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comédie - Page 9

  • Travaux

    (Brigitte Roüan / France / 2005)

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    travaux.jpgUne comédie (!) française (!!) contemporaine (!!!) et à message (!!!!) réussie (!!!!!). Certes, à la deuxième vision, des facilités apparaissent de ci-de là, quelques passages sont à la limite, et certaines images sont un peu trop sagement métissées, mais Travaux, troisième et meilleur film de Brigitte Roüan, a quelque chose du petit miracle. La principale qualité de l'ouvrage est de ne pas chercher à jouer au malin. Les bons sentiments y sont assumés. Mieux, par l'évocation (directe mais humoristique) du système répressif en place contre les étrangers en France, ils sont, pour ainsi dire, légitimés. De surcroît, l'engagement humaniste est discrètement mais constamment, interrogé, mis à l'épreuve par la complexité des rapports avec l'autre.

    Cette histoire d'avocate, bourgeoise de gauche, qui confie les travaux de son appartement à un groupe d'immigrés, privilégie le burlesque et le grotesque plutôt que l'ironie. Le second degré télévisuel de type Canal+, qui rend la majorité des comédies françaises actuelles déplaisantes, n'a guère sa place ici. Tout juste y trouve-t-on un jeu, pas désagréable, autour de l'image de Carole Bouquet (et, à un autre niveau, de Bernard Menez et Aldo Maccionne, dans des seconds rôles). L'actrice confirme d'ailleurs dans Travaux, une fois de plus, ses dispositions pour le comique.

    Le rythme est vif, maintenu pendant les 85 minutes du film. La réactivité de la mise en scène, d'un gag à l'autre, au fil de séquences parfois très courtes, n'empêche pas une parfaite lisibilité. Quelques idées visuelles pertinentes assurent la satisfaction de l'oeil (vu en plongée, l'attroupement bavard des ouvriers sur le trottoir, jetés dehors par leur "patronne", éclate soudain aux quatre coins de la rue à l'arrivée d'une voiture de police).

    La légèreté avec laquelle est abordé la réalité de l'immigration permet de faire passer le message. Le dialogue entre Chantal (Bouquet) et son artisan sud-américain, qui lui raconte son périple tragique ayant provoqué son exil, pourrait tomber dans la facilité. Or, la scène n'est pas vue de haut et le discours n'apparaît pas plaqué, rendu possible par un instant de calme propice à la confession (tout se termine d'ailleurs par un petit gag). Quelque chose de l'altérité passe vraiment.

    L'insertion de passages de comédie musicale peuvent apparaître moins heureux que le reste. Ils sont cependant bien justifiés et leur évolution épouse parfaitement celle de l'état d'esprit de l'héroïne. Ces chorégraphies sont l'un des vecteurs du travail de Brigitte Roüan sur les corps. Toujours dans l'optique d'un confrontation du mythe Bouquet avec l'épaisseur du réel (et de ces torses latins et velus), les frottements que les ouvriers imposent par moments à Chantal (desquels elle se sort toujours avec grâce) participent aussi à ce sentiment d'équilibre tenu par le film. Même la pirouette finale a son charme. Sûre d'elle et de ses effets, n'ayant pas eu peur de frôler le ridicule, c'est bien dans la franche comédie que la cinéaste a trouvé son expression la meilleure.

  • Les sièges de l'Alcazar

    (Luc Moullet / France / 1989)

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    siegesalcazar.jpgDans les années 50 à Paris, Guy, critique aux Cahiers du Cinéma, fréquente la salle de l'Alcazar pour y voir notamment les films de Vittorio Cottafavi, son cinéaste favori. Un soir, il y aperçoit Jeanne, qui écrit, elle, dans Positif. Au fil des séances, les deux vont jouer au chat et à la souris, leurs prises de becs cachant certainement une réelle complicité.

    Ce film de Luc Moullet titillait ma curiosité depuis longtemps par son sujet. L'histoire de la rivalité développée, quasiment dès leurs premières années, entre les deux grandes revues cinéphiles françaises m'a toujours beaucoup intéressé.

    Premier étrange sentiment : Les sièges de l'Alcazar a été tourné en 1989 et semble pourtant dater, sinon de 1955, l'époque décrite, du moins des années 60. Pensant au départ que le film était plus ancien, il me fallut attendre de reconnaître Sabine Haudepin dans un second rôle pour me persuader de sa date de production. Est-on là en face d'un extraordinaire travail de reconstitution ou est-ce plutôt l'effet secondaire de l'esthétique économe de Luc Moullet ? Défaut ou qualité ? Il faudrait sans doute, pour répondre à ces interrogations, connaître plus avant l'oeuvre du cinéaste (ou demander à des autorités plus compétentes).

    Drôle de personnage que ce Luc Moullet et drôle de film que celui-ci. Mais film drôle aussi. Les purs cinéphiles s'amuseront de certaines formules ("Antonioni est le Cottafavi du pauvre" etc...), mais plus que les dialogues, surtout axés sur les capacités de réparties de chaque personnage, ce sont les trouvailles de la scénographie qui charment. La caméra reste la plupart du temps dans le cinéma et les meilleurs moments mettent en scène le corps de Guy, les positions qu'il doit prendre pour tenir sur les petits sièges inconfortables. Plus que les private jokes, c'est le burlesque léger de Moullet qui séduit. Le film offre ainsi de très jolis plans de Guy, assis au milieu des gamins des deux premiers rangs.

    Dans le rôle principal, Olivier Maltinti est remarquable et ses duos avec Elizabeth Moreau (Jeanne) et surtout Micha Bayard (l'irascible ouvreuse) sont assez réjouissants. Le reste est plus inégal, Moullet étant l'un des rares cinéastes à ne pas couper les hésitations et les erreurs de dictions de ses comédiens. Autre bémol, le montage intègre de longs extraits de films de Cottafavi, pas forcément nécessaires.

    Sympathique et très plaisant, partant d'un sujet précis et n'en déviant jamais, restant confiné, Les sièges de l'Alcazar subit un peu le contrecoup de sa rigueur. Et se pose alors la question : peut-il résonner au-delà d'un petit cercle de passionnés ?

  • Jour de fête

    (Jacques Tati / France / 1949)

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    Avec le fiston, Jour de fête marche donc mieux que Mon oncle. Plusieurs raisons à cela, assez évidentes finalement : durée plus courte, rythme plus vif et registre plus franchement burlesque.

    Quand Mon oncle fait sourire, Jour de fête fait rire. Serait-ce à dire que les films les plus drôles sont les plus simplement réalisés ? Il est vrai qu'une mise en scène affichant sa virtuosité et ses atouts plastiques tend parfois à faire écran. Trop de signifiant, trop de réflexion nuit à la spontanéité de l'éclat de rire. Dans le comique, tout est donc affaire d'équilibre pour ne pas tomber dans l'excès inverse, celui de la platitude et de la facilité. On parlera alors ici de subtilité, là d'élégance ou encore ailleurs de vivacité.

     

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    La simplicité de Jour de fête n'est bien sûr qu'apparente. Elle masque une ambition technique (le film fut conçu, rappelons-le, pour être le premier long-métrage français en couleurs) et narrative hors du commun et surtout d'une incroyable originalité dans le paysage cinématographique de l'époque. Les trouvailles sonores sont toujours aussi merveilleuses (le moment de drague entre le forain et la villageoise, au son du western projeté à côté; les mimiques de François devant sa glace, l'oeil entouré de noir, pendant qu'une poule caquette on ne sait où...). Entre les longues plages sans dialogues (l'animation progressive de la place, la nuit d'ivresse de François dans les champs) et les échanges fleuris (grâce aux accents et aux jeux de mots), c'est un paysage sonore inédit qui se faufile entre nos oreilles. Plus référentiel, le recours au burlesque offre un régal de chutes en tous genres.

    Dès son premier long, Tati se dirige déjà vers le "spectacle total" qu'il appelait de ses voeux. Et au spectacle, tous les protagonistes de son film y sont. Chacun observe les autres. S'impose ici une leçon que les oeuvres suivantes ne cesseront d'asséner : la nécessité qu'il y a à s'arrêter un instant, le temps de regarder autour de soi avec étonnement, bienveillance ou humour, comme le fait le paysan en haut de son champ, observant l'étrange "danse de l'abeille" du facteur en contrebas.

    Le monde de Tati passe souvent pour gentillet. Sans vouloir tirer le film vers ce qu'il n'est pas, il convient de noter toutefois que l'on trouve dans Jour de fête quantité de sales garnements, un couple constamment en train de s'engueuler et des gens qui ne cessent de se moquer plus (les villageois) ou moins (les forains) gentiment de notre brave François. Signalons également que Tati peut aussi oser un gag grinçant comme celui, aussi court qu'irrésistible de l'homme mettant son bel habit, auquel le facteur lance un entraînant "alors, on se prépare pour la fête ?", sans voir le mort alité dans le coin de la pièce.

     

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    Dans cette chronique d'un petit village (toutes les petites touches humoristiques en disent aussi beaucoup sur le monde rural), se pose enfin la question d'une vision traditionaliste. La course en avant du progrès, Mon oncle en fera son sujet entier. Le plus grand plaisir que l'on prend, selon moi, à ce Jour de fête est en partie dû au fait que cette problématique est concentrée sur un seul élément : la révélation soudaine, par l'intermédiaire du cinéma, des exploits des postiers américains et de leurs machines. Nous spectateurs, nous n'avons alors qu'à savourer les gags qui en découlent, sans aller plus loin.

    La fin elle-même délivre avec finesse la morale et glisse de manière admirable. Une fois sorti trempé de sa chute (d'anthologie) dans la rivière, François se laisse conduire par la vieille femme à la chèvre, à bord de sa charrette. Il se pose enfin après sa folle course "à l'américaine" et peut s'arrêter au niveau des paysans dans leur champ. L'un d'eux lui demande de leur donner un coup de main, son gamin s'occupera bien de livrer le courrier restant à distribuer. On quitte donc François la fourche à la main et le garçon, casquette de facteur sur la tête cette fois, bouclera le film comme il l'avait ouvert : en suivant la caravane des forains. De la mémé à François puis au petit, comme un passage de témoin et la vie qui continue...

     

    Photos : Cinémathèque de Belgique et dvdbeaver.

  • Le Bon Roi Dagobert

    (Dino Risi / France - Italie / 1984)

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    dagobert.jpgDino Risi à la mise en scène, Gérard Brach et Age au scénario, Coluche, Serrault, Tognazzi et Carole Bouquet devant la caméra... Tout ce beau monde fut réuni en 1984 pour accoucher de cette catastrophe qu'est le Bon Roi Dagobert.

    Pendant quelques minutes, devant ce style visuel aussi rude que la campagne hivernale dans laquelle se déroule l'introduction, devant cette succession de dialogues grossiers, devant cet acharnement scatologique, on se dit, bienveillant et au fond désireux de nager à contre-courant de la mauvaise réputation du film, que l'irrespect peut être gage d'authenticité et de vigueur. Il faut malheureusement se rendre très vite à l'évidence. Risi a commis l'erreur de ne pas créer un véritable personnage mais de laisser Coluche faire ses sketchs habituels en habits médiévaux. Ses réflexions et ses onomatopées ponctuant chacune de ses interventions nourrissent un humour anachronique particulièrement pénible. Les deux hommes redresseront semble-t-il la barre, un an plus tard, avec un Fou de guerre apparemment bien plus profond (ce qui n'est pas difficile). Ici, le célèbre comique n'est certes pas le seul à jouer n'importe comment : les grimaces de Michel Serrault ne nous arrache qu'à grand peine quelques sourires et Ugo Tognazzi ne nous offre que le minimum syndical dans un double rôle.

    Arrivé au bout de ces 115 longues minutes d'un récit à l'intérêt très contestable, aboutissant à un paresseuse histoire de sosie du pape, je n'en retiens qu'une poignée de plans bien composés, un festival de poitrines généreusement offertes et deux plans de Carole Bouquet, l'un accompagnant sa sortie de bain (au lait) et l'autre, très bref, la montrant, épaule découverte et visage rayonnant, en train de jouer avec un serpent lors d'une orgie. C'est peu...

     

  • French cancan

    (Jean Renoir / France - Italie / 1955)

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    Au fil des ans, la bonne place que je persistais à laisser à ce French cancanparmi les meilleurs films des années 50, sans jamais le revoir, devenait de plus en plus fragile. Le jeune cinéphile que j'étais ne s'était-il pas laissé un peu trop influencé par la réputation de l'oeuvre ? N'y avait-il pas là un divertissement un peu trop futile ? Car tout de même, Renoir et Gabin, c'était plutôt les années 30... Hier soir, devant ma télévision et dès les premières scènes, le doute s'est envolé. Verdict sans appel : French cancan est un régal.

    Tout commence avec ces rupins qui viennent s'encanailler du côté de Montmartre et du petit peuple, dans ce bistrot où l'on danse sans se soucier des convenances. Et on sent déjà que Renoir n'a rien perdu de son élégance, de sa vigueur et de sa capacité à lier entre eux les personnages les plus disparates et les plus dispersés. Valse des partenaires et valse des regards.

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    L'hommage est dirigé, encore une fois, vers le théâtre, et il est ici d'autant plus émouvant qu'il porte sur ses composantes les moins nobles : chansonniers, siffleurs, danseuses de cancan. Tout du long, des figures pittoresques se succèdent comme autant de choeurs antiques commentant les situations. D'innombrables entrées dans le champ se font par les côtés du cadre, comme sur une scène. Tous les personnages du film sont en représentation. Seulement, ils sont dans le même temps, parfaitement sincères. La leçon de morale que donne Danglard/Gabin à Nini/Françoise Arnoul, pérorant sur le théâtre et sur la vie, nous pouvons la trouver excessive. La sincérité de la tirade ne fait pourtant plus aucun doute quand on voit, quelques minutes plus tard, Danglard rester seul en coulisses pendant le clou du spectacle, battant le rythme et renversant sa tête, soulagé et tellement émouvant à cet instant, lorsqu'il entend les applaudissements du public. De même, d'autres protagonistes et Nini la première, peuvent paraître arrivistes, mais les juger ainsi, c'est ne pas remarquer que toujours la séduction a lieu avant que l'argent n'entre dans les conversations.

    Dans ces années de qualité française, la Belle époque a souvent été filmée et rarement autrement que dans des reconstitutions figées. Chez Renoir, les décors, les dialogues et les interprètes pétillent. Des scènes d'habitude ingrates ou trop faciles comme les répétitions et les auditions des apprentis-artistes sont jubilatoires. La trivialité n'est pas incompatible avec l'élégance quand Nini vient perdre sa virginité chez son boulanger ou quand dans l'embrasure d'une porte, pendant le cours de danse de la vieille Guibole, une femme dévoile ses charmes en prenant un bain.

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    Surtout, Renoir est inégalable dans le crescendo et le mouvement. Une inauguration des plus officielles, en compagnie d'un ministre, voit d'abord quelques tensions se faire jour entre Lola de Castro et Nini au son pourtant très digne de la Marseillaise, avant de sombrer dans un ahurissant pugilat, une bagarre générale magnifique. Le style du cinéaste est pourtant plus simple et plus posé que dans les années 30, saisissant les scènes les plus agitées de façon calme, à quelques panoramiques près. C'est qu'enregistrer un envahissement du cadre suffit, comme dans ce stupéfiant final. Il n'y a là aucun suspense, le succès est d'ores et déjà assuré par l'affluence et l'incroyable déboulé de la foule dans la grande salle du Moulin Rouge. L'énergie est déjà là. Il ne manque qu'une apothéose, celle qu'apportent ces danseuses de cancan qui surgissent de chaque recoin de la salle, de chaque bord du cadre (même d'en haut). Et il n'y a plus de scène. La salle est la scène. Le théâtre devient la vie. Les danseuses virevoltent au milieu des spectateurs qui s'agitent tout autant. La fin de French cancanréalise un double idéal renoirien : l'art contamine le réel et les classes sociales ne sont certes effacées mais se mélangent, bourgeois et voyous, princes et boulangères, tous emportés par le même élan vital.

    Photos : dvdbeaver & Synoptique.

  • Mon oncle

    (Jacques Tati / France / 1958)

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    mononcle.jpgAyant lu ma note récente Êtes-vous Tatiphile ?, mon amie Michèle m'a fort gentiment prêté quelques dvd de Jacques Tati. Première étape, dans le but de faire découvrir tout cela à mon fils de 6 ans : Mon Oncle, sans doute le plus célèbre et, pensais-je, le plus accessible (filmé en couleurs, avec un récit très linéaire et une grande importance donnée aux divers personnages d'enfants...).

    Faisant confiance à un souvenir lointain, je m'étais permis dans la note pré-citée de pinailler à son endroit (je m'étais donc montré Tatillon, ah ah ah). Et bien, je ferais de même ici. Déjà pourvu d'une ambition folle, Tati insiste beaucoup sur son message. La composition très travaillée des plans et leur signification a parfois tendance à écraser les touches humoristiques (cruelle question du fiston revenue à plusieurs reprises : "Quand est-ce que c'est rigolo ?"). La volonté d'opposer ainsi deux mondes se répercute sur tous les éléments constitutifs de chacun : un environnement moderne et déshumanisé face à un havre de paix traditionnel et bon enfant, des bruits électriques agaçants à côté d'une douce musique, des plans fixes qui succèdent à du mouvement. Cette dichotomie perpétuelle lasse quelque peu le long des deux heures de film. Le travail sur la durée pose également question. Il arrive qu'on se dise, arrivés au bout de certains plans et un peu à l'image des détours illogiques que prennent les invités des Arpel pour circuler dans leur jardin : tout ça pour ça... Sur tous ces points, l'équilibre parfait, me semble-t-il, Tati le trouvera 10 ans plus tard avec Playtime, son film-monde à lui.

    Ce qui m'est apparu plus précisément cependant, à cette nouvelle vision, c'est le regard acéré que l'auteur peut porter sur les rapports de classe. Quelques scènes vont ainsi un peu plus loin que la moquerie : la condescendance avec laquelle est traitée la bonne, l'asservissement volontaire supporté par le subalterne de Mr Arpel. Le travail est également vu sous un angle critique réjouissant. Mon oncleest un éloge de la paresse (les employés de l'usine qui se mettent à travailler lorsqu'ils voient arriver dans les parages le chien du patron) et propose une sorte de rejet du fonctionnel à tout prix. Tati réclame le droit de faire des choses inutiles, du moins des choses qui ne font pas avancer plus vite. Peut-être, après tout, que l'auteur de Mon oncle ne veut pas tant opposer deux mondes que demander une pause dans cette fuite en avant vers la modernité.

    Le film a pour lui au moins deux grands atouts que je ne contesterai nullement. Le travail sur le son est extraordinaire (et cela, des deux côtés de la ville) et participe au moins autant que les décors à la singularité de ce cinéma (petite gêne du fiston : "Pourquoi il ne parle pas ?", en fait Hulot dit une seule phrase audible, savoureuse, à l'oreille de la voisine de sa soeur : "J'en connais une, elle est courte..." et obtient pour toute réponse à sa blague, que l'on entend pas, une grimace dédaigneuse). L'autre grand plaisir du film, ce sont ses merveilleux ballets absurdes ou chaleureux, orchestrés par le cinéaste avec les invités de la garden party ou les habitués du bistrot du quartier.

    Un dernier mot du fiston : "Charlot, c'est plus drôle". Sur ce coup, ce n'est pas faux, en attendant de revoir Jour de fête et Les vacances de Mr Hulot. Je lui expliquerai plus tard que Mon oncle est tout de même un film important.

  • Be happy

    (Mike Leigh / Grande-Bretagne / 2008)

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    behappy.jpgPoppy, 30 ans, est une institutrice londonienne délurée et fêtarde. Elle partage son appartement avec sa fidèle colocataire, prend des leçons de conduite, s'essaie au flamenco et tombe amoureuse. Poppy est un moulin à paroles qui s'évertue à désamorcer toutes les crises en riant de tout et qui tente de redonner le sourire à tous ceux qu'elle croise.

    Be happy (Happy-go-lucky) est censé être le rayon de soleil de notre rentrée. Avec son affiche pétante et son titre volontariste, cette comédie doit nous redonner la pêche. La presse nous le dit aussi, même les contempteurs habituels de Mike Leigh se faisant bienveillant. Et bien, au risque de passer pour un pisse-froid, je vous avoue que devant le film, le même mot m'est revenu toutes les cinq minutes : pathétique.

    Après un générique désuet, très années 60, les trois premières séquences sont catastrophiques. On pense à un mauvais début, mais cela ne s'arrangera en fait jamais. Dans la première, Poppy entre dans une librairie et essaie de dérider l'employé de la boutique, qui ne décroche pas un mot (ni un bonjour, ni rien). Voici déjà mis en évidence l'un des gros soucis du film. Mike Leigh, pour faire des étincelles, ne confronte sa Poppy qu'à des cas spéciaux : ici le libraire qui fait la gueule, plus tard la prof de danse espagnole bien allumée, le moniteur d'auto-école raciste et violent ou le clochard qui perd la boule. Dans la deuxième séquence, on voit Poppy et ses amies s'éclater en discothèque. Seul intérêt pour le cinéaste : montrer les jeunes femmes désinhibées, assumant l'exubérance de leur tenue et de leurs gestes. L'ambiance, la musique, il s'en contrefout : une scène pour rien. Dans la troisième, le summum est atteint avec un long délire entre les cinq copines, bien bourrées et affalées dans le salon. Blagues vaseuses à gogo, rires forcés et ivresse surjouée. Il reste encore 1h45 de projection.

    Tenues voyantes de Poppy, décorations d'appartements chargées, salles de classes chaleureuses : les couleurs vives sont là, mais comme délavées. Comme un Londres sans soleil, comme une comédie sans gag. Ah si, je crois qu'une dame dans la salle a ri à un moment (loin de la banane affichée par les critiques, les spectateurs s'exprimant sur le site allociné, auxquels on ne peut en général pas reprocher de ne pas être bon public, donnent à peine la moyenne au film). Leigh ne compte que sur deux choses pour faire naître le comique : des dialogues endiablés et des caractères bien trempés. L'incessant ping-pong verbal est fatigant, souvent souligné par de très moches gros plans sur les visages. A chaque instant, on croit entendre le cinéaste diriger ses comédiens : "Dis le plus vite !", "Accentue l'intonation !". Les caractères sont eux, je l'ai déjà dit, tous poussés à la limite (sauf bien sûr, l'amoureux).

    La comédie ne marche pas, la mise en scène non plus, reste donc le message : Poppy devrait de temps à autre se calmer et faire face à la réalité du monde. En gros, et la scène finale nous l'explique au cas où : trop bonne, trop conne. Bien sûr, la prise de conscience se fait progressivement. Poppy commence à rire jaune, puis plus du tout. Un enfant de la classe frappe ses petits camarades (on comprend dès le début ce que le récit met dix minutes à traiter au travers d'un entretien avec un assistant social : l'enfant est battu à la maison), l'homme de l'auto-école est de plus en plus inquiétant et dangereux... Pour mettre en scène un vrai tournant "original", Leigh en appelle au bon vieux théâtre lors d'une séquence ahurissante entre Poppy et un brave clochard. Tout cela va donc la changer, la délester de son immaturité, la poser un peu. Elle saura contenir la fureur de son moniteur raciste et pourra l'entendre lui dire ses quatre vérités, si justes au fond (puisque tout le monde est humain, n'est-ce pas ?).

    La plupart des critiques défenseurs du film font mine de s'étonner que Mike Leigh signe une comédie, manière grossière de se mettre le lecteur dans la poche. Deux filles d'aujourd'hui, en 97, en était déjà une et ses autres films, même parmi les plus noirs, contiennent nombre de saynètes comiques ou ironiques. Non, la surprise, si il y en a une, c'est bien de voir l'auteur de fables caustiques (High hopes), de solides mélodrames (Secrets et mensonges, Vera Drake) et de grands films désespérés (Naked, All or nothing), réaliser une oeuvrette aussi laborieuse.

  • Le corbeau

    (Roger Corman / Etats-Unis / 1963)

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    corbeau.jpgUn Roger Corman pour enfants ? Quasiment. Et il y a, malheureusement, peu de choses à ajouter à propos de ce tout petit Corbeau (The raven). Comptant parmi les nombreuses adaptations d'Edgar Allan Poe écrites par Richard Matheson pour le pape de la série B, celle-ci est ouvertement comique et aussi peu inquiétante que possible. On y trouve bien des châteaux imposants, des cercueils qu'il faut rouvrir, une main qui s'aggrippe à une épaule et un dénouement dans les flammes, mais ces éléments ont plus valeur de clin d'oeil qu'autre chose.

    L'intrigue se réduit à un affrontement entre trois magiciens : le maléfique Dr. Scarabus (Boris Karloff), l'alcoolique Dr. Bedlo (Peter Lorre) et le mélancolique Dr. Craven (Vincent Price). La distribution réunissait donc trois ingrédients de choix, mais la potion obtenue fait plutôt pchitt... Boris Karloff se retrouve quelque peu momifié et Peter Lorre ne joue que de ses yeux ronds quand il ne se voit pas transformé en corbeau. Vincent Price est lui au-delà du cabotinage, tantôt brillant, tantôt ridicule. Entre les trois, deux belles femmes et le jeunot Jack Nicholson comptent les points.

    Corman s'est sans doute bien amusé mais il ne s'est guère creusé la tête en termes de mise en scène, hormis pour trouver des effets spéciaux amusants (notamment pour le duel final, longuet, entre Scarabus et Craven). Volumes et couleurs sont peu mis en valeur dans les deux décors principaux et quasi-uniques du film. On accordera cependant à Corman un certain bonheur dans quelques cadrages et une invention constante dans la reprise de figures éprouvées (soulever un couvercle de cercueil, transformer par une simple coupe dans le plan un corbeau en magicien bedonnant).

  • Une femme est une femme

    (Jean-Luc Godard / France / 1961)

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    unefemmeestunefemme.jpgTroisième long de Godard, après A bout de souffle et Le petit soldat (ce dernier sorti plus tard, suite aux problèmes que l'on sait), Une femme est une femmeest une petite chose au milieu d'oeuvres bien plus consistantes. Abordant la couleur pour la première fois, JLG annonce une comédie, parfois musicale, sous les auspices de René Clair et de Ernst Lubitsch (convoqués dans l'un de ces génériques aussi percutants que succincts dont notre homme a le secret).

    Angela, strip-teaseuse de son état, vit avec Emile. Elle veut un enfant. Aujourd'hui. Lui n'en veut pas. Pourquoi ne le ferait-elle donc pas avec le premier venu ou avec l'ami du couple, Alfred ? Il n'y a guère plus à dire de l'histoire. On suit d'abord Angela (Anna Karina et son accent si particulier) dans la rue, à sa boite de strip, au travail d'Emile (Brialy) ou en conversation avec Alfred (Belmondo). C'est la meilleure partie du film. Car ensuite, le couple s'enferme dans son appartement et n'en sort plus guère. Godard aime les scènes de ménage en chambre. L'étirement de celles d'A bout de souffle et du Méprisprovoquaient génialement. Celle qui met aux prises Karina et Brialy paraît ici bien superficielle. L'affrontement relève de l'enfantillage et la mise en scène toute en ruptures de tons nous laisse à penser que tout cela n'est finalement pas bien grave. Les personnages ont bien du mal à exister et tout ne semble tourner qu'autour du problème général et peu original de la guerre des sexes.

    Le générique nous prévenait, Godard fait une comédie. Mais si surprenantes et inventives que soient ses trouvailles (calembours, coqs à l'ânes, superpositions sonores...), nous sommes bien en peine de relever un gag particulier, hormis les blagues de bureau (on croise Marie Dubois qui est en train de lire Tirez sur le pianisteet Jeanne Moreau à laquelle Belmondo demande comment ça se passe sur Jules et Jim, Belmondo qui, ailleurs, dit qu'il aimerait bien aller voir A bout de soufflequi passe à côté...). Non, Godard n'est pas le plus drôle des cinéastes et il a même la fâcheuse habitude d'abuser des grossièretés de langage.

    Bien évidemment, et heureusement, la provocation godardienne ne se limite pas aux "Eva-te faire foutre" et autres "enfoiré". La déconstruction du récit bluffe toujours autant : bande-son extrêmement complexe et montage déstabilisant. Les meilleures séquences se déroulent dans les bars. Celle où Karina et Belmondo écoutent intégralement Tu t'laisses allerd'Aznavour est l'une des plus belles et des plus étranges. Quelques plans admirables ponctuent ainsi la fantaisie, la plupart centrés bien sûr sur Anna Karina. Mon préféré voit la caméra se substituer à Brialy et empêcher sa femme de forcer le passage jusqu'à la serrer dans un coin de l'appartement.

    Cela dit, j'ouvre mon parapluie afin de ne pas prêter le flanc aux attaques du style : "Ah Bravo ! tu préfères un Lelouch à un Godard...". Adorateurs du Maître Franco-Suisse, inutile d'affûter vos couteaux, ma prochaine note prendra la forme d'un éloge de La Chinoise.

  • Soyez sympas, rembobinez

    (Michel Gondry / Etats-Unis / 2008)

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    782670792.jpgSympathique et bricolo. Le sentiment que procure Soyez sympas, rembobinez (Be kind rewind) est le même que celui éprouvé face à La science des rêves, précédent film de fiction de Gondry. En 2004, Eternal sunshine of the spotless mind, l'un des meilleurs films américains de ces dix dernières années, était lui, bien au-delà du bricolage. C'est pourquoi se pose pour moi la question du verre à moitié plein ou à moitié vide devant les deux derniers, même si plusieurs choses font pencher la balance du bon côté.

    Gondry est en effet un cinéaste précieux. Le terrain sur lequel il joue (l'innocence, la fantaisie...) est bien peu fréquenté. Prolongeant au cinéma ses ébouriffants travaux dans le clip, il parvient à imposer son univers et peut apparemment faire aboutir ses projets les plus farfelus en sautant d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique. Avec Soyez sympas... et son histoire de deux amis qui ont l'idée de réaliser eux-mêmes, en quelques heures, leurs versions de SOS Fantômes ou de Rush Hour 2pour palier à l'effacement soudain des originaux VHS de leur vidéo-club, Michel Gondry peut laisser libre court à son imagination, toujours imprégnée d'une certaine nostalgie de l'enfance. L'absence de cynisme, l'innocence du regard et une sorte de décalage temporel insensible font passer l'unanimisme du message. Mais innocence n'est pas naïveté. Gondry place habilement quelques réflexions personnelles sur le droit (ou pas) au détournement ou sur le plaisir tout simple de la fabrication collective. Trente secondes, aussi hilarantes que justes, avec Danny Glover notant sur un calepin, sous le nez d'un employé-vigile tout ce que doit être un vidéo-club moderne, dénoncent de belle manière la consommation de masse des produits culturels.

    Le rythme du film est plutôt chaotique. Souvent drôles, les remakes concoctés par l'équipe de bras cassés se regardent exactement comme on tue le temps sur You Tube, l'intérêt variant selon le degré de connaissance des originaux. Pour ce qui est des interprètes principaux, Jack Black et Mos Def, entre la fraîcheur et la fausseté du jeu, la limite est parfois fluctuante. Les apparitions de guest-stars sont, elles, particulièrement savoureuses, Gondry ayant le bon goût  de ne pas forcer la dose par rapport à l'imagerie que véhiculent Danny Glover et Sigourney Weaver (pas de remake d'Alien, ni de L'arme fatale). Surtout, Mia Farrow, en quelques scènes, vole la vedette à tout le monde, à la fois présente et complètement ailleurs.