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  • Un baiser s'il vous plaît

    (Emmanuel Mouret / France / 2007)

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    Unbaisersvp.jpgA Nantes, Gabriel rencontre Emilie, parisienne de passage, mariée et repartant le lendemain. Le courant passe si bien entre les deux, qu'après le dîner, il lui demande un baiser "sans conséquence", ce qu'elle lui refuse poliment. Elle se justifiera en lui racontant jusqu'au milieu de la nuit, l'aventure vécue par deux de ses amis : Judith et Nicolas. C'est cette histoire qui, sous forme de flash-back, est au centre du film.

    Dans Un baiser s'il vous plaît, un récit en cache un autre (ou deux), le comique cache une réflexion sur l'amour, l'amitié et le désir, une couette cache deux corps nus. L'humour naît ici du décalage entre ce que ressentent réellement les personnages et ce qu'ils veulent bien admettre (Judith et Nicolas sont attirés l'un par l'autre mais refusent de reconnaître qu'ils sont emportés par la passion même au plus fort de l'étreinte, cherchant à analyser sans cesse leur comportement, à leurs yeux inadéquat, comme si leur corps était détaché de leur esprit). Ce refus de se voir tel que l'on est ne contamine pas, heureusement, le regard d'Emmanuel Mouret cinéaste. On sent son plaisir à filmer cet argument. De plus, un jeu permanent avec ce milieu bourgeois, engoncé, cultivé et parisien se dégage du film. Sans aller jusqu'au second degré ou l'ironie féroce, l'insistance à placer les personnages en pleine discussion devant des bibliothèques ou des tableaux et l'étalement des séquences de bavardages font sourire.

    L'aberrante logique des réactions des personnages provoque quelques passages assez irrésistibles (dont une mémorable séquence de rupture empreinte de calme et de compréhension mutuelle parfaitement inattendue), le seul problème étant que le comique est strictement limité à ce registre. Le film n'avance donc pas beaucoup et au bout d'une heure, Mouret se décide à changer de cap en lançant Judith, Nicolas et Caline, l'ex de ce dernier, dans un fumeux stratagème. La mise en place de celui-ci est assez savoureuse mais ses conséquences sont décevantes, destinées qu'elles sont à ramener tout le monde sur terre, à tirer vers la morale de l'histoire. Le quatrième protagoniste, qui n'était jusqu'alors qu'une silhouette, prend de l'importance et offre au spectateur les premières réactions censées et réalistes dans ce microcosme si étrange, créant ainsi un déséquilibre malvenu.

    On finit par se détacher des personnages et le retour de bâton ne suffit pas à les rendre plus proches (après tout, comme aurait dit ma grand-mère, "ils sont bien bêtes et c'est bien fait pour eux"). Ce relatif désintérêt s'étend même au couple de départ (celui de Gabriel et Emilie), pourtant porteur de plus de réalité. Mais terminons sur une bonne note : le film est souvent drôle et remarquablement interprété (par Mouret lui-même, Virginie Ledoyen, Julie Gayet, Michael Cohen et l'épatante Frédérique Bel, dans le rôle de Caline, tête-à-claque très émouvante).

  • Rusty James

    (Francis Ford Coppola / Etats-Unis / 1983)

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    rustyjames1.jpgPoint culminant de l'esthétique des années 80 (sortie française en février 1984), Rusty James (titre original : Rumble fish, littéralement "poisson combattant") est une oeuvre sur laquelle notre regard a changé, vingt-cinq ans après, alors qu'elle faisait justement de la réflexion sur le temps l'un de ses principaux thèmes. Le film s'inscrit volontairement dans un cadre intemporel, accumulant les signes décoratifs ou vestimentaires venant de différentes époques (jusqu'aux années 50) et limitant au strict minimum les touches de modernité (on note à peine qu'un échange a lieu dans une salle de jeux vidéos). En revanche, ces éléments sont réordonnés et sublimés par une forme neuve. Et vu d'ici et aujourd'hui, c'est ce formalisme exacerbé qui fixe Rusty James dans les 80's et pas ailleurs.

    Rusty James est un beau gosse enragé de Tulsa qui fantasme sur l'époque révolue des gangs et qui rêve de ressembler à son grand frère, surnommé The Motorcycle Boy, énigmatique et charismatique leader de bande revenu récemment d'un exil en Californie. Le scénario n'est que pur prétexte pour Coppola, bien décidé à démontrer la pertinence de son double projet Outsiders/Rumble fish, soit deux films consécutifs réalisés avec la même équipe et à partir de deux romans originels signés du même auteur (S.E. Hinton), l'un étant illustré de manière conventionnelle, l'autre totalement personnelle.

    Les stéréotypes abondent : le jeune chien fou, le pote étudiant à lunettes, la droguée mal-aimée, le père alcoolo, les bastons... L'intérêt est que ces clichés sont parfaitement assumés, il n'y a qu'à voir ce personnage de policier qui n'est qu'une image de policier, invariable, omnisciente, symbolique. Le moindre plan vise à la beauté picturale, le moindre photogramme pourrait se retrouver en couverture des magazines de mode les plus classieux.  Parfois, les visages se détachent ostensiblement de fonds unis ou nuageux qui ne servent qu'à découper une forme, une silhouette (le dernier plan du film avec l'océan au loin).

    The Motorcycle Boy surgit de nulle part et Mickey Rourke devient sur le champ une icône. Il prend la pose même en marchant, les bras toujours croisés. Le miracle est que, malgré cela (ou de surcroît), l'électricité passe dans le regard de l'acteur, fascinant. Son personnage comme absent, parlant à voix basse, s'oppose parfaitement a celui de Rusty James qui est constamment dans la gesticulation et les changements d'intonation, qui est plus marqué par son look et son langage (ses phrases ponctuées de "man" et autres "fuck"). Grande réussite que l'ensemble du casting, notamment pour ce trio familial qui paraît évident : Rourke/Dillon/Hopper (et tant qu'on y est, pas question d'oublier de mentionner l'incendiaire Diane Lane). De leurs échanges se dégagent une justesse certaine, par la mise en évidence de leurs points communs et de leurs divergences. Il est ainsi beaucoup question d'intelligence et les propos qui pourraient passer pour des sentences gratuites (l'une des plaies des films les plus superficiellement modernes de cette époque-là) n'y ressemblent jamais car ils ne sortent que de la bouche du Motorcycle Boy ou de son père, hommes plus "habités" que Rusty James.

    Dans la deuxième partie, les personnages ne cessent de réfléchir sur eux-mêmes comme Coppola semble réfléchir sur le cinéma. Le film abandonne peu à peu toute velléité trop dramatisante (ce n'est pas une série de règlements de comptes brutaux entre gangs) et se transforme en une errance nocturne (voir comment est filmée l'ivresse) au cours de laquelle Rusty James ne va cesser de suivre son frère, à deux mètres de lui, l'observer, tenter de le saisir et de faire sienne un peu de son aura.

    La distanciation formelle imposée par le cinéaste nous touche plus aujourd'hui en passant par les postures ou les dialogues que par les gimmicks visuels, un peu trop sollicités (pendules, fumées, nuages filmés en accéléré). Notons toutefois que l'on remarque surtout la dernière horloge apparaissant à l'écran qui annonce deux minutes avant minuit, avant le dénouement, ce qui nous fait dire que le procédé n'a pas été utilisé vainement. Le choix esthétique le plus marquant est bien évidemment celui fait par Coppola de tourner dans un somptueux noir et blanc, choix justifié en passant, au bout de quelques dizaines de minutes, sans insister et en laissant libre d'adhérer ou pas à l'interprétation : nous voyons le monde comme le voit le Motorcycle Boy (il faudrait donc lire les tags introductifs sur les murs de la ville, "The Motorcycle Boy reigns", dans ce sens-là et pas seulement comme la trace d'un passé légendaire). "C'est comme une télé en noir et blanc avec le son très bas", dit-il lui-même, qui n'a des couleurs que le souvenir de quelques touches. De fait, tout autant que le visuel, le son est travaillé de manière extraordinaire.

    La musique de Stewart Copeland, composante essentielle du projet, si bluffante en 84, m'a paru cependant avoir subi quelque peu les assauts du temps. Toujours stimulante, elle s'est toutefois chargée de certaines sonorités qui heurtent l'oreille et qui rameutent subrepticement le triste fantôme d'Eric Serra. Le nom est lâché, il faut aller jusqu'au bout et maintenant poser la question : pourquoi Rusty James, quintessence d'un certain cinéma, est-il un film infiniment supérieur à Birdy et autres Subway ? Sans reprendre les éléments de réponse apportés plus haut, mettons en avant une différence radicale. L'image de la fin du Motorcycle Boy nous est refusée, laissée hors-champ. En avoir la trace  sonore suffit, inutile de plomber le spectateur, de l'appâter. Coppola n'est pas dans la démagogie et le chantage à l'émotion. Il reste honnête et cohérent dans l'esthétique et la morale. Tout le contraire du cinéma de Parker ou de Besson, de leurs fins de film mensongères destinées à rassurer coûte que coûte le spectateur avant qu'il ne quitte la salle (de ce point de vue, la séquence de lévitation de Rusty James pourrait induire en erreur : le fait est qu'elle échappe au travers du détournement trop facile par l'interrogation qu'elle amène, encore une fois, sur les clichés que l'âme du héros survole, et accessoirement, par sa force plastique). Et puis, tout simplement, Coppola organise un univers (un monde refermé sur lui-même, comme un aquarium, certes, mais dont la vitre peut aussi nous renvoyer notre image).

  • Les nuits de la pleine lune & Le rayon vert

    (Eric Rohmer / France / 1984 & 1986)

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    Lune 06.jpg"Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison". Voilà le sous-titre du quatième film de la série des Comédies et proverbes d'Eric Rohmer. Quatre chapitres égrennent autant de mois, de novembre à février, le premier posant on ne peut plus clairement la situation (qui, comme souvent dans la série, ne colle pas exactement terme pour terme au proverbe choisi). Deux longues conversations entre Louise et son copain Octave et entre Louise et son ami Rémi détaillent le point de départ du récit et semblent déjà en imaginer toutes les conséquences possibles. Le pour et le contre sont pesés, les risques identifiés. De l'instabilité de Louise naît l'intrigue et ce sont ses trajets incessants entre ses deux maisons qui vont rythmer le film. Le générique de début est porté par un panoramique allant de la rue à l'immeuble de banlieue de l'héroïne et logiquement, quand arrivera celui de la fin, la caméra bougera dans le sens inverse. Ces mouvements qui parsèment Les nuits de la pleine lune ne se limitent pas à accompagner les déplacements des personnages mais font entrer en jeu une problématique sociale en abordant la question des "nouvelles villes" naissant aux abords des grandes agglomérations et provoquant des mutations importantes dans les modes de vie (avec cette attention à l'environnement, nous avons là l'une des composantes du cinéma de Rohmer qui fait que celui-ci peut être qualifié à la fois d'intemporel et de précisemment daté).

    L'idée du trajet, au-delà de la mesure d'un territoire, est reprise pour aborder l'intime, Louise allant d'un partenaire à l'autre. Mais elle n'est pas la seule car ici chaque rencontre, quasiment chaque salutation, semble porter en germe une histoire possible. Donnant à sentir régulièrement une circulation des désirs, le film est sur ce point l'un des plus francs de son auteur.

    "Tu donnes l'image de quelqu'un de complètement éthéré alors que, en réalité, tu es tout à fait physique." La remarque que fait Octave à Louise pourrait après tout s'appliquer à Rohmer. Dans Les nuits de la pleine lune, la parole est primordiale, comme toujours, mais elle laisse aussi toute sa place à l'expression corporelle. Notons d'abord que les personnages conversent souvent en faisant autre chose en même temps (préparer un thé, s'habiller...), ce qui dynamise leurs bavardages. Ensuite, Rohmer les filme dans tous leurs états, y compris les moins grâcieux puisque nous les voyons, hommes ou femmes, dénudés, essuyant leur transpiration ou changeant de vêtements. Si le cliché veut que chez ce cinéaste, tous les acteurs jouent de la même façon et prennent la même diction, il faut ici nuancer les choses. La distribution apparaît en effet au départ, très hétérogène. Fabrice Lucchini s'installe dans son rôle d'écrivain mondain (terme que son personnage réfute assez brillamment). Pascale Ogier joue de son corps très mince, de ses intonations de jeune fille et nous touche particulièrement lorsqu'elle laisse éclater ces sortes de crises de nerfs calmes. Tchéky Karyo est le plus étonnant des trois car le plus "déplacé", Rohmer se servant magnifiquement de son allure lourde, de son regard toujours au bord de l'explosion et en même temps terriblement las. Ces différences de jeu, essentiellement dûes aux corps des comédiens (et auxquelles il faut ajouter l'apparition de Laszlo Szabo, apportant tout à coup un autre registre, une vision plus globalisante et moins terre à terre), le cinéaste en fait une force structurante de son récit. D'ailleurs, ce qui reste le mieux en tête après une première vision des Nuits de la pleine lune a peu à voir avec l'image traditionnelle véhiculée par le cinéma de Rohmer puisque reviennent en mémoire avant tout ces longues séquences de danse et ces scènes de ménage entre Louise et Rémi.

    D'autres éléments contredisent la thèse d'un cinéma bavard et ennuyeux. Entre en jeu un véritable plaisir du récit, à tel point qu'il ne faudrait peut-être pas grand chose pour que l'on bascule à certains moments dans un film de genre. On l'a dit, tous les possibles sont envisagés dès le départ, mais à cela s'ajoutent ensuite des fausses-pistes, des méprises et des revirements. Octave se voit traité de flic, un simple passage aux toilettes d'un bar provoque un moment de suspense et pendant quelques secondes l'escalier que gravit Louise et qui mène à la chambre de Rémi prend une allure hitchcockienne. On le voit donc, au-delà de sa rigueur, le cinéma de Rohmer ne manque pas de surprises.

     

    Rayon 08.jpgExpérience inédite pour Eric Rohmer que ce Rayon vert. Après avoir laissé Pascale Ogier décorer les appartements de son personnage des Nuits de la pleine lune, il laisse cette fois-ci Marie Rivière et les acteurs l'entourant collaborer au scénario et aux dialogues, sous forme d'improvisations développées à partir d'une certaine trame. A la mise en scène de suivre. Rohmer délaisse donc quelque peu sa position d'organisateur au regard acéré et sollicite moins son oeil de plasticien. Nous perdons alors en rigueur ce que nous gagnons en naturel et en liberté. Frappent ici la simplicité des gens filmés et de leurs propos, l'abondance des scènes de repas décontractés, un goût pour la déambulation purement documentaire et l'étirement de séquences a priori sans enjeu dramatique. Devant ce cinquième opus de la série Comédies et proverbes, on ne peut que se faire à nouveau la remarque : Eric Rohmer est sans doute, parmi les grands auteurs de la Nouvelle Vague, celui qui est resté le plus fidèle aux principes techniques, esthétiques et narratifs du mouvement.

    S'étalant sur une période de vacances estivales, le récit en épouse le rythme particulier, au gré de balades et de rencontres, sans réels soucis d'équilibre temporel (une longue semaine à Cherbourg puis un séjour expéditif de quelques heures à la montagne, des scènes très courtes ou des discussions attablés sans fin) ni d'homogénéité de registres (séquences de drague ludiques ou pathétiques, échanges profonds ou prosaïques, agitation des groupes ou plages solitaires). C'est aussi peu de dire que Rohmer s'attache à son héroïne, soumettant tout son film à ses hésitations et ses états d'âme. Ne se remettant pas d'une rupture sentimentale, lâchée par une amie au moment de partir avec elle en Grèce, ne sachant plus que faire, Delphine est mal dans sa peau. Les autres ne cessent de la pousser à "se bouger", à extérioriser et à donner d'elle ce qu'elle ne veut pas. Mais Delphine reste farouchement fidèle à sa vision romantique de l'existence, quitte à passer par de terribles moments de dépression.

    Si la jeune femme ne sait jamais vers où et vers qui aller, plutôt que d'instabilité, il faut parler d'un état vague. Nous sommes en effet souvent au bord de la mer mais, plus sérieusement, c'est de cette manière que Delphine définit elle-même son rapport au monde et aux autres à l'occasion de sa discussion à coeur ouvert avec la jeune suédoise. Et d'ailleurs, pourquoi tout devrait-il toujours être clair et transparent ? La sincérité et le bien-être doivent-ils nécessairement passer par l'extraversion ? Faisant sien ce rapport imprécis et fuyant de Delphine à ce qui l'entoure, le film avance ainsi comme à tâton mais laisse glisser par en-dessous le sentiment qu'il y a tout de même, au bout, un point précis à atteindre. Il ne peut advenir qu'un seul dénouement. Comme Delphine, nous croyons à cette rencontre possible. Des signes balisant sa route la conforte dans cette espérance (les apparitions de ces cartes à jouer, de ces affiches et de ces couleurs pourraient l'abuser mais elle reste lucide dans sa superstition, admettant que dans son état si réceptif, elle peut très bien sur-interpréter ces clins d'oeil du destin).

    Passés les instants de déceptions et les heures trop calmes, le grand moment de la rencontre rêvée arrive enfin, dans un hall de gare. Et ce chamboulement se voit immédiatement sur le visage de Dephine (Marie Rivière est éblouissante) et dans ces gestes. La boule qui lui pesait dans le ventre a disparu d'un coup et elle ne peut plus se contenir. Elle dit tout, tout de suite. Préparées par le faux-rythme de tout ce qui précédait, les dix dernières minutes du Rayon vert affirment magnifiquement une croyance dans le cinéma et dans son pouvoir d'émotion et d'émerveillement. Chaque élément a tendu vers cet instant où tout fait sens, où, selon l'adage, on voit en soi et en ses proches. Là, sur cette falaise, face au soleil couchant, un phénomène météorologique parfaitement connu est aussi un événement magique, Baudelaire ("Ah ! Que le temps vienne. Où les coeurs s'éprennent", sous-titre du film) et Jules Verne dialoguent, le cinéma devient à la fois peinture et musique, le début (d'un amour) et la fin (d'une journée, d'un récit) se rejoignent. Comme un faisceau lumineux, tout converge, et cela avec l'économie de moyens habituelle au cinéaste. Si Le rayon vert n'est pas la plus pure des oeuvres de Rohmer, c'est assurément l'une des plus émouvantes.

     

    (Chroniques dvd pour Kinok)

  • Che (2ème partie : Guérilla)

    (Steven Soderbergh / Etats-Unis / 2008)

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    che2.jpgEn sautant par-dessus les années d'exercice du pouvoir à Cuba, nous retrouvons donc Ernesto Guevara au milieu des années 60, prenant en main clandestinement la guérilla bolivienne. Cette seconde partie de Cheest plus linéaire, plus recentrée (même si Soderbergh ne peut pas s'empêcher de filmer quelques séquences explicatives dans les hautes sphères du pouvoir, insistant notamment sur le rôle des Américains dans l'affaire), plus vigoureuse lors des affrontements armés, plus éclairante sur ce qui relie et ce qui sépare les différents peuples d'Amérique latine, que la première, mais elle ne parvient toujours pas à passionner et n'inspire pas plus de réflexions.

    Guevara est bien évidemment au centre du récit, mais ne bouche pas totalement la vue sur l'ensemble du groupe de rebelles. Malheureusement, aucune autre figure ne se détache de celui-ci. Sans être épileptique, la mise en scène tient à faire resentir la véracité de ce qu'elle organise en privilégiant les ouvertures de plans saisissantes, le montage rapide et le tremblotement incessant du cadre. Ainsi, les plans se heurtent, sans continuité, y compris dans les séquences les plus calmes. Ce chaos stylistique est tellement répandu dans le cinéma contemporain qu'il en devient la marque du plus parfait conformisme. La formule pouvait marcher pour nous plonger dans les méandres de Traffic ou d'A fleur de peau, mais ici, la longue marche vers la mort du Che manque cruellement de fluidité et ne s'élève jamais au-dessus du reportage. Sa fin est traitée relativement sobrement, mais le cinéaste ne nous évite pas le contrechamp si éloquent sur les paysans boliviens. De peur d'en faire trop ou pas assez, Soderbergh regarde à droite et à gauche, au lieu de poser patiemment son regard vers le bas pour mieux l'élever par la suite, comme sût le faire Terrence Malick, son modèle, dans La ligne rouge.

  • Les chevaliers de la table ronde

    (Richard Thorpe / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1953)

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    chevaliers.jpgLa télévision permet de temps à autre de juger sur pièces quelques titres émergents de filmographies de cinéastes hollywoodiens consciencieux mais sans style particulier, tel Richard Thorpe.

    J'ouvre tout d'abord une parenthèse. Les chevaliers de la table ronde (Knights of the round table) a été diffusé ce lundi soir par Arte, quelques jours après Deux hommes dans la ville et Quand Harry rencontre Sally, autant de films qui, il y a dix ans, avaient plutôt leur place sur France 2 ou France 3, chaînes qui diffusaient récemment The patriot, Le fugitif et La relève, autant de films qui, il y a dix ans, avaient plutôt leur place sur TF1, chaîne qui diffuse maintenant des séries. Dans 10 ans, on décale encore d'un cran ?

    Fin de la parenthèse et retour à Richard Thorpe, réalisateur d'une bonne centaine de longs-métrages de 1924 à 1967. Certaines oeuvres se détachent timidement de l'ensemble : Le prisonnier de Zenda (1952) est un très agréable film de cape et d'épée, Jailhouse Rock / Le rock du bagne (1957) est un Elvis movie assez intéressant et Ivanohe(1952, lisez une note intéressante ici), dont j'ai un lointain mais excellent souvenir, domine le tout grâce, entre autres choses à son casting quatre étoiles (Elizabeth Taylor, Joan Fontaine et George Sanders autour de Robert Taylor). Quelques autres titres mériteraient certainement d'être mentionnés mais la majorité est apparemment sans grand intérêt. Dans 50 ans de cinéma américain, Coursodon et Tavernier consacrent une note sévère au réalisateur de Quentin Durward (1955), film "qui s'ouvre sur un plan de Chenonceaux, sous-titré Chambord, alors que l'histoire se passe sous Louis XI".

    Les chevaliers de la table rondeest une oeuvre à l'image de toute la carrière du bonhomme, pour le moins inégale. La mise en scène est parfaitement fonctionnelle, ce qui donne une certaine sobriété aux combats en armures mais peut aussi laisser sombrer une bataille dans la mollesse générale (voir le traquenard tendu à l'armée de Lancelot au nord du royaume, filmé très paresseusement). Le choix d'inscrire l'action en décors réels le plus souvent possible nous vaut d'assister à un premier duel dans la forêt et à un affrontement final sur des hauteurs rocailleuses assez bien troussés. Nous nous apercevons vite, cependant, que, si réalistes soient-ils, quelque chose manque dans ces sous-bois où se croisent chevaliers et gentes dames : le peuple. S'il est fait allusion à ses souffrances, il est complètement évacué d'une histoire où il n'est question que d'individualisme et d'homme providentiel.

    Cette vision de la légende arthuréenne est dépourvue de toute dimension magique. Nous nous en accommodons pendant quelques minutes avant de finir par la regretter devant cette condensation des péripéties qui rend arbitraire et parfois à la limite du risible certaines articulations du scénario. De même, la complexité des caractères se transforme en caprices peu compréhensibles (les revirements de Lancelot au moment de faire allégeance à Arthur) et les enjeux de pouvoir au château de Camelot, partie centrale du film, ralentissent considérablement le rythme. Parmi tous ces personnages taillés d'une seule pièce, celui de Perceval (Gabriel Woolf) en deviendrait presque le plus intéressant, transporté qu'il est par une série d'apparitions divines. Ava Gardner n'a malheureusement pas grand chose à faire, Mel Ferrer est un Arthur totalement engoncé dans ses habits royaux, Robert Taylor assure en Lancelot et Stanley Baker est un méchant et convaincant Modred.

    Le film n'échappe à la routine (pas vraiment désagréable) qu'en de rares moments : un pari sur une danse de saltimbanque occasionnant la jalousie de Guenièvre et surtout une belle séquence centrée sur un magnifique fondu-enchaîné liant deux amoureux séparés, chacun étant perdu dans ses pensées au sommet d'une tour et serrant dans ses mains une étoffe ou un collier. Ces instants font regretter qu'ailleurs nous ne sentions jamais l'emprise des ténèbres ou le poids des armures. Ce n'était sans doute pas dans le cahier des charges, qui se limitait au spectacle coloré et à l'apologie des valeurs de la chevalerie.

  • C'était mieux avant... (Février 1984)

    Janvier étant derrière nous, il est temps de nous lancer dans notre chronique mensuelle. Que se passait-il donc dans les salles françaises au mois de Février 1984 ?

    rustyjames.jpgRusty James bien sûr. Coppola nous donnait à voir le versant arty, sérieux, auteuriste d'Outsiders. Matt Dillon et Diane Lane prenaient définitivement leur place dans notre panthéon d'adolescent et l'apparition de Mickey Rourke sur sa moto nous signifiait qu'il fallait désormais compter avec lui (au moins jusqu'au début de la décennie suivante). Aurions-nous confondu virtuosité et esbroufe ? Le passage du temps aurait-il fait quelques ravages ? Une note que notre excellent collègue Mariaque nous avait fait remonter récemment souffle le chaud et le froid (le plus étonnant mérite de cet écrit étant d'évoquer au détour d'une phrase les vénérés Echo and the Bunnymen). Et bien nous trancherons d'ici quelques jours, le temps de re-visionner la chose en dvd.

    Autre choc visuel de l'époque, dont on est sûr, cette fois-ci, de la permanence : Meurtre dans un jardin anglais, premier film "commercial" de Peter Greenaway. Si l'homme nous réserva au fil des ans de succulentes surprises (et quelques opus moins dispensables, notamment ces dernières années), jamais il ne parvint à dépasser ce coup d'essai/de maître si jubilatoire, cruel et singulier (Drowning by numbers peut-être, il faudrait revoir tout ça...).

    Ces deux films sont les seuls sortis en février 84 que j'ai pu voir à peu près à ce moment-là. A côté de cela, il y avait deux cinéastes de la marge qui proposaient leur nouvel effort : Mocky et Ruiz. Je connais à peu près A mort l'arbitre !, mais je ne suis pas sûr de l'avoir vu autrement que par petits bouts au fil des diffusions TV. Je le concède, le cinéma de Mocky est l'une de mes lacunes. Ruiz m'est bien plus familier mais La ville des pirates n'est pas l'un de mes préférés du cinéaste chilien. La première moitié du film est assez hermétique et assommante. En revanche, la seconde est plus captivante, versant dans le conte et tirant vers la pureté du cinéma muet. Interprétation marquante du tout petit Melvil Poupaud, d'Anne Alvaro et d'Hugues Quester dans le rôle d'un schizophrène se prenant pour toute une famille.

    sob.JPGDécouverte tardive également pour un film qui me tient à coeur : S.O.B. (pour : Son Of a Bitch) de Blake Edwards. Voilà l'un des portraits les plus féroces et les plus hilarants existant sur le petit monde hollywoodien. Riant de la mort d'une façon stupéfiante, nous gratifiant une nouvelle fois d'étourdissantes séquences de party et poussant sa femme Julie Andrews, soit Mary Poppins, à montrer vigoureusement sa poitrine à la caméra, Blake Edwards me semble ici en meilleure forme que dans les pourtant mieux connus Victor Victoria et Elle.

    Passons maintenant en revue les autres sorties du mois dont je ne peux juger la qualité, faute d'avoir un jour croiser leur route. Genres privilégiés à cette époque, l'horreur, la SF et la fantasy étaient à la fête. Se succédaient Brainstorm (Douglas Trumbull), La quatrième dimension (film à sketches, inspirés par la série télévisée du même nom et réalisés par la crème du genre : Joe Dante, John Landis, George Miller et Steven Spielberg), Krull (Peter Yates) et L'ascenseur (Dick Maas, où l'on apprenait que les Pays-Bas avaient un cinéma et qu'il faisait peur).

    Völker Schlondörff adaptait Proust (Un amour de Swann) en convoquant Ornella Mutti, Jeremy Irons, Alain Delon, Fanny Ardant et Marie-Christine Barrault et tombait, aux dires de quelques uns, dans le pire académisme. Star 80, tiré d'un fameux fait divers (l'assassinat d'une jeune actrice par son mari) était l'ultime film de Bob Fosse (avec Mariel Hemingway). Gorky Park de Michael Apted, malgré son sujet (la découverte d'un complot au sein du KGB) et l'époque de sa réalisation évitait l'anti-communisme primaire (avec William Hurt et Lee Marvin). La femme flambée (Robert Van Ackeren) sentait le soufre plus que le brûlé. En proposant de leur côté un remake du To be or not to be de Lubitsch, Alan Johnson (réalisateur) et Mel Brooks (acteur-producteur) tendaient le bâton pour se faire battre, ce qui ne manquât pas d'arriver. Était-ce mérité ?

    gwendoline.jpgHormis le Mocky, le Ruiz et Tricheurs de Barbet Schroeder (Bulle Ogier et Jacques Dutronc dans l'enfer du jeu), le cinéma français n'avait pas grand chose à proposer puisqu'il n'y avait à se mettre sous la dent que L'étincelle (de Michel Lang, avec Roger Hanin et l'étoile filante Clio Goldsmith), Les parents ne sont pas simples cette année (Marcel Jullian), Les cavaliers de l'orage (de Gérard Vergez, fresque historique sur 14-18 avec Gérard Klein et Marlène Jobert), Le garde du corps (de François Leterrier, la comédie "Splendid" du mois, avec Gérard Jugnot et Jane Birkin) et Charlots Connection (sans commentaire). Il restait tout de même Gwendoline, délire érotico-fantastique de Just Jaekin, qui sortait, avec pas mal de bruit, au moment où Francis Leroi se chargeait de donner des nouvelles d'Emmanuelle (IV), dont le précédent avait filmé les premièrs ébats dix ans auparavant.

    Pour finir, une curiosité, vue de notre époque, celle du casseur de blocs (blockbuster en américain) de Jean-François Richet : la sortie de deux longs-métrages consacrés à Mesrine. Le premier, Jacques Mesrine : profession ennemi public, est un documentaire signé Hervé Palud (oui, le réalisateur des Frères Pétard, des Secrets professionnels du Dr. Apfelgluck et d'Un Indien dans la ville). Le second, Mesrine, est une fiction d'André Génovès apparemment oubliée de tous. Décidemment, avec le célèbre bandit, tout va par paire. Est-ce le symbole de la virilité du personnage ?

    positif276.JPGDans les kiosques, Positif (276) s'ornait de l'une de ses plus belles couvertures (Meurtre dans un jardin anglais) et se penchait sur le cinéma britannique, si décrié dans la revue d'à côté. Puisque l'on parle d'eux, les Cahiers du Cinéma (356) revenaient sur Hitchcock, qui d'ailleurs est anglais, non ? (Fenêtre sur cour en une). Ailleurs, des actrices s'affichaient en première page : Béatrice Romand (Cinéma 84, 302) et Jane Birkin (Première, 83). Cinématographe (97) consacrait un dossier au procédé du flash-back (Boulevard du Crépuscule en couverture), tandis que La Revue du Cinéma (391) s'intéressait à Ettore Scola (Le bal) et Starfix (12) au festival d'Avoriaz et à La quatrième dimension.

    Voilà pour février 1984. La suite le mois prochain...