(Jacques Tati / France / 1958)
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Ayant lu ma note récente Êtes-vous Tatiphile ?, mon amie Michèle m'a fort gentiment prêté quelques dvd de Jacques Tati. Première étape, dans le but de faire découvrir tout cela à mon fils de 6 ans : Mon Oncle, sans doute le plus célèbre et, pensais-je, le plus accessible (filmé en couleurs, avec un récit très linéaire et une grande importance donnée aux divers personnages d'enfants...).
Faisant confiance à un souvenir lointain, je m'étais permis dans la note pré-citée de pinailler à son endroit (je m'étais donc montré Tatillon, ah ah ah). Et bien, je ferais de même ici. Déjà pourvu d'une ambition folle, Tati insiste beaucoup sur son message. La composition très travaillée des plans et leur signification a parfois tendance à écraser les touches humoristiques (cruelle question du fiston revenue à plusieurs reprises : "Quand est-ce que c'est rigolo ?"). La volonté d'opposer ainsi deux mondes se répercute sur tous les éléments constitutifs de chacun : un environnement moderne et déshumanisé face à un havre de paix traditionnel et bon enfant, des bruits électriques agaçants à côté d'une douce musique, des plans fixes qui succèdent à du mouvement. Cette dichotomie perpétuelle lasse quelque peu le long des deux heures de film. Le travail sur la durée pose également question. Il arrive qu'on se dise, arrivés au bout de certains plans et un peu à l'image des détours illogiques que prennent les invités des Arpel pour circuler dans leur jardin : tout ça pour ça... Sur tous ces points, l'équilibre parfait, me semble-t-il, Tati le trouvera 10 ans plus tard avec Playtime, son film-monde à lui.
Ce qui m'est apparu plus précisément cependant, à cette nouvelle vision, c'est le regard acéré que l'auteur peut porter sur les rapports de classe. Quelques scènes vont ainsi un peu plus loin que la moquerie : la condescendance avec laquelle est traitée la bonne, l'asservissement volontaire supporté par le subalterne de Mr Arpel. Le travail est également vu sous un angle critique réjouissant. Mon oncleest un éloge de la paresse (les employés de l'usine qui se mettent à travailler lorsqu'ils voient arriver dans les parages le chien du patron) et propose une sorte de rejet du fonctionnel à tout prix. Tati réclame le droit de faire des choses inutiles, du moins des choses qui ne font pas avancer plus vite. Peut-être, après tout, que l'auteur de Mon oncle ne veut pas tant opposer deux mondes que demander une pause dans cette fuite en avant vers la modernité.
Le film a pour lui au moins deux grands atouts que je ne contesterai nullement. Le travail sur le son est extraordinaire (et cela, des deux côtés de la ville) et participe au moins autant que les décors à la singularité de ce cinéma (petite gêne du fiston : "Pourquoi il ne parle pas ?", en fait Hulot dit une seule phrase audible, savoureuse, à l'oreille de la voisine de sa soeur : "J'en connais une, elle est courte..." et obtient pour toute réponse à sa blague, que l'on entend pas, une grimace dédaigneuse). L'autre grand plaisir du film, ce sont ses merveilleux ballets absurdes ou chaleureux, orchestrés par le cinéaste avec les invités de la garden party ou les habitués du bistrot du quartier.
Un dernier mot du fiston : "Charlot, c'est plus drôle". Sur ce coup, ce n'est pas faux, en attendant de revoir Jour de fête et Les vacances de Mr Hulot. Je lui expliquerai plus tard que Mon oncle est tout de même un film important.

Entre les murstire sa force de quelques parti-pris intelligents. Pendant les deux heures de projection, jamais nous ne sortons du collège Dolto et si de brèves incursions en salle des profs, dans le bureau du directeur ou dans la cour, nous sont autorisées, c'est bien dans la classe de 4ème, pendant les cours de François Martin (aliasFrançois Bégaudeau), que nous revenons incessamment. Le film débute le jour de la rentrée et se termine à la veille des vacances d'été, balayant ainsi une année scolaire, mais sans apporter de repère temporel particulier entre ces deux bornes. Le récit progresse par blocs de longues séquences, laissant entre chacune d'importantes ellipses, particulièrement reposantes (par exemple, celle qui ne nous explique pas comment ni pourquoi Khoumba revient sur sa décision de ne plus adresser la parole au prof). Travailler ainsi sur la durée permet de laisser les discussions se dérouler dans toute leur complexité et de ne pas mettre en valeur artificiellement les bons mots et les répliques saillantes.
Découverte totale que cette Mademoiselle Else (Fräulein Else) dont seul, au générique, le nom de Karl Freund à la photographie ne m'était pas inconnu. Paul Czinner, né austro-hongrois et réalisateur d'une vingtaine d'opus des années 20 aux années 60, signe là un très beau drame mondain, tiré de l'oeuvre d'Arthur Schnitzler (qui n'eut donc à attendre ni Ophuls ni Kubrick pour être adapté brillamment).
Les démons de la liberté est un film de prison. La Brute forcedu titre original, c'est celle qu'applique le surveillant en chef, le capitaine Munsey. Dans un mouvement progressiste, Jules Dassin se place résolument du côté des prisonniers, sur lesquels aucun jugement moral n'est porté. La surpopulation carcérale et le tout-répressif sont dénoncés. Richard Brooks, futur cinéaste engagé, signe le scénario.
Classique du muet hollywoodien, Notre-Dame de Paris (The hunchback of Notre Dame) accuse lourdement ses 85 ans. Si l'adaptation du roman de Victor Hugo est l'occasion d'un travail technique consciencieux au niveau des décors et de la photographie, on ne peut pas dire que la mise en scène de Wallace Worsley se signale de manière particulière. La caméra reste désespéremment statique. De rares plongées vertigineuses sur le parvis de Notre-Dame rompent heureusement ce faux-rythme visuel. La plus belle montre Quasimodo se laisser glisser le long d'une corde jusqu'à Esmeralda, ligotée devant la porte de la cathédrale. De même, sur la fin, un beau plan très bref recourt enfin à la profondeur de champ quand Jehan sort de l'ombre pour se jeter sur la jeune femme.
Le documentaire-portrait de musicien est un genre qui neuf fois sur dix ne véhicule que du commerce et de l'hagiographie. Matraqué par le marketing, le spectateur finit toujours plongé dans l'ennui si il n'aime pas l'artiste en question ou dans la déception si il en est un adepte. L'une des rares exceptions s'appelle No direction homeet cet éclairage du parcours de Bob Dylan, de sa jeunesse jusqu'en 1966, nous le devons à ce diable de Martin Scorsese.
- Ah non ! Tu ne vas pas encore commencer ta note en parlant de ta difficulté à écrire sur le cinéma de Desplechin, trois mois à peine après
Soyons honnête. Même aux yeux du moins cinéphile des spectateurs, les films ne viennent pas au monde égaux. Chacun a beau se dire le plus éclectique du monde ou invariablement bon public, le jugement porté lors de la découverte d'une oeuvre nouvelle est toujours soumis aux lois de la probabilité. Ainsi, la probabilité que ma première rencontre avec le cinéma de Christophe Honoré se passe bien était assez faible, compte tenu de mes affinités avec certains critiques (ceux de Positif) ou certains bloggeurs qui n'ont jamais été tendres avec le cinéaste.
Quel étrange film que cet Allonsanfan, qui précède dans la filmographie des Taviani leur oeuvre la plus célèbre, Padre Padrone. Comme souvent chez eux, l'histoire italienne est vue à travers le prisme du conte. Les décors sont naturels, l'argument clairement situé dans le temps et l'espace, mais ce réalisme de départ est constamment perturbé par des éléments oniriques ou surnaturels. Si les Taviani procèdent par longues séquences, le rythme à l'intérieur de chacune est très heurté. La plupart des raccords sont particulièrement brutaux, ménageant ainsi constamment des surprises. Nombre de plans fixent le regard du héros, craintif ou étonné, joué par Marcello Mastroianni, pour enchaîner sur un contrechamp auquel rien ne nous prépare (par exemple, un gros plan de visage qui nous est inconnu). La mise en scène accumule ainsi les ruptures dans ses effets, aussi bien que dans les registres émotionnels. Une séquence peut passer du drame à la farce grotesque. Dans cet univers, tout peut donc arriver. Les hallucinations ont autant de réalité que le reste, les morts reviennent à la vie, les protagonistes se séparent puis se retrouvent nez à nez, où qu'ils aillent. La logique à l'oeuvre est celle du rêve et du cauchemar (autre élément tirant vers le fantastique et constitutif des réalisations italiennes de l'époque : le recours à la post-synchronisation, qui accentue les différences de niveau d'expression). Le film avance par a-coups et des longueurs y voisinent avec de très belles idées (la scène du repas avec la famille, la présence de la mer, la mort de Charlotte traitée en une ellipse brutale, la danse dans le repère des subversifs...).