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Film - Page 103

  • L'impasse tragique, Association criminelle & Acte de violence

    (Henry Hathaway / Etats-Unis / 1946, Joseph H. Lewis / Etats-Unis / 1955 & Fred Zinnemann / Etats-Unis / 1948)

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    Allez, comme je suis parti dans le film noir classique, je reviens sur de courtes notes prises il y a deux ou trois ans de ça, soit bien avant la naissance de ce blog génial et au retentissement international (j'ai de la famille à Montréal). C'était à l'occasion d'un cycle du Cinéma de minuit, si je me souviens bien. Relisons les ensemble :

    2102258982.jpgL'impasse tragique (The dark corner)

    Le détective privé Bradford Galt vient de purger injustement une peine de prison. Il reprend son activité à New York mais se sent bientôt observé et menacé, lui et sa charmante secrétaire, par un intrigant bonhomme en costume blanc. Celui-ci dit travailler pour Anthony Jardine, l'ancien associé de Bradford. Mais la mort de Jardine montre au héros qu'il y a encore quelqu'un à découvrir derrière toute l'histoire.

    La première qualité de cet excellent film est sa distribution homogène : Mark Stevens, Lucille Ball, Clifton Webb et William Bendix, qui campe ce formidable personnage de gros détective corrompu, toujours en costume blanc. Violence et sadisme caractérisent tout le monde ou presque (l'impressionnant interrogatoire que Bradford fait subir à son suiveur). Hathaway est à son aise dans ce domaine mais il offre aussi de très jolis moments de pause à son héros et sa secrétaire amoureuse, notamment dans une belle scène de dancing. Comme souvent chez ce cinéaste, c'est le réalisme des comportements, basé sur des geste crédibles, des petits détails, qui fait accepter l'intrigue solide mais un peu tordue et expédiée sur la fin.

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    Association criminelle (The big combo)

    Le lieutenant de police Leonard Diamond tente par tous les moyens de coincer le chef de bande Mr Brown, malgré le refus de sa hiérarchie de poursuivre les frais. Autant que son devoir, c'est son attirance pour Susan, la maîtresse de Brown, qui le pousse à aller jusqu'au bout.

    Violence et sadisme sont bien les mamelles du genre. Mr Brown (diabolique Richard Conte) fait penser à d'autres figures bien plus modernes du film noir, par sa névrose, son autoritarisme, la conscience de sa toute puissance et son débit mitraillette. Il semble évident que Quentin Tarantino connaît et apprécie cette Association criminelle. Tout d'abord, "Mr Brown" est un nom qui reviendra bien sûr dans Reservoir dogs. Mais il y a surtout cette séance de torture du policier ligoté sur une chaise, forcé d'écouter la radio dans un sonotone branché à fond pour lui crever les tympans. Tarantino, lui, préfère couper l'oreille, mais il me semble que le panoramique vers le poste de radio au plus fort de la tension est le même dans les deux films. En maître de la série B (n'oublions pas évidemment le génial Démon des armes, cinq ans plus tôt), Joseph Lewis tire le meilleur parti possible du manque de moyen, en accentuant la pénombre autour de sources lumineuses particulièrement vives ou en filmant en longs plans mobiles. Cerise sur le gâteau, Jean Wallace, blonde très troublante luttant plus ou moins pour se défaire de l'emprise de Mr Brown nous gratifie d'une scène sidérante quand son visage s'illumine en gros plan au moment où son homme disparaît derrière ses épaules pour descendre on se demande bien où. Voilà une série B toute proche du chef d'oeuvre.

    Acte de violence (Act of violence)

    Tiens, le chef d'oeuvre, le voici. Frank Enley vit paisiblement avec sa femme et son fils lorsqu'il s'aperçoit qu'un certain Joe Parkson rôde autour de chez lui. Ce dernier vient accomplir une vengeance, liée à leur expérience commune de la guerre.

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    Ce fabuleux Acte de violence est d'abord le récit d'une obsession, celle qui taraude Joe Parkson depuis la sortie de la guerre. Évoquant les traumatismes consécutifs à cette catastrophe, Zinnemann nous décrit deux caractères : le soldat cassé (physiquement et moralement) et l'officier refoulant sa lâcheté et sa trahison passées. Le cinéaste évite le flash-back redouté et préfère faire parler les personnages plusieurs minutes après le début du film et donc de la chasse à l'homme. Sans aucune fioriture, on entre de suite dans le vif du sujet et l'histoire se dévoile petit à petit. Il pèse sur le film une ambiance de violence rentrée, admirablement rendue lors du chassé-croisé en barques sur le lac ou quand Parkson rôde toute la nuit autour de la maison du couple. Comme chez Fritz Lang, la morale et le dilemme, prennent le pas sur l'enquête.

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    Le rôle dévolu à l'épouse de Frank (Janet Leigh impeccable), est loin d'être convenu, plein d'ambiguités. Le dénouement du film, attendu, est "heureusement malheureux" pour Enley et prive du même coup Parkson de sa vengeance. Les deux acteurs principaux sont superbes. Van Heflin est à l'aise au foyer comme dans les bas-fonds de Los Angeles (magnifiquement filmés) et Robert Ryan est imperturbable, boitant, engoncé dans son imperméable. Fred Zinnemann laisse les scènes durer, privilégie les long plans lors des dialogues (très peu de champs/contre-champs) et signe au final un très grand film noir.

  • Marché de brutes

    (Anthony Mann / Etats-Unis / 1948)

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    1943073846.jpgAprès En quatrième vitesse, continuons sur le même terrain et passons avec Anthony Mann ce Marché de brutes (Raw deal). En 48, le cinéaste n'est pas encore l'un des grands maîtres du western, mais est déjà un solide artisan du film noir. Et en effet, tout est là : ombres et lumières, personnages obsessionnels, destins tragiques, sans oublier les contraintes budgétaires qui stimulent l'invention visuelle.

    Joe Sullivan est en prison. Il a payé à la place de Rick. Celui-ci, par l'intermédiaire de Pat, la régulière de Joe, parvient à lui faire croire qu'il a organisé son évasion, alors qu'il sait pertinemment qu'il n'a aucune chance de s'en sortir. Seulement voilà, Joe réussit à se faire la belle...

    La vengeance est en marche. L'habileté de Mann lui permet de donner un éclairage (dans tous les sens du terme, avec John Alton à la photo) original à la plupart des passages obligés. Le style est sec comme un coup de trique dans les séquences d'évasion et de cavale, jouant de l'ellipse pour accélérer le tempo (Joe et Pat déboulant en taxi volé, le conducteur inerte sur la banquette arrière). Une bagarre mémorable dans l'arrière boutique d'un magasin pour chasseurs entre Sullivan et Fantail (l'inquiétant John Ireland) porte la violence à son point le plus chaud, ou plutôt, le plus froid (obscurité, absence de musique, rapidité des gestes).

    Le scénario place le héros entre deux femmes aux caractères opposés, ce qui a tendance à casser le rythme et à psychologiser un peu trop l'ensemble, si intéressante que soit la situation. J'apporterai le même bémol à la séquence du refuge chez le vieux couple, lors de laquelle arrive un incident signifiant mais dur à avaler (un tueur poursuivit par la police meurt sous les balles des flics sous les yeux des fugitifs). De même, la fin est brillante mais assez conventionnelle dans son suspense.

    Tout au long de ce Marché de brutes, et à chaque niveau, se pose finalement la question du choix entre deux options, deux chemins aux directions radicalement opposées : choisir entre deux femmes, choisir entre deux routes, choisir entre cacher la vérité à son homme et avouer au risque de le perdre, choisir entre tirer un coup de feu et garder ses distances, choisir entre rentrer chez soi et faire demi-tour pour revenir dans la gueule du loup...

    Le figure sadique du film est celle de Rick. Raymond Burr l'incarne de façon bien monolithique, ce qui ne l'empêche nullement de balancer une poêlée d'alcool flambé à l'une de ses amies, devançant ainsi largement Lee Marvin et sa cafetière bouillante de Règlement de comptes. Les deux personnages féminins, attachants, pâtissent d'interprétations inégales (sauf dans la très bonne séquence où Pat et Joe débarquent de nuit chez Ann). Dennis O'Keefe est lui remarquable.

    Je chipote quelque peu, peut-être en pensant trop au grand Anthony Mann du cycle James Stewart. Marché de brutes doit de toute façon être vu comme l'un des exemples les plus représentatifs du genre noir.

  • En quatrième vitesse

    (Robert Aldrich / Etats-Unis / 1955)

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    En quatrième vitesse sur grand écran dans ta face.

    Robert Aldrich n'a jamais été un cinéaste respectant les convenances. Ce fut l'une des raisons principales à la fois de sa fortune critique dans les années cinquante et plus tard des polémiques entourant ses films de guerre. Ce goût pour le coup du poing vers le spectateur éclate pour la première fois dans son cinquième effort (juste après deux classiques du western moderne : Bronco Apache et Vera Cruz), ce Kiss me deadlygardant le même titre choc que le roman de Mickey Spillane qu'il adapte et s'imposant comme l'un des plus grands films noirs (le meilleur ?) de cette décennie.

    En le revoyant, on constate déjà que le souvenir que l'on gardait de sa foudroyante séquence d'ouverture n'était point altéré. En démarrant d'entrée sur cette fille affolée au milieu de la route, Aldrich n'attend pas que l'on soit confortablement installé dans son fauteuil pour nous plonger dans les ténèbres et n'envoie son générique (défilant à l'envers) que lorsque nous sommes bien saisis.

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    En ramassant cette pauvre fille qu'il a manqué d'écraser, le détective Mike Hammer se voit donc entraîner dans l'une de ces enquêtes bien obscures et tordues. Le gars (Ralph Meeker, archétype du bloc en marche) est un sacré dur, qui sait autant y faire avec les femmes peu farouches qu'avec les hommes de mains menaçants. Au début de l'aventure en tout cas. Car ensuite, c'est plus compliqué. Hammer est de plus en plus dépenaillé, de plus en plus violent avec ses interlocuteurs. Plus son enquête progresse, moins il prend le temps de tergiverser pour obtenir les informations qu'il souhaite avoir : ces noms qui le font rebondir d'un homme à un autre. Complètement hébété, il finit par réaliser que la clé de l'énigme, son graal, le dépasse. Avoir entr'aperçu la chose, en être marqué au poignet lui suffit. Il ne tient plus alors que par le désir de sauver sa "secrétaire" Velda. Ahh Velda... A-t-on vu ailleurs un visage en sueur aussi érotique, que ce soit après un exercice de danse ou sortant d'un sommeil profond ? Velda, c'est Maxine Cooper, seulement quatre rôles au cinéma, dont trois pour Aldrich. Pour rester dans l'émoustillant, notons que dans Kiss me deadly, si les femmes semblent habillées normalement, elles ont tout de même rarement quelque chose en dessous (Christina en imperméable, Gabrielle en peignoir et Velda dans ses draps).

    L'ambiance pleine de mystères chére au film noir est plusieurs fois poussée à l'extrême. Hors-champ, Mike Hammer met violemment hors d'état de nuire l'un des tueurs (qui se demandera toujours, et nous avec, comment le détective a pu ainsi le tétaniser en une seconde). Les personnes croisées au cours de l'enquête paraissent toujours en savoir un peu plus que ce qu'ils en disent, voire devancer les pensées du héros (le légiste à la morgue qui hoche la tête en silence au fur et à mesure que ce dernier réfléchit à haute voix). Toutes les femmes se pendent instantanément au cou de Hammer et les révélations qui prouvent ensuite que ce sont là des gestes délibérés et trompeurs n'enlèvent rien à l'étrangeté des comportements. Dans sa dernière partie, le film vire à la science-fiction, tout en gardant la sécheresse du polar, à l'image de la scène où Gabrielle, qui tient en joue Hammer, lui demande un baiser mais lui tire dessus soudainement. Tout cela avant d'ouvrir la "boîte de Pandore" (nommée ainsi dans le film par son possesseur).

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    Tout du long, Aldrich joue de sa caméra en virtuose (jusqu'à ce plan que l'on peut qualifier de graveleux : quand Gabrielle allongée sur son lit pointe son flingue vers Mike Hammer qui vient d'entrée dans sa chambre, l'axe choisi donne l'illusion parfaite que le pistolet est dirigé vers l'entrejambes du privé). Mais autant que le talent visuel, c'est le travail sur le son qui impressionne. Il en est ainsi dans les deux séquences qui encadrent cette heure et demie de rêve de film noir : le générique du début se déroule en mêlant à la chanson de Nat King Cole les sanglots et gémissements de Christina et lors du dénouement, des cris inhumains percent le souffle de l'explosion.

    Alors, titubants, ayant échappés au pire, les pieds dans l'eau, Mike et Velda peuvent s'éloigner. Trop atypiques pour s'embrasser à pleine bouche comme le voudrait la convention, ils se soutiennent l'un et l'autre. Et c'est bien plus fort.

  • L'invitation au voyage & La coquille et le clergyman

    (Germaine Dulac / France / 1927 & 1928)

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    1134631653.jpgFigure de proue de l'avant-garde française des années 20 aux côtés de Louis Delluc, Marcel L'Herbier ou Jean Epstein, Germaine Dulac signe en 1927 L'invitation au voyage, film d'une quarantaine de minutes, prenant comme point de départ un poème de Baudelaire. Une femme délaissée par son mari se rend un soir seule dans un cabaret. Repoussant les avances d'un premier homme, elle accepte ensuite celles d'un officier de la marine et, entre deux verres et deux pas de danse, laisse ses pensées voguer vers des fantasmes d'adultère et d'aventures exotiques.

    Nous quittons donc le cabaret par moments, grâce aux songes de cette femme. Germaine Dulac nous fait partager ses rêveries. Elle s'appuie sur l'ambiance du lieu et, bien que le film soit bien sûr muet, sur la musique qui aide tout autant à voyager (différents numéros se succèdent sur la scène et dans la salle). Le décor du dancing est réaliste. A l'opposé, ce sont les brèves séquences évoquant la vie maritale qui semblent irréelles : le mari n'est vu que de dos, la représentation de la chambre et du salon est réduite à quelques meubles. Le silence aidant, les réactions des personnages sont étranges. L'homme semble visualiser lui aussi les fantasmes de romance maritime de la femme : il ouvre un hublot au-dessus de leur siège et fait mine de fixer l'horizon... qui se révèle être une arrière cour sordide. De la même manière, plus tard, la réalité reprendra le dessus. L'officier découvre que sa conquête est mère de famille (le jeu des mains, des alliances et des médaillons donne de très beaux plans de détails). Il en invite aussitôt une autre à la table, bien plus habituée des lieux. La femme n'a plus qu'à rentrer chez elle pour se coucher avant le retour de son mari. Pas de moralisme cependant, car quelque chose a réellement bougé.

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    Après le merveilleux, le cauchemar. La coquille et le clergymanest un scénario d'Antonin Artaud. Dulac décide de le mettre en images et se rapproche du surréalisme. Au contraire de celle de Bunuel, qui tournera quelques mois plus tard Un chien andalou, sa mise en scène ne tient pas vraiment du collage, ni de la discontinuité, du renversement ou de la provocation. Si obscure soit-elle, une histoire nous est bien contée. Un ecclésiastique se sert d'une étrange coquille dans un sous sol pour faire quelques expériences. Un militaire arrive, s'en empare et la jette à terre. L'homme de foi le poursuit alors partout, pour contrarier sa relation avec une belle femme, lui-même étant certainement en proie au désir.

    Le film n'a comme logique que celle d'un rêve ou d'un cerveau malade. La sexualité est plus qu'allusive, comme dans cette scène où l'ecclésiastique en vient à arracher, dans l'église, le corsage de la femme, découvrant sa poitrine. Toute cette séquence, organisée autour d'un confessionnal, est d'ailleurs assez stupéfiante de par le corps à corps violent entre les deux hommes, un dédoublement de personnalité et plusieurs trouvailles visuelles. L'ambiance nous fait penser à quelque chose, on est pas sûr, on verra plus tard... Le fantastique se fait ainsi beaucoup plus inquiétant que dans L'invitation au voyage. Les décors sont sombres, les personnages apparaissent et disparaissent tels des spectres, courent comme des vampires ou des morts-vivants, bras tendus. Puis arrive cette séquence où l'homme en noir poursuit calmement ses deux proies, en traversant une pièce vide en direction d'une porte qui donne sur une pièce vide qu'il faut traverser jusqu'à une porte qui donne sur une pièce vide... Juste avant, un plan inversait pour un instant, sans raison, la position du poursuiveur et de la poursuivie. Enfin, l'ouverture de la dernière porte nous emmène dans une grande salle décorée au sol de motifs géométriques. Si tout cela ne vous dit rien, c'est que vous n'avez malheureusement jamais eu la chance de voir l'anthologique séquence du dernier épisode de Twin Peaksdans laquelle l'agent Dale Cooper se retrouve dans le "monde noir". Car ce sont bien les mondes parallèles de Lynch qu'évoque aujourd'hui La coquille et le clergyman (un plan bref nous montre l'homme descendant un escalier alors qu'il n'a plus de tête et c'est tout Eraserheadqui revient dans la nôtre). Voilà un croisement singulier qui donne encore au film de Germaine Dulac une dimension nouvelle.

    Dès la première projection publique au Studio des Ursulines, Artaud dénigra le travail de Dulac et les surréalistes s'empressèrent de crier à la trahison. Des années plus tard, Ado Kyrou dans son ouvrage Le surréalisme au cinéma adopta la même position, dénonçant notamment la féminisationdu scénario. La plupart des historiens et critiques de cinéma ont depuis suivi cette ligne dure, balayant l'oeuvre de Dulac d'un revers de manche, ne louant que ses scénaristes ou se limitant à informer qu'elle fût à l'origine du premier film surréaliste. La découverte de ces deux courts poèmes m'incite plutôt, pour ma part, à voir les autres (peu nombreux, Germaine Dulac n'ayant plus tourné à partir de 1933, jusqu'à sa mort en 1942).

  • The war

    (Ken Burns et Lynn Novick / Etats-Unis / 2007)

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    207004940.jpgArte vient de terminer la diffusion de la série documentaire The war. Quatorze épisodes, soit près de quatorze heures au total, pour raconter la seconde guerre mondiale vue du côté américain. En se lançant dans cette saga, le documentariste Ken Burns (et son associée Lynn Novick) avait un double but : retracer l'historique des batailles menées sur les fronts de l'Afrique du Nord, de l'Europe de l'Ouest et du Pacifique, mais aussi et surtout donner à voir la guerre à hauteur d'homme en partant d'expériences personnelles.

    La mise en scène se construit donc d'une part sur les archives d'époque (reportages filmés ou photographiques, articles de presse, enregistrements radios, lettres...) et d'autre part sur les témoignages de vétérans interviewés à cette occasion. Il n'y a aucune reconstitution (plaie actuelle des documentaires historiques destinés à des diffusions télé) et les images d'archives sont respectées. Elles sont ré-assemblées par un montage vif et sonorisées. Mais ce sont les seules manipulations que s'autorisent les auteurs : il n'y a donc pas non plus de colorisation (les images en couleurs le sont réellement à l'origine, essentiellement tournées sur le front Pacifique). La masse de documents montrés est impressionnante, au point que chaque plan nous semble vu pour la première fois, y compris en ce qui concerne les événements les plus connus, comme le débarquement.

    Au fur et à mesure du voyage, remontent les souvenirs de cinéma de chacun et se pose la question du rapport entre la fiction et ces images brutes. La question est certes moins brûlante que lorsque l'on aborde la représentation de la Shoah (je renvoie à ma note récente sur Être sans destinet à l'échange qui a suivi dans les commentaires), mais elle taraude tout de même, tant l'effet d'une vue documentaire sur un blessé ou sur un corps qui s'affaisse diffère d'un plan similaire intégré à une fiction (oui, c'est vrai, au moins une chose ne peut être re-créée, le passage du film de Burns consacré à la libération des camps nous le rappelle : le regard insondable que lance un déporté à la caméra des libérateurs). Du point de vue de l'imaginaire cinéphile, un exemple parmi d'autres : Eastwood n'a en rien exagéré, avec ses effets numériques, l'enfer vécu par les combattants sur Iwo Jima, les images montées par Ken Burns sont exactement les mêmes.

    Tout au long de la série, avec cette durée inhabituelle, ce que l'on voit à l'écran semble de plus en plus violent, les corps de plus en plus sanglants ou mutilés (nous sommes loin des croisades modernes où la mort des soldats US reste invisible). Chaque bataille se termine avec le compte rendu chiffré des victimes de part et d'autre. L'un des intérêts du documentaire est déjà de remettre clairement en tête le déroulement des opérations, la lente évolution des différents fronts, notamment pour ceux qui comme moi connaissaient mal la chronologie des affrontements côté Pacifique. Le film rappelle une chose mieux connue ici mais que l'on oublie régulièrement : le débarquement de juin 44 ne coïncide pas avec la victoire. Les combats durent un an de plus et nombre de batailles provoque des pertes encore plus élevées que celles des plages de Normandie.

    Pour mieux faire le lien entre le particulier et le général, Burns s'est restreint à suivre les parcours singuliers de soldats originaires de quatre villes moyennes américaines. Cela lui permet entre autres de brosser un tableau très précis de l'arrière, habituellement occulté dans les documentaires sur la guerre, au travers des témoignages des femmes ou des ouvriers. On voit ainsi ces villes et leurs populations passer de l'insouciance à l'effort de guerre enthousiaste puis à la crainte et à la lassitude. Dans chaque épisode, nous faisons l'aller et retour entre les champs de batailles et l'Amérique, constatant l'écart parfois énorme existant entre la réalité du terrain et le ressenti des civils. Et comme il avait commencé en posant longuement la situation sociale, culturelle et économique de ces quatre villes avant Pearl Harbor et l'entrée en guerre, Burns s'attarde aussi en bout de course sur le retour des soldats et leur vie d'après. C'est sur ces témoignages poignants et précis d'hommes expliquant la cassure psychologique irréparable qu'a causé chez eux l'expérience de la guerre que Ken Burns termine son film.

    Il n'aura pas occulté non plus toutes les zones d'ombres liées au conflit : le thème de la ségrégation des Noirs qui parcourt toute la série, l'internement en camps des Américains d'origine asiatique vivant aux Etats-Unis, les multiples erreurs des généraux, les exactions commises envers les soldats ennemis, les terribles bombardements des villes allemandes et bien sûr, les deux bombes atomiques. L'ampleur de l'oeuvre tempère ainsi le patriotisme. Il faut rappeler surtout son utilité première, pour les Américains, ces amnésiques, dont une partie non négligeable de jeunes pensent aujourd'hui que leurs soldats se sont battus pendant la guerre aux côtés des Allemands, contre les Soviétiques. De notre côté, Ken Burns, en articulant parfaitement des archives étonnantes et des propos de vétérans à qui il laisse le temps de parler longuement, permet à chacun de s'interroger sur ses convictions et sur la notion de guerre juste.

  • Innocents

    (Bernardo Bertolucci / France, Grande-Bretagne, Italie / 2003)

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    1797905959.jpg"La rue est entrée dans la chambre". Vers la fin d'Innocents (The dreamers), Isabelle explique ainsi le bris de glace, provoqué par un pavé, à Matthew et Theo, réveillés en sursaut. L'incident semble n'exister que comme tour scénaristique un peu forcé. Mais il y a le rythme que Bertolucci donne à sa scène, l'affairement d'Isabelle occupée à cacher quelque chose aux deux autres et surtout cette phrase, qui sonne comme une belle trouvaille, appropriée à la fois à l'instant et à l'heure et demie que nous venons de passer avec ces trois personnes. Tout le charme fragile du film est résumé dans cette scène.

    Bertolucci replonge dans 68. Il démarre son récit (après un superbe générique) par une évocation de l'affaire Langlois. Matthew, le jeune étudiant américain, fait la connaissance d'Isabelle et Theo, soeur et frère, lors d'une manifestation organisée à la Cinémathèque et visant à soutenir son directeur, menacé par le Ministère. La reconstitution est appliquée, mais déjà, Bertolucci tente un coup audacieux : mêler des plans actuels de Jean-Pierre Léaud (et de Jean-Pierre Kalfon) en train de rejouer ce qu'il faisait à l'époque (harangue au mégaphone, lancer de tracts...) aux images d'archives réelles, allant jusqu'à raccorder les unes aux autres dans le mouvement et créant ainsi une émotion inédite. Plus que sur la politique, c'est sur la cinéphilie que se forme le trio. Matthew a tôt fait d'emménager chez ses deux nouveaux amis, d'autant plus facilement que les parents de ceux-ci doivent quitter l'appartement pour plusieurs jours. S'ensuivent des discussions tournant autour du cinéma, des devinettes, des mimes entretenant la mémoire et les connaissances de chacun. Parfois, comme pour situer les événements de mai, la patte de Bertolucci se fait un peu trop pédagogique (la comparaison entre Chaplin et Keaton ou l'inévitable blague à propos de Jerry Lewis, génie vu de France et pitre sans intérêt vu des Etats-Unis). La plupart du temps, c'est le plaisir de la citation qui l'emporte, essentiellement grâce au choix du cinéaste d'insérer dans son film des extraits des titres évoqués. Une simple énumération verbale serait vite lassante. Montés avec bonheur, ces flashs de classiques en noir et blanc donnent une autre dimension émotionnelle à la chose (mais le même principe appliqué à la musique, avec l'utilisation parsemée dans tout le récit de célèbres partitions, passe moins bien).

    Puis, la politique et la cinéphilie disparaissent. L'enfermement des trois se fait total dans ce luxueux appartement et les jeux se font sur le terrain de la séduction et du sexe. Il n'y aura plus d'extraits (sauf un, de Mouchette, pour le coup pas indispensable). La caméra joue merveilleusement de ce décor aux larges pièces et aux couloirs étroits. L'appartement est un lieu à la fois vaste (on y joue à cache-cache) et exigu (on est toujours collé l'un contre l'autre). Une belle scène montre cela clairement : trois corps sont recroquevillés dans une petite baignoire, au milieu d'une grande salle de bain. L'inceste, l'autodesctruction, les rapports de force (qui s'inversent joliment par rapport à la donnée de départ : le couple cool qui déniaise le troisième), le repli : tout cela sonne fort. Pourtant, jamais le film ne tend vers la noirceur du Dernier tango à Paris. Extrêmement vivant, Innocentsest surtout un film diablement sexy. Des trois jeunes comédiens, Michael Pitt, tout à fait crédible, qui était là entre Bully et Last days, est le plus étonnant. Louis Garrel, que je découvre sur un écran à cette occasion, est très bien (même si il m'a semblé l'avoir vu faire son Léaud dans deux ou trois scènes, mais c'est pas très gênant). Quant à Eva Green, elle est... hum... comment dire ça... affriolante est un peu faible... enfin vous comprenez.

    N'ayant plus rien vu de Bertolucci depuis la sortie d'Un thé au Sahara en 90, je n'attendais pas grand chose d'Innocents. En passant sur quelques scories (le retour des parents, des scènes de rue moyennes...), la surprise en est donc d'autant plus agréable.

  • Il était un père

    (Yasujiro Ozu / Japon / 1942)

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    257726947.jpgUn Ozu. Cela faisait un sacré bail. Et le temps passant, si je connais toute sa filmographie d'après-guerre, je serai bien en peine de mettre en avant clairement tel ou tel titre. Dans ces années-là, l'oeuvre d'Ozu est si compacte, cohérente, uniquement bâtie sur d'infimes variations autour de mêmes thèmes, que la mémoire finit par ne plus bien discerner les films les uns des autres. A moins de les voir plusieurs fois, il me semble que les préférences ne s'établissent pas sur grand chose, voire même, ne reposent finalement que sur l'étât d'esprit du moment.

    Il était un père (Chichi Ariki) est considéré non comme le premier grand film d'Ozu (il en a signé plusieurs dans les années 30) mais comme celui où son esthétique si particulière apparaît pour la première fois de façon aussi claire et continue. Voici donc une occasion de se frotter à nouveau à ce cinéma-là, l'un des plus mystérieux qui soient.

    La trame du film, bien qu'étalée sur une quinzaine d'années, est d'une grande simplicité. Monsieur l'instituteur Horikawa est un veuf qui élève seul son fils Ryohei. A la suite d'un accident ayant coûté la vie à un élève lors d'une sortie, il décide de démissionner, se sentant coupable d'un manque d'autorité et de protection et souhaitant se consacrer dorénavant exclusivement à son fils. Seulement, les petits emplois successifs de l'un et les études de l'autre ne cessent de les séparer, de plus en plus longuement. Ryohei finit par épouser lui aussi la cause enseignante. Après des années, le rapprochement tant attendu avec son père, qui continue inlassablement de prôner l'ardeur et l'exemplarité dans le travail et qui répond toujours qu'il va parfaitement bien, peut enfin se réaliser. Il ne durera qu'une semaine.

    Le film est tourné en pleine deuxième guerre mondiale. Pendant toute cette période, Ozu n'a jamais voulu faire d'ode au patriotisme japonais, réalisant seulement deux longs-métrages en retrait politiquement parlant. Si Il était un pèrerepose sur deux socles rassembleurs, la famille et le travail, il est miné par une tristesse infinie. Sous les sourires, la politesse et la retenue, de sérieux tourments agitent les personnages. Dans deux scènes d'anthologie, à quinze ans d'intervalle, on dit à Ryohei, bouleversé, de ne pas pleurer. Parce que c'est un garçon, qu'il faut paraître digne, ne penser qu'à bien faire. Enfant ou adulte, il n'arrive pourtant pas à retenir ses sanglots. La belle dernière scène du film nous le montre dans le train, en compagnie de sa femme. Après leur échange, il tourne son visage vers la fenêtre. On jurerait que les larmes ne sont à nouveau pas loin. Du début à la fin, Il était un père ne suit qu'une ligne : dire l'amour paternel et le besoin qui en découle d'être ensemble.

    Parmi les excellents comédiens, le génial Chishu Ryu dans le rôle du père touche au plus profond, tout en ayant l'air de ne rien faire sinon d'être là. Comme rarement, nous avons l'impression qu'il vieillit réellement sous nos yeux, alors qu'il n'use d'aucun artifice, sinon une barbe et une moustache.

    Il y a enfin cette mise en scène si étrange. Les brefs inserts de paysage ou de coin de rue déserts scandent le récit. Leur finalité est trouble : suspension du temps ou transition entre deux périodes, indifférence des éléments extérieurs ou élargissement du cadre pour atteindre à l'universel... De même, la fameuse place de la caméra pour filmer les conversations. Le cadrage ne se fait pas à hauteur des yeux des personnages assis mais un peu en dessous, au niveau des épaules dirait-on, d'où une légère contre-plongée. La frontalité des champs et contre-champs, variant du face à face au côte à côte, interpelle également toujours autant. Plus facile à saisir, la construction du récit offre une belle symétrie pour faire resentir l'inversion des parcours et des rapports de dépendance. A la moitié du film, une série de séquence organise le passage de témoin : à la pêche, au bain, à la préparation des valises, père et fils toujours côte à côte, se ressemblant.

  • Los muertos

    (Lisandro Alonso / Argentine / 2004)

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    364006607.jpgOn entre dans Los muertospar un beau plan sinueux qui, dans l'épaisseur d'une forêt tropicale, nous laisse entrevoir deux corps ensanglantés puis une silhouette d'homme tenant une machette à la main. Promesse d'une tragédie fiévreuse ? Que nenni. De toute évidence, nous sommes bel et bien en présence de l'un des champions de l'Internationale Auteuriste, mouvance proposant des oeuvres radicales à la narration dégraissée jusqu'au néant et ayant pour chefs de file le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, le portugais Pedro Costa ou le mexicain Carlos Reygadas (n'écoutant que mon courage, je découvrirai bientôt, de ce dernier, Japon). Toujours fort de qualités plastiques indéniables, ce cinéma-là commence à devenir tout aussi prévisible que le versant classique auquel il est censé s'opposer. Dans Los muertos, au bout de vingt minutes, nous avons ainsi droit à l'inévitable séquence sexuelle filmée dans toute sa crudité, s'arrêtant comme elle a déboulé, de manière abrupte entre deux plans contemplatifs. Autre geste de cinéaste censé authentifier la radicalité de l'ensemble : filmer un rituel in extenso. Ici, on voit longuement le héros attraper, tuer et vider une chèvre. Bon manque de bol pour moi, j'ai déjà vu faire ça dans la famille, à la campagne. C'était sur des moutons, mais les gestes sont les mêmes. L'intérêt documentaire se révèle donc nul.

    Avec ce choix de ne filmer que des temps morts, le semblant d'intrigue de Los muertosa finalement peu d'importance. Vargas, le personnage principal, sort de prison et désire retrouvé sa fille, vivant dans un coin difficile d'accès. Il voyage principalement en remontant en barque une rivière calme. Le film a pour lui une courte durée (80 minutes), un acteur à la présence intrigante, jusque dans ses tics gestuels, un cadre de verdure somptueux, une simplicité et une chaleur appréciable dans les rares rencontres que le récit réserve à Vargas. La fin de ce film sans musique est forcément ouverte et est accolée à un générique sur fond de rock bruitiste industriel. Les bras nous en tombent, pris entre la stupéfaction devant un procédé aussi incongru et le sentiment du foutage de gueule.

    Sinon, pour découvrir vraiment le nouveau cinéma argentin, mieux vaut passer par Pablo Trapero ou Martin Reijtman.

  • Peau d'Âne

    (Jacques Demy / France / 1970)

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    2054985958.jpgPeau d'Âne vieillit bien. Ou plutôt, Peau d'Âne a arrêté de vieillir, depuis la dernière fois. La fantaisie de Demy capte toujours l'attention des gamins, ce qui, après tout, est le principal.

    Le film est à la charnière de l'oeuvre, entre les belles années 60 que l'on sait et la deuxième période, plus difficile pour le cinéaste (de ces années-là, je ne connais personnellement que les agréables mais mineurs Joueur de flûte, 1972, et Lady Oscar, 1978). Le fossé séparant l'argument chanté et merveilleux et le cadre très réaliste commence à devenir grand. Ainsi, costumes colorés, décors fleuris et autres objets détournés ont parfois du mal à se fondre dans les pierres bien réelles du Château de Chambord. En revanche, dès que l'on suit la barque ou le carrosse de Peau d'Âne pour s'enfoncer dans la forêt, la magie du conte opère pleinement.

    La troupe de comédiens réunie par Demy est royale, chacun se pliant toutefois plus ou moins bien aux contraintes de l'esthétique imposée par le cinéaste. Jean Marais est le plus mal loti au niveau des habits et accessoires. Fernand Ledoux a plus de chance avec sa barbe pleine de fleurs. Delphine Seyrig, l'actrice à l'image la plus sophistiquée, se retrouve en fait avec la garde robe la plus simple. Sa diction suffit à créer l'étrangeté mutine de la fée. Jacques Perrin fait un jeune prince crédible et charmant. Catherine Deneuve est sans doute encore plus belle en souillon qu'en princesse.

    On apprécie que Demy limite les gags récurrents enfantins au perroquet reprenant la chanson "Amour, amour..." et use d'effets très simples mais très beaux pour les scènes fantastiques (la transformation progressive du carrosse en charrette de paysan ou la traversée dans une course au ralenti de la cour de la ferme par Peau d'Âne, au milieu des ouvriers figés). L'humour du film est lui aussi très simple et plaisant, à l'image de cette vieille sorcière qui crache des crapauds. Si Peau d'Ânetient donc encore le coup, c'est grâce au trouvailles de Demy, à ses interprêtes et, toujours, à la musique de Michel Legrand, archi-connue mais toujours délectable.

  • Blood and bones

    (Yoichi Sai / Japon / 2004)

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    696297498.jpgThere will be blood and bones. Oui oui, je n'ai vu ces deux films l'un à la suite de l'autre que pour pouvoir écrire ce jeu de mot.

    Blood and bones (Chi to hone) est une fresque qui, en 2h20, retrace 60 ans de la vie d'une famille coréenne émigrée au Japon. Le père en est la figure centrale. C'est un homme violent, obsédé par l'argent, qui tyrannise autant les membres de sa famille que ses maîtresses, ses employés et ses créanciers. Le personnage est interprété par Takeshi Kitano.

    La voix-off est là pour nous le rappeler, le portrait de cette brute est peint avec les yeux de l'un de ses fils. Premier problème : jamais la mise en scène n'épousera clairement ce point de vue, usant d'une narration classiquement objective et montrant à l'écran des événements auxquels n'a pas pu assister l'enfant. Du début à la fin, le caractère du paternel ne changera pas. La répétition de la violence libérée régulièrement par cet homme lasse vite. Un mot de trop, une raclée. Un geste déplacé, une humiliation sexuelle. Il n'y a cependant rien de bien dérangeant dans tout cela. Les choses sont claires : nous détestons ce salaud, nous nous apitoyons sur le sort de ses victimes. La violence de chaque débordement est de toute façon à chaque fois adoucie, soit par l'emploi du thème musical du film (une partition "pleine d'émotion contenue" parfaitement insupportable), soit par le filmage des bagarres en plans larges, soit par le montage qui escamote tout sentiment naissant de malaise. La mise en scène fige d'ailleurs tout le film dans un académisme bon teint. La reconstitution historique est des plus scolaires (apparition d'une télé dans la pièce : tiens, on doit être passé dans les années cinquante...). L'intérêt historico-politique de la toile de fond s'évapore très vite à cause des brèves scènes très démonstratives qui éclairent sur le contexte de chaque période.

    Blood and bones, vendu comme un film choc, s'avère parfaitement confortable et totalement ennuyeux, et n'est même pas sauvé par la présence d'un acteur-réalisateur ailleurs génial.