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etats-unis - Page 17

  • Wall-E

    (Andrew Stanton / Etats-Unis / 2008)

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    walle.jpgDepuis quelques années moins attentif aux sorties de films d'animation en général et des productions Pixar en particulier (dont je n'avais finalement vu, comme longs-métrages, que les excellents 1001 pattes et Monstres et Cie, puisque ne connaissant que quelques passages de Cars ou Nemo, croisés au hasard de ces fins de soirées entre amis où les enfants se calment devant un dvd), je me suis laissé porté vers ce nouveau Wall-E, cédant à la fois à une critique enthousiaste et à une forte pression familiale. Après la projection, le dessin animé événement de 2008 me laissa un brin perplexe : proprement stupéfait par la technique mais désappointé par la faiblesse du scénario et la réflexion sérieuse mais limitée que propose le film.

    Toute la première partie se déroule sur une Terre croulant sous les déchets, dépourvue d'humains et, croit-on pendant un petit moment, de toute matière vivante. Wall-E, petit robot nettoyeur doté de sentiments, est le seul à s'y activer encore (accompagné toutefois d'un minuscule insecte mécanique, vieille tradition disneyenne du compagnon secondaire). Aucune parole n'est logiquement prononcée pendant tout ce temps, jusqu'à l'arrivée d'un deuxième robot, plus sophistiqué, plus féminin : cette Eve dont Wall-E tombe aussitôt amoureux. Est-ce le fait d'avoir raté quelques étapes dans la production Pixar ? Toujours est-il que le choc esthétique fut pour moi réel. Fluidité parfaite des mouvements, rendu des textures, travail sur la lumière et la profondeur de champ : pratiquement tous les plans rivalisent avec n'importe quelle grosse production tournée en images réelles. Cette vision d'une Terre (d'une Amérique, plutôt) d'après-Apocalypse se tient, sans faire appel à de trop évidentes références iconographiques ou cinématographiques (cela ne durera pas, malheureusement). L'ambition est donc indéniable mais ces belles promesses sont malmenées dans une seconde partie bien moins intéressante.

    Quelques signes nous le faisaient pressentir : des humains ne sont pas très loin de là. En effet, Eve est une sonde envoyée à la recherche d'une trace de vie. Sa mission remplie, elle repart vers le vaisseau spatial d'où elle a été lancée, avec Wall-E accroché au carénage de sa fusée. Nous découvrons alors un nouveau cadre : celui d'une ville flottante où les humains, obèses, ne quittent jamais leurs fauteuils volants, gardent les yeux rivés sur leur écran et laissent toutes sortes de robots sophistiqués faire tout à leur place. Le message est clair et l'idée est bonne, mais ce n'est qu'une idée. Jamais aucun personnage humain ne prendra une quelconque épaisseur (si je puis dire) et jamais le scénario n'ira plus loin que cela, cantonnant le reste du métrage à une banale course poursuite. De plus, imaginer un futur apocalyptique est toujours plus gratifiant esthétiquement que décrire un monde aseptisé, immaculé et rondouillard. Point de détail qui agace également, Andrew Stanton ne peut s'empêcher de lâcher les sempiternelles références à 2001, l'Odyssée de l'espace. Les valses de Strauss, l'oeil rouge de l'ordinateur : il va falloir que quelqu'un dise aux réalisateurs d'arrêter avec ces clins d'oeil qui deviennent des grosses tapes sur l'épaule. Les adultes ont déjà vu ça cent fois et les enfants ne savent pas qui est Stanley Kubrick.

    De par son sujet forcément moins drôle, mais aussi moins profond qu'il n'y paraît (Monstres et Cie, au-delà des péripéties, ouvrait bien davantage sur l'imaginaire), Wall-E, tout agréable qu'il soit, se trouve finalement un peu trop réduit à une jolie histoire d'amour légèrement sirupeuse et à un message d'alerte appuyé sur le devenir de notre planète. D'où cette petite déception, ce goût d'inachevé, de renoncement à une oeuvre totalement originale dans son propos et sa construction.

  • Diary of the dead

    (George A. Romero / Etats-Unis / 2008)

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    Diaryofthedead.jpgCinquième volet de la série des Morts-vivantsde Romero, Diary of the deada, depuis sa sortie en juin dernier, partagé un peu la critique et beaucoup les bloggeurs (voir plus bas). Personnellement, seul le quatrième épisode (Land of the dead) m'est inconnu. Les trois premiers (dont Le jour des morts-vivants auquel j'ai consacré une note ici) m'avaient fortement intéressé, sans toutefois me faire prendre George A. Romero pour autre chose qu'un petit maître de l'horreur (si je considère l'après-Mario Bava, je ne qualifierai d'ailleurs personne, dans le genre, de grand maître : ni Argento, ni Carpenter, ni Craven, en sachant que si Cronenberg mérite l'appellation c'est qu'il est vite passé à autre chose. Fin de la parenthèse, début des commentaires outrés ?). J'attendais cependant avec une certaine impatience de voir cette variation. Assez cruelle fut la déception.

    Il y a plusieurs raisons à cela, mais l'une dépasse toutes les autres. On le sait, chaque film de la série traitait en creux d'un mal de l'époque. Le Romero 2008 s'attaque à la multiplication des images, au nouvelles technologies et aux nouvelles sources d'informations qui en découlent. Je viens d'écrire, concernant les épisodes précédents, "traitait en creux" : le problème se limitait à un fond politique ou à un cadre symbolique. Or, Diary of the deadest un discours et il n'est presque que cela. Une poignée d'étudiants en cinéma part tourner un film d'horreur dans leur mini-bus quand se déclare la fameuse épidémie. Le metteur en scène du groupe décide alors de tout filmer autour de lui, pour témoigner, via internet, du chaos (que l'on ne ressent guère de par le dispositif choisi par Romero, j'y reviendrai). Ses compagnons lui rappellent sans cesse qu'il y a autre chose à faire que de filmer (mais comme les morts entraînent les morts, le virus de la caméra-témoin se propage lui aussi à toute l'équipe). Tourner au lieu de (sur-)vivre, être dépendant des flots d'images, se laisser avaler par tous ces écrans sans exercer de sens critique : voilà le mal dénoncé par Romero dans une mise en garde qui ne se distingue pas par sa nouveauté. Si seulement tout cela était dit à une ou deux occasions... Mais non, absolument chaque scène rabâche cette même idée et le plus souvent en passant par les dialogues, ce qui ajoute encore à la lourdeur.

    Diary of the dead, hormis quelques inserts venant d'internet, a pour unique source d'image les rushes tournés par l'équipe d'étudiants. Ce choix, encore une fois peu original (Le projet Blair Witchm'avait, à l'époque, plus bluffé sur ce plan-là), nous prive de la mise en scène des espaces clôts sur laquelle les précédents volets étaient basés. Mise à part la luxueuse résidence du dénouement, aucun décor n'est marquant. Et nous de nous dire qu'un film au regard classiquement objectif, qui permettrait d'élargir le cadre, quitte à le mélanger avec ces prises de vues documentaires, aurait très bien pu aborder pertinemment le thème tout en bénéficiant d'une plus ample mise en scène. Le profit que tire Romero de son dispositif est bien mince : quelques jeux plaisants autour des images manquantes (problèmes de batteries déchargées, place du cameraman trop éloignée de l'action) et crédibilisation des attaques des zombies par le resserrement du cadre.

    Mais, autres soucis, Romero ne propose toujours pas une direction d'acteurs convaincante ni des dialogues brillants et l'habituel renversement des valeurs (les milices Noires généreuses et la Garde Nationale qui pille) devient routinier. Le meilleur réside donc encore une fois dans la façon de filmer les morts-vivants, toujours inventive et très poussée ici vers le hors-champ. Un léger redressement se remarque dans le dernier quart d'heure, si l'on excepte le passage ridicule de la répétition dans la réalité de la scène de la momie et de la fuite de Tracy avec le bus. La contamination de l'acte de filmer, déjà évoqué, la démarche alcoolisée qui devient zombiesque, l'enfermement des survivants, la séquence-choc finale qui interroge frontalement notre voyeurisme, nous font un peu oublier la lourdeur du dispositif. Mais on note aussi que pour la première fois dans la série, les gestes et les stratégies sont très peu réfléchis au regard du danger, ce qui facilite grandement les morsures. Une chose étonne : ces étudiants en cinéma, connectés et sur-informés n'ont manifestement jamais vu aucun film de Romero.

    Autres avis, très partagés, à lire chez : Ishmael, Doc Orlof, Shangols, Pibe San, Rob Gordon, Norman Bates.

  • La montagne sacrée

    (Alexandro Jodorowsky / Mexique – Etats-Unis / 1973)

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    montagne sacre.jpgPar rapport à El Topo, La montagne sacrée (La montana sagrada) bénéficie d'une mise en scène fondée sur des compositions plastiques encore plus soignées et l'oeuvre n'est reliée à aucun genre cinématographique précis, ce qui a l'avantage de la délester de tout aspect parodique. Malheureusement, ce deuxième trip en compagnie d'Alexandro Jodorowsky m'a totalement découragé.

    Notre homme structure à nouveau son film en de larges panneaux découpant des parties très distinctes les unes des autres et use d'un mode de narration répétitif à l'intérieur de chacune. La première décrit l'arrivée dans une ville latino-américaine sous contrôle militaire d'un nouveau Christ. Celui-ci, toujours en tenue officielle (celle qu'il a sur la croix, à moitié nu donc), rencontre après quelques vicissitudes, un grand maître alchimiste qui le prend sous son aile et le présente à huit autres personnalités importantes (toutes sont les figures d'un certain pouvoir : entrepreneur, chef de la police, marchand d'armes...). Ce groupe ainsi formé, après avoir atteint un niveau spirituel précis, doit gagner le sommet de la Montagne sacrée pour étendre son influence sur le monde entier.

    Entrer plus précisément dans les détails pourrait être drôle, mais le coeur n'y est plus... Les déboires du Christ au milieu d'un peuple asservi sont rendus avec la frénésie surréaliste habituelle de Jodorowsky et ils s'inscrivent dans le registre de la farce (pas de dialogues véritables dans ces premières minutes, juste des grognements, des cris...). La plupart de ces séquences sont déjà gavées d'un symbolisme qui les rendent proprement incompréhensibles et du coup, à mes yeux, totalement arbitraires (la plus symptomatique étant celle où des individus habillés en soldats romains entraînent le Christ dans un entrepôt et en font des "copies"). La rencontre avec l'alchimiste, au sommet d'une tour, univers parallèle où s'effritent tous les repères spatiaux et temporels, laisse espérer une entrée dans le fantastique. Cet espoir d'une nouvelle approche, qui permettrait enfin de nous faire accepter toutes les aberrations, est vite réduit à néant. Le Maître (Jodorowsky lui-même) assène à son visiteur, pendant vingt minutes, des sentences ésotériques et l'accompagne dans une série de rituels improbables. Survient alors un nouveau changement de direction avec une succession de sketchs satiriques prenant pour guides chacun des nouveaux compagnons du Christ et pour cibles les principaux travers de la société (militarisme, course au progrès, absurdités technologiques, déshumanisation...). Dans leur majorité, ces huit sketchs sont assez mauvais (celui qui se termine dans un musée d'art contemporain sexuel, devant une machine à orgasme, est d'une bêtise sans nom), à l'exception de celui centré sur la femme dirigeant une usine d'armement et présentant sa gamme de fusils pour les jeunes hippies (fusils décorés donc aux couleurs du flower power) et surtout celui qui montre une étrange fabrique de jouets dont tous les ouvriers sont des vieillards et dans laquelle une patronne belle et hautaine se déplace sur fond de musique classique. Ce sera le seul moment où le cinéaste arrêtera la déconne et le mysticisme pour donner un peu de beauté triste à son film. Enfin, la dernière partie, très longue, nous achève en donnant au spectateur l'impression de partager le quotidien d'une communauté de hippies abrutis par toutes les substances possibles. Tout cela est vraiment très intéressant... Il y a bien, au cours du long chemin parcouru par cette secte, pendant cinq minutes, quatre ou cinq flashs saisissants qui renouent avec la cruauté du surréalisme mais le tout se termine par une pirouette de Jodorowsky qui dévoile l'envers du décor de la fiction et qui ne nous fait ni chaud ni froid.

    Il y aura donc eu de nombreux beaux corps dénudés, des visions extrêmes à base d'obscénités sexuelles ou de corps difformes nous sortant par instants de l'hébétude, des séquences très gonflées (un vieillard offre son oeil de verre à une fillette). Il y aura eu surtout un ennui insondable. Tiens, notons que La montagne sacrée se frotte un instant au tabou de la défécation, qui n'a vraiment été affronté, à ma connaissance, que dans ces années 70, dans des oeuvres aussi différentes que le Sweet moviede Dusan Makavejev ou Au fil du tempsde Wim Wenders. Je vous vois sourire (ou frémir) en attendant une chute scatologique pour terminer cette note, mais non, ne contez pas sur moi pour écrire des choses pareilles...

  • Cabaret

    (Bob Fosse / Etats-Unis / 1972)

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    613950862.jpgIl me semblait bien qu'une première vision, bien lointaine, de Cabaret, nonobstant sa réputation et ses huit médailles aux Oscars, ne m'avait pas plus enthousiasmé que cela. L'impression initiale est aujourd'hui confirmée.

    Tiré d'un spectacle à succès de Broadway, le film nous montre la rencontre et la brève liaison, dans le Berlin de 1931, entre Sally Bowles, chanteuse américaine délurée, et Brian Roberts, professeur d'anglais introverti. Autour d'eux gravitent un jeune arriviste, un riche industriel, une juive de grande famille. Le récit est scandé par les numéros du Kit-Kat Club, cabaret dont Sally est la vedette, aux côtés d'un mystérieux et étourdissant maître de cérémonie. Tout cela se passe au moment où les Nazis commencent à étendre leur influence sur tout le pays.

    Avec ce film, Bob Fosse bouscule le musical classique par deux coups d'épaule : les numéro musicaux assument une certaine vulgarité et ils baignent dans un contexte historique précis et dramatique. Ces séquences font toutes partie du spectacle du Kit-Kat Club; le problème de la transition parlé-chanté ne se pose donc pas. Fosse modernise tout cela par le montage, les cadrages en contre-plongée (point de vue du spectateur du premier rang), la mobilité de la caméra et les focales utilisées (ruptures, effets grossissants : certains plans lors du show semblent sortis du cinéma de Kubrick ou de Fellini). La mise en scène, de ce point de vue est bluffante, même si les promesses des deux extraordinaires premiers numéros (l'introduction sur le fameux morceau-titre et le bouillant Mein Herrde Liza Minnelli) ne sont pas toujours tenues par la suite.

    Pour tout ce qui se passe en dehors du cabaret, l'intérêt est loin d'être le même. Au niveau de l'esthétique, l'image cède à la mode des années 70 de traiter toute histoire se situant entre la Belle époque et la guerre de 40 à grands coups de flous artistiques et de sources lumineuses à la diffusion irréelle. Les intrigues amoureuses, qui se traînent en longueur à force de pudeur, sont ainsi enjolivées. Certes, cette joliesse s'oppose à l'agressivité des numéros musicaux, ainsi chargés de commenter ce que les protagonistes, dans leur bulle, ne veulent pas voir : la réalité d'une société moribonde et l'arrivée d'un fléau. Le problème est que la montée du nazisme est montrée de façon bien conventionnelle. Une scène assez démagogique nous montre un charmant blondinet entonnant un chant nazi lors d'une fête de village. Tous les convives finissent par reprendre en coeur, debout, exaltés. Tous sauf nos trois héros, qui font quand même mine de s'inquiéter un peu en repartant. L'autre approche est celle, parfois impressionnante mais rabattue depuis le chef d'oeuvre que fût Les damnésde Visconti (en 1969) : la description d'une société décadente, allant à sa perte, peuplée de vivants aux masques de mort et laissant le chemin ouvert à Hitler et ses hommes.

    Film ambitieux, bénéficiant de la présence et de la gouaille de Liza Minnelli et de l'inquiétante figure de Joel Grey en maître de cérémonie démiurge (et d'une bonne interprétation de Michael York), Cabaret n'est donc pas sans défauts, comme l'est All that jazz. Le meilleur film de Bob Fosse reste, définitivement, le non-musical Lenny.

  • Serpico

    (Sidney Lumet / Etats-Unis / 1973)

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    1004846913.jpgHistoire vraie traitée à chaud quelques mois seulement après son épilogue, décision du producteur Dino De Laurentiis de changer de réalisateur juste avant le tournage, plan de travail serré (Al Pacino devant impérativement partir à une date précise pour retrouver l'équipe du deuxième Parrain)... Et ben, vu le résultat, y'a pas à dire, i'sont forts ces Ricains.

    Frank Serpico est un jeune flic new yorkais doublement atypique : d'une part, il a un look, un mode de vie et un état d'esprit proches de ceux des gens de la rue, meilleur moyen pour lui de passer inaperçu et de mener à bien ses enquêtes, et d'autre part, il refuse toute corruption. Son apparence et ses méthodes ne lui valent pas que des amis, mais tous sont forcés de reconnaître son efficacité. En revanche, son honnêteté infaillible et sa volonté de dénoncer la gangrène s'étant installée au sein de toute la police de la ville provoquent ses mutations incessantes puis des menaces de plus en plus précises.

    Serpicosuit fidèlement le parcours semé d'embûches de son héros réel. Le film de Lumet se pose peu la question du genre. Il s'agit non pas de suivre une enquête policière, mais d'observer une succession d'étapes répétitives : Frank Serpico débarque dans une équipe, se rend compte des magouilles qui s'y développent, décide, lorsque la mise à l'écart et la pression subie sont trop fortes, d'en référer à une autorité quelconque, et attend désespérément une décision d'en haut. Quels que soient le niveau de l'échelle et le chemin choisi, les mêmes maux reviennent. L'ultime solution sera de contacter des journalistes du Times. Le scandale pourra éclater... sans que rien ne change vraiment.

    En ce début des années 70, l'époque était aux policiers vengeurs, type Charles Bronson, n'hésitant ni à franchir allègrement les limites de la loi, ni à faire de leurs enquêtes des affaires personnelles au-delà de la morale. Si Serpico n'a rien à voir avec ce type de flic, le film n'en fait pas pour autant un chevalier blanc exemplaire. L'homme est sûr de lui, solitaire et individualiste, et son idéalisme tient de l'obsession, quasiment de la maladie. Face à lui, les autres personnages de policiers ne sont jamais développés. C'est qu'ils ne sont pas là pour établir un catalogue des problèmes à régler, mais pour éclairer en retour le personnage central. Dans bien des films de ce genre, on retrouve des idéalistes luttant ainsi jusqu'à voir leur vie privée mise en danger. Celle de Serpico se fissure également, mais celui-ci est dès le début présenté comme virevoltant, libre de toute attache. Les compagnes ne le restent jamais très longtemps et le cliché est balayé.

    Si le vrai Frank Serpico, le scénario et l'interprétation d'Al Pacino (*) rendent ainsi aussi passionnant le personnage, il ne faut pas oublier le travail de Sidney Lumet. Aidé par les mutations multiples de son héros, d'un commissariat à un autre, le cinéaste nous montre New-York sous tous ses aspects. Sur les toits, dans les rues, dans chaque quartier se ressentent les pulsations de la ville. Le regard documentaire n'est pas synonyme de platitude, ni dans l'image, ni dans le rythme. Par un montage brut, les plans démarrent toujours avec des corps en mouvements : jamais, contrairement à certaines tentatives françaises, nous n'avons l'impression que le mot "Action" vient tout juste de retentir pour faire bouger l'acteur et le faire réciter un texte. Le résultat est 130 minutes d'une temporalité indécise dans le récit, mais jamais ennuyeuse pour nous.

    Le duo Lumet-Pacino sera bien sûr reconstitué deux ans plus tard pour Un après-midi de chien. A nouveau sur la base de faits réels, le film sera encore supérieur à Serpico, par son resserrement, sa tension et le génie de l'acteur, ne se cachant plus sous la barbe ou le chapeau hippie, mais comme mis à nu.

     

    (*) Si l'on en croit certains sur le net, Serpicoserait le "premier grand rôle d'Al Pacino". Il n'est donc pas inutile de rappeler que, même si l'on considère que le premier Parrain(1972) repose beaucoup sur Marlon Brando, c'est en tête d'affiche de l'excellent Panique à Needle Parkde Jerry Schatzberg, en 1971, que Pacino se révéla. 

  • La chute de la Maison Usher

    (Roger Corman / Etats-Unis / 1960)

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    1403213053.jpgVoici ma première rencontre, longtemps attendue, avec Roger Corman. Ses propres films étant peu diffusés, son nom semble aujourd'hui évoquer plus un type de production et un statut de "parrain" de jeunes talents qui débutèrent chez lui (Scorsese, Coppola, Hellman, Demme, Dante...) qu'une oeuvre de cinéaste. Celle-ci est pourtant pléthorique, comptant plus de cinquante longs-métrages de 1955 à 1971 (puis plus une seule mise en scène jusqu'à un Frankenstein, en 1990). Comme l'ensemble de ses productions, l'éclectisme caractérise ces films : westerns, policiers, musicals. Toutefois, sa réputation s'est faîte essentiellement sur le fantastique. Sur ce point, parmi bien d'autres, son aventure peut se comparer à celle des productions Hammer qui faisaient dans le même temps les beaux jours du cinéma britannique.

    La chute de la Maison Usher (House of Usher) est la première d'une longue série d'adaptations d'Edgar Poe (suivront en particulier : Le puits et le pendule, L'enterrement prématuré, Le corbeau, Le masque de la mort rouge, La tombe de Ligeia... titres qui font rêver). La totalité du film se déroule dans la demeure des Usher. Le jeune Philip Winthrop vient y chercher Madeline, qu'il a connu à Boston et avec qui il doit se marier. Mais Madeline semble sous l'emprise de son frère Roderick. Tous deux se disent victimes d'une malédiction pesant sur tous les membres de la famille Usher et les contraignant à attendre la mort dans leur château. Philip, refusant toute idée de demeure ou de lignée maléfique, cherche donc à quitter l'endroit avec Madeline.

    La première qualité du film est picturale. De très beaux mouvements d'appareil nous accompagnent dans la découverte de ce funeste endroit. Corman place dans son décor des tentures, costumes ou verres d'un rouge éclatant, comme autant de lacérations du cadre. L'apparition soudaine de Roderick avec sa veste écarlate en est la première manifestation et des ongles ensanglantés en sont l'une des dernières, en toute logique. La maison des Usher est vivante et nous le sentons parfaitement.

    Avec le domestique, seuls quatre personnages prennent part au récit (si l'on excepte le cauchemar de Philip dans lequel une assemblée vampirique me fit penser à la fois aux morts-vivants de Romero et à la cérémonie de Rosemary's baby). Le jeune premier, Mark Damon, a un physique original mais son jeu l'est moins. Madeline est interprétée par Myrna Fahey, qui finit mal en point mais en nuisette bien sûr, ce qui est très bien. Vincent Price, impérial, n'a donc aucun mal à dominer l'ensemble, lui qui, dans toute la première partie, se retient magnifiquement, ne laissant que son sourcil se mettre de temps à autre en accent circonflexe.

    Corman et son scénariste (Richard Matheson) ont eu l'intelligence de laisser la porte ouverte à plusieurs interprétations des faits : l'explication surnaturelle, la folie contagieuse ou la simple manipulation. Malheureusement, le dénouement, si satisfaisant par son pessimisme, ne convainc pas vraiment en terme de mise en scène. Ici, Corman, faute de moyens, n'arrive pas à trouver le moyen détourné de faire ressentir l'ampleur de la catastrophe, alors qu'il avait jusque là plutôt bien réussi à filmer les prémisses de la terreur.

  • Don't come knocking

    (Wim Wenders / Etats-Unis / 2005)

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    827706905.jpgLa semaine dernière, je posais la question "Êtes-vous Wendersien ?". Or il se trouve que Arte a diffusé ce jeudi soir Don't come knockingqui, présenté à Cannes en 2005 était passé chez pas mal de gens pour le film du grand retour du cinéaste. Cependant, j'ai du mal à écrire que le hasard fait bien les choses tant ces deux heures de chromos furent pénibles pour moi. Je n'en appellerai pas cruellement au passé de Wenders. Je n'utiliserai pas non plus l'ironie pour le démonter (bien que ce Ne viens pas faire toc-toc le mériterait). Je me bornerai à dire calmement quel mauvais film nous avons là.

    Dès le départ, avec ce cow-boy qui s'échappe à cheval d'un tournage en plein désert, on sent que ça ne va pas aller : ces images léchées, ce portait rabattu d'une équipe de cinéma au travail, ces silhouettes stéréotypées, cet humour qui se force à paraître incongru... Le premier quart d'heure est une catastrophe et les choses ne s'arrangent guère par la suite. La faute en incombe autant à Wenders qu'à Sam Shepard qui signe un scénario sans intérêt particulier et qui joue sur une seule note son rôle d'acteur vieillissant. Ce Howard Spence, ancienne gloire revenue de tous les excès, décide de tout plaquer, de se délester de son attirail de cow boy de pacotille et de ses cartes de crédit. Et tout ça pour quoi ? Pour aller voir sa mère, laquelle était restée sans nouvelle de lui depuis trente ans. Celle-ci en profite pour lui annoncer qu'il est père depuis longtemps. Il se dirige donc vers le Montana à la rencontre de son fils et de la femme qu'il a aimé brièvement, des années auparavant.

    Si cette quête relance un tantinet la machine, l'émotion qu'elle est censée provoquer, grâce aux retrouvailles à l'écran de Sam Shepard et Jessica Lange, n'advient jamais. Certaines scènes sont d'ailleurs assez pathétiques puisque Wenders cherche à jouer sur plusieurs tableaux (voir la crise que pique Jessica Lange dans la rue, en disant à Shepard ses quatre vérités... le tout sous les yeux de deux culturistes en train de faire leur gym). C'est que le cinéaste veut faire un film décalé. Mais si Wenders était le roi de la rigolade, ça se saurait. Toutes ses tentatives tombent à plat et les seules qui marchent un petit peu (comme le personnage mono-maniaque de détective pour assurances, joué par Tim Roth) semblent copiées sur l'absurde de Lynch ou des frères Coen.

    Tout est enrobé de nostalgie, rien n'a de prise sur une quelconque réalité. Nous n'avons qu'une série de vignettes décalées, où la mise en scène se réduit à des touches bariolées, humoristico-poético-gnan-gnan, dénuées de toute rigueur dans la narration ou les dialogues, du niveau disons d'un Klapisch ou d'un Besson période Subway. Le regard porté sur les plus jeunes a la couleur de la guimauve (passant par exemple totalement à côté du potentiel émotionnel et énigmatique que portait le personnage angélique interprété par Sarah Polley).

    D'accord, Wim Wenders sait encore comment bien placer deux ou trois accords de guitare pour amorcer une séquence, filmer un batiment dans un cadrage-hommage à Hopper ou faire ressentir l'agressivité lumineuse d'un casino, mais cela s'arrête là. Ah si, Don't come knocking a pour moi un avantage : me rappeler combien était agréable la balade sur le même thème paternel du Broken flowersde Jarmusch (héritier officiel de Wenders) et me faire dire que finalement le récent voyage au pays des néons proposé par Wong Kar-wai (héritier officieux) dans My blueberry nights n'était pas si mal.

  • Shine a light

    (Martin Scorsese / Etats-Unis / 2008)

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    42365756.jpg"C'est un cliché, mais les sixties n'ont vraiment pris fin qu'au début des seventies. Je me rappelle avoir faitExile on main street en France et aux Etats-Unis, puis être parti en tournée, très content de moi, en me disant : "On est en 1972. Merde. On a tout fait." Après ça, on a quand même continué, mais je ne pense pas que les résultats aient été aussi géniaux." (Propos de Mick Jagger à Nick Kent, repris dans le livre de ce dernier : L'envers du rock)

    Pourquoi filmer les Rolling Stones en concert aujourd'hui ?, se demande-t-on avant, pendant et après la projection de Shine a light. Sûr que Martin Scorsese, n'a pas dû trop vouloir se poser la question, tout heureux qu'il fut sans doute de pouvoir enfin capter le groupe dont les morceaux déboulent inlassablement dans chacune de ses chroniques de la vie urbaine, et ce depuis Mean streets. Il a eu la bonne idée de démarrer son documentaire sur l'accumulation comique des contretemps stressants provoqués par les caprices de la diva Mick Jagger (qui renâcle à l'idée d'avoir autant de caméras braquées sur son groupe, qui retarde au maximum la révélation de la set list etc...). Le montage tire le tout vers l'absurde et rend cette mise en bouche très agréable (Scorsese surjoue un peu la panique tout de même). On pourrait ainsi rêver à un Lost in La Manchaconsacré à un spectacle des Stones qui partirai en vrille. Mais le jeu s'arrête avec le début du show.

    Au cours de celui-ci s'intègrent, entre les morceaux, quelques images d'archives souvent fascinantes, mais qui, au fur et à mesure, ne semblent être là que pour interroger inlassablement le mystère de la longévité et de la vigueur éternelle du groupe. Pour ce qui est de la captation de la soirée proprement dite, Scorsese veut, comme les Stones, en mettre plein la vue, au risque de brasser de l'air pour rien : une grue, une bonne quinzaine de caméras (et la désagréable impression qu'elles ne sont braquées que sur Jagger). Le réalisateur n'est pas le dernier des manchots, mais on aimerait un découpage moins épileptique, histoire de poser un peu notre regard sur un musicien plus de quatre secondes. Autre bizarrerie, au niveau sonore, le mixage use d'un effet particulier : placer soudain très haut le son de l'instrument qui est à l'image. Cela met parfois à mal la fluidité musicale et provoque une sensation étrange, très éloignée de la réception que l'on a de la musique en assistant à un concert. Bref, malgré le stress initial, Scorsese a pu déployer sa technique, bien servi par le cadre restreint de cette petite salle new-yorkaise.

    C'est ici qu'il faut dire un mot du contexte. Apparemment, le concert se fait ce soir-là au profit d'une fondation gérée par les Clinton. Bill et Hillary sont donc présents, avec tous leurs invités, râââvis de serrer la main de chacun des vieux rockers et de se faire prendre en photo à leurs côtés. On retarde même un peu l'ouverture des hostilités parce que la maman d'Hillary n'est pas encore arrivée. Bien sûr, on sent la joie ironique de Scorsese à nous montrer toutes ces saynètes. En tout cas, inutile de dire que dans ces conditions, Jagger a dû être le seul à pouvoir rentrer avec des baskets aux pieds. Comme dans les années 60, les femmes sont au premier rang, mais le gling-glingdes bracelets et des Rollex couvre maintenant les cris aigus. Avec un tel public ("You are fantastic !", "I love you" leur lance souvent Jagger, trop cool), qui scande parfaitement les "Hou-Hou... Hou-Hou..." de Sympathy for the Devilet met la même application à fêter l'événement que l'assistance chaude-bouillante-téléguidée des émissions télé d'Arthur, les Rolling Stones ne risquent certes pas se laisser dépasser par les événements comme à Altamont en 69 (voir le bon documentaire des frères Maysles, Gimme shelter, qui revient sur ce fameux concert où, dans un climat de grande violence, un membre du service d'ordre Hell's Angels poignarda à mort un spectateur sous le nez de Jagger et sous l'oeil des caméras).

    Malgré tout cela, on doit aller dénicher la petite étincelle, le petite flamme qui brûle encore au fond des yeux (au fond du portefeuille aussi). Elle subsiste plus facilement dans le détachement de Charlie Watts, Ron Wood ou Keith Richards, magnifique Pirate des Caraïbes plein d'auto-dérision, que dans le cirque de Mick Jagger. Il faut qu'une guitare l'oblige à rester derrière son pied de micro pour qu'il oublie son cours d'aerobic et qu'il nous livre un peu d'essence pure de rock.

    Si l'on se penche sur la musique elle-même, on va du très bon au très mauvais, en passant par le banal. Le délicat As tears go by se transforme en slow à gros sabots. La montée vers la transe de Sympathy for the Devil devient un morceau sans forme qui s'abîme dans les gesticulations et les petits cris du chanteur. Live with meest massacrée en duo par Jagger et Christina Aguilera (- Christina qui ? - Christina Aguilera, une sorte de Céline Dion rock'n'roll FM). En rappel, la routine, trop bien huilée : Brown sugar ("Yeah! Yeah! Hou!" reprennent en coeur les rebelles du premier rang) et pour finir, allez, devinez... cherchez bien... encore quelques secondes... Oui, gagné ! C'est bien (I can't get no) Satisfaction. Quelle surprise ! Du coup, les bons moments, car il y en a quelques uns, il faut les chercher là où on ne les attend pas forcément. Deux invités supplémentaires, d'un autre calibre que la donzelle pré-citée, poussent Jagger à se concentrer enfin sur autre chose que ses sauts de cabri et ses déhanchements : le génial Jack White (des White Stripes et, occasionnellement, des Raconteurs) sur un très beau Loving cupet l'impressionnant Buddy Guy (72 ans) sur Champagne and reefer, blues chargé d'électricité. Keith Richards a, comme d'habitude, le droit au micro pour une poignée de morceaux. Moins bon chanteur que son acolyte, il n'en dégage que plus d'émotion sur Connection et surtout You got the silver. Pour ne pas finir trop injustement avec Jagger, signalons la merveilleuse country de Faraway eyes et un Some girls nerveux, soutenu par trois guitares tendues comme un string.

    Quand je suis sorti de la salle de cinéma, personne n'avait cassé de fauteuil.

  • El Perdido

    (Robert Aldrich / Etats-Unis / 1961)

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    1207096873.jpgUn bon Aldrich, auquel le scénario de Dalton Trumbo donne un air de tragédie classique. Bren O'Malley (Kirk Douglas) arrive dans le ranch mexicain de son ancienne maîtresse Belle Breckenridge (Dorothy Malone), mariée à un éleveur qui a déjà un pied dans la tombe (Joseph Cotten). O'Malley est poursuivi depuis la frontière par Stribling (Rock Hudson) qui veut le livrer à la justice pour le meurtre de son beau-frère et la mort indirecte de sa soeur. Ils se retrouvent et, suite à leur embauche par Breckenridge pour convoyer, tous ensemble, ses 1000 têtes de bétail jusqu'au Texas, ils passent un accord : une fois passés en Amérique, ils régleront leurs comptes. Aux dangers extérieurs attendus (bandits, indiens...) pendant le périple, s'ajoute la complication des relations dans le petit groupe qui inclut Belle et sa fille Melissa (Carol Lynley), autour desquelles tournent les deux hommes. Leur estime mutuelle naissante n'empêchera pas l'affrontement final au coucher du soleil.

    On le voit, El Perdido (The last sunset) met tout de suite en place des enjeux dramatiques très forts, portés par des personnages au lourd passé (enjeux auxquels viendra s'ajouter un autre dilemme sur la fin, dont je ne dirai rien sinon qu'il pousse O'Malley dans une voie sans issue). Pour certains spectateurs, l'accumulation peut gêner et faire prendre à quelques ingrédients la couleur du cliché (comme l'a ressenti ma voisine de canapé). Mais c'est qu'en ces temps-là, ma bonne dame, la vie était rude, les expressions directes et les passions exacerbées. La réussite du film tient essentiellement dans la capacité qu'a Aldrich d'inscrire et de prolonger ces éléments purement scénaristiques dans sa mise en scène. Il fait preuve dans El Perdido, du générique du début jusqu'au dernier plan où "The end" s'inscrit dans un coin de l'écran, d'un sens de la composition confondant. Sa science de l'espace et la façon qu'il a de placer ses comédiens dans le plan impressionnent : lignes de fuite, visages en enfilade ou côte à côte (surtout ceux de Malone et Lynley, mère et fille très crédibles). La circulation ne cesse de se faire entre chaque personnage, par duo, trio ou quatuor, mais plus que la ronde, c'est plutôt la ligne droite qui soutient la construction visuelle de ce film basé sur un trajet : dans la séquence de l'attaque redoutée des indiens, les chariots sont regroupés au centre du troupeau, mais au lieu d'avoir l'encerclement habituel, nous avons deux files d'assaillants qui fendent le groupe de bovins pour en prélever une partie, compensation qui évite l'affrontement.

    Les rôles sont distribués sans surprise mais très efficacement. Kirk Douglas, par son jeu au bord du cabotinage, est un tueur-poète idéal. Rock Hudson, qui n'est pas le plus fin ni le plus vif des acteurs fait un cow-boy frustre très acceptable (qui n'attend pas que le corps de Breckenridge soit refroidi pour dire à Belle qu'il veut l'épouser). Dorothy Malone fait passer par ses grands yeux bleus et ronds toutes les fêlures possibles de la vie et Carol Lynley a de charmants airs de Sue Lyon ou Caroll Baker. Morceau de bravoure du film, le duel final annonce Leone. Son étirement, son montage de plus en plus court, ses brusques variations d'échelles de plans et l'escamotage du tir décisif, qui prolonge le suspense en différant de plusieurs secondes la révélation à nos yeux du résultat, tous ces effets ne sont pas indignes des meilleurs moments du grand Sergio.

  • Le patient anglais

    (Anthony Minghella / Etats-Unis / 1996)

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    439507955.jpgQuelques connaissances portant une certaine affection à ce méga-succès, tel un Out of Africa des 90's, je me suis laissé tenter par la diffusion télé du Patient anglais (The english patient).

    A un moment, dans les premières minutes, la belle infirmière Juliette Binoche, affairée à l'arrière d'un camion en queue de convoi militaire, voit se porter à sa hauteur une jeep, dans laquelle une amie à elle lui propose en vain de l'accompagner jusqu'à la ville voisine. La jeune femme n'est filmée que furtivement, sa réplique ("J'adore cette fille, elle ferait n'importe quoi pour moi !") est porteuse d'un je-ne-sais-quoi d'ironie du sort, une petite accélération inopinée manque de la renverser en arrière, puis un plan d'ensemble nous montre bien la file de camions à gauche et le petit véhicule qui remonte sur la droite... Avec une telle mise en scène, une seule chose peut advenir pour clore la séquence : l'explosion de la jeep au bout du chemin. Ce verrouillage de la forme est sans doute l'une des définitions possibles de l'académisme.

    Mais cet académisme peut avoir un petit avantage quand il s'affirme ainsi dès le départ. Ainsi prévenus, nous pouvons alors suivre ce long récit romanesque sans en attendre monts et merveilles, mais en y guettant les petits écarts, les variations infimes. Minghella joue d'abord des allers-retours entre deux époques (les prémisses de la guerre où se noue la passion entre le comte hongrois et la belle anglaise et la fin du conflit, lorsque l'homme, à l'article de la mort, se confie à une infirmière) de manière classique mais soignée, nous gratifiant de raccords assez beaux (le désert se transformant en drap ou l'ombre d'une main se profilant sur un visage brûlé). Le début intrigue suffisamment pour tenir en éveil quelques temps et suivre avec intérêt cette passion africaine. Ralph Fiennes et une extraordinaire Kristin Scott Thomas, libèrent l'intensité nécessaire aux grands mélodrames. On ne peut malheureusement pas en dire autant de Juliette Binoche, confinée dans un rôle sans relief. Cette image parfaitement lisse de l'actrice a bien sûr séduit Hollywood jusqu'à lui offrir un Oscar. Ce qu'elle donne ailleurs, depuis vingt ans, est d'une autre trempe. Quoi qu'il en soit, cette partie italienne est particulièrement faible, accumulant scènes anodines et dramatisation de mauvais goût (le suspense balourd autour du déminage au lendemain de la nuit d'amour) et elle s'articule de plus en plus mal au fil du temps avec l'autre. Ce qui n'était que fluides réminiscences devient la mise à jour laborieuse d'un secret, par l'intermédiaire du personnage de Willem Dafoe. Une fois les orages de la révélation passés, il ne nous reste plus qu'à subir la tarte à la crème de la compassion jusqu'à l'accompagnement vers une mort douce, dans un finale que n'arrivent plus à rehausser les éclairs romanesques du passé.