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  • Êtes-vous Tatiphile

    tati.jpgPour clôturer une semaine qui fut, la faute à Mike Leigh et à Christophe Honoré, particulièrement sinistre, cherchons un sujet qui redonnera le sourire. Cela fait plusieurs semaines que je me dis qu'il serait temps de faire découvrir au fiston l'oeuvre de Jacques Tati. Mais moi qui pensait trouver facilement les DVD, je me suis retrouvé le bec dans l'eau en parcourant tous les supermarchés culturels de la région. Pas un seul titre en rayon. Anciennes éditions épuisées, manque de demande ou politique du tout nouveauté ? Un peu des trois, je suppose. Il faudra donc que je passe par internet...

    Mes sentiments envers les films de Tati ne s'éloignent guère de l'opinion générale (en attendant vos avis éventuellement contraires) : quatre films extraordinaires et des réserves sur Trafic. Je me rappelle, à propos de ce dernier, d'un film agréable mais par moments ennuyeux. Toutefois, je dois avouer ne l'avoir vu qu'une fois, contrairement aux autres, et il y a bien longtemps de cela.

    Même si je pinaillerai un poil sur Mon oncle, à la poésie un peu gentillette, les trois films qui bornent les années 50, sont, à la découverte, assez stupéfiants. Il est rare de ressentir à ce point un sentiment de nouveauté, qui plus est dans le genre de la comédie française. Playtimeest bien sûr encore à part. Le rire y est sans doute moins direct (quoique la longue séquence de la party égale sur ce plan-là les nombreux équivalents, souvent à hurler de rire, que l'on trouve chez Blake Edwards), Tati plaçant quantité de gags "dans les coins" en faisant une confiance sans limite au spectateur.

    L'usage abusif par la critique de l'adjectif "tatiesque" à propos du moindre nouveau film à l'humour un brin décalé démontre bien le caractère unique de ce cinéma. Pour information, la comédie tatiesque du moment s'appelle apparemment Rumba.

    **** : Jour de fête (1949), Les vacances de Monsieur Hulot (1952), Playtime (1967)

    *** : Mon oncle (1958)

    ** : Trafic (1971)

    * : -

    o : -

    Pas vu : Parade (1974), le court-métrage Forza Bastia (1978).

    A vous de donner votre point de vue...

  • La belle personne

    (Christophe Honoré / France / 2008)

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    bellepersonne.jpgSoyons honnête. Même aux yeux du moins cinéphile des spectateurs, les films ne viennent pas au monde égaux. Chacun a beau se dire le plus éclectique du monde ou invariablement bon public, le jugement porté lors de la découverte d'une oeuvre nouvelle est toujours soumis aux lois de la probabilité. Ainsi, la probabilité que ma première rencontre avec le cinéma de Christophe Honoré se passe bien était assez faible, compte tenu de mes affinités avec certains critiques (ceux de Positif) ou certains bloggeurs qui n'ont jamais été tendres avec le cinéaste.

    Donc, point de douce surprise au final, après la diffusion ce vendredi soir sur Arte de La belle personne, quelques jours avant sa sortie en salles : je suis resté de marbre. Ne croyez pas que je m'en réjouisse. Au besoin, j'aurai volontiers ferraillé avec l'un ou l'autre des virulents détracteurs d'Honoré (au hasard, celui-là). De plus, je ne suis pas critique de cinéma. J'ai bien d'autres choses à faire que de perdre mon temps à voir des films médiocres. Quand je me cale devant un écran, que ce soit pour voir Le cinquième élément ou En avant jeunesse, j'espère sincèrement me relever convaincu...

    Le bel indifférent. Voici le titre que j'aurai choisi aujourd'hui, si j'avais pris l'habitude d'en affubler mes notes. En effet, si La belle personne ne m'a pas horripilé, jamais je ne m'y suis senti happé. Ce qui frappe ici, c'est l'absence totale de vitalité et d'émotion. Il serait absurde de reprocher à Christophe Honoré de ne pas jouer sur le même terrain qu'Abdellatif Kechiche ou Laurent Cantet. On ne va pas sombrer dans le politiquement correct et ricaner devant le choix de ce milieu-là (un lycée parisien tranquille, dans lequel l'auteur a voulu transposer, en l'actualisant, La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette). Seulement, doit-on le filmer ainsi ? Aucune énergie ne soutient les scènes, même les plus potentiellement fortes (la bagarre dans la classe, totalement escamotée, ou l'étreinte volée au téléphone portable). Plus grave encore, rien n'affleure alors que l'argument devrait au contraire nous faire ressentir les fêlures sous les visages de ces beaux jeunes gens. L'événement central du récit, une méprise autour d'une lettre, et le stratagème mis en place à la suite, est resté pour moi totalement illisible (je n'ai rien compris aux inquiétudes, motivations et rôles de chacun dans l'histoire). La construction est lâche, le rythme mollasse, les personnages secondaires, sans épaisseur, apparaissent, disparaissent, sans raisons.

    En bon petit soldat sûr de ses arrières (la Nouvelle Vague), Honoré essaie de ci de là quelques trucs, comme cette séquence autour d'un jukebox, qui ne donne absolument rien, et se laisse aller à d'énormes fautes de goût. Le suicide enchanté me fit soudain penser aux fins de films de Luc Besson, là où le héros meurt-mais-bon-pas-vraiment. Tout est adouci, tout est hors d'âge. Bien évidemment, il y a quelques audaces pour faire illusion : on se caresse entre mecs ou on offre en un éclair ses seins à l'amoureux transi en pleine rue (une séquence, pour le coup, vraiment dégueulasse). Mais de passion, nulle trace.

    Le bel indifférent, oui. Le style d'Honoré est indifférent : il ne choisit pas, il n'accroche rien. L'adaptation d'un texte classique aurait dû poser la question du langage. Mais ces mots ne claquent jamais comme ils devraient dans la bouche des comédiens. La moitié des dialogues sont d'ailleurs inaudibles. Qu'on est loin de la rigueur et de la netteté d'un Rohmer, qui arrive à faire passer dans ses films les tournures les plus littéraires. Au milieu de cet engourdissement général, on trouve fort heureusement un véritable acteur. Louis Garrel est le seul à sortir la tête de l'eau par la précision de son jeu, verbal ou gestuel. Dans la première partie, signalons aussi que deux ou trois situations ou propos sont amusants.

    Un mot pour finir sur la musique et plus précisément sur le leitmotiv choisi par le cinéaste. Louis Guichard, critique de Télérama, ébloui, nous dit qu'Honoré "a exhumé un chanson sublime du suicidé Nick Drake,Way to blue, imprégnant tout le film de son romantisme aérien". A ce compte-là, je suis moi aussi un grand chercheur d'or puisque me plongeant régulièrement dans l'oeuvre du chanteur britannique. L'intégralité de sa courte production est aisément trouvable car déjà ré-éditée plusieurs fois en CD. Les amateurs de rock et de folk la connaissent parfaitement. Christophe Honoré est déjà marqué du sceau du génie et placé au coeur de la modernité cinématographique. Il n'est peut-être pas utile d'en faire de surcroît un grand archéologue.

  • Allonsanfan

    (Paolo et Vittorio Taviani / Italie / 1973)

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    allonsanfan.jpgQuel étrange film que cet Allonsanfan, qui précède dans la filmographie des Taviani leur oeuvre la plus célèbre, Padre Padrone. Comme souvent chez eux, l'histoire italienne est vue à travers le prisme du conte. Les décors sont naturels, l'argument clairement situé dans le temps et l'espace, mais ce réalisme de départ est constamment perturbé par des éléments oniriques ou surnaturels. Si les Taviani procèdent par longues séquences, le rythme à l'intérieur de chacune est très heurté. La plupart des raccords sont particulièrement brutaux, ménageant ainsi constamment des surprises. Nombre de plans fixent le regard du héros, craintif ou étonné, joué par Marcello Mastroianni, pour enchaîner sur un contrechamp auquel rien ne nous prépare (par exemple, un gros plan de visage qui nous est inconnu). La mise en scène accumule ainsi les ruptures dans ses effets, aussi bien que dans les registres émotionnels. Une séquence peut passer du drame à la farce grotesque. Dans cet univers, tout peut donc arriver. Les hallucinations ont autant de réalité que le reste, les morts reviennent à la vie, les protagonistes se séparent puis se retrouvent nez à nez, où qu'ils aillent. La logique à l'oeuvre est celle du rêve et du cauchemar (autre élément tirant vers le fantastique et constitutif des réalisations italiennes de l'époque : le recours à la post-synchronisation, qui accentue les différences de niveau d'expression). Le film avance par a-coups et des longueurs y voisinent avec de très belles idées (la scène du repas avec la famille, la présence de la mer, la mort de Charlotte traitée en une ellipse brutale, la danse dans le repère des subversifs...).

    Dans Allonsanfan, les frères Taviani traitent de la période de la restauration italienne en situant l'action en 1816. Le héros de leur film est Fulvio Imbriani, leader d'une secte "Les Frères Sublimes" qui lutte pour faire triompher dans le Sud l'idéal révolutionnaire et renverser la noblesse en place. Lorsque nous faisons sa connaissance, Fulvio sort de prison et, empli de doutes, n'aspire à présent qu'à renouer les liens avec sa riche famille et couler une vie paisible et bourgeoise. Mais au gré de multiples pérégrinations, ses camarades n'auront de cesse de le ramener dans le chemin de la lutte armée. Ce que filment les Taviani, avec un bel aplomb, c'est une faillite révolutionnaire. Les actions d'éclats de la secte finissent toutes piteusement. La faute aux trahisons et à la tentation bourgeoise qui se niche en chacun. Mastroianni, à travers le rôle de Fulvio joue une nouvelle fois un homme sans qualité, prêt à tous les mensonges et ce à l'égard de tous, ses amis, ses camarades, sa femme, sa famille. Seul son fils, qu'il retrouve après six ans, a droit à une affection sincère (mais lors de la nuit qu'ils passent ensemble avant une nouvelle séparation, son père lui raconte une terrible histoire : il affabule et hallucine encore). Il est assez difficile de s'attacher à un personnage aussi ambigu, que l'acteur incarne comme en retrait.

    Un mot pour finir, sur le titre, intrigant. Allonsanfan est en fait le prénom de l'un des subversifs. Le personnage est au second plan mais est ô combien important. Avec son regard souligné par un trait de lumière, il est celui qui portera jusqu'au bout l'espoir révolutionnaire. 

  • Be happy

    (Mike Leigh / Grande-Bretagne / 2008)

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    behappy.jpgPoppy, 30 ans, est une institutrice londonienne délurée et fêtarde. Elle partage son appartement avec sa fidèle colocataire, prend des leçons de conduite, s'essaie au flamenco et tombe amoureuse. Poppy est un moulin à paroles qui s'évertue à désamorcer toutes les crises en riant de tout et qui tente de redonner le sourire à tous ceux qu'elle croise.

    Be happy (Happy-go-lucky) est censé être le rayon de soleil de notre rentrée. Avec son affiche pétante et son titre volontariste, cette comédie doit nous redonner la pêche. La presse nous le dit aussi, même les contempteurs habituels de Mike Leigh se faisant bienveillant. Et bien, au risque de passer pour un pisse-froid, je vous avoue que devant le film, le même mot m'est revenu toutes les cinq minutes : pathétique.

    Après un générique désuet, très années 60, les trois premières séquences sont catastrophiques. On pense à un mauvais début, mais cela ne s'arrangera en fait jamais. Dans la première, Poppy entre dans une librairie et essaie de dérider l'employé de la boutique, qui ne décroche pas un mot (ni un bonjour, ni rien). Voici déjà mis en évidence l'un des gros soucis du film. Mike Leigh, pour faire des étincelles, ne confronte sa Poppy qu'à des cas spéciaux : ici le libraire qui fait la gueule, plus tard la prof de danse espagnole bien allumée, le moniteur d'auto-école raciste et violent ou le clochard qui perd la boule. Dans la deuxième séquence, on voit Poppy et ses amies s'éclater en discothèque. Seul intérêt pour le cinéaste : montrer les jeunes femmes désinhibées, assumant l'exubérance de leur tenue et de leurs gestes. L'ambiance, la musique, il s'en contrefout : une scène pour rien. Dans la troisième, le summum est atteint avec un long délire entre les cinq copines, bien bourrées et affalées dans le salon. Blagues vaseuses à gogo, rires forcés et ivresse surjouée. Il reste encore 1h45 de projection.

    Tenues voyantes de Poppy, décorations d'appartements chargées, salles de classes chaleureuses : les couleurs vives sont là, mais comme délavées. Comme un Londres sans soleil, comme une comédie sans gag. Ah si, je crois qu'une dame dans la salle a ri à un moment (loin de la banane affichée par les critiques, les spectateurs s'exprimant sur le site allociné, auxquels on ne peut en général pas reprocher de ne pas être bon public, donnent à peine la moyenne au film). Leigh ne compte que sur deux choses pour faire naître le comique : des dialogues endiablés et des caractères bien trempés. L'incessant ping-pong verbal est fatigant, souvent souligné par de très moches gros plans sur les visages. A chaque instant, on croit entendre le cinéaste diriger ses comédiens : "Dis le plus vite !", "Accentue l'intonation !". Les caractères sont eux, je l'ai déjà dit, tous poussés à la limite (sauf bien sûr, l'amoureux).

    La comédie ne marche pas, la mise en scène non plus, reste donc le message : Poppy devrait de temps à autre se calmer et faire face à la réalité du monde. En gros, et la scène finale nous l'explique au cas où : trop bonne, trop conne. Bien sûr, la prise de conscience se fait progressivement. Poppy commence à rire jaune, puis plus du tout. Un enfant de la classe frappe ses petits camarades (on comprend dès le début ce que le récit met dix minutes à traiter au travers d'un entretien avec un assistant social : l'enfant est battu à la maison), l'homme de l'auto-école est de plus en plus inquiétant et dangereux... Pour mettre en scène un vrai tournant "original", Leigh en appelle au bon vieux théâtre lors d'une séquence ahurissante entre Poppy et un brave clochard. Tout cela va donc la changer, la délester de son immaturité, la poser un peu. Elle saura contenir la fureur de son moniteur raciste et pourra l'entendre lui dire ses quatre vérités, si justes au fond (puisque tout le monde est humain, n'est-ce pas ?).

    La plupart des critiques défenseurs du film font mine de s'étonner que Mike Leigh signe une comédie, manière grossière de se mettre le lecteur dans la poche. Deux filles d'aujourd'hui, en 97, en était déjà une et ses autres films, même parmi les plus noirs, contiennent nombre de saynètes comiques ou ironiques. Non, la surprise, si il y en a une, c'est bien de voir l'auteur de fables caustiques (High hopes), de solides mélodrames (Secrets et mensonges, Vera Drake) et de grands films désespérés (Naked, All or nothing), réaliser une oeuvrette aussi laborieuse.

  • Tempête sur l'Asie

    (Vsevolod Poudovkine / URSS / 1928)

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    tempete.jpgEn plein coeur de l'Asie Centrale, Bair, un jeune Mongol, doit quitter la yourte familiale pour aller vendre ses peaux de bêtes au marché de la ville. Arnaqué par un tout puissant acheteur étranger (la région est sous domination anglaise), il provoque un esclandre et doit fuir. Dans les montagnes, il croise alors la route d'un groupe de partisans rouges, qui luttent contre l'occupant. Plus tard, il tombera aux mains des Anglais. Ces derniers, après avoir eu l'intention de l'abattre, s'aperçoivent qu'il est le descendant de Gengis-Khan. Ils décident alors de s'en servir comme homme de paille, le proclamant souverain d'un pays qu'ils veulent contrôler en sous-main.

    Tempête sur l'Asie (Potomok Chingis-Khana) commence comme un documentaire sur le mode de vie des Mongols, chose déjà rare, surtout dans ces années du muet. Mais après cette mise en place et avec l'accélération des événements, c'est comme un véritable western que se suit le film de Poudovkine. On y trouve des chevauchées fantastiques et des fusillades entre les rochers. On y trouve surtout un souffle naissant d'une grande beauté plastique, à l'occasion de magnifiques séquences de pleine nature (la course sur le lac gelé, l'immensité de la taïga...). Mais Poudovkine n'est pas qu'un grand photographe de paysages. D'une part, sa mise se fait très précise dans les intérieurs. L'opposition entre la yourte, chaleureuse et trouée de lumière et la caserne ou le palais, froids et obscurs, le montre bien. D'autre part, le réalisateur soviétique sait filmer à hauteur d'homme. Quand le héros sauve la vie du chef des partisans, l'échange des regards suffit à traduire les sentiments. Peu de temps après, accueilli au campement, il s'aperçoit, provoquant l'hilarité générale, que celui qui l'a accompagné tout le long du chemin est en réalité une jeune femme. La preuve : elle allaite son bébé. Si les officiers anglais sont traités avec férocité, tout n'est pas non plus tout blanc ou tout noir : le soldat qui est chargé d'abattre Bair est particulièrement réticent.

    L'un des traits les plus intéressants et originaux du film est son traitement des moines bouddhistes. Si le regard porté sur eux est moins acerbe que celui porté sur les Anglais, la critique de la religion est claire : endormissement du peuple et collaboration passive avec l'occupant. L'attaque est tantôt souriante, comme lors de l'entrevue du commandant avec le vénérable représentant de Bouddha (un bébé de quelques mois), tantôt cinglante, quand le montage met en parallèle les préparatifs des moines et ceux, ridicules et pompeux, des huiles anglaises, avant la cérémonie. Ce montage parallèle se fait plus ample et plus didactique encore quand il mêle aux images de cette rencontre consensuelle entre généraux et religieux celles du pillage auquel se livre au même moment les soldats à l'encontre des éleveurs mongols.

    Avançant par vastes tableaux, tous très beaux, le film n'évite pas quelques longueurs ici ou là (sur une durée de plus de 2 heures), mais après une évasion rocambolesque, on tombe sur un dénouement en forme d'apothéose. Destiné en 1928 à porter au plus haut l'étendard révolutionnaire et à galvaniser les foules, il prend aujourd'hui une dimension plus poétique. Le nouveau Gengis-Khan se lance à bride abattue vers son destin et apparaissent derrière lui des dizaines de cavaliers (en surimpression, ce qui accuse le sentiment de surnaturel). Mais c'est bien la formidable tempête qui s'est levée qui balaye les ennemis et non des coups de sabres. Sous nos yeux, militaires, casquettes, et fusils roulent sous les bourrasques, offrant un beau et étrange ballet, avant que le dernier carton, plein de verve anti-impérialiste, nous ramène aux difficiles réalités du combat révolutionnaire.

  • Tartuffe

    (Friedrich Wilhelm Murnau / Allemagne / 1926)

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    tartuffe.jpgLorsque l'on s'attend à une simple adaptation par Murnau (et Carl Mayer) de la pièce de Molière, la surprise est de taille. Avec son Tartuffe (Herr Tartüff), le cinéaste allemand offre à la fois le texte et son explication, du moins l'une des leçons que l'on peut en tirer. Un bourgeois, âgé et malade, se fait cajoler par sa gouvernante qui lorgne sur sa fortune. Au moment où le vieillard se décide enfin à écrire au notaire en faveur de celle-ci, son petit-fils, mal-aimé car vivant une vie dissolue de comédien, débarque et s'aperçoit vite du manège. Mis à la porte, il s'adresse soudain à nous (par carton interposé), face à la caméra, pour nous prévenir que les choses ne se passeront pas comme cela. Il revient le lendemain, grimé, et parvient à organiser dans le salon de son grand-père, à l'attention des deux occupants des lieux, la projection d'un film de cinéma, titré Tartuffe. C'est ainsi qu'après vingt minutes, un nouveau film, celui attendu, commence.

    Pendant cette longue introduction, Murnau use d'un certain naturalisme avec ces gros plans de visages ridés, au bord de la grimace, et ces détails triviaux dans les accessoires. La variété des cadrages et la fluidité confondante du montage, font vivre de façon unique ce décor d'appartement bourgeois et éloignent le spectre du théâtre.

    Car au travers de cette adaptation, c'est bien toute la puissance du cinéma qui est convoquée. Et d'abord sa capacité de révélation. Le grand-père finira par ouvrir les yeux (et Murnau insiste sur l'éblouissement provoqué par le retour de la lumière dans la pièce, après le noir de la projection), quand lui aura été contée l'histoire de Tartuffe, le faux dévot qui se fait l'ami du riche et brave Orgon, dans le seul but de le déposséder de sa fortune. Dès lors, nul besoin de s'appesantir. En quelques plans, la gouvernante se retrouve dans la rue et les deux hommes réconciliés. Un dernier carton nous pose la question "Est-on vraiment sûr de la personne qui se trouve à nos côtés ?"

    Mais les mérites du Tartuffede Murnau ne se limitent pas à cet encadrement original. Le récit principal recèle lui aussi mille merveilles. Il est aisé de retrouver d'oeuvre en oeuvre, au fil d'une carrière pourtant multiforme (et courte), des traces de fantastique. On n'y échappe pas ici non plus. L'art du décor y est déjà pour beaucoup. Le château d'Orgon est réduit à l'image à quatre ou cinq pièces, et pourtant, tout y est (voir l'utilisation magistrale  du hall, avec son escalier et les différents paliers). Dans les chambres ou les salons, les reflets et les ombres de l'expressionnisme se mêlent aux jeux théâtraux des rideaux. Le personnage de Tartuffe, surtout, véhicule une inquiétante étrangeté. Son apparition est retardée par Murnau. "Satan est entré dans la maison" prévient la domestique. Plus tard, quand elle lui portera un chandelier, seul un bras passera dans l'entrebâillement de la porte pour le saisir, tel un monstre. Ce Tartuffe qui lorgne vers les décolletés d'Elmire, la femme d'Orgon, serait risible avec son nez constamment collé sur son livre de prières si Emil Jannings, massif et huileux, ne le rendait si malsain.

    Pour faire tomber le masque de Tartuffe et libérer ainsi son mari de son emprise, il faut qu'Elmire tente le diable sous les yeux de son bien-aimé. Sur l'écran, Lil Dagover, comme son personnage, nous a, pendant un moment, bien caché son jeu et sa capacité à éveiller le désir. Troublants, ses abandons (mêmes feints), la révèle à tous : Tartuffe, Orgon et le spectateur. Son remerciement final à Dieu est alors de bien peu de poids après l'avoir vue capable de tant d'ensorcellements et après avoir assisté à une telle charge contre les dévots. Murnau, lui, nous aura mis en garde contre tous les hypocrites et fait comprendre qu'il faut toujours aller voir dessous les choses pour y trouver la vérité, belle (les jambes d'Elmire sous sa robe) ou moche (les semelles crottées de Tartuffe affalé sur son hamac).

  • C'était mieux avant... (Septembre 1983)

    Chez les bloggeurs cinéphiles, le calme de l'été fut propice à l'établissement de quelques questionnaires sympathiques et à la résurgence de souvenirs lointains. En ces jours de retour aux affaires, je n'hésite pas à surfer sur cette vague aimablement nostalgique et je vous propose un retour en arrière de 25 ans, pour voir ce qu'il se passait au niveau des sorties en salles à cette époque. Choix arbitraire, uniquement justifié par un chiffre qui sonne bien et par l'évocation de la période où je découvrais le cinéma. Si Allah me prête vie, j'espère bien faire de cette note une chronique mensuelle.

    Partons donc de ce mois de Septembre 1983. J'allais bientôt avoir 12 ans...

    outsiders.jpgSi je vous dis que La ballade de Narayamade Shohei Imamura est le film qui m'a le plus marqué à ce moment-là, vous ne me croirez pas et vous aurez bien raison. Car pour tout ado, la grande affaire de cette rentrée était le Outsidersde Francis Ford Coppola. Cette vision romantique de bandes qui s'affrontent dans une petite ville américaine ne pouvait que nous séduire, ma petite soeur et moi, jusqu'à nous faire apprendre les noms de tous les interprètes du film pour pouvoir suivre ensuite leurs carrières futures. Que vaut Outsiders, maintenant ? Je n'ose trop me pencher dessus. Nul doute qu'il doit être bien écrasé par les autres oeuvres du grand barbu.

    flashdance.jpgFlashdance(Adrian Lyne) est l'autre grosse machine hollywoodienne arrivée ce mois-là. Moins tourneboulé par Jennifer Beals que Nanni Moretti, je me rappelle cependant avoir suivi avec grand plaisir ses aventures transpirantes sur les dance floors et avoir acheté le 45 tours qui allait avec.

    Le seul autre film du mois vu à peu près à l'époque est Rue Cases Nègresd'Euzhan Palcy, petit succès totalement inattendu. Je n'en ai guère de souvenir, même après l'avoir revu une fois, quelques années plus tard.

    Le troisième gros film américain était Frances(Graeme Clifford) avec Jessica Lange, mélodrame biographique que je n'ai jamais vu. Même chose, et avec forcément plus de regrets, pour le premier Brisseau, Un jeu brutal.

    narayama.jpgSi je devais hiérarchiser aujourd'hui les sorties, en tenant compte des oeuvres découvertes bien plus tard, je placerai au plus haut La ballade de Narayama(qui arrivait auréolée de sa Palme d'or). N'en déplaise à Woody Allen et son cru 1983 : Zelig, aussi brillant soit-il.

    Parmi les autres films sortis en septembre : Liberty Belle(Pascal Kané), Benvenuta(André Delvaux), L'ami de Vincent(Pierre Granier Deferre), Hanna K.(Costa-Gravas) et quelques titres qui font peur, comme La fiancée qui venait du froid(Charles Nemes), Attention, une femme peut en cacher une autre(Georges Lautner), Les branchés à St-Tropez(Max Pécas), L'espionne s'envoie en l'air(José Bénazéraf) ou un mystérieux Colosse de Hong-Kong.

    starfix7.jpgDu côté des revues, Positif (n°271) et La Revue du Cinéma(n°386) choisissaient de mettre Imamura en vedette et les Cahiers du Cinéma(n°351) regardaient eux aussi vers l'Orient avec un dossier sur le cinéma chinois (en couverture : Boat peoplede Ann hui, qui allait sortir, avec succès, quelques semaines plus tard). Cinéma 83(n°297) s'entretenait avec Fanny Ardant et Premiere(n°78) avec Miou-Miou, quand Starfix (n°7) anticipait sur le troisième volet de La guerre des étoiles. Enfin, Cinématographe (n°92) rendait hommage à Luis Bunuel, qui venait de s'éteindre.

    Voilà pour ce premier voyage dans le temps. J'essaierai de vous parler d'octobre 83 le mois prochain, et ainsi de suite. Histoire de voir si, vraiment, c'était mieux avant...

     

    Note : N'ayant trouvé en aucun endroit de liste précise, ma recension des films s'est faîte principalement à partir des données de l'IMDB et il est possible que quelques oublis se fassent. Pour les revues, le site Calindex regroupe toutes les données sur les numéros de Positif, Cinéma et Cinématographe, et quelques autres parutions, anciennes ou non (1895, Cinéma, Midi Minuit Fantastique...). Pour les Cahiers, voir leur site, et pour les autres, c'est au petit bonheur de Google (ou des sites de vente d'occasions, type Priceminister ou e-bay).