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Film - Page 27

  • Network (Sidney Lumet, 1976)

    **
    On retrouve d'abord toutes les qualités de Lumet dans la restitution dynamique et réaliste d'un milieu, ici le monde de la télévision américaine en train de basculer entre les mains de grands groupes soucieux de rentabilité et non de culture et de journalisme. La description est saisissante et impressionne par la manière de présenter un modèle économique qui va effectivement s'imposer partout par la suite. Dans les rôles principaux, W. Holden, F. Dunaway, P. Finch et R. Duvall sont magnifiques, parfaitement dirigés, laissant entrevoir par des petits détails de comportements ou de réactions des vérités plus complexes derrière leurs personnages typés. Cependant, le film paraît un peu long et la volonté démonstrative du scénario de Paddy Chayefsky aboutit à des moments de satire trop épaisse, à de trop denses dialogues et à des déséquilibres narratifs laissant disparaître trop longtemps certains personnages. De ce point de vue, il manque l'audace d'un Altman.

  • Goshu le violoncelliste (Isao Takahata, 1982)

    **
    Un petit conte moral sur l'abnégation et l'ouverture d'esprit nécessaires à un jeune musicien pour atteindre l'excellence au sein d'un orchestre. Destiné avant tout aux enfants, ce Takahata est cependant représentatif d'un style, qui n'hésite pas à mêler plusieurs techniques de dessin, et de préoccupations, qui sont liées au quotidien, aux petites choses, aux histoires à échelle réduite. Le film est court mais certaines séquences, qui font intervenir successivement des animaux, sont longuettes. En revanche, c'est une belle approche de la musique, non simplifiée (de façon réaliste, la différence entre une exécution parfaite et une moins bonne n'est guère perceptible par l'oreille du non-musicien) et dont les correspondances visuelles sont bien trouvées par le cinéaste. 

  • Good Time (Benny et Josh Safdie, 2017)

    ***
    Urgence du filmage, fièvre du gros plan, saturation du son et course de la caméra pour montrer un braquage foireux et ses conséquences. Au bout d'un quart d'heure, on se dit qu'il va falloir que les Safdie se calment un peu pour ne pas lasser. Ce qu'ils font heureusement. Le film ralentit enfin et prend d'autres voies, tout en gardant sa tension. Il devient le récit d'une nuit de galère très scorsesienne, absurde, drôle, inquiétante. Par rapport à leur modèle, remercié au générique de fin, les cinéastes compensent une inventivité moindre par une empathie appréciable envers tous leurs personnages, jamais condamnés ni expédiés brutalement malgré la permanence de la violence. Plaisant. 

  • Une femme douce (Sergei Loznitsa, 2017)

    ***
    Loznitsa échappe aux pièges du cinéma d'auteur douloureux, moralisateur et manipulateur alors qu'il n'y va pas avec le dos de la cuillère pour montrer le périple dangereux d'une femme mutique au milieu d'une société russe incontrôlable et infernale. En filmant les trajets successifs de son héroïne renvoyée d'un interlocuteur louche à un autre buté, il provoque une accumulation absurde et inquiétante de portraits chargés. Il brouille la frontière entre fiction et documentaire par sa mise en scène fixe et rigoureuse mais animée par les multiples présences et mouvements internes. Le risque que prend le film dans les dernières minutes est payant et le réhausse encore. Loznitsa glisse clairement vers le fantastique (presque lynchien) lors d'une scène de procès où l'on retrouve les personnages croisés par la femme douce. Il interroge ainsi autrement le rapport fiction/réalité (et on se remémore alors ce qui, dans certaines scènes pouvait paraître un peu forcé, notamment dans l'interprétation). Puis il fait subir à son héroïne la violence redoutée depuis deux heures, violence qui ne cessait d'envahir les micro-récits attrapés par bribes durant le voyage, comme autant de signes annonciateurs. Cependant, le virage fantastique pris, la scène est déréalisée. Constat terrible sur la Russie donc, dressé avec une force cinématographique peu commune mais sans prise d'otage du spectateur. 

  • Blanche (Walerian Borowczyk, 1971)

    **
    Tragédie médiévale entre quatre murs de château, que Borowczyk filme frontalement en créant un mélange de théâtralité et de réalisme d'abord déconcertant puis plus prenant au fil d'un récit finalement politique (l'arrivée du roi et de son page plonge la famille qui les accueillent dans les troubles du désir, les affres de la suspicion et le malheur). Trois vedettes, Michel Simon, Georges Wilson et Jacques Perrin se partagent les rôles principaux masculins autour de Ligia Branice, dont le seul instant de nudité advient durant le générique de début. Par la suite, son corps est serré dans ses habits très couvrants mais aussi très moulants. L'érotisme est donc réprimé mais le désir reste éveillé. 

  • Les Damnés de l'océan (Josef von Sternberg, 1928)

    ***
    Beau et étonnant Sternberg muet, situé quasiment dans un seul lieu (un bar à filles sur le port de New-York dans le brouillard) et se déroulant d'une soirée au lendemain matin. Le décor est utilisé magistralement et, une fois présenté les personnages, l'histoire peut se dérouler avec fluidité et provoquer un attachement croissant. Ce qui touche, c'est l'égalité posée d'emblée entre la femme et l'homme, une prostituée (probablement) et un soutier de passage, jamais jugés (leur passé n'est même pas évoqué), profitant de la possibilité soudain offerte, d'une nouvelle chance ou bien d'un bon moment, en parfaite honnêteté. Sternberg évite tous les piégés avec subtilité : le naturalisme et le pittoresque, le fatalisme, l'effet miroir trop prononcé avec la destinée malheureuse d'un autre couple (fantastique résolution du meurtre du boss, reposant là aussi sur une honnêteté de comportement rare). L'érotisme "réaliste" des corps et l'amour des femmes sans aucune mièvrerie participent aussi au dépassement de ce qui pourrait n'apparaître que comme un mélo. Le film est ainsi de plus en plus émouvant et retourne en quelque sorte les attentes, y compris morales, fait de l'union non pas un compromis commercial mais une nécessité vitale et rebelle. 

  • Il Bidone (Federico Fellini, 1955)

    ***
    Sombre Fellini, bien gris en tout cas, dans lequel le comique reste toujours attaché à une certaine gêne. Si la vigueur de la forme et les lueurs d'espoir (dans les regards amoureux ou dans les rares personnages innocents) empêchent l'ensemble de sombrer totalement, il apparaît évident qu'en 1955, le monde allait (toujours, ou déjà) bien mal. Fellini montre une série d'humiliations verticales, son petit groupe d'arnaqueurs abusant des plus pauvres mais se voyant aussi rabaissé par les plus puissants. Comme il était encore dans sa première période réaliste, sans proposer d'échappée dans l'imaginaire, et qu'il ne sauve pas du tout, au final, son personnage principal, son film garde un ton désespéré qui l'a rendu assez mal-aimé. Même à la deuxième vision, il est pourtant à la hauteur des autres, par moments extraordinaire (la fête du nouvel an chez les bourgeois dévergondés), et construit très solidement (l'ultime arnaque qui rappelle la première et boucle la boucle tragique). 

  • The Dead Don't Die (Jim Jarmusch, 2019)

    **
    Comme l'on pouvait s'y attendre, le film de zombies de Jarmusch est aimablement référentiel, calmement politique, doucement distancié. Il trouve tranquillement mais exactement sa place entre la réussite de Ghost Dog et l'échec d'Only Lovers Left Alive. Un peu plus de sérieux n'aurait pas nuit (difficile de s'émouvoir), un peu plus de nerfs n'aurait pas fait de mal (le slowburn peut lasser de temps à autre), un peu plus de tours de vis dans le scénario n'aurait pas été de trop (s'il parvient à surprendre dans le détail, il n'est pas des plus transcendants ni des plus passionnants dans sa globalité). Les côtés les plus appréciables sont notamment la gestion des trépas, les images de l'Amérique de la marge en travellings, le dénouement "commenté" assez beau et créant un petit écart avec la fiction plus subtilement que les dialogues soudainement extérieurs de Driver et Murray sur le film lui-même. 

  • El Reino (Rodrigo Sorogoyen, 2018)

    *
    Un film politique sur un conseiller régional espagnol pris dans un scandale de corruption réalisé comme un thriller survitaminé. C'est donc mené au pas de charge du début à la fin, boosté par de la musique électro, tourné au plus près de l'acteur principal, de tous les plans où presque (Antonio de la Torre, très bien). L'efficacité est indéniable et il est difficile de ne pas être pris par certaines séquences tendues. Cependant, l'impression d'une avancée par tours de force successifs devient de plus en plus vive, notamment lors d'une dernière demi-heure assez pénible de ce point de vue. Surtout, ce qui pouvait donner lieu à une description précise de sales rouages politiques n'est finalement qu'un film immersif de plus. Un The Revenant de bureaux, de villas et de palais. Ça peut prendre aux tripes occasionnellement mais ça annihile toute analyse et toute réflexion.