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Film - Page 27

  • La Tombe de Ligeia (Roger Corman, 1964)

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    Le dernier et peut-être le meilleur film du cycle Edgar Poe de Corman, le mieux équilibré en tout cas. En beaux extérieurs réels ou en intérieurs gothiques travaillés, les couleurs s'affrontent à distance, rouge, bleu, vert, pour être finalement effacées par le jaune orangé de l'incendie purificateur, terme logique d'un dénouement cependant insensé. Corman a dirigé Vincent Price vers une interprétation plus mesurée que d'ordinaire pour donner vie à un personnage schizophrène soumis à d'étranges moments d'absence plus fréquents que ceux où il explose. Face à lui, une certaine Elizabeth Shepherd se révèle, avec sa rousse chevelure, admirable de dynamisme, de volonté, de tension érotique sans quasiment rien montrer de son corps. Loin des victimes naïves habituelles n'ayant guère que leur décolleté à offrir, elle compose un personnage à la force de caractère étonnante. L'équilibre du film vient aussi de là, les deux points de vue, celui de l'homme et celui de la femme, pouvant alterner sans problème, sans nous faire prendre trop de distance avec cette nouvelle description d'un cerveau malade, sous l'emprise d'une morte (interprétée, aussi, par notre Elizabeth, sans que l'on s'en rende compte avant le générique de fin !). L'entremêlement des destins est montré dans une magnifique séquence, lorsque l'héroïne avance le long de couloirs sombres et inconnus et gravit d'inquiétants escaliers, alors que la bande son ne laisse entendre que la voix du maître des lieux racontant à son ami, à l'extérieur, sa vie passée avec son épouse défunte.

  • Ma sorcière bien-aimée (Nora Ephron, 2005)

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    Au lieu de s'épuiser à vouloir refaire en réactualisant et à épater avec une surenchère d'effets spéciaux, comme c'est presque toujours le cas avec les remakes de vieilles séries télévisées, les auteures (les sœurs Ephron) ont choisi la voie peu évidente du métafilm grand public. C'est donc proche du modèle et en même temps complètement autre chose. Que l'on reste constamment au premier degré n'est pas gênant et n'empêche pas de goûter à quelques notations plaisantes sur l'art du cinéma, sur le rêve et la réalité, sur la façon de raconter des histoires (l'effet assez étonnant du rembobinage lorsque Isabel décide d'annuler ses sorts). Bien sûr, l'efficacité comique est très relative selon les scènes et l'impression de voir se succéder plusieurs films différents est plus forte que celle de voir ceux-ci se constituer en jeux de miroirs (ce qui fait aussi disparaître par exemple Shirley MacLaine au moment où son personnage devenait intéressant) mais laisser sa chance à tous (même à la voisine "potiche") est un geste appréciable et cette romance humoristique et magique peut, pour les plus jeunes, se révéler une initiation simple et sympathique au cinéma "réflexif". Et puis placer sur sa bande son des morceaux de Talking Heads, REM et Police, c'est déjà mériter le respect. 

  • Liberté (Albert Serra, 2019)

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    Serra prouve, si besoin est, qu'il est encore possible de faire un cinéma dérangeant, au moins sur le plan sexuel, et rappelant les expériences radicales des années 70, celles de Pasolini, Makavejev et autres, sous-texte politique compris. Il le fait dans son style, cérémonieux, lent, frontal et parcellaire, réglant ses rites sadiens sous de magnifiques éclairages nocturnes et en les enrobant d'un mixage saisissant de bruits naturels. Toute une nuit de débauche en forêt, avec le décrochage historique qui permet à la fois d'atténuer le choc des images les plus extrêmes, de rendre cette "histoire" plausible, et aussi de faire glisser un souffle étrange et quasi fantastique. Du début à la fin, le cinéaste joue avec les notions de champ et de hors-champ, de domination et de soumission, avec ce qui peut être montré et ce qu'il vaut mieux dire. Un ou deux minces fils peuvent être tenus d'une scène à l'autre, placée (beaucoup) plus loin, et un certain crescendo s'observe, dans l'audace de la représentation des actes et dans l'évolution vers un épuisement, voire un anéantissement (la fin, c'est la disparition soudaine des corps, avec l'aube, la place entière reprise par la nature et la musique), mais la règle est plutôt le refus d'une véritable mise en récit, jusqu'à donner l'impression de séquences ou de moments, de plans de transition, qui seraient totalement interchangeables. La succession et la répétition font la cohérence de ce monde, comme elles font sans doute la limite du film.

  • Colorado (Sergio Sollima, 1966)

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    L'écriture de Sollima est d'une rigueur et d'une fluidité remarquables dans le genre. Jamais son style n'apparaît haché, heurté, arbitraire, bien que son scénario, comme son découpage ou ses cadrages, ne soient pas avares de surprises (les réapparitions du personnage de Lee Van Cleef chassant sa "proie" sont toujours originales, sans jamais ressembler à des facilités). C'est que, au-delà du serieux de l'exécution, son récit est ancré dans un espace cohérent, que les silhouettes le traversant sont aussi singulières que crédibles, et que le tout repose sur un fond moral clair, ou plutôt qui s'éclaircit peu à peu (la dimension politique devient de plus en plus évidente au fil du film). L'intelligence de Sollima, de ce point de vue, est de laisser longtemps planer le doute sur la culpabilité du personnage du Mexicain (c'est un autre exploit d'être parvenu à justifier les pitreries et la "folie" de Tomas Milian) et de ne pas mâcher ainsi le travail au spectateur, qui peut apprécier pleinement le jeu de Van Cleef et la façon dont celui-ci et le cinéaste parviennent à décrire sans discours un retournement moral, un dessillement face aux puissants dictant leur loi. 

  • Le Masque de la mort rouge (Roger Corman, 1964)

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    Le titre ne ment pas : pour raconter cette histoire, pleine de cruauté et de sadisme, appartenant à son "cycle Edgar Poe", Corman pousse au plus loin son traitement des couleurs, donnant à certains de ses décors un aspect violemment monochrome. C'est seulement l'une des nombreuses étrangetés de ce film montrant un monde clos créé par un tyran, cruel et sadique sous son allure raffinée (Vincent Price s'en donne à cœur joie, un peu trop d'ailleurs), que rien ne rattache à l'Italie moyenâgeuse sinon les noms des personnages. Avec sa palette de couleurs marquante et ses mouvements de caméra, comme avec son sujet autour du Bien et du Mal, le cinéaste ne manque pas d'ambition, quitte à étirer parfois un peu trop ses séquences et à négliger les jointures entre les intrigues parallèles, les personnages semblant souvent trop éloignés les uns des autres par la mise en scène.

  • C'est arrivé le 20 juillet (Georg Wilhelm Pabst, 1955)

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    Les dix premières minutes sont consacrées aux justifications morales du groupe de putschistes voulant assassiner Hitler, des héros cherchant à mettre fin aux souffrances de l'Europe. Elles sont tout à fait indigestes, presque ridicules, alourdies de surcroît par une voix off didactique. Heureusement, celle-ci ne reviendra qu'à la fin, et les dialogues "psychologiques" vont se faire très rares, ne gâchant qu'une poignée des scènes suivantes. Car dès que l'attentat a lieu, le film devient document, attaché seulement aux faits et gestes, avec une tension assez prenante. L'insistance sur les heures exactes se teinte d'ironie avec l'échec du complot, et toute l'absurdité du système hiérarchique militaire saute aux yeux avec la valse des ordres contradictoires venant des deux côtés. Militaire, le film l'est pleinement, et cette focalisation le sauve (pas de peuple, à peine une épouse de général). Le but initial était de faire des martyrs de ces gradés osant trahir le Führer mais on les regarde aujourd'hui sans pitié (le film est d'ailleurs assez froid) s'illusionner longuement sur ce qu'ils croient être le succès de leur opération, avant d'être fatalement éliminés. 

  • Le futur est femme (Marco Ferreri, 1984)

    °
    Ferreri filme les boîtes de nuit, les supermarchés, les immeubles en construction, ou bien les vastes appartements hors du temps, pour faire œuvre de cinéaste architecte et sociologue, sans assurer bien sûr que tout cela échapperait à la plus féroce ironie. Entre quelques plans frappants d'ensembles, l'esthétique s'enfonce dans l'époque et la bande son enfile les atroces morceaux de variété disco italienne. La deuxième moitié balaie moins large pour se concentrer sur un rapport amoureux triangulaire, tournant autour du ventre rond d'Ornella Muti, enceinte. Comme les dialogues se complaisent toujours dans une poésie branchée qui rendent les comportements et les réactions parfaitement arbitraires, il est impossible de s'intéresser plus à cette histoire de féminisme passant par la maternité. Ce Ferreri semble rassembler les pires tares du cinéma d'auteur des années 80.

  • Hotel by the River (Hong Sang-soo, 2018)

    ***
    Des personnages déplacés en un lieu impersonnel, des retrouvailles aux raisons exposées après un certain temps seulement, des fonds vierges, baie vitrée où tape le soleil, parc enneigé, murs et draps clairs... Hong Song-soo repart encore de zéro, choisissant le noir et blanc pour mieux faire ressortir les contrastes, faire sentir les différences (caractères, température, positions...), donner l'impression de recréer à nouveau du récit à partir de rien (le cadre donne vie à l'histoire, bouclée de façon brutale mais logique). Ce qui pourrait passer pour conceptuel est rendu touchant par la direction d'acteurs, par l'intelligence dans les articulations entre les scènes et par l'approche toujours prosaïque : parler, boire, manger, s'allonger, s'endormir.

  • Le Bandit (Alberto Lattuada, 1946)

    ***
    Lattuada pose sa pierre aux fondations du cinéma néoréaliste. Il le fait en tirant son film, tourné dans Turin en ruines, si fortement vers le noir, l'ombre, la nuit, que celui-ci en devient aussi expressionniste. Le récit du prisonnier de guerre rentrant chez lui pour ne trouver qu'un pays dévasté le poussant à devenir hors-la-loi est mené sans chichi aucun, ainsi que les plans rapides sur les corps laissés dans le wagon l'annonçaient dès la première séquence. Lattuada filme avec dynamisme, variété et force, influencé par l'Amérique comme l'est évidemment le monde qu'il décrit (saisissant plan de la découverte par le héros de l'immeuble où logeait sa famille totalement détruit, sur un air de jazz). Tout est cassé, sali, renversé. Les repères ont volé en éclats : la jolie sœur tapine, le chien mange des bonbons, les bandits jouent du piano, la voiture de la petite nièce se fait mitrailler. Tout étant sens dessus-dessous, même les plus grands hasards tragiques n'étonnent plus. Et forcément, cela doit mal finir. 

  • I'm Thinking of Ending Things (Charlie Kaufman, 2020)

    ***
    Brillant et tordu, comme on peut s'y attendre, le film de Kaufman est surtout original et flippant. Il est structuré par deux très longues séquences de trajet automobile encadrant une autre, de visite et présentation aux parents. La lumière, les sons, les dialogues, les voix, les réactions et, par-dessus tout, le montage ne vont cesser, dans chacune, de créer des décalages et du mystère, jusqu'à l'angoisse. D'une part, cela crée une ambiance fantastique et d'autre part, en faisant dérailler régulièrement la réalité (a priori du point de vue de la jeune femme), cela amène à accepter peu à peu les changements de registre dans les dialogues, le recours aux citations, les références multiples, rien n'apparaissant dès lors gratuit ou désincarné (les personnages pourraient perdre leur épaisseur en même temps que leur identité/réalité mais ils nous touchent jusqu'au bout). Dès le début, par sa brusquerie, le montage déroute. Le point culminant est atteint lors de la rencontre chez les parents, ce montage accentuant la grande étrangeté des comportements par ses coupes sèches. L'ensemble est une plongée dans la dépression, semblant, via la liaison amoureuse, faire défiler toute la vie, de l'enfance à la mort, comme un film d'horreur (versant lynchien). Souvent soumis à des secousses temporelles rendant plusieurs moments plutôt indéterminés, l'œuvre parvient aussi à parler avec pertinence du monde d'aujourd'hui, dans le rapport à la culture et la création. Parmi plusieurs interprétations possibles, une en particulier paraît se détacher assez nettement au final, plutôt déceptive. L'important est qu'elle n'annule pas les autres, échafaudées au fil de ce récit stimulant, mis en scène avec une réelle audace.