, c'est une merde...).

    Viggo Mortensen, comme dans le film précédent est tout à fait remarquable et glaçant. Cronenberg, en une seule scène, bouleverse notre vision du personnage. Ce retournement total, le cinéaste l'amène de façon parfaite et tout notre regard en est chamboulé : nouvelle preuve de l'art de Cronenberg, de son intelligence du rapport film-spectateur. Comme d'habitude avec lui, nous quittons la projection pleins d'interrogations, repensant à la richesse des thèmes évoqués (dont ceux que je n'ai pas abordé : la filiation, la notion de famille, la moralité ébranlée...). Qu'ils choquent certains ou qu'ils séduisent d'autres, comme moi, touts ses films vivent ainsi bien après le générique de fin.

  • Scoop

    (Woody Allen / Grande-Bretagne - Etats-Unis / 2006)

    ■■■□

    0c95203c86ea9fb5af111a2c5214b7e0.jpgSuite des pérégrinations londonniennes de Woody Allen, après Match point et avant Le rêve de Cassandre. Match point, par la noirceur de son propos, sa violence et l'absence de tout bon mot dans le dialogue, ressemblait bien peu aux films précédents de l'auteur. L'oeuvre, remarquable, laissait le spectateur inquiet : si même Woody Allen se met à faire des films noirs, où va-t-on ? Si Scoop nous plonge à nouveau dans une histoire de meurtres, il signe un retour d'Allen à la franche comédie, dans la lignée des enquêtes criminelles légères de Meurtre mystérieux à Manhattan et du Sortilège du scorpion de jade, soit l'une des branches les plus savoureuses de sa filmographie.

    L'apprentie-journaliste Sondra Pransky (Scarlett Johansson) se voit révéler par le fantôme de Joe Strombel, fameux reporter décédé la veille, un scoop énorme : le tueur en série insaisissable, sévissant sur la ville depuis plusieurs mois, ne serait autre que le noble et richissime playboy Peter Lyman (Hugh Jackman). Aidé par Sid Waterman (Woody Allen), magicien rencontré fortuitement, elle se lance dans une enquête, jusqu'à se jeter dans les bras de son suspect.

    Dès l'introduction, fellinienne, qui nous montre ce bateau, mené par la Mort en personne, dont Strombel saute pour remonter le courant et ainsi faire passer son message à un vivant, on sent que c'est gagné et que Woody Allen saura dérouler tout son art comique. Et en effet, quel bonheur de suivre une comédie réellement drôle, à la mise en scène soignée (on sent le plaisir de filmer les rues de Londres), au scénario ménageant quelques rebondissements nullement tirés par les cheveux. Plus d'une fois, Allen trouve encore le moyen de nous faire rire sur le judaïsme ou sur la magie. Le voir filer dans la campagne anglaise cramponné au volant d'une Smart est un grand moment, prélude à un gag dramatique surprenant (puisque effectivement, "à part la barrière de la langue, le seul inconvénient de la vie anglaise est la conduite à gauche"). Ayant passé l'âge de jouer les amants, il se taille un rôle de compagnon de route amical, gaffeur et protecteur. Paternel, dirait-on si il ne balayait pas génialement tout épanchement facile en trois secondes :  "Vous êtes la fille que je n'ai jamais eu... Non, je plaisante. Je n'ai jamais voulu d'enfants. Vous les élevez, vous vous occupez d'eux, ils partent, puis ils reviennent vous accuser d'être atteint d'Alzheimer".

    Dans les deux fantaisies policières citées plus haut, Woody Allen avait trouvé deux partenaires adéquates pour le suivre dans ses délires et former deux duos percutants : la fidèle Diane Keaton, puis Helen Hunt. Il convoque ici, pour la seconde fois Scarlett Johansson. Après lui avoir offert son rôle le plus sensuel dans Match point, il l'entraîne dans un nouveau registre, où elle évolue comme un poisson dans l'eau. Se fondant parfaitement dans ce monde allenien, elle colle au rythme, aux gestes, au débit, de façon confondante, en accord parfait avec le caractère décomplexé de son personnage. Son avant-dernière et très brève apparition, complètement trempée, transforme une simple pirouette narrative en merveilleuse cerise sur le gâteau. Ce grand directeur d'acteurs qu'est Woody Allen aura donc permit, entre autres choses, dans ses deux premiers films anglais, à une actrice déjà très attachante et prometteuse de nous offrir deux performances parfaitement bluffantes.

  • Dracula, prince des ténèbres

    (Terence Fisher / Grande-Bretagne / 1966)

    ■□□□

    0fc266af37955d11993dd3d75371c47f.jpgAprès Romero, un autre petit maître de l'horreur : Terence Fisher. Pour Dracula, prince des ténèbres (Dracula, prince of darkness), ce cinéaste brodait pour la troisième fois sur le mythe du comte-vampire, en moins de dix ans, toujours au sein de la fameuse firme Hammer. Ce volet est le moins réputé de la série, qui, elle-même, semble moins fertile que celle réalisée à la même époque et par les mêmes équipes autour de l'autre grande figure du genre : Frankenstein.

    Si Fisher soigne son décor et ses éclairages, il peine vraiment à nous intéresser jusqu'à l'arrivée des deux couples de visiteurs au château. Il faut attendre une bonne demi-heure pour voir apparaître Christopher Lee dans son costume favori, mais la scène de la résurrection du vampire est sans conteste la plus marquante et la plus étonnante du film (nous suivons les gestes meurtriers et précis du valet, déployant tout son savoir faire pour redonner vie à son Maître). S'emparant tout autant des corps que des esprits, conformément à l'approche habituelle du personnage, ce Dracula n'a pourtant de civilisé que l'apparence. Aucune phrase ne sortira de sa bouche et cet animal insatiable aura vite fait de semer la panique au sein du petit groupe de touristes guindés débarqués dans son antre. Parmi le chapelet de figures imposées, ce choc entre une force brute et incompréhensible et des victimes superficielles nous fait voyager jusqu'aux survivals de notre époque où d'imbéciles étudiantes tombent sous les crocs de boucher de quelques dégénérés campagnards. La dimension érotique est bien sûr présente dans deux ou trois jolies scènes de terreur-soumission et grâce au décolletté affolant de Barbara Shelley, que l'on regrette de voir finir avec un pieu dans le coeur. Pour relancer son récit, Terence Fisher a la mauvaise idée de laisser son couple de héros s'échapper du château pour trouver refuge dans une abbaye, pretexte à de nouveaux bavardages avant un affrontement final original mais bien empesé. On s'étonne également de l'atmosphère générale du film, qui semble se dérouler constamment un plein jour.

    Tout cela n'en fait donc pas l'entrée idéale pour qui veut découvrir le petit monde horrifique de la Hammer. Quant à Fisher, après avor vu les intéressants Gorgone et Frankenstein s'est échappé, la très moyenne Nuit du loup-garou et ce Dracula un brin faiblard, je me dirigerai vers d'autres de ses oeuvres pour espérer trouver les véritables pépites fantastiques tant louées par les connaisseurs.

    A lire aussi chez le Dr Orlof.