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etats-unis - Page 18

  • Soyez sympas, rembobinez

    (Michel Gondry / Etats-Unis / 2008)

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    782670792.jpgSympathique et bricolo. Le sentiment que procure Soyez sympas, rembobinez (Be kind rewind) est le même que celui éprouvé face à La science des rêves, précédent film de fiction de Gondry. En 2004, Eternal sunshine of the spotless mind, l'un des meilleurs films américains de ces dix dernières années, était lui, bien au-delà du bricolage. C'est pourquoi se pose pour moi la question du verre à moitié plein ou à moitié vide devant les deux derniers, même si plusieurs choses font pencher la balance du bon côté.

    Gondry est en effet un cinéaste précieux. Le terrain sur lequel il joue (l'innocence, la fantaisie...) est bien peu fréquenté. Prolongeant au cinéma ses ébouriffants travaux dans le clip, il parvient à imposer son univers et peut apparemment faire aboutir ses projets les plus farfelus en sautant d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique. Avec Soyez sympas... et son histoire de deux amis qui ont l'idée de réaliser eux-mêmes, en quelques heures, leurs versions de SOS Fantômes ou de Rush Hour 2pour palier à l'effacement soudain des originaux VHS de leur vidéo-club, Michel Gondry peut laisser libre court à son imagination, toujours imprégnée d'une certaine nostalgie de l'enfance. L'absence de cynisme, l'innocence du regard et une sorte de décalage temporel insensible font passer l'unanimisme du message. Mais innocence n'est pas naïveté. Gondry place habilement quelques réflexions personnelles sur le droit (ou pas) au détournement ou sur le plaisir tout simple de la fabrication collective. Trente secondes, aussi hilarantes que justes, avec Danny Glover notant sur un calepin, sous le nez d'un employé-vigile tout ce que doit être un vidéo-club moderne, dénoncent de belle manière la consommation de masse des produits culturels.

    Le rythme du film est plutôt chaotique. Souvent drôles, les remakes concoctés par l'équipe de bras cassés se regardent exactement comme on tue le temps sur You Tube, l'intérêt variant selon le degré de connaissance des originaux. Pour ce qui est des interprètes principaux, Jack Black et Mos Def, entre la fraîcheur et la fausseté du jeu, la limite est parfois fluctuante. Les apparitions de guest-stars sont, elles, particulièrement savoureuses, Gondry ayant le bon goût  de ne pas forcer la dose par rapport à l'imagerie que véhiculent Danny Glover et Sigourney Weaver (pas de remake d'Alien, ni de L'arme fatale). Surtout, Mia Farrow, en quelques scènes, vole la vedette à tout le monde, à la fois présente et complètement ailleurs.

  • Le port de la drogue

    (Samuel Fuller / Etats-Unis / 1953)

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    640093039.jpgLe pickpocket Skip McCoy, officiant dans le métro, plonge sa main dans le sac d'une brunette et la soulage de son portefeuille. Au milieu des billets, il trouve un microfilm. Le voilà entre deux feux : une groupe d'espions à la solde des communistes et la police, sans compter le double-jeu mené par la jeune femme qu'il a dupé. L'histoire des mésaventures françaises de Pick up on South Street est assez connue, mais il est toujours plaisant de la rappeler (un bonus concis mais édifiant s'en charge sur le dvd édité par Carlotta). Devant la virulente propagande anti-rouge véhiculée par le film, les distributeurs d'ici décidèrent, par le détournement des dialogues de la version française, de transformer les informations liées à la défense nationale contenues dans le microfilm en données sur la fabrication d'une nouvelle drogue et les agents communistes en dealers de came. Voici pourquoi Pick up on South Street est devenu en France Le port de la drogue, alors que la version originale n'évoque jamais la moindre substance illégale.

    Les rares films de Samuel Fuller que je connaisse (Violences à Park Row, Quarante tueurs, Au-delà de la gloire) m'ont tous intéressé mais sans beaucoup de passion. Le port de la droguen'échappe pas à ce que j'espère ne pas être finalement une règle. Fuller, à chaque instant cherche l'efficacité. Chez lui, un plan doit faire passer une idée claire. L'expressivité doit être totale, quitte à ce que cela heurte la fluidité du récit. Il me semble qu'une des conséquences est un manque de liberté laissée au spectateur. Une autre est l'absence de réalisme. Le cinéaste se plaisait à propos de ce film à mettre en avant sa connaissance de ces personnages des bas-fonds. Quelques séquences, telles la formidable introduction dans le métro, l'atteste. Mais pour ce qui est du réalisme qui naît de la narration et des comportements, il ne faut pas le chercher dans Le port de la drogue. Les rôles féminins, si importants dans un film noir, posent problème. Jean Peters, ailleurs très à l'aise (Capitaine de Castille, Viva Zapata, Bronco Apache), surjoue la femme fatale à coup de répliques mensongères grosses comme une maison. Quant au personnage de Moe (Thelma Ritter), il est censé attirer notre sympathie. Seulement, cette informatrice de police qui garde son bon coeur, qui donne des noms sans trahir vraiment, s'avère plus pathétique qu'autre chose. La scène où elle voit sa fin arriver est certes brillante mais trop détachée du reste : elle est fatiguée, mais on nous le dit trop tard (trente secondes avant, quand Skip remarque qu'elle n'en peut plus) et de façon trop voyante. Ces derniers moments de Moe montrent aussi que l'argument anti-rouge plombe trop lourdement le film. La paranoïa et la révulsion de certains envers les communistes est peut-être bien observée, mais elle tombe souvent dans la ridicule. Il en est ainsi de l'échange entre Moe, la patriote, et l'espion hystérique (ce qui aida bien les distributeurs français à faire passer ce dernier pour un dealer).

    Je dois paraître sévère, mais je tente de comprendre ce qui m'empêche d'apprécier totalement, encore une fois, le génie de Fuller. Je reconnais tout à fait qu'en termes de mise en scène, certains moments sont mémorables (les éclats de violence envers Candy, l'introduction dans le métro déjà évoquée et son pendant, la bagarre sur le quai, au dénouement). La plupart des mouvements de caméra et les transitions à base de fondus enchaînés sont d'une réelle beauté. Richard Widmark, enfin, dans son emploi habituel, fait son travail.

  • Les fils de l'homme

    (Alfonso Cuaron / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 2006)

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    1271163965.jpgLes fils de l'homme (Children of men) nous transporte dans le Londres de 2027. La planète entière est livrée au chaos et la Grande-Bretagne se referme sur elle-même, menant une lutte sans merci contre tous les réfugiés. Le tableau est terrifiant entre surveillance permanente des citoyens, appels incessants à la délation et mise en cages puis en camps des immigrés. Le récit démarre avec la mort de celui qui était alors le plus jeune être humain sur terre, âgé de 18 ans. En effet, un fléau d'origine inconnue frappe depuis des années l'humanité entière : la stérilité. La surprise sera donc de taille pour Theo, quand il sera tiré de sa triste vie de bureau par son ex-femme, leader d'un groupe d'activistes, qui le charge d'escorter à travers le pays une réfugiée enceinte.

    2027 n'est pas si loin. Alfonso Cuaron crée donc un futur proche qui améliore les technologies que l'on connaît plutôt qu'il n'invente des machines extraordinaires. La science-fiction alarmiste donne souvent de saisissantes visions de métropoles grises évoquant les univers concentrationnaires. C'est le cas ici aussi, lors d'une première partie citadine particulièrement réussie, qui donne avec vigueur l'impression d'un pays sous tension, sur la défensive, prêt à exploser. Par contre, lorsqu'il s'agit d'imaginer un autre style de vie en opposition et de sortir de la ville, la difficulté est plus grande. Le refuge hippie moderne que trouve Theo chez son vieil ami Jasper (Michael Caine en roue libre) n'est pas ce qu'il y a de meilleur dans le film. Dans cette bulle, associés à quelques nouveautés technologiques, les signes nostalgiques (musique des Beatles, plaisir de la fumette, panoramique sur des vieilles photos) tombent un peu à plat. Autre alternative, l'activisme se trouve vite mis en cause par une suite de revirements aux motivations plutôt floues. Le groupe révolutionnaire finit par constituer l'autre côté de l'étau qui menace la vie de Theo et de sa protégée. Le discours élaboré est ambitieux, parfois trop. On se passerait bien de cette parabole biblique qui alourdit la dernière partie.

    Stylistiquement, Cuaron a apparemment une figure de prédilection : le plan-séquence, qui intègre dans sa durée un maximum d'événement inattendus. On est assez impressionné de voir ainsi un attentat dans un café et surtout un soudain guet-apens sur une route forestière des plus calmes. Le procédé est répété ensuite plusieurs fois, aboutissant à une succession de morceaux de bravoure : un accouchement en temps réel et une haletante course poursuite dans un contexte de guérilla. On reste bouche bée devant le travail millimétré du cinéaste et de son équipe, mais la virtuosité ostentatoire nous fait un peu trop sortir du récit.

    Je m'en voudrais cependant de paraître trop négatif avec ce film qui ne cache pas son ambition. Clive Owen est parfait en héros à la ramasse. L'esthétique se distingue agréablement du tout venant speedé et numérisé hollywoodien. Le message politique est clair et appréciable dans le contexte actuel : c'est parmi ces moins que rien que sont les réfugiés que se trouve le salut de l'humanité. De toute manière, un film où l'on côtoie Julianne Moore, ne serait-ce que pendant quelques minutes, ne saurait être mauvais.

  • L'impasse tragique, Association criminelle & Acte de violence

    (Henry Hathaway / Etats-Unis / 1946, Joseph H. Lewis / Etats-Unis / 1955 & Fred Zinnemann / Etats-Unis / 1948)

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    Allez, comme je suis parti dans le film noir classique, je reviens sur de courtes notes prises il y a deux ou trois ans de ça, soit bien avant la naissance de ce blog génial et au retentissement international (j'ai de la famille à Montréal). C'était à l'occasion d'un cycle du Cinéma de minuit, si je me souviens bien. Relisons les ensemble :

    2102258982.jpgL'impasse tragique (The dark corner)

    Le détective privé Bradford Galt vient de purger injustement une peine de prison. Il reprend son activité à New York mais se sent bientôt observé et menacé, lui et sa charmante secrétaire, par un intrigant bonhomme en costume blanc. Celui-ci dit travailler pour Anthony Jardine, l'ancien associé de Bradford. Mais la mort de Jardine montre au héros qu'il y a encore quelqu'un à découvrir derrière toute l'histoire.

    La première qualité de cet excellent film est sa distribution homogène : Mark Stevens, Lucille Ball, Clifton Webb et William Bendix, qui campe ce formidable personnage de gros détective corrompu, toujours en costume blanc. Violence et sadisme caractérisent tout le monde ou presque (l'impressionnant interrogatoire que Bradford fait subir à son suiveur). Hathaway est à son aise dans ce domaine mais il offre aussi de très jolis moments de pause à son héros et sa secrétaire amoureuse, notamment dans une belle scène de dancing. Comme souvent chez ce cinéaste, c'est le réalisme des comportements, basé sur des geste crédibles, des petits détails, qui fait accepter l'intrigue solide mais un peu tordue et expédiée sur la fin.

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    Association criminelle (The big combo)

    Le lieutenant de police Leonard Diamond tente par tous les moyens de coincer le chef de bande Mr Brown, malgré le refus de sa hiérarchie de poursuivre les frais. Autant que son devoir, c'est son attirance pour Susan, la maîtresse de Brown, qui le pousse à aller jusqu'au bout.

    Violence et sadisme sont bien les mamelles du genre. Mr Brown (diabolique Richard Conte) fait penser à d'autres figures bien plus modernes du film noir, par sa névrose, son autoritarisme, la conscience de sa toute puissance et son débit mitraillette. Il semble évident que Quentin Tarantino connaît et apprécie cette Association criminelle. Tout d'abord, "Mr Brown" est un nom qui reviendra bien sûr dans Reservoir dogs. Mais il y a surtout cette séance de torture du policier ligoté sur une chaise, forcé d'écouter la radio dans un sonotone branché à fond pour lui crever les tympans. Tarantino, lui, préfère couper l'oreille, mais il me semble que le panoramique vers le poste de radio au plus fort de la tension est le même dans les deux films. En maître de la série B (n'oublions pas évidemment le génial Démon des armes, cinq ans plus tôt), Joseph Lewis tire le meilleur parti possible du manque de moyen, en accentuant la pénombre autour de sources lumineuses particulièrement vives ou en filmant en longs plans mobiles. Cerise sur le gâteau, Jean Wallace, blonde très troublante luttant plus ou moins pour se défaire de l'emprise de Mr Brown nous gratifie d'une scène sidérante quand son visage s'illumine en gros plan au moment où son homme disparaît derrière ses épaules pour descendre on se demande bien où. Voilà une série B toute proche du chef d'oeuvre.

    Acte de violence (Act of violence)

    Tiens, le chef d'oeuvre, le voici. Frank Enley vit paisiblement avec sa femme et son fils lorsqu'il s'aperçoit qu'un certain Joe Parkson rôde autour de chez lui. Ce dernier vient accomplir une vengeance, liée à leur expérience commune de la guerre.

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    Ce fabuleux Acte de violence est d'abord le récit d'une obsession, celle qui taraude Joe Parkson depuis la sortie de la guerre. Évoquant les traumatismes consécutifs à cette catastrophe, Zinnemann nous décrit deux caractères : le soldat cassé (physiquement et moralement) et l'officier refoulant sa lâcheté et sa trahison passées. Le cinéaste évite le flash-back redouté et préfère faire parler les personnages plusieurs minutes après le début du film et donc de la chasse à l'homme. Sans aucune fioriture, on entre de suite dans le vif du sujet et l'histoire se dévoile petit à petit. Il pèse sur le film une ambiance de violence rentrée, admirablement rendue lors du chassé-croisé en barques sur le lac ou quand Parkson rôde toute la nuit autour de la maison du couple. Comme chez Fritz Lang, la morale et le dilemme, prennent le pas sur l'enquête.

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    Le rôle dévolu à l'épouse de Frank (Janet Leigh impeccable), est loin d'être convenu, plein d'ambiguités. Le dénouement du film, attendu, est "heureusement malheureux" pour Enley et prive du même coup Parkson de sa vengeance. Les deux acteurs principaux sont superbes. Van Heflin est à l'aise au foyer comme dans les bas-fonds de Los Angeles (magnifiquement filmés) et Robert Ryan est imperturbable, boitant, engoncé dans son imperméable. Fred Zinnemann laisse les scènes durer, privilégie les long plans lors des dialogues (très peu de champs/contre-champs) et signe au final un très grand film noir.

  • Marché de brutes

    (Anthony Mann / Etats-Unis / 1948)

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    1943073846.jpgAprès En quatrième vitesse, continuons sur le même terrain et passons avec Anthony Mann ce Marché de brutes (Raw deal). En 48, le cinéaste n'est pas encore l'un des grands maîtres du western, mais est déjà un solide artisan du film noir. Et en effet, tout est là : ombres et lumières, personnages obsessionnels, destins tragiques, sans oublier les contraintes budgétaires qui stimulent l'invention visuelle.

    Joe Sullivan est en prison. Il a payé à la place de Rick. Celui-ci, par l'intermédiaire de Pat, la régulière de Joe, parvient à lui faire croire qu'il a organisé son évasion, alors qu'il sait pertinemment qu'il n'a aucune chance de s'en sortir. Seulement voilà, Joe réussit à se faire la belle...

    La vengeance est en marche. L'habileté de Mann lui permet de donner un éclairage (dans tous les sens du terme, avec John Alton à la photo) original à la plupart des passages obligés. Le style est sec comme un coup de trique dans les séquences d'évasion et de cavale, jouant de l'ellipse pour accélérer le tempo (Joe et Pat déboulant en taxi volé, le conducteur inerte sur la banquette arrière). Une bagarre mémorable dans l'arrière boutique d'un magasin pour chasseurs entre Sullivan et Fantail (l'inquiétant John Ireland) porte la violence à son point le plus chaud, ou plutôt, le plus froid (obscurité, absence de musique, rapidité des gestes).

    Le scénario place le héros entre deux femmes aux caractères opposés, ce qui a tendance à casser le rythme et à psychologiser un peu trop l'ensemble, si intéressante que soit la situation. J'apporterai le même bémol à la séquence du refuge chez le vieux couple, lors de laquelle arrive un incident signifiant mais dur à avaler (un tueur poursuivit par la police meurt sous les balles des flics sous les yeux des fugitifs). De même, la fin est brillante mais assez conventionnelle dans son suspense.

    Tout au long de ce Marché de brutes, et à chaque niveau, se pose finalement la question du choix entre deux options, deux chemins aux directions radicalement opposées : choisir entre deux femmes, choisir entre deux routes, choisir entre cacher la vérité à son homme et avouer au risque de le perdre, choisir entre tirer un coup de feu et garder ses distances, choisir entre rentrer chez soi et faire demi-tour pour revenir dans la gueule du loup...

    Le figure sadique du film est celle de Rick. Raymond Burr l'incarne de façon bien monolithique, ce qui ne l'empêche nullement de balancer une poêlée d'alcool flambé à l'une de ses amies, devançant ainsi largement Lee Marvin et sa cafetière bouillante de Règlement de comptes. Les deux personnages féminins, attachants, pâtissent d'interprétations inégales (sauf dans la très bonne séquence où Pat et Joe débarquent de nuit chez Ann). Dennis O'Keefe est lui remarquable.

    Je chipote quelque peu, peut-être en pensant trop au grand Anthony Mann du cycle James Stewart. Marché de brutes doit de toute façon être vu comme l'un des exemples les plus représentatifs du genre noir.

  • En quatrième vitesse

    (Robert Aldrich / Etats-Unis / 1955)

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    En quatrième vitesse sur grand écran dans ta face.

    Robert Aldrich n'a jamais été un cinéaste respectant les convenances. Ce fut l'une des raisons principales à la fois de sa fortune critique dans les années cinquante et plus tard des polémiques entourant ses films de guerre. Ce goût pour le coup du poing vers le spectateur éclate pour la première fois dans son cinquième effort (juste après deux classiques du western moderne : Bronco Apache et Vera Cruz), ce Kiss me deadlygardant le même titre choc que le roman de Mickey Spillane qu'il adapte et s'imposant comme l'un des plus grands films noirs (le meilleur ?) de cette décennie.

    En le revoyant, on constate déjà que le souvenir que l'on gardait de sa foudroyante séquence d'ouverture n'était point altéré. En démarrant d'entrée sur cette fille affolée au milieu de la route, Aldrich n'attend pas que l'on soit confortablement installé dans son fauteuil pour nous plonger dans les ténèbres et n'envoie son générique (défilant à l'envers) que lorsque nous sommes bien saisis.

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    En ramassant cette pauvre fille qu'il a manqué d'écraser, le détective Mike Hammer se voit donc entraîner dans l'une de ces enquêtes bien obscures et tordues. Le gars (Ralph Meeker, archétype du bloc en marche) est un sacré dur, qui sait autant y faire avec les femmes peu farouches qu'avec les hommes de mains menaçants. Au début de l'aventure en tout cas. Car ensuite, c'est plus compliqué. Hammer est de plus en plus dépenaillé, de plus en plus violent avec ses interlocuteurs. Plus son enquête progresse, moins il prend le temps de tergiverser pour obtenir les informations qu'il souhaite avoir : ces noms qui le font rebondir d'un homme à un autre. Complètement hébété, il finit par réaliser que la clé de l'énigme, son graal, le dépasse. Avoir entr'aperçu la chose, en être marqué au poignet lui suffit. Il ne tient plus alors que par le désir de sauver sa "secrétaire" Velda. Ahh Velda... A-t-on vu ailleurs un visage en sueur aussi érotique, que ce soit après un exercice de danse ou sortant d'un sommeil profond ? Velda, c'est Maxine Cooper, seulement quatre rôles au cinéma, dont trois pour Aldrich. Pour rester dans l'émoustillant, notons que dans Kiss me deadly, si les femmes semblent habillées normalement, elles ont tout de même rarement quelque chose en dessous (Christina en imperméable, Gabrielle en peignoir et Velda dans ses draps).

    L'ambiance pleine de mystères chére au film noir est plusieurs fois poussée à l'extrême. Hors-champ, Mike Hammer met violemment hors d'état de nuire l'un des tueurs (qui se demandera toujours, et nous avec, comment le détective a pu ainsi le tétaniser en une seconde). Les personnes croisées au cours de l'enquête paraissent toujours en savoir un peu plus que ce qu'ils en disent, voire devancer les pensées du héros (le légiste à la morgue qui hoche la tête en silence au fur et à mesure que ce dernier réfléchit à haute voix). Toutes les femmes se pendent instantanément au cou de Hammer et les révélations qui prouvent ensuite que ce sont là des gestes délibérés et trompeurs n'enlèvent rien à l'étrangeté des comportements. Dans sa dernière partie, le film vire à la science-fiction, tout en gardant la sécheresse du polar, à l'image de la scène où Gabrielle, qui tient en joue Hammer, lui demande un baiser mais lui tire dessus soudainement. Tout cela avant d'ouvrir la "boîte de Pandore" (nommée ainsi dans le film par son possesseur).

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    Tout du long, Aldrich joue de sa caméra en virtuose (jusqu'à ce plan que l'on peut qualifier de graveleux : quand Gabrielle allongée sur son lit pointe son flingue vers Mike Hammer qui vient d'entrée dans sa chambre, l'axe choisi donne l'illusion parfaite que le pistolet est dirigé vers l'entrejambes du privé). Mais autant que le talent visuel, c'est le travail sur le son qui impressionne. Il en est ainsi dans les deux séquences qui encadrent cette heure et demie de rêve de film noir : le générique du début se déroule en mêlant à la chanson de Nat King Cole les sanglots et gémissements de Christina et lors du dénouement, des cris inhumains percent le souffle de l'explosion.

    Alors, titubants, ayant échappés au pire, les pieds dans l'eau, Mike et Velda peuvent s'éloigner. Trop atypiques pour s'embrasser à pleine bouche comme le voudrait la convention, ils se soutiennent l'un et l'autre. Et c'est bien plus fort.

  • The war

    (Ken Burns et Lynn Novick / Etats-Unis / 2007)

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    207004940.jpgArte vient de terminer la diffusion de la série documentaire The war. Quatorze épisodes, soit près de quatorze heures au total, pour raconter la seconde guerre mondiale vue du côté américain. En se lançant dans cette saga, le documentariste Ken Burns (et son associée Lynn Novick) avait un double but : retracer l'historique des batailles menées sur les fronts de l'Afrique du Nord, de l'Europe de l'Ouest et du Pacifique, mais aussi et surtout donner à voir la guerre à hauteur d'homme en partant d'expériences personnelles.

    La mise en scène se construit donc d'une part sur les archives d'époque (reportages filmés ou photographiques, articles de presse, enregistrements radios, lettres...) et d'autre part sur les témoignages de vétérans interviewés à cette occasion. Il n'y a aucune reconstitution (plaie actuelle des documentaires historiques destinés à des diffusions télé) et les images d'archives sont respectées. Elles sont ré-assemblées par un montage vif et sonorisées. Mais ce sont les seules manipulations que s'autorisent les auteurs : il n'y a donc pas non plus de colorisation (les images en couleurs le sont réellement à l'origine, essentiellement tournées sur le front Pacifique). La masse de documents montrés est impressionnante, au point que chaque plan nous semble vu pour la première fois, y compris en ce qui concerne les événements les plus connus, comme le débarquement.

    Au fur et à mesure du voyage, remontent les souvenirs de cinéma de chacun et se pose la question du rapport entre la fiction et ces images brutes. La question est certes moins brûlante que lorsque l'on aborde la représentation de la Shoah (je renvoie à ma note récente sur Être sans destinet à l'échange qui a suivi dans les commentaires), mais elle taraude tout de même, tant l'effet d'une vue documentaire sur un blessé ou sur un corps qui s'affaisse diffère d'un plan similaire intégré à une fiction (oui, c'est vrai, au moins une chose ne peut être re-créée, le passage du film de Burns consacré à la libération des camps nous le rappelle : le regard insondable que lance un déporté à la caméra des libérateurs). Du point de vue de l'imaginaire cinéphile, un exemple parmi d'autres : Eastwood n'a en rien exagéré, avec ses effets numériques, l'enfer vécu par les combattants sur Iwo Jima, les images montées par Ken Burns sont exactement les mêmes.

    Tout au long de la série, avec cette durée inhabituelle, ce que l'on voit à l'écran semble de plus en plus violent, les corps de plus en plus sanglants ou mutilés (nous sommes loin des croisades modernes où la mort des soldats US reste invisible). Chaque bataille se termine avec le compte rendu chiffré des victimes de part et d'autre. L'un des intérêts du documentaire est déjà de remettre clairement en tête le déroulement des opérations, la lente évolution des différents fronts, notamment pour ceux qui comme moi connaissaient mal la chronologie des affrontements côté Pacifique. Le film rappelle une chose mieux connue ici mais que l'on oublie régulièrement : le débarquement de juin 44 ne coïncide pas avec la victoire. Les combats durent un an de plus et nombre de batailles provoque des pertes encore plus élevées que celles des plages de Normandie.

    Pour mieux faire le lien entre le particulier et le général, Burns s'est restreint à suivre les parcours singuliers de soldats originaires de quatre villes moyennes américaines. Cela lui permet entre autres de brosser un tableau très précis de l'arrière, habituellement occulté dans les documentaires sur la guerre, au travers des témoignages des femmes ou des ouvriers. On voit ainsi ces villes et leurs populations passer de l'insouciance à l'effort de guerre enthousiaste puis à la crainte et à la lassitude. Dans chaque épisode, nous faisons l'aller et retour entre les champs de batailles et l'Amérique, constatant l'écart parfois énorme existant entre la réalité du terrain et le ressenti des civils. Et comme il avait commencé en posant longuement la situation sociale, culturelle et économique de ces quatre villes avant Pearl Harbor et l'entrée en guerre, Burns s'attarde aussi en bout de course sur le retour des soldats et leur vie d'après. C'est sur ces témoignages poignants et précis d'hommes expliquant la cassure psychologique irréparable qu'a causé chez eux l'expérience de la guerre que Ken Burns termine son film.

    Il n'aura pas occulté non plus toutes les zones d'ombres liées au conflit : le thème de la ségrégation des Noirs qui parcourt toute la série, l'internement en camps des Américains d'origine asiatique vivant aux Etats-Unis, les multiples erreurs des généraux, les exactions commises envers les soldats ennemis, les terribles bombardements des villes allemandes et bien sûr, les deux bombes atomiques. L'ampleur de l'oeuvre tempère ainsi le patriotisme. Il faut rappeler surtout son utilité première, pour les Américains, ces amnésiques, dont une partie non négligeable de jeunes pensent aujourd'hui que leurs soldats se sont battus pendant la guerre aux côtés des Allemands, contre les Soviétiques. De notre côté, Ken Burns, en articulant parfaitement des archives étonnantes et des propos de vétérans à qui il laisse le temps de parler longuement, permet à chacun de s'interroger sur ses convictions et sur la notion de guerre juste.

  • There will be blood

    (Paul Thomas Anderson / Etats-Unis / 2007)

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    Je commence par mon petit geste d'humeur habituel envers certains critiques. Dès ses débuts, Paul Thomas Anderson s'est vu collé une étiquette sur le dos, celle de petit malin. Ceux qui emploient cette expression désignent ainsi tout cinéaste généralement américain, jeune, à la technique irréprochable, très cinéphile et sachant travailler les genres populaires pour mieux les revigorer. Le cinéaste idéal, donc ? Et bien non, ils vous diront qu'ils ne sont pas dupes, que tout cela n'est qu'apparence, qu'un voile masquant la vacuité et le cynisme du prodige. Alors juste une question : que sont Reservoir dogs, Miller's Crossing, Boxcar Berta, Le Parrain, L'ultime razzia, Citizen Kane, sinon des films de petits malins ? Moi j'adore les petits malins.

    Passons aux choses sérieuses. L'aboutissement que constitue There will be blooddans la filmographie de Paul Thomas Anderson est finalement logique. Boogie nights (1997, deuxième long-métrage mais première distribution française, Sydney, 1996, n'étant sorti qu'en dvd), Magnolia (1999), Punch-drunk love (2002) : chaque nouveau film se révélait meilleur que le précédent.

    Au tout début du XXe siècle, un homme fait fortune en rachetant à des fermiers leurs terrains arides afin d'en extraire du pétrole. Tout film traitant de cette autre conquête par des pionniers, celle du sous-sol, fait naturellement naître une opposition visuelle entre verticalité (les derricks) et horizontalité (les paysages). Paul Thomas Anderson ne se cantonne pas à cette simple évidence géométrique. D'une part le désir d'élévation de Daniel Plainview est redoublé, concurrencé, mais sur un autre terrain : celui de la foi. A côté du derrick se construit en même temps une église, celle de Eli Sunday. Cette course entre les deux hommes, entre deux visions, ne cessera pas. Si Plainview désire s'élever ainsi, c'est parce qu'il sait que tout nous ramène à terre. S'affaisser, c'est mourir, ou presque. Les accidents projettent violemment sur le sol, obligeant à ramper pour sauver sa peau, l'humiliation de l'autre se fait en le terrassant, s'endormir allongé laisse à la merci d'un pistolet ou d'un incendie. On comprend alors pourquoi Daniel Plainview, dans les trois moments les plus intenses où il est au contact de son fils H.W., à chaque fois, le porte à bout de bras (pour le sauver, le punir ou fêter des retrouvailles).

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    Ces trois séquences admirables sont traitées en longs plans généraux. Cette figure, privilégiée tout au long du film, permet d'embrasser tout le paysage et d'y inscrire très fortement les personnages. L'arrivée de Plainview, accompagné de son fils, au ranch des Sunday en est l'exemple parfait. La fluidité des amples mouvements de caméra permet de s'imprégner du lieu, la conversation entre les protagonistes démarrant même avant que nous nous approchions d'eux. Le cinéaste semble constamment inventer sous nos yeux des figures inédites, des mouvements, des postures : un saut au dessus des flammes pour sortir de son lit, une explosion de colère par dessus la table, un pugilat dans une mare de pétrole... De la stylisation naît un réalisme étonnant. Les dialogues se font souvent rares. Ils ne sont pas pour autant lourds de sens, mais frustres, justes, parfaitement en accord avec le monde décrit. Si ébouriffante soit la fiction, There will be blood est aussi un formidable documentaire.

    Le récit avance par blocs. Et entre deux blocs, il y a des trous : quel pêché le vieux Bandy reproche-t-il exactement à Daniel ? Ce dernier tuera-t-il vraiment un jour celui qui veut lui racheter ses lots ? Et ce fils, ce frère, qui sont-ils ? Ambigus, les liens familiaux ne perdent pourtant rien de leur force. La façon dont sont filmées les rencontres de Plainview avec les fermiers, avec ces plans cadrant ensemble le père discourant et le fils silencieux, libère une intrigante beauté. On ne l'attend pas spécialement sur ce terrain, mais P. T. Anderson montre qu' il peut atteindre à l'émotion simplement par deux ou trois détails bouleversants de justesse : le refus de H.W., sous le choc de l'accident, de lâcher le cou de son père et puis ses grognements plaintifs qui ne peuvent s'arrêter même quand ce dernier, allongé contre lui, le lui demande. L'effet de mise en scène qui consiste à donner au spectateur, un instant, l'impression d'une surdité subjective (comme on parle de caméra subjective) est régulièrement utilisé maintenant, notamment pour des scènes de guerre avec explosions multiples. Ici, les lèvres qui bougent sans qu'un son n'en sorte atteignent la beauté du cinéma muet.

    Le rythme du film et la période abordée aident aussi à faire ce rapprochement. Un autre mènerait vers le cinéma de Terrence Malick. Même lyrisme secret, même montage musical. Pour gagner cet autre pari, il fallait trouver la bande son parfaite. La réussite dans ce domaine tient du miracle quand on sait que c'est apparemment la première contribution significative de Johnny Greenwood à la musique de film. Le plus fort est que la modernité de cette bande originale ne soit pas due aux instruments utilisés (ni anachroniques, ni décalés, essentiellement des cordes et des percussions, loin de l'univers de Radiohead) mais à sa texture si particulière et son utilisation.

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    Il serait gonflé de faire l'éloge de There will be bloodsans parler de Daniel Day Lewis, meneur d'une troupe unanimement excellente. On ne voit pas finalement qui d'autre aurait pu tenir ce rôle, de manière aussi intense. Pourtant, il ne tire pas tout à lui, laisse la place, même à ceux que son personnage domine. En deux heures de film, il a été capable de passer d'un Jack à l'autre : de Palance à Nicholson. L'épilogue situé en 1927 désarçonne quelque peu. Le dernier quart d'heure évoque assez ouvertement, contrairement à tout ce qui précédait, Kubrick et Shiningpar la monumentalité et la symétrie d'un décor fermé, par le mélange de grotesque et de violence et par une phrase conclusive forte et absurde. La forme peut se discuter mais il est certain que la séquence restera en mémoire.

    Dans There will be blood, intentions et réflexions se dévoilent et se développent à partir d'un récit et d'une incarnation forte, au lieu de leur pré-exister. Film ample, d'une grande ambition et s'articulant en une série de scènes magistrales, surtout dans sa partie centrale (séquence inoubliable de l'incendie du puits) : un rêve de cinéma hollywoodien comme il s'en réalise de temps en temps.

     

    PS : Arrivant un bon mois après la sortie, et dans un souci Bayrouiste de dépassement des clivages, je vous invite à lire les avis de bloggeuses et bloggeurs de bonne compagnie : Dasola, Neil, Eeguab, Ishmael.

    Photos : dvdbeaver.com

  • Year of the Horse

    (Jim Jarmsuch / Etats-Unis / 1997)

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    1369832358.jpgYear of the Horse a (déjà) dix ans. Jarmusch y filme Neil Young (lequel venait de signer la bande originale de Dead man) en compagnie de son groupe Crazy Horse. Le cinéaste sortait donc de son fameux western avec Johnny Depp, qui le relança au moment où son cinéma commençait sérieusement à s'essouffler. On pouvait ainsi s'attendre à ce que le documentaire prenne lui aussi un chemin original. Il n'en est rien. Jarmusch utilise la formule classique alternant bribes d'entretiens et morceaux live. Il n'hésite même pas à intercaler par endroits des scènes de la vie des rockers en tournée et l'une des choses les plus barbantes et inutiles qui soit : des images de techniciens s'affairant à installer le matériel avant le concert.

    Des entretiens avec les membres du groupe ne ressort rien de bien fracassant. Poncho Sampedro, guitariste, en rigolant à moitié, raille régulièrement Jarmusch à coups de : "Tu crois qu'un petit cinéaste branché comme toi va arriver à percer le secret du Crazy Horse en posant deux ou trois questions ?". Et effectivement, entre une tentative infructueuse de définir leur son si particulier et l'évocation des disparus depuis le début de l'aventure, seuls quelques phrases se retiennent, telle celle de Neil Young confiant que David Briggs, défunt producteur, leur a apprit à être de plus en plus "purs" dans leur musique. C'est effectivement l'une des explications possibles de leur incroyable longévité artistique. En dehors des interviews, des séquences filmées lors de tournées en 76 et en 86 sont insérées. Elles ajoutent à l'hétérogénéité de l'ensemble, malgré leur intérêt "historique", la mise en évidence d'un changement de mode de vie, en particulier avec l'abandon des drogues, et la preuve par l'image du lien tissé entre chaque membre. Young, dans sa discographie pléthorique, multiplie les rencontres et les changements de style. Il revient pourtant toujours, entre deux projets solo ou parallèles, vers le Crazy Horse. Son refus de se considérer comme plus important que les trois autres peut passer pour un discours convenu, mais à chaque séquence live c'est bien cette fusion des quatre personnalités (toujours regroupés au centre de la scène, à se toucher presque, quelque soit sa taille) qui impressionne.

    Car heureusement, il y a la musique. Et Jarmusch opte pour le seul choix acceptable dans ce genre de film : laisser chaque morceau se dérouler dans son intégralité, ce qui ne va pas forcément de soi quand on sait l'habitude qu'a Neil Young de les étirer au-delà des dix minutes. La captation est sobre, en longs plans généraux ou plus rapprochés, malgré quelques brefs inserts de paysages ou de spectateurs complètement hors-contexte (la rigueur dans la construction n'a jamais été le point fort de Jarmusch). Year of the Horse n'a donc rien d'un pièce majeure dans la filmographie du cinéaste. Son intérêt tient quasi-exclusivement dans cette dizaine de séquences live noyées sous des flots de guitares bruitistes et magnifiques où l'on admire la fougue, l'intensité, la mise en danger perpétuelle d'un artiste incontournable, le seul de sa génération à ne pas se reposer sur son statut mythique, à ne pas livrer de shows nostalgico-mégalo-routiniers et à sortir annuellement des albums aussi beaux que ceux ayant fait sa gloire il y a maintenant près de 40 ans. Il faut absolument que je me procure Neil Young : Heart of gold, concert filmé par Jonathan Demme et sorti sur les écrans en 2006 (ne serait-ce que pour confirmer que Demme est le meilleur cinéaste dans le genre, lui qui travailla avec les Talking Heads pour l'admirable Stop making sense en 86).

  • Shotgun stories

    (Jeff Nichols / Etats-Unis / 2007)

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    1848688301.jpgShotgun stories est un film qui fait la gueule, Shotgun stories n'est pas un film aimable. Ce n'est pas forcément un défaut, comme le montre parfois le cinéma de Breillat, de Dumont ou de Haneke. Ici pourtant, quelque chose me gêne.

    Dès les premiers plans, une chape de plomb pèse sur chaque personnage. Le poids de la tragédie ne semble jamais devoir s'alléger. La ligne, le ton, ne dévient pas. Les dialogues sont rares mais chargés eux aussi (amour, haine, vengeance, famille). Un engrenage répétitif, opposant deux fratries, se met en marche à partir d'un éclat lors d'un enterrement, celui d'un père ayant eu deux vies de famille successives. Le conflit est montré du point de vue des trois frères abandonnés au terme du premier mariage. Leurs prénoms résonnent lourdement du manque d'amour parental : Son, Boy et Kid. L'interprétation, par des visages peu ou pas connus, est intéressante sans être transcendante (Michael Shannon était plus à l'aise l'an dernier dans le Bug de Friedkin).

    L'histoire n'est pas située clairement dans le temps. Elle pourrait dater des années 70. De fait, c'est tout un pan du cinéma américian de cette periode qui est convoqué : Malick et Badlands pour la violence dans le cadre d'une petite ville de campagne filmée en scope et pour le montage "musical", Monte Hellman pour ces moments du quotidien où rien ne se dit de spécial, rien ne se passe d'important, et enfin tous ces films d'horreurs du genre Massacre à la tronçonneuse, faisant naître le pire du calme paysage champêtre. L'ambiance est à la menace sourde. Chaque nouveau plan nous voit guetter avec inquiétude telle voiture entrant dans le champ. Régulièrement annoncée, la violence est, passés les prémisses, maintenue hors-champ ou désamorcée.

    Pas de doute, Jeff Nichols sait y faire et sait ce qu'il veut. Seulement, si maîtrisé que soit son film, les intentions sont toujours évidentes (un seul exemple : le thème musical passe insensiblement du folk au lamento, suivant en cela la montée dramatique, pour repasser sur la fin des violons à la guitare quand une lueur d'espoir se fait enfin sentir). Il y a peu de latitude laissée aux sentiments du spectateur. Une légère impression de manipulation flotte. Il serait idiot de nier que Shotgun stories soit un bon film et un début de carrière plus qu'honorable, mais le volontarisme de l'ensemble génère comme un picotement désagréable.