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comédie - Page 5

  • En famille (2)

    corniaud.jpgLe Corniaud n'est pas désagréable dans sa première heure y compris sous son aspect touristique (la séquence documentaire de la cadillac avançant au pas au milieu de la foule des ruelles napolitaines, les vues de Rome...), du moins jusqu'à ce qu'il se rapproche des personnages italiens, aussitôt traînés dans les pires clichés. Reconnaissons aussi que quelques gags portent.

    La mise en scène est purement fonctionnelle lorsqu'il s'agit de faire rire, elle est transparente, voire calamiteuse, dans les transitions. La poursuite automobile entre les deux groupes de truands est ainsi montée en dépit du bon sens et composée d'images en accéléré, d'horribles raccords et de plans tournés alternativement de jour et de nuit ! Elle débouche heureusement sur la scène de l'affrontement nocturne dans le parc, plutôt réussie, grâce à deux ou trois heureuses trouvailles comiques (De Funès se croyant tenu en joue par son adversaire alors qu'il n'a fait que reculer vers une statue pointant son doigt, meilleur gag du film, ou le chassé-croisé à la Tex Avery dans le tronc creux d'un arbre).

    Au bout d'un moment, le film devient tout de même franchement médiocre, jusqu'à la fin, le "retournement" vengeur du personnage de Bourvil à l'égard de ses poursuivants et de celui qui l'a trompé étant parfaitement nul. Tout du long, l'acteur est lui-même peu supportable (De Funès est inégal mais a ses intuitions). Ses scènes d'amourettes sont d'une grande niaiserie, parfois même d'une bêtise confondante.

    Mais le film fait rire allègrement les plus jeunes...

    stagecoach.jpgComme on me le fit remarquer à son terme, La chevauchée fantastique ne propose finalement "pas beaucoup d'aventures", seule l'anthologique attaque de la diligence par les Indiens pouvant être décrite comme telle. Le classique de Ford dispose une série de figures comme autant d'archétypes : la façon dont chaque voyageur est présenté au début de l'histoire, en le caractérisant avec beaucoup de vigueur et de netteté, est en cela très significative, sans même parler du cadre (la petite ville puis le désert), de la simplicité de l'argument, des différents évènements parsemant le périple.

    Du point de vue narratif, cela rend parfois le déroulement un peu mécanique mais au niveau des personnages, ces hommes et ces femmes si "typés" au départ se voient magistralement "humanisés" par John Ford. Il n'y a qu'à voir la scène du repas lors de la première halte. Ringo Kid installe en bout de table Dallas mais Mrs Mallory et son "protecteur", le trouble Hatfield, se lèvent aussitôt pour s'éloigner. Une dame de la bonne société ne saurait se retrouver assise à côté d'une prostituée. Nous voilà choqués par cet ostracisme (d'autant plus qu'au sein de ce couple attachant qui est en train de se former, Ringo pense, à tort, que c'est lui, le fugitif, que l'on repousse) et prêts à mépriser ces Sudistes sans cœur. Or, après les plaintes, dents serrées, de Ringo et Dallas, que nous montre Ford ? Mrs Mallory et Hatfield à l'autre bout de la table, évocant avec émotion et retenue un passé commun que l'on imagine douloureux même si leurs propos restent flous pour le spectateur. Le recours à l'archétype n'implique pas forcément le manichéisme.

    John Wayne en Ringo Kid apparaît jeune mais en quelque sorte déjà mûr. Le regard qu'il porte sur Dallas (Claire Trevor), fille de mauvaise vie, n'est pas naïf mais droit (il a décidé de l'aimer et ce n'est pas ce qu'il pourra apprendre de sa condition réelle qui le fera changer d'avis). Toutes les scènes, y compris les premières, les réunissant dégagent une incroyable émotion.

    La chevauchée fantastique est célèbre pour l'attaque déjà évoquée (qui garde, il est vrai, toute sa force aujourd'hui encore) et pour ses plans de Monument Valley. On y trouve aussi du théâtre avec une orchestration rigoureuse dans des espaces réduits et, en certains endroits, de beaux exemples plastiques de l'expressionnisme fordien. On y trouve aussi, dans le final, ce mouvement incroyable de Wayne plongeant à terre pour tirer, lors de son face à face avec les trois frères Plummer et une ellipse foudroyante différant notre connaissance du dénouement.

    toystory3.jpgToy story 3 est une source de plaisir continu. Il s'agit d'abord d'un film d'évasion mené à un rythme époustouflant (tout en gardant une lisibilité totale de l'action et l'espace nécessaire à l'approfondissement des personnages). Ensuite, il propose quelques images stupéfiantes, notamment lors de la longue séquence de la décharge avec ses sublimes visions de l'Enfer. La projection en 3D ne donne pas exactement le vertige mais la technique se révèle tout à fait appropriée pour ce film jouant sur l'animation de jouets et donc sur les changements d'échelle. Cette différence de perception autorise à trouver de la beauté et de l'étrangeté à un décor à priori banal ou criard comme le sont les salles de la garderie Sunnyside. Une machine vulgaire, telle un distributeur de friandises, peut de la même façon devenir un fantastique refuge à explorer.

    C'est également un film de groupe, le formidable travail d'écriture et l'invention dans l'animation permettant de développer les différents caractères sans qu'aucun protagoniste ne donne l'impression de faire son numéro au détriment de l'équipe, même lorsqu'il a son "temps fort" (et il y en a, parmi lesquels l'irrésistible histoire d'amour entre les fashion victims Ken et Barbie). Dans la duplicité de certains, dans la volonté de faire d'un nounours et d'un poupon les méchants de l'histoire, de filmer des bambins comme des monstres détruisant tout sur leur passage et de faire de Sunnyside une prison, se niche l'idée d'un retournement. Ces renversements sont grâcieusement réalisés et ne font pas verser le récit dans le second degré et l'ironie facile à destination unique des adultes.

    Dernier tour de force réalisé : développer un discours sensible sur l'adieu à l'enfance, sur la séparation nécessaire, sur la transmission et sur les valeurs d'une communauté sans tomber dans la mièvrerie. Message à tendance conservatrice, certes... comme chez Ford.

    PS : Je me souviens très mal du premier volet et je n'avais pas vu le deuxième. 

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    Le Corniaud (Gérard Oury / France - Italie / 1965) / ■□□□

    La chevauchée fantastique (Stagecoach) (John Ford / Etats-Unis / 1939) / ■■■□

    Toy Story 3 (Lee Unkrich / Etats-Unis / 2010) / ■■■□

  • Mammuth

    (Benoît Delépine et Gustave Kervern / France  / 2010)

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    Je n'ai pas beaucoup aimé Mammuth, ma première expérience du cinéma de Delépine-Kervern.

    Je n'ai pas beaucoup aimé le grain de cette image qui, s'il est inhabituel, enlaidit encore un peu plus les gens et les lieux.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que des réminiscences de The Wrestler m'assaillent (l'allure de Depardieu, la caméra portée cadrant sa nuque, les scènes de supermarchés, le portrait de marginal, le chemin vers la rédemption, les retrouvailles, la relation entre un homme âgé et une fille plus jeune de la même famille), car elles sont toutes très défavorables à Mammuth.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que la Charente soit filmée comme le Nord de la France et de l'Europe. Je n'y vois pas d'intérêt, à part celui qu'ont les cinéastes de rattacher à tout prix leur œuvre à d'autres, celles de la famille qu'ils se sont choisi (l'équipe de C'est arrivé près de chez vous, Aki Kaurismäki, Noël Godin...).

    Je n'ai pas beaucoup aimé l'humour du film. Voir Depardieu bafouiller des banalités au téléphone, à moitié à poil, assis sur son lit, me fait très moyennement rire. Quant au trash, c'est une affaire de goût. En revanche, il est problématique de trouver des séquences comme celle de l'expédition punitive de Yolande Moreau et sa copine : celle-ci ne tient que par sa chute (les deux femmes réalisent tardivement qu'elles n'ont aucun moyen de localiser la voleuse de portable), chute qui se fait attendre et qui laisse le spectateur dans une position désagréable puisqu'il se demande si elle va vraiment venir ou si les auteurs n'ont tout simplement pas décidé de passer outre la vraisemblance (qui voudrait que l'absence totale de piste empêche les deux femmes de se "monter la tête" ainsi).

    Je n'ai pas beaucoup aimé m'apercevoir que Delépine et Kervern ont pensé leur film uniquement en termes de saynètes. Cela peut marcher, comme, pour rester parmi les nordistes, dans le cinéma de Roy Andersson, mais il y a chez le Suédois un réel travail sur le temps, l'espace, la symbolique. Si ses séquences restent cloisonnées, elles n'en contiennent pas moins une dynamique interne et leur empilement provoque en bout de course un mouvement général, un déplacement qui ne tient pas uniquement au scénario (de plus, Andersson fait une toute autre chose de la médiocrité des figures qu'il met en scène). A l'opposé, Mammuth ne repose que sur une série d'idées (tel dialogue, tel cadrage). Les auteurs se sont demandés pour chaque séquence comment la rendre originale et ils en ont oublié toute notion de continuité. Cela nous vaut une succession d'apparitions de vedettes-amis du duo (de Poelvoorde à Siné) mais entrave constamment notre adhésion aux personnages principaux, contrairement à ce que les deux cinéastes semblaient souhaiter.

    Je n'ai pas beaucoup aimé ce qu'ils font d'Adjani, c'est-à-dire rien. Au risque de ne pas être cinéphiliquement correct, je préfère amplement voir le couple star réuni, aussi brièvement qu'ici, dans le Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que l'on me force à passer tout ce temps avec des neus-neus. En ne plaçant devant la caméra que des personnages de cons, il y a de fortes probabilités d'obtenir un film qui le soit aussi. Dans Mammuth, la bêtise est unanimement partagée. De nombreux critiques et commentateurs ont loué la tendresse de Delépine et Kervern pour les petites gens. Je trouve pour ma part qu'ils ont une drôle de façon de les aimer.

    En revanche, j'ai beaucoup aimé la scène où Depardieu est pris de panique, entraîné qu'il est par un groupe de vieux se pressant pour grimper dans leur autocar. C'est cruel et touchant. Cela dure peut-être vingt secondes. Ce n'est malheureusement relié à rien (il est impossible de se rappeler de ce qui précède et de ce qui suit).

    J'aime aussi beaucoup Anna Mouglalis.

  • La croisière du Navigator

    (Donald Crisp et Buster Keaton / Etats-Unis / 1924)

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    Le riche et oisif Rollo Treadway quitte son domicile pour être conduit en voiture chez sa fiancée Betsy O'Brien qui habite... de l'autre côté de la rue. Un plan large englobant les deux rangées de maisons se faisant face souligne le gag génial. Il impose aussi une symétrie parfaite. Le but de la visite était une demande en mariage, sans préavis, motivée par une envie subite, elle-même provoquée par la simple vision par la fenêtre d'un couple (noir) d'heureux jeunes mariés. "Certainement pas" est-il répondu de manière peu aimable à Rollo. Pimbêche la Betsy ? Notre première impression n'est pas la bonne. L'image montrant les deux bâtisses en vis-à-vis ne mentait pas : non seulement Betsy est socialement l'égal de Rollo, mais le personnage féminin est cinématographiquement l'égal du personnage masculin. Rollo après sa demande effectuée n'importe comment n'a finalement reçu que la réponse qu'il méritait. Cela, nous allons le réaliser progressivement.

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    Kathryn McGuire n'est pas l'actrice à la beauté la plus sidérante, ni la plus stupéfiante des acrobates. Il n'empêche qu'elle accompagne impeccablement son extraordinaire partenaire et que leur duo fait de La croisière du Navigator (The Navigator) un magnifique film de couple. Leur relation obéit d'abord au jeu de l'attraction-répulsion. Les distances entre les deux s'étirent et se compriment comme sous l'effet d'un élastique invisible. A peine est-il entré dans le salon que l'homme est renvoyé chez lui. Une fois embarqué, se croyant jusque là seul sur ce bateau à la dérive, chacun des deux, de son côté, sent la présence d'un autre mais ne parvient pas à l'atteindre, tournant en rond sur les différents niveaux du navire. Et l'élastique pète dans les doigts : Keaton tombe litéralement sur McGuire. Surprise, reconnaissance, contentement mêlé de gêne... Il faut reprendre ses esprits, faire à manger chacun de son côté, s'attabler face-à-face puis rejoindre sa cabine. Mais dès lors, l'inéluctable mouvement des cœurs va suivre celui des corps et l'on ne comptera plus les plans où ceux-ci seront réunis, côte-à-côte, l'un derrière l'autre, l'un contre l'autre, et même, l'un sur l'autre.

    L'amour naît dans l'épreuve. Plus précisemment : l'amour naît de ce que celle-ci fait subir au corps. Les éléments les propulsent l'un vers l'autre, les forcent à entrer sans cesse en contact, à s'agripper, à se soutenir. Étrangement (et délicieusement), ces forces naturelles ou pas, les érotisent. Le burlesque a inventé une manière de jouir de visions érotiques en toute innocence : corps trempés par les chutes dans l'océan ou par les orages, corps évanouis que l'on empoigne et que l'on fait bouger dans tous les sens, corps prenant, sous le prétexte du gag visuel, des positions on ne peut plus équivoques (pour échapper aux cannibales, Kathryn McGuire rame assise sur le bas ventre de Keaton qui flotte sur le dos dans sa tenue de scaphandrier !).

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    L'aventure laisse les héros pantelants et le spectateur dans le même état. Quel rythme, quelle incroyable constance comique ! Voyez la séquence des fantômes, quel enchaînement elle donne à voir : un portrait pris pour un spectre, une sortie de cabine affolée sous un drap de lit qui effraie aussitôt à son tour, un balai pris dans la figure, des explosifs, une série de portes qui claquent, un gramophone qui se met en route tout seul... Combien de gags en si peu de temps ? Et combien de lieux traversés, dans une embardée pourtant toujours lisible, selon des trajectoires toujours cohérentes et avec une durée de plan toujours adéquate (à peine quelques secondes pour celui du coup de balai et beaucoup plus pour celui des portes des cabines s'ouvrant et se refermant dans le dos de Buster).

    Mon lointain souvenir me laissait penser que La croisière du Navigator se situait un cran en-dessous de Sherlock Jr. (où l'on retrouve Kathryn McGuire), de Cadet d'eau douce, du Mécano de la General ou du Cameraman. Il n'en est rien. Comme Betsy se tient aux côtés de Rollo, le film a sa place parmi les chefs-d'œuvres keatoniens. Il se termine sur un (presque) dernier gag (la remontée des amants alors qu'ils ont semblé couler) d'autant plus imparable que rien ne le laissait présager et il donne tout loisir de piocher parmi mille détails scintillants. Personnellement, je me garde celui-ci : l'expression qu'à Keaton lorsqu'en bas de l'échelle, contre la coque du bateau, dans une profondeur accentuée par la plongée de la caméra, il voit McGuire tomber dans les pommes alors que, épuisé et trempé jusqu'aux os, il pensait qu'ils allaient pouvoir s'entraider pour remonter. A ce moment là, on l'entend vraiment dire "Hey !".

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    Film (re)vu à l'occasion du Festival de cinéma jeune public Les Toiles Filantes, au milieu d'une assistance de gamins écroulés de rire toutes les dix secondes, projection qui requinquerait le plus alarmiste des cinéphiles.

     

    Photos : Filminamerica, Allociné & Enfants-de-cinéma

  • Les contes de Canterbury

    (Pier Paolo Pasolini / Italie - Grande-Bretagne - France / 1972)

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    contescanterbury.jpgTout est disjoint, rien ne raccorde. Cinéma de poésie m'objectera-t-on. Mais encore faudrait-il parvenir à créer un choc ou un flux. Or il ne subsiste ici qu'un déséquilibre entre chaque chose et finalement, une faille, un vide, un ennui. En premier lieu, le montage ne fait qu'heurter les plans les uns aux autres dans le sens où, même lorsqu'est posé un simple champ-contrechamp, même lorsqu'est organisé un échange de regards, jamais les personnages ne semblent se situer dans le même espace, dans le même temps. Le film débute dans une cour, au milieu du peuple, et dès la première séquence, le découpage échoue à établir une continuité spatiale et à décrire visuellement les liens qui unissent les personnages.

    Tout le long, le style sera approximatif. Ici un panoramique sur une foule semble hésitant et sans objet. Là un insert en plan rapproché plein écran casse brusquement le principe d'une scène de voyeurisme selon lequel nous avons les bords de l'image obstrués et délimitant ainsi une fente. Alternativement, le cadre est fixe ou tremblé en caméra portée, d'un plan à un autre, sans raison puisqu'ils sont de même nature. Plus largement, les transitions entre chaque conte (écrits au XIVe siècle par Geoffrey Chaucer) se font de manière aléatoire, l'un pouvant être accoler au précédent sans crier gare tandis qu'un troisième sera introduit par l'écrivain, interprété par Pasolini lui-même, affichant continuellement un sourire satisfait.

    Seul signe de richesse visible, avec le nombre de figurants, de cette production Alberto Grimaldi, les éclatants et extravagants costumes jurent devant les décors réels et sombres datant du moyen-âge. Premier plan et arrière plan ne raccordent donc pas non plus. Tourné en Angleterre, le film mélange acteurs italiens et britanniques, tous poussées vers le grotesque et doublés grossièrement (comme toutes les co-productions de ce type, peut-on parler d'une version originale ?). Malgré la présence de Laura Betti ou de Franco Citti, on ne peut d'ailleurs guère parler d'interprétation. Les actrices ont été choisies pour leur plastique et leur promptitude à se dénuder. Du côté des hommes, le monde se sépare en deux catégories : d'une part, les vieillards à trogne et, d'autre part, les éphèbes aux tendances homosexuelles dont Pasolini ne se lasse pas de filmer les sexes. Tous parlent et rient très fort, entre deux airs populaires fatigants.

    Comme nous sommes dans le deuxième volet de la "trilogie de la vie" imaginée par le cinéaste (après Le Décaméron, moins pénible mais pas beaucoup plus enthousiasmant dans mon souvenir, et avant Les mille et une nuits, que je ne connais pas), on baise, on pète, on pisse, on chie, on dégueule, toujours avec entrain. Geste radical, osé, bravache, que celui de Pasolini, certes. Malheureusement, même dans le décorum et sous les mots du XIVe, la vulgarité reste sans nom et l'humour graveleux désole autant que celui d'un film de bidasses. Et si un épisode cherche à s'élever au niveau du burlesque, c'est en infligeant un hommage débile et interminable à Chaplin (Ninetto Davoli, portant chapeau melon et canne, sème la pagaille, cours en accéléré et balance une tarte à la crème, tout cela, bien sûr, toujours au moyen-âge).

    L'effet de signature n'est pas un piège propre à notre époque : pour ces Contes de Canterbury informes et sinistres, Pasolini obtint l'Ours d'or de la mise en scène à Berlin en 1972. La même année, sortait Fellini-Roma. Une toute autre chose...

  • Le veuf

    (Dino Risi / Italie / 1959)

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    leveuf.jpgAlberto Nardi est un industriel milanais poursuivi par ses créanciers et méprisé par sa femme qui l'appelle Cretinetti et qui refuse de lui donner le moindre sou, bien qu'elle possède une gigantesque fortune. En tant que bénéficiaire testamentaire, ses affaires semblent s'arranger le jour où cette dernière est portée disparue, suite à une catastrophe ferroviaire.

    Le veuf (Il vedovo) est un opus inégal au sein d'une filmographie qui l'est tout autant, celle de Dino Risi. Son intérêt premier vient de l'excellence de l'interprétation d'Alberto Sordi, dont l'inventivité dans le phrasé, les postures et les expressions semble infinie. Ce Nardi est un être bien peu aimable, menteur, lâche, xénophobe, macho. Il est pourtant difficile de le détester réellement. Sans doute est-ce, d'une part, parce que les gens de son entourage, même s'ils réussissent, ne valent pas mieux. D'autre part, malgré ses innombrables défauts, ce qui nous empêche de nous détacher d'Alberto, c'est cette impression très forte que le personnage représente pour Dino Risi l'Italie elle-même. Cet entrepreneur qui se prend pour un génie et accumule les faillites semble cristalliser la haine et l'attachement mêlés qu'éprouve le cinéaste devant la société contemporaine.

    Cet aspect de l'œuvre est très sensible dans la première partie, la plus drôle et la plus réussie. En revanche, par la suite, le film patine un peu sous le poids d'un scénario assez laborieux, bien plus remarquable dans le détail des scènes qui le compose que dans sa construction d'ensemble. Étrangement, c'est en effet lorsque la mécanique de la dramaturgie devrait tourner à plein régime que l'intérêt se fait moindre. La dernière partie vire à la comédie noire et policière mais le rythme est trop lent, les plans trop longs et les rebondissements trop prévisibles. Sur la durée, la mise en scène de Risi est tantôt banale (les effets de théâtre, la musique appuyée), tantôt inspirée (les dialogues percutants des premières scènes de bureaux, les nombreuses séquences orchestrant l'agitation d'un grand nombre de personnages autour d'Alberto Sordi).

  • Charade

    (Stanley Donen / Etats-Unis / 1963)

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    charade.jpgRapidité et élégance sont les mots qui reviennent le plus souvent pour qualifier l'œuvre de Donen en général et Charade en particulier. Le lieu commun a forcément son fond de vérité. Il demande toutefois à être nuancé.

    Certes le montage de Charade est assez vif. Il n'en demeure pas moins que les séquences les plus marquantes sont les plus longues (la bagarre sur le toit, la poursuite dans le métro) ou les plus calmes (le dîner sur le bateau-mouche). Le film frise quand même les deux heures et le temps m'a paru bien long, la faute à un scénario sans grand intérêt plutôt qu'à la mise en scène. L'élégance, quant à elle, n'est pas non plus toujours au rendez-vous. Dans Charade, on rote et on éternue bruyamment et si la caméra propose de beaux travellings le long des colonnes de l'Opéra, elle peut aussi s'attarder sur les carcasses de viande des entrepôts des Halles, "à vous faire devenir végétarien". Le couple de star, si glamour, Audrey Hepburn et Cary Grant, pour esquisser un premier baiser doit se plier, dans un cabaret, à un jeu stupide et grotesque consistant à faire passer une orange à son voisin sans y mettre les mains. Notons encore que tous les assassinats sont perpétrés sur des victimes en pyjama, incongruité qui frappe jusqu'à l'inspecteur de police Grandpierre (joué par le moustachu Jacques Marin, inspiration possible de Peter Sellers et Blake Edwards pour le Clouzeau de La Panthère Rose).

    L'action se déroule donc à Paris. Sur ce plan-là, Donen réussit son film, dont de nombreuses séquences sont tournées sur place. Cela provoque à la fois ce sentiment de visite touristique lié à bien des productions hollywoodiennes de l'époque et un certain ancrage des personnages dans le réel. Le problème vient de ce que ces derniers y font et de ce qu'ils racontent. L'histoire est celle de la naissance d'un couple sur fond de ballet d'espions courant après 250 000 dollars. Le ton est celui de la comédie romantico-policière et les clins d'œil à Hitchcock sont légion.

    Cary Grant ne cesse de mentir à Audrey Hepburn sur sa véritable identité mais l'évolution de leur relation ne laisse guère de place au doute. L'acteur, vieillissant, n'arrive pas à rattraper la jeune femme s'enfuyant. Son auto-ironie lui fait porter à l'occasion des lunettes. Il est fort dommage qu'elle le pousse jusqu'à des pitreries assez pénibles (grimaces, douche en smoking). Audrey Hepburn, elle, dit avoir peur. Il est difficile de la croire, hormis lors de l'excellente séquence où James Coburn lui jette une à une des allumettes enflammées. On ne voit pas bien ce qui pourrait lui arriver de mal tant les menaces réitérées d'attenter à sa vie ne portent pas à conséquence. Les espions sont d'opérette.

    Après une intrigante mise en bouche, rebondissements et changements d'identité ne suffisent pas à masquer le vide sidéral de l'argument. Que l'on se fiche des dollars, le Mc Guffin du récit, est tout à fait normal. Que l'on se fiche des personnages, voilà qui l'est beaucoup moins. Si Donen filme avec élégance et rapidité, il filme du vent. Une œuvre-jumelle suivra, trois ans plus tard, sous le titre Arabesque. Il y a fort longtemps, je ne l'avais guère apprécié. Cela me conforte dans mon jugement sur Charade.

  • Nanni Moretti (coffret dvd : les premiers films)

    Je suis un autarcique (Io sono un autarchico) (Nanni Moretti / Italie /1976) ■□□□

    Ecce Bombo (Nanni Moretti / Italie /1978) □□

    Sogni d'oro (Nanni Moretti / Italie /1981)

    La Cosa (Nanni Moretti / Italie /1990) □□

    Le jour de la première de Close-up (Il giorno della prima di Close up) (Nanni Moretti / Italie /1995) □□

    Le cri d'angoisse de l'oiseau prédateur (Il grido d'angoscia dell'uccello predatore (20 tagli d'Aprile)) (Nanni Moretti / Italie /2002) □□

    Le journal d'un spectateur (Diaro di uno spettatore) (Nanni Moretti / Italie /2007) □□

    moretti00.jpgConnaissez-vous Michele Apicella ? Vous devez au moins le revoir en jeune député adepte du water-polo (Palombella rossa, 1989)... Avec ce coffret, les Editions Montparnasse ont eu la bonne idée de nous permettre de remonter la piste jusqu'aux premières "vies" de notre homme, qui en connut beaucoup. On le découvre donc ici en comédien de théâtre d'avant-garde, en acteur de cinéma underground puis en cinéaste à la mode. Oui, celui-là même qui sera plus tard professeur de mathématiques (Bianca, 1984) et curé, sous le nom de Don Giulio (La messe est finie, 1985).

    Au cours d'une émission de télévision, qui constitue le morceau de bravoure de Sogni d'oro, Michele s'exclame "Je suis le cinéma, je suis le plus grand !". Ils furent nombreux, dès ses premiers essais et surtout dans les années 80 et 90, ceux qui prirent ces propos pour argent comptant, jusqu'à faire de son créateur-interprète-réalisateur, Nanni Moretti, le génial et unique représentant du cinéma italien. Il est vrai que les coups de pied donnés dans la fourmilière transalpine par le jeune cinéaste (23 ans à l'époque du premier long métrage) furent dès le départ très vigoureux et particulièrement surprenants.

    Ce qui frappe en effet, de Je suis un autarcique à Sogni d'oro, c'est d'une part la méchanceté dont peut faire preuve à l'occasion Michele-Nanni et d'autre part la nature de ses cibles, peu habituées à recevoir de telles critiques dans un cadre cinématographique. Le héros morettien, qui n'est "jamais doux", comme le lui fait remarquer sa femme, est un être souvent au bord de la dépression, cassant, donneur de leçons, tyrannique avec son entourage. La famille est en première ligne. D'un film à l'autre, on entend son envie d'étrangler son petit garçon, on le voit gifler son père ou violenter sa mère. Dans Sogni d'oro, sur son plateau de cinéma, il frappe continuellement son assistant. A cette violence détonante envers les proches s'ajoute des piques féroces, lancées au détour d'une conversation, à l'encontre d'icônes nationales (Nino Manfredi, Alberto Sordi) ou de collègues (Lina Wertmüller). Si le cinéma de Moretti a tant marqué les esprits en Italie, dès ses débuts, c'est en grande partie parce qu'il se permettait d'aller, sur bien des points, contre les convenances. En un sens, pour ce qui est du regard porté sur le monde culturel, Nanni Moretti a filmé ce qu'il aurait pu écrire ailleurs, déplaçant une démarche critique du papier à la pellicule.

    La faible distance qu'a gardé le cinéaste entre lui-même et son double de fiction explique également la répercussion qu'ont eu ses travaux. Sans réaliser encore, à cette époque, de véritable film "à la première personne", il adopte déjà le ton du journal intime ou du moins, fait ressentir fortement l'impression de vécu. En effet, Moretti ne parle que de ce qu'il connaît parfaitement et ses critiques sont formulées de l'intérieur : il est dans la petite bourgeoisie romaine, dans la gauche italienne, dans le monde du cinéma. Ce choix implique que l'auteur lui-même reçoive sa part de reproches et, effectivement, l'auto-ironie de Nanni Moretti est constante, repoussant ainsi le spectre du ressentiment fielleux.

    Aussi passionnante soit-elle, la découverte groupée de ses trois premiers films laisse tout de même penser que, vu séparément et de manière totalement détachée des autres, chaque titre ne doit pas avoir la même prestance. En tout cas, une progression qualitative se dessine de façon évidente et le résultat donne raison à Moretti qui aimait à dire, dans les années 80 : "J'espère faire toujours le même film, si possible toujours plus beau".

    autarcique5.jpgJe suis un autarcique laisse ainsi mitigé. Soumis aux contraintes du super-8 (brièveté des plans, fixité du cadre et absence de son direct), il prouve qu'avec peu, on peut arriver à faire sinon beaucoup, du moins quelque chose. Il est certain qu'entre deux blagues de potaches (très cultivés), Moretti parvient à capter un air du temps et, par moments, un mouvement réellement cinématographique mais son film est avant tout une succession de sketchs donnant une (fausse) impression d'improvisation entre amis. Peu séduisante esthétiquement, l'œuvre donne à voir plusieurs tentatives burlesques peu vigoureuses et mal assurées. Si l'on sourit assez souvent devant cette satire du théâtre d'avant-garde, on s'ennuie aussi parfois, comme lors d'un interminable stage en plein air. De plus, Je suis un autarcique est un film qui s'auto-analyse constamment, via l'aventure théâtrale qu'il raconte, qui s'auto-critique et qui finit par épuiser en quelque sorte la capacité personnelle du spectateur à juger par lui-même.

    ecce5.jpgEcce Bombo, qui pourrait être la suite du précédent, permet de retrouver les mêmes acteurs, regroupés ici en un club d'auto-conscience. L'observation d'un milieu est toujours la principale qualité du film mais la vision s'élargit, se faisant plus générationnelle, moins chargée de références et donc moins soumise à l'incompréhension due à l'éloignement dans le temps. La construction se fait à nouveau par saynètes mais celles-ci sont plus harmonieusement liées et plus fermement mises en scène. La distanciation de certaines est appréciable, Moretti entamant presque un dialogue direct avec le spectateur et utilisant la musique, la télévision et le cinéma comme autant d'éléments médiateurs de sa réflexion. Le désœuvrement et l'apathie de la jeunesse qu'il dépeint sont savoureusement moqués sans toutefois parvenir à éviter totalement un certain affaissement du récit. Le glissement vers la gravité qui s'opère alors donne au film de l'ampleur mais en diminue la vigueur. Le meilleur d'Ecce Bombo est à chercher en fait là où Nanni-Michele est le plus insupportable : en famille, entre les cris et les giffles.

    sogni5.jpgMoretti a réalisé avec beaucoup plus de moyens Sogni d'oro. A lui Cinecitta, la Dolly et les mouvements d'appareils complexes... Le ton et les thèmes restent pourtant globalement les mêmes : difficultés à communiquer avec les autres autrement que par la violence des mots et des gestes, douleur de filmer, douleur de vivre. Entre les rires diffuse une tristesse certaine qui, alliée à une critique dévastatrice de la télévision, libère un parfum fellinien, le cinéaste des Vitelloni et de Ginger et Fred étant d'ailleurs le seul grand nom cité, explicitement ou pas, dans ces trois films de Moretti, sans aucune méchanceté. Avantageusement, le jeu avec les codes du cinéma remplace souvent, dans Sogni d'oro, les allusions à telle ou telle personnalité culturelle de l'époque. Le propos s'approfondit et la narration se complexifie. Des chutes de tension persistent mais se font moins brutales que par le passé et, gagnant en fluidité, le récit se fait enfin totalement cinématographique. Il reste à Moretti encore un peu de chemin à faire, à éviter notamment que certains gags ne tombent à plat. Avec Sogni d'oro, son cinéma est tout de même, cette fois, bien en place.

    La jaquette du présent coffret, qui annonce les "premiers films de Nanni Moretti", est pour un quart trompeuse. En effet, les courts métrages compilés ne sont pas, comme l'on pouvait s'y attendre, les premières tentatives du cinéaste (La sconfitta, 1973, Pâté de bourgeois, 1973, Comi parli frate ?, 1974) mais un groupe de films réalisés entre 1989 et 2007, soit bien après les "débuts". Si chacun présente un intérêt, cette rupture temporelle met à mal la cohérence éditoriale et il aurait été plus appréciable de disposer sur la quatrième galette de Bianca, dernier long métrage méconnu, avant la reconnaissance internationale apportée par La messe est finie (mais il est vrai que le film est édité par ailleurs).

    oiseau1.jpgLe jour de la première de Close-up est une amusante pastille (déjà présente dans l'édition dvd du film d'Abbas Kiarostami), une poignée de scènes comiques, basées sur le perfectionnisme de Nanni Moretti directeur de salle de cinéma. Ce court souffre tout de même quelque peu d'un tournage en vidéo plutôt "relâché". Les trois minutes du Journal d'un spectateur (l'un des segments du programme collectif Chacun son cinéma) sont plus rigoureuses. Assis au milieu de salles vides, Moretti se rappelle de quelques projections mémorables, de celle du Ciel peut attendre à celle de Rocky Balboa. S'affirment là son sens du cadrage et son don pour la chute. Le cri d'angoisse de l'oiseau prédateur est lui un montage de 25 minutes réalisé à partir de séquences non retenues pour Aprile (1998). Malgré la recherche d'une chronologie, ce bout à bout peine à se muer en récit véritable. Le long métrage était lui-même construit de manière assez libre et son appendice propose une série de scènes et d'allusions pas toujours faciles à saisir. Il faut donc y picorer, souvent avec bonheur, comme lorsque l'on retrouve cette image restée dans les mémoires de Moretti tenant son bébé endormi sur son épaule et qui discoure cette fois sur le nouveau gouvernement de centre-gauche fraîchement installé au pouvoir.

    cosa2.jpgDans le corpus mis en avant ici, La Cosa est un morceau de choix, par sa longueur et sa singularité. Il s'agit d'un "pur" documentaire, sans intervention du cinéaste à l'image ou sur la bande son, qui s'attache à enregistrer la parole des militants du Parti Communiste Italien pendant l'hiver 1989, au moment où ont lieu les secousses que l'on sait du côté de l'Europe de l'Est et où la question se pose d'un changement de nom et d'un glissement vers la sociale-démocratie. Le film, commençant de manière plutôt frustrante (les interventions sont coupées très courtes, au risque du catalogue), trouve peu à peu son rythme, s'appuyant sur les différences d'élocution, de parcours et de ressentis, éclairant le poids du passé et les craintes de l'avenir. Il faut accepter une certaine répétition et un dispositif rudimentaire et attendre les quelques secondes finales pour que Moretti laisse enfin sa patte sur le travail. Ce n'est pas grand chose : un brouhaha soudain après tant de discours posés, des bribes de conversation véhémentes, inaudibles. Cela suffit pour brouiller les pistes, pour glisser du scepticisme, pour garder cette position du poil à gratter de la gauche. Cela suffit aussi, dans notre optique, pour faire le lien avec les débuts du cinéaste, pour boucler la boucle de ce voyage chez Nanni Moretti.

     

    Chronique dvd pour  logokinok.jpg

  • En famille (1)

    Quelques brèves notes sur des films (re)vus récemment dans des conditions (versions françaises pour les films étrangers) et avec des intentions (séances-découverte pour mon fils) totalement différentes de celles attachées aux autres titres évoqués sur ce blog...

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    empirecontreattaque.jpgUne révision de la première trilogie Star Wars confirme entièrement l'impression laissée des années auparavant : les deux premiers épisodes sont bons, le troisième beaucoup moins. Jouant à la fois sur une trame classique et sur des nouveautés techniques et rythmiques, La guerre des étoiles, tient bien le coup, notamment dans la conduite du récit. Sans doute meilleur encore, L'Empire contre-attaque suit très habilement deux lignes narratives (l'apprentissage de Luke et les aventures de Leia et Solo) se croisant en peu d'endroits mais liées par un montage parallèle aux transitions soignées (le passage d'une scène à l'autre se fait harmonieusement en s'appuyant sur des postures, des situations ou des ambiances comparables). Se concluant par une série d'échecs, ce volet est de loin le plus sombre et le moins superficiel de la trilogie. En revanche, Le retour du Jedi, en ciblant un plus jeune public, s'enlise plus d'une fois dans la niaiserie, non seulement en multipliant les gentils gags autour des Ewoks mais aussi en faisant évoluer les rapports du trio Leia/Skywalker/Solo de manière angélique. La violence, y compris morale, est totalement absente. Ce troisième épisode, appliquant conventionnellement son programme, n'a pour lui que ses compétences techniques, indéniables et toujours grisantes. L'insertion postérieure, par George Lucas, dans les trois films, de quelques images de synthèse est une aberration esthétique brisant la cohérence parfaite de ces objets. Cette bêtise annonce le naufrage de la trilogie suivante, un sommet de laideur.

    grandevadrouille.jpgLa première partie de La grande vadrouille (l'arrivée à Paris des trois parachutistes anglais en trois endroits différents) est vraiment réussie et presque constamment drôle, surtout, bien sûr, les séquences à l'Opéra. Le seul gag vraiment absurde est génial (De Funès cognant sa perruque posée à côté de lui et se faisant mal au crâne) et fait regretter qu'il n'y en ait pas d'autres. Le rythme faiblit sérieusement avec le périple vers l'auberge pour ne repartir qu'avec la tentative de passage en zone libre. Les quiproquos dans la Kommandantur sont sympathiques mais la réussite de la séquence tient plus à l'abattage des comédiens et aux croisements orchestrés par le scénario qu'à la mise en scène. Celle-ci reste assez plate, malgré quelques cadrages plus inventifs que d'habitude, et Oury ne sait absolument pas filmer la vitesse et l'action. Grâce à Marie Dubois, la bluette réservée à Bourvil est un peu plus supportable qu'ailleurs. Bien évidemment, le moindre Français croisé dans l'aventure est prêt à aider tout le monde, au nez et à la barbe des occupants.

    oceans.jpgOcéans est un beau documentaire animalier, aux images parfois impressionnantes. Il ne faut pas en attendre plus. La "scénarisation" des séquences n'est pas excessive et surtout, le discours écologique est simple et direct, heureusement dénué du moralisme culpabilisateur de Y.A.-B. Reste avant tout en mémoire cette vision des fonds marins avec ses fantastiques créatures sortant tout droit de quelque heroic fantasy à la Peter Jackson. Le film s'ouvre classiquement avec les noms des divers producteurs apparaissant sur fond noir puis, en même temps que monte la musique, viennent sur les premières images, majestueuses, des vagues de l'océan ceux des grandes entreprises ayant participé au financement. La publicité est magnifique.

    nuitaumusee.jpgLa nuit au musée (rien que le titre, on pense déjà aux Marx Brothers) est une amusante comédie. La technique est impeccable, qui s'efforce d'animer toute la collection d'un Museum d'Histoire Naturelle, une fois la nuit tombée. On trouve peu de chutes de rythme, l'alternance du calme de la journée et de la furie nocturne étant bien géré. Le message véhiculé par cette histoire de père de famille paumé et divorcé qui regagne l'estime de son fils n'a certes rien de nouveau et le trio des vieux veilleurs de nuit qui s'avèrent être les méchants du film n'a rien de mémorable. L'intérêt tient plutôt dans l'aspect régressif du personnage de Ben Stiller. Cela ne donne pas toujours un résultat très fin (ni très drôle) mais cela intrigue plutôt, tout comme le font ces ruptures de rythme, assez étonnantes, en pleine folie ambiante (l'irrésistible psychanalyse d'Attila). (*)

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    La guerre des étoiles (Star wars) (George Lucas / Etats-Unis / 1977) ■■□□ / L'Empire contre-attaque (The Empire strikes back) (Irvin kershner / Etats-Unis / 1980) ■■□□ / Le retour du Jedi (Return of the Jedi) (Richard Marquand / Etats-Unis / 1983) □□

    La grande vadrouille (Gérard Oury / France / 1966) ■■□□

    Océans (Jacques Perrin et Jacques Cluzaud / France - Suisse - Espagne - Monaco / 2010) ■■□□

    La nuit au musée (Night at the Museum) (Shawn Levy / Etats-Unis / 2006) ■■□□

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    (*) : Si je ne me trompe pas, La nuit au musée a été diffusé ce dimanche soir dernier par TF1 en version multilingue sur la TNT, comme le fait maintenant régulièrement cette chaîne, depuis plusieurs mois. France 3, ignorant toujours ce système idéal qui donne le choix au spectateur, avait diffusé la veille, en deuxième partie de soirée, Le Caïman en VF. Je me demande bien qui a pu avoir envie de découvrir ce film de Nanni Moretti dans ces conditions (pas moi, en tout cas)... L'audience ayant été, je l'imagine, ridicule, le service public pourra donc revenir tranquillement à sa programmation habituelle et délaisser à nouveau ce type d'œuvre intello-chiante.

  • A serious man

    (Joel et Ethan Coen / Etats-Unis / 2009)

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    aseriousman.jpgA Serious mana déjà été amplement commenté, dans un enthousiasme quasi-unanime. Je n'irai pas à contre-courant et je me limiterai donc à faire quelques remarques générales, de peur d'être trop redondant par rapport aux divers écrits de mes camarades blogueurs.

    Il a été fait à Michael Stuhlbarg, l'acteur principal, la tête d'un personnage de burlesque : teint ostensiblement pâle et yeux écarquillés soulignés par le verre de ses lunettes. Pourtant, bien que les postures de chacun aient leur importance, la mise en scène des frères Coen cherche moins à traduire un dérèglement physique que psychologique. Le grand cinéma burlesque se plaisait à enregistrer le plus souvent la mise en péril de l'ordre du monde par un individu marginalisé. Ici, c'est le monde lui-même qui est entraîné dans une dérive absurde, alors que le héros paraît finalement plutôt normal. Cette perte de sens n'est pas nouvelle dans l'œuvre des Coen mais elle se charge cette fois-ci d'autant plus d'inquiétude qu'elle est distillé à partir d'un récit s'attachant au quotidien. Il n'y a dans leur dernier ouvrage aucun échafaudage improbable, aucun plan machiavéliquement foireux. La mécanique qui est grippée n'est pas, cette fois-ci, celle du film noir, du milieu des affaires ou de l'espionnage.

    A serious manest un drôle de film et un film pas si drôle que cela. Il y a bien quelques séquences très savoureuses, qu'il est encore possible de placer dans la case comédie, mais le fait est que ce sont vraiment des choses très sérieuses qui arrivent, dont la plus sérieuse de toutes, omniprésente : la mort. Le récit donne l'impression d'une hécatombe. L'une des meilleures répliques, répétée plusieurs fois, y renvoie ("Sa femme est encore tiède") et l'extraordinaire fin suspendue, si elle ne visualise aucun trépas, est assez glaçante.

    Le monde mis en place autour du héros est un empire de signes que celui-ci est tenté de déchiffrer, cherchant désespérément un sens aux déboires qu'il accumule. Bien évidemment, notre homme est professeur de physique et base tout son travail sur les mathématiques. La qualité principale du film est de laisser le dérèglement se propager jusque dans la conduite du récit lui-même. Les visions et les rêves, de plus en plus nombreux, sont ainsi rendus indiscernables au premier coup d'œil. Il est étrange que les frères Coen fassent éclater cette absurdité au moment des années 60, époque qui apparaît rétrospectivement, pour beaucoup, comme une sorte d'âge d'or avec l'entrée dans la modernité et l'expérience de la liberté sous toutes ses formes. Ici, au contraire, la vision est teintée de pessimisme (un pessimisme certes gai) et comme le démontre bien le fameux prologue du film, le mystère insondable de l'existence a été de tout temps impossible à percer.

    Ce qui séduit à l'écran, c'est la cohérence de la vision et notamment l'étonnante reconstitution de l'époque. Ce sont, encore une fois, quelques signes qui la caractérisent : la musique du Jefferson Airplane, la technologie, l'ombre du Vietnam (extraordinaire séquence du voisin s'approchant du héros en discussion avec le père de son étudiant asiatique), la marijuana... Avec la même réussite, les Coen nous plongent au sein d'un milieu juif qu'ils peignent avec une vigoureuse ironie, empêchant ainsi leur film de tomber dans une pesante démarche communautariste. Les dialogues accumulent les expressions typiques parfois difficiles à saisir. Qu'elles ne nous soient pas bêtement expliquées et surtout que, souvent, les intéressés ne les comprennent pas eux-mêmes, montre à quel point les cinéastes ont su trouver un merveilleux équilibre. A serious man est d'ores et déjà une pièce maîtresse de leur filmographie, autant qu'un objet singulier.

  • Contes de l'âge d'or

    (Hanno Höfer, Razvan Marculescu, Cristian Mungiu, Constantin Popescu et Ioana Uricaru / Roumanie - France / 2009)

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    contesagedor.jpgL'âge d'or de la Roumanie : ainsi était qualifiée par la propagande de Ceaucescu la traversée des années 80. Les réalisateurs de cet ouvrage collectif retournent ironiquement l'expression pour traiter une poignée d'histoires tragi-comiques inspirées des "légendes" de l'époque. Contes de l'âge d'or (Amintiri din epoca de aur) prend la forme d'un film à sketchs dont le nombre semble varier d'une copie à l'autre. Celle présentée au festival de Pessac en contenait quatre, celle du dernier festival de Cannes, cinq, et une version intégrale devrait apparemment en compter six. Aucun de ces segments n'est "signé", l'ensemble du projet étant coordonné par l'auteur de 4 mois, 3 semaines et 2 jours, Cristian Mungiu (crédité comme co-réalisateur, scénariste et co-producteur).

    L'ensemble est plutôt cohérent, tant sur la forme que sur le fond, ce qui tendrait à confirmer l'hypothèse d'un travail réellement "collégial". Le principe même du film à sketchs ne peut cependant que pousser à hiérarchiser les différents épisodes. Les deux segments centraux, "La légende du policier avide" et "La légende de l'activiste zélé", sont les moins percutants du lot. Ils se traînent légèrement en longueur et malgré quelques bons moments comiques donnent à voir une peinture un peu trop bon enfant, notamment à travers les regards périphériques portés respectivement sur deux gamins farceurs et sur les braves paysans d'une petite bourgade isolée. Leur relative faiblesse tient aussi au fait que ces fables distillent une certaine morale en faisant subir aux personnages principaux une petite leçon d'humanité ou simplement de bon sens.

    "La légende du photographe officiel" est l'épisode le plus concis et le plus drôle en même temps que le plus noir. Décrivant les débats entamés autour du trucage d'une photographie de Ceaucescu accueillant le Président Giscard d'Estaing et la gaffe qui en découle, les réalisateurs s'attaquent férocement à la bureaucratie et ses absurdités, à la pression de la hiérarchie et à la peur qu'elle fait naître. Contrairement aux deux segments pré-cités, celui-ci ne se termine pas de façon rassurante. Le récit est parfaitement rythmé et l'organisation de l'espace y est particulièrement claire, traduisant dans les allées et venues des personnages entre les bureaux et le laboratoire photo l'oppression du système. L'économie des moyens n'empêche pas la précision, ce qui rappelle la réussite, dans un registre très proche, du 12h08 à l'est de Bucarestde Corneliu Porumboiu.

    Pour continuer dans l'établissement de passerelles, le quatrième volet, "La légende de la visite officielle" (je n'ai plus le titre exact en tête) se rapproche plutôt du California dreamin'de Cristian Nemescu. C'est ici que se déploient le mieux les mini-intrigues adjacentes semées dans les premières minutes. On y retrouve un certain plaisir de l'écoulement du temps, une dérive inattendue vers une soirée festive, alcoolisée et libre. Une belle proximité est établie avec les personnages, y compris les plus secondaires. Le récit se termine sur un gag métaphorique et irrésistible.

    Ces Contes de l'âge d'ors'inscrivent donc dans la veine classique d'un cinéma roumain mordant, jouant sur l'humour noir pour traiter des périodes difficiles. Si l'ensemble ne se hisse pas à la même hauteur que les coups d'éclats constatés ces quatre ou cinq dernières années, il reste tout à fait recommandable.

    (Présenté en avant-première au Festival du Film d'Histoire de Pessac, sortie française le 30 décembre 2009)