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  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1965)

    Suite du flashback.

     

    cahiers168.jpgpositif69.JPG1965 : Positif, sur trois numéros, prolonge les réflexions autour du Désert rouge entamées fin 1964 par les Cahiers. Robert Benayoun poursuit ses rencontres hollywoodiennes avec Jerry Lewis, Frank Tashlin, Sam Peckinpah, John Huston et Don Siegel. En mai, la maquette change et un nouvel auteur, Franceso Rosi, est adoubé par la revue. Bernard Cohn et Freddy Buache entrent au comité de rédaction.
    De leur côté, les Cahiers commencent l'année en traitant de la crise du cinéma français et la terminent en mettant fin à la politique des auteurs. Entre-temps sont publiés des dossiers sur Leo McCarey et Josef von Sternberg, une table ronde avec les jeunes cinéastes japonais et un entretien avec Pasolini. Mais pour les Cahiers (dont Jean-Louis Comolli devient rédacteur en chef), l'année 65 est assurément celle de Pierrot le Fou, étudié sous toutes les coutures.
     
     
     
    Janvier : "Cinéma français" (Mata Hari, Jean-Louis Richard, Cahiers du Cinéma n°161-162) /vs/ Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, Positif n°66)

    Février : Bacon grabbers (Lewis R. Foster et Leo McCarey, C163) /vs/ Hamlet (Grigori Kozintsev, P67-68)

    Mars : Juliette des Esprits (Federico Fellini, C164) /vs/---

    Avril : Falstaff (Orson Welles, C165) /vs/---

    Mai : Alphaville (Jean-Luc Godard, C166-167) /vs/ Le moment de la vérité (Francesco Rosi, P69)

    Juin : ---/vs/ La Bible (John Huston, P70)

    Juillet : Agent X27 (Josef von Sternberg, C168) /vs/---

    Août : Le testament du Dr Mabuse (Fritz Lang, C169) /vs/---

    Septembre : Ordet (Carl Th. Dreyer, C170) /vs/ A bout portant (Don Siegel, P71)

    Octobre : Pierrot le Fou (Jean-Luc Godard, C171) /vs/---

    Novembre : Modesty Blaise (Joseph Losey, C172) /vs/---

    Décembre : Sandra (Luchino Visconti, P173) /vs/ Sandra (Luchino Visconti, P72)

     

    cahiers171.jpgpositif72.JPGQuitte à choisir : Claudia Cardinale illumine le mois de décembre des deux côtés. Ce sont donc trois Italiens qui sont à l'origine des couvertures de Positif les plus remarquables : Antonioni, Rosi et Visconti. Mais Godard et les anciens (Sternberg, Lang), se chargent de placer les Cahiers en pole position. Allez, pour 1965 : Avantage Cahiers.

    Mise à jour novembre 2011 : Hamlet, ici.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Home

    (Yann Arthus-Bertrand / France / 2009)

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    2009_06270020.JPG
    La déforestation en Amazonie par Notre Grand Photographe

     

    Le Bienvenue chez les Ch'tis du documentaire n'est qu'une longue (*) conférence culpabilisante donnée par un sage toisant l'humanité du haut de son hélicoptère, dénonçant vaguement tout et donc rien, sans trop s'approcher du réel ni de la misère. Son message passe par l'accumulation de chiffres et la redondance d'un discours scientifico-mystique de niveau CE1, sans jamais se changer en récit cinématographique. La propagande de Michael Moore ou d'Hubert Sauper, leurs détracteurs eux-mêmes en conviennent, passe au moins par une dynamique et un travail sur la narration qui les imposent pleinement comme cinéastes. De cinéma, il n'y en a point dans cette magnifique soirée diapo qu'est Home. Des images se succèdent, gonflées à l'esbroufe, s'enivrant de leur gigantisme et si lisses qu'elles en deviennent aussi numériques qu'un plan quelconque du Seigneur des anneaux. L'illustration sonore valse entre world music sacrée et orchestration de blockbuster.

    De plus, je ne supporte pas qu'un commentaire me tutoie.

    Mais je m'attaque bassement à un chef-d'oeuvre : Home atteint, à ce jour, la note moyenne de 8,5 sur l'IMDb, soit autant que M le Maudit, Vertigo ou Shining (49,8% des votants validant un 10 sur 10).

     

    (*) : Pas fou, je me suis contenté de regarder la version courte de 95 minutes diffusée à la télévision (et enregistrée sous la pression familiale).

  • Changement d'adresse

    (Emmanuel Mouret / France / 2006)

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    changementadresse.jpgC'est au dernier moment que je me suis aperçu que le film d'Emmanuel Mouret diffusé par Arte hier soir n'était pas celui que je connaissais déjà, contrairement à ce que me laissa croire l'autre jour le survol trop rapide de mon programme télévisé. Si ce n'est pas là une preuve que notre homme fait toujours le même film...

    Changement d'adresse est une comédie, plaisante plutôt qu'hilarante, auscultant les problèmes de coeur de deux co-locataires, Anne et David, qui tentent de se persuader mutuellement qu'une promiscuité amicale et sans arrière-pensée est possible entre deux jeunes personnes à la recherche de l'amour. Le scénario avance à coups de quiproquos et de malentendus sentimentaux, s'ingéniant à faire battre les coeurs sur des rythmes trop différents pour qu'ils s'accordent avant longtemps. Si quelques intermèdes burlesques trouvent leur place, l'humour passe essentiellement par la parole : opposition entre les registres (logorhée verbale, mutisme, assurance de tombeur, bafouillages), jeu autour du double sens de certains mots (un cor / un corps), propos extravagants tenus avec le plus grand naturel ou, au contraire, analyses interminables de choses pourtant très simples...

    Emmanuel Mouret filme avec une élégance et un calme "à l'ancienne" qui peuvent ressembler parfois à un refus d'être de son temps. Cette assurance séduit le plus souvent mais peut aussi laisser indifférent à l'occasion (les guillerettes transitions musicales par exemple).

    Du point de vue narratif, l'histoire se déroule de façon si mécanique qu'elle pourrait quasiment se réduire à une formule mathématique. Les efforts de Mouret portent alors sur l'injection de contretemps imprévisibles chargés de maintenir l'intérêt de cette série de combinaisons programmées. Il n'y parvient pas toujours. Ainsi, l'irruption du personnage de Julien semble d'abord provoquer un bouleversement bénéfique au récit, par son refus de suivre les règles tacites établies par les principaux protagonistes jusque là. Malheureusement, il finit par entrer lui aussi dans la ronde. La pièce rapportée s'emboîte trop facilement.

    Le registre comique et les ressorts dramatiques seront donc repris à l'identique dans le film suivant de Mouret, Un baiser s'il vous plaît. Même charme et mêmes limites : l'impression de ne pas avoir avancé d'un pouce est tenace. Le tout récent Fais-moi plaisir tiendra-t-il la promesse de son titre en ouvrant sur d'autres horizons ?

  • Juste avant la nuit

    (Claude Chabrol / France / 1971)

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    justeavantlanuit.jpg[Seconde contribution personnelle au "Claude Chabrol Blogathon", après ma note sur Le boucher]

    Charles Masson, père de famille bourgeois travaillant dans la publicité, tue sa maîtresse, la femme de son meilleur ami François. Rongé par le remords, il ne pense plus qu'à avouer son crime à son épouse Hélène, à François et à la police.

    Éminemment chabrolien par les thèmes abordés, par le milieu dépeint et par sa morale (ainsi que par l'équipe convoquée, Michel Bouquet et Stéphane Audran en tête), Juste avant la nuit surprend par son ton. En prenant pour cible ces nouveaux bourgeois férus de modernité ("un peu d'avant-garde pour éviter la sclérose", comme le dit Charles), le cinéaste s'exerce à nouveau à dévoiler le vide abyssal derrière les apparences. La fable est pessimiste mais un parfum de comique surnage de temps à autre. A l'époque de la sortie en salles du film, le goût de la famille Masson paraissait-il déjà ahurissant ? Aujourd'hui, le vieillissement accéléré auquel a été soumis toute l'esthétique moderne (technique, architecturale ou vestimentaire) du début des années 70 participe sans doute encore à alourdissement de la charge. La clarté des intérieurs, l'étalement de grands volumes, l'épure de la mise en scène et l'amplification de certains sons du quotidien (bruits des talons, des verres...) fait étrangement penser au cinéma de Tati.

    De plus, si l'ironie est toujours présente, le regard est ici biaisé par la tentation du fantastique. Le parcours de Charles a semble-t-il été souvent analysé du point de vue de la culpabilité chrétienne, Chabrol, dans ses propos, encourageant plus ou moins ce type d'interprétation (la recherche perpétuelle d'un confesseur qui libèrerait le poids du péché). Malgré la présence de quelques signes, notamment la médaille de communiante autour du cou de la victime, ce n'est pas la voie qui m'est apparu la plus évidente à suivre. A mon sens, bien plus affirmée est la piste du cauchemar éveillé. Les outils du basculement sont régulièrement convoqués : miroirs, alcool, flacon de laudanum. Il est impossible de pointer le moment précis où se réaliserait le passage d'un état à l'autre, sinon à considérer comme tel le geste fatal de l'étranglement. Le pressentiment de l'onirisme est en effet stimulé dès que Charles quitte le lieu du crime : long échange de regard avec un inconnu dans la rue et rencontre fortuite avec François dans un bar désert et inhabituel. Autant que l'étonnement devant ce type d'évènements ou l'illogisme de certaines alternances entre le jour et la nuit, l'étrangeté naît de la neutralité absolue des dialogues. Le refus (ou l'incapacité) des personnages de laisser transparaître la moindre émotion nous entraîne vers l'absurde.

    Ce choix n'est pas sans risque. La distance imposée ainsi par Chabrol rend difficile un attachement réel au couple formé par Charles et Hélène (Michel Bouquet est, logiquement, de presque toutes les scènes mais Stéphane Audran en est un peu sacrifiée, son personnage se réduisant trop à sa fonction). Pure et élégante, la mise en scène laisse parfois traîner les choses en longueur, l'usage du plan-séquence enserrant dans ses griffes deux protagonistes étant systématique. Le récit principal avance à très petits pas et celui qui lui est parallèle n'est pas très palpitant. Ce dernier a cependant une très grande importance, apportant un contrepoint aux malheurs de Charles : son comptable l'escroque, filant avec l'argent de l'agence et, après son arrestation, révèle sa double vie avec une jeune maîtresse. Ce petit employé, devant son ex-patron, n'aura aucun remords et lui lancera sans état d'âme un "je vous emmerde" pour toute réponse à ses demandes d'explications compatissantes. Sans doute a-t-on là l'une des clés possibles de cette oeuvre déconcertante : quand la classe inférieure assume ses actes, le bourgeois est condamné à la léthargie, à la vaine recherche de l'absolution et à la mort.

  • Le boucher

    (Claude Chabrol / France / 1970)

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    Présenter de manière publicitaire Le boucher comme étant un "film criminel campagnard" pourrait faire sourire si Claude Chabrol lui-même ne prenait un malin plaisir à y glisser quelques séquences jouant sur cette apparente incongruité. Il en va ainsi des plans décrivant l'arrivée des gendarmes dans le village : la camionnette des fonctionnaires se glisse dans le décor, entre les poules du premier plan et le bâtiment municipal du fond, puis les képis traversent le champ dans le dos des enfants occupés à jouer dans la cour de l'école. Plus tard, de façon moins appuyée, le va-et-vient des véhicules à gyrophares dans la rue donnera son rythme à la scène se déroulant à l'intérieur de la boucherie de Popaul : au premier plan, la comédie villageoise, à l'arrière-plan, le drame criminel.

    Cette légère ironie ne retombe pas cependant sur les personnages, quelque soit leur importance. Au cours du bal de mariage, on remarque cet homme dansant si bizarrement, celui que l'on pourrait décrire comme "le simplet du village". Or, sa silhouette reviendra plus tard, lors de l'enterrement de la mariée, pour porter la croix du début de cortège. Chabrol le filme en plan large, ne le désigne pas. C'est assez long pour permettre la reconnaissance mais trop court pour faire afficher un sourire en coin. Nul pittoresque donc, dans ce tableau de la "France profonde" (c'est plutôt l'officier de police dépêché par Bordeaux qui affiche les signes les plus risibles : blouson et chapeau de flic), mais bien le maintien d'une attention réaliste, se déployant à l'intérieur de l'une des plus belles et des plus limpides mises en scène de Claude Chabrol.

    boucher1.jpg

    A la sortie du bal, un plan-séquence en traveling arrière accompagne Melle Hélène et Popaul de la salle des fêtes jusqu'à la place de l'école (la musique de la fête se laisse entendre tout du long, jusqu'à l'arrivée près de l'église, où les cloches prennent le relais). Ensuite, nous parcourons l'appartement d'Hélène en la suivant dans ses occupations. La séquence, non dramatique, prolonge rythmiquement celle de la promenade et prépare la scénographie des futures visites de Popaul. Chabrol trouve dans Le boucher un équilibre parfait dans ses effets de mise en scène, jamais ostentatoires ni répétés. De très beaux zooms parsèment la séquence du bal, une légère plongée coince un instant Hélène dans son appartement, un écran noir suspend le temps lors de l'ultime visite, une série de magnifiques plans fixes du visage de Stéphane Audran intriguent fortement sur la fin... La fluidité de l'ensemble empêche de ne voir là que des trucs de technicien. Chabrol prend soin de varier les ambiances, dénouant le drame dans la nuit alors que son film était jusque là très solaire. Il boucle également son récit, en écho à la promenade du début, par une course en voiture vers l'hôpital le plus proche. Au pas de deux tranquille dans la rue du village, rendu en plan-séquence, répond cette précipitation, ciselée par un découpage vif et des gros plans déformant le visage de Popaul.

    Le temps du film, notre regard évolue : il se fait d'abord surplombant, lointain (les premiers plans balayant la vallée de la Dordogne puis ceux embrassant toute la salle des fêtes...) avant d'épouser progressivement celui d'Hélène. Cette proximité qui nous est accordée nous fait accepter, autant qu'elle, le baiser final. Hélène est un ange (ou tout comme : une institutrice). Gentillesse, blondeur, chasteté... Quoique, ce maquillage, cette cigarette... Ramasser en une fraction de seconde un briquet oublié, l'allumer comme on signe un pacte, s'affoler de son propre comportement, se sentir soulager. La femme est changeante. L'homme aussi : Popaul est délicat et horrible. La folie du Boucher n'est pas brouillage mais coexistence. L'astuce du briquet n'engage pas sur la voie de la dissimulation mais sur celle de la prise de conscience de deux états successifs, dont l'un découle de la permanence du mal dans la nature humaine (depuis la nuit des temps bien sûr).

    boucher2.jpg

    Ceci étant, il serait vain de tenter de comprendre les raisons profondes des atrocités perpétrées. L'extraordinaire travail d'écriture de Chabrol permet, dans le naturel du dialogue, d'avancer quelques données (la haine du père, la violence militaire) qui ne se transforment jamais en explications suffisantes. Hélène se penche au bord du gouffre et observe. Comme nous, elle ne peut s'empêcher d'éprouver au moins de la sympathie pour Popaul (que l'on ne voit jamais sous un mauvais jour) puis de l'apaiser.

    Au final, la voiture d'Hélène éclaire par ses phares les arbres penchés vers la route comme le faisait celle du Dr Mabuse, mais c'est plutôt son M le Maudit que Chabrol a réalisé là.

     

    Ma nouvelle visite au Boucher s'est faite à l'occasion du "Claude Chabrol Blogathon" lancé par le cinéphile américain Flickhead et relayé chez nous par Vincent.

    Photos : capture dvd Artedis

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1964)

    Suite du flashback.

     

    cahiers154.JPGpositif60.JPG1964 : Comme l'année précédente, les livraisons de Positif se font plutôt thématiques : comédie à l'italienne, cinéma américain (classique ou indépendant) et bien sûr l'irrésistible numéro spécial consacré à l'érotisme. Robert Benayoun parle avec Roger Corman et Buñuel est une nouvelle fois à la fête.
    Par ailleurs, ce dernier redevient en odeur de sainteté aux Cahiers, après une éclipse de quelques années (une table ronde est organisée à son sujet dans le numéro d'avril). Godard a droit à sa couverture annuelle et Les parapluies de Cherbourg sont défendus sur plusieurs numéros. Les nouvelles signatures affluent entre 63 et 64 : Narboni, Vecchiali, Skorecki, Daney, Biette, Téchiné... Surtout, voici arrivée la fin des "Cahiers jaunes". Avec le rachat par le groupe Filipacchi, la revue change de forme sinon de fond. Une double couverture sur Le désert rouge marque la transition.


    Janvier : ---/vs/---

    Février : David et Lisa (Frank Perry, Cahiers du Cinéma n°152) /vs/ Le journal d'une femme de chambre (Luis Buñuel, Positif n°58)

    Mars : Les parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, C153) /vs/ Le masque de la mort rouge (Roger Corman, P59)

    Avril : Le silence (Ingmar Bergman, C154) /vs/---

    Mai : Bande à part (Jean-Luc Godard, C155) /vs/ Le fanfaron (Dino Risi, P60)

    Juin : La bataille de France (Jean Aurel, C156) /vs/ "L'érotisme" (Caroll Baker, P61-62-63)

    Juillet : La chevauchée de la vengeance (Budd Boetticher, C157) /vs/---

    Août : Les contes de la lune vague après la pluie (Kenji Mizoguchi, C158) /vs/---

    Septembre : ---/vs/---

    Octobre : Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, C159) /vs/ Les Cheyennes (John Ford, P64-65)

    Novembre : Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, C160) /vs/---

    Décembre : ---/vs/---

     

    cahiers160.jpgpositif61.JPGQuitte à choisir : Joker pour le Roger Corman, mais l'année de Positif ressemble à un sans-faute. Cependant, la faiblesse quantitative biaise une nouvelle fois la confrontation. Demy, Bergman, (Godard ?), Mizoguchi, Antonioni (partagé avec la concurrence qui l'affichera en janvier 65) : à part les interrogations sur David et Lisa et La bataille de France, en face, c'est aussi du solide. Allez, pour 1964 : Match nul.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Et demain ?

    (Frank Borzage / Etats-Unis / 1934)

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    etdemain.jpgLe parcours du jeune couple Hans-Lammchen dans l'Allemagne en crise du début des années 30, leurs difficultés financières, leurs rencontres, le frottement de leur idéalisme au contact d'une société en quête de repères, la fortification de leur amour et le maintien de leur volonté combative...

    Comme l'a établi la majorité des études sur le cinéaste et comme me le laissaient penser quelques souvenirs lointains (liés aux admirables Lucky star, Liliom ou L'adieu aux armes), Et demain ? (Little man, what now ?) confirme que Frank Borzage est essentiellement un grand artiste des années 20 et 30. Nous sommes en effet ici loin du factice I've always loved you. L'histoire est racontée simplement et les effets s'y trouvent ménagés et d'autant plus émouvants. Le tournoiement du manège sur lequel s'est réfugié Lammchen, pleine de remords, ou l'accession à une mansarde sous les étoiles renvoient aux meilleurs moments de l'oeuvre muette. Borzage offre à ses deux amoureux une évolution ascendante, les poussant du rez-de-chaussée d'une officine au dernier étage d'un immeuble bourgeois et jusqu'à un grenier aménagé "près du ciel". Notons bien que cette élévation ne traduit pas une réussite sociale mais plutôt un délestage, une prise de conscience libératrice et, pour le spectateur, une montée émotionnelle.

    Ce beau scénario, qui tire vers la chronique sensible plutôt que le mélodrame larmoyant, séduit par sa capacité à enchaîner les épisodes révélateurs de l'évolution des rapports à l'intérieur du couple. La pesanteur du contexte se fait sentir par des allusions du dialogue (très bien écrit) et par l'apparition de silhouettes secondaires (petits chefs de magasins, chômeurs errants), mais aussi et surtout par une suite de confrontations entre le couple et des figures supérieures sur le plan social, abusant le plus souvent de leur position. Ce sont les réactions de Hans et de Lammchen qui éclairent sur la position morale de Borzage (qui met moins en garde contre le péril nazi, jamais nommé, qu'il ne professe une même méfiance envers toutes les idéologies). Les caractères sont révélés par les différentes situations et anecdotes, ils ne sont pas pré-programmés. L'épisode du début du film, celui de l'employeur désireux de marier sa fille à Hans (qui cache l'existence de son épouse pour conserver sa place), est à ce titre exemplaire. Il ne semble d'abord tenir que sur le jeu théâtral et quasiment vaudevillesque de la dissimulation des intentions avant de dévoiler sa profonde nécessité dans l'affirmation de la sincérité et de l'inaltérabilité de l'amour partagé par Hans et Lammchen.

    De la chronique sociale, le récit adopte le rythme en ruptures de tons, s'appuyant sur l'évantail des registres apportés par les différents protagonistes, sur lesquels notre regard peut évoluer au cours de l'histoire : le vieil escroc libidineux devient, sans changer ses habitudes, un attachant protecteur ; Hans, écorché vif, pétri de certitudes difficiles à mettre en pratique, finit par être très attachant par son volontarisme (c'est sur son visage et non sur celui de sa femme que coulent le plus souvent les larmes) ; Lammchen, enceinte, à la maison, s'efface parfois pour mieux affirmer au final sa présence indispensable.

    Borzage nous touche avec ce portrait d'un couple lié par un amour fou d'autant plus fort qu'il n'est pas donné comme tel mais construit sur la durée. Le jeu de Douglass Montgomery est singulier, à la fois affecté et vif. Margaret Sullavan quant à elle, tournait là son deuxième film, à 25 ans. Elle dégage un charme extraordinaire. L'érotisme discret qui affleure lors de son escapade champêtre avec Hans, la simplicité de sa présence et l'émotion vibrante qui en émane sont à l'image du film.

  • Inoxydable

    Pour ou contre la loi Hadopi ? Pour ou contre Home ? Pour ou contre Charlie Winston ? Pour ou contre Johnny H. chez Johnnie T. ? Pour ou contre Lars Von Trier ?...

    On peut toujours brasser de l'air, on peut toujours causer...

    The Eternal, nouvel album disponible.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1963)

    Suite du flashback.

     

    cahiers143.JPGpositif50.JPG1963 : Howard Hawks a enfin son dossier et sa couverture des Cahiers. Mais pour la revue, le bouleversement se réalise en interne : Rohmer est poussé vers la sortie et un comité de rédaction  (officieusement dirigé par Jacques Rivette) prend les commandes. Un éditorial présente la chose en juillet. La ligne tendra désormais vers le cinéma moderne (principalement européen) plutôt que vers les grands classiques (essentiellement hollywoodiens). Les pages des Cahiers s'ouvriront aussi à d'autres disciplines : ainsi, un entretien avec Roland Barthes parait dans le n°147.
    Documentaires d'un côté, films d'animation de l'autre : les deux revues ne se reposent pas seulement sur leurs auteurs maisons. L'année se termine avec un face-à-face (se limitant aux couvertures, pour une fois) sur le terrain américain.
    Le numéro spécial Hollywood que propose Positif consiste en fait en plusieurs écrits/reportages de Robert Benayoun. Plus tôt, la publication avait fêté son cinquantième numéro (soit 90 de retard sur les "adversaires" !) et profité de l'occasion pour dresser un premier bilan après 10 (+1) ans d'existence. Le renouvellement des plumes s'y fait plus souplement qu'aux Cahiers et en 1963, commencent à écrire Gérard Legrand et Michel Ciment.


    Janvier : Hatari ! (Howard Hawks, Cahiers du Cinéma n°139) /vs/---

    Février : 14-18 (Jean Aurel, C140) /vs/---

    Mars : Jean-Pierre Melville (C141) /vs/ Docteur Jerry et Mister Love (Jerry Lewis, Positif n°50-51-52)

    Avril : Les carabiniers (Jean-Luc Godard, C142) /vs/---

    Mai : Les oiseaux (Alfred Hitchcock, C143) /vs/---

    Juin : Pour la suite du monde (Pierre Perrault et Michel Brault, C144) /vs/ La solitude du coureur de fond (Tony Richardson, P53)

    Juillet : Le cardinal (Otto Preminger, C145) /vs/ The do-it-yourself cartoon kit (Robert Godfrey, P54-55)

    Août : Le feu follet (Louis Malle, C146) /vs/---

    Septembre : Muriel ou le temps d'un retour (Alain Resnais, C147) /vs/---

    Octobre : La taverne de l'Irlandais (John Ford, C148) /vs/---

    Novembre : Main basse sur la ville (Francesco Rosi, C149) /vs/ Judex (Georges Franju, P56)

    Décembre : "Cinéma américain" (Jane Fona, C150-151) /vs/ "Hollywood" (Caroll Baker, P57)

     

    cahiers150.JPGpositif57.JPGQuitte à choisir : Le déséquilibre toujours flagrant dans le nombre de numéros parus profite encore une fois aux Cahiers (en premier lieu : Les oiseaux, Le feu follet, Muriel, Main basse sur la ville), même si Positif ne démérite pas (Jerry Lewis et Tony Richardson). Allez, pour 1963 : Avantage Cahiers.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • I've always loved you

    (Frank Borzage / Etats-Unis / 1946)

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    ivealwayslovedyou.jpgUn mélodrame de Borzage assez mauvais, qui fait illusion pendant une quarantaine de minutes avant de sombrer vers les limites du supportable. Bien sûr, nous ne croyons pas une seule seconde à cette histoire, celle de Myra, jeune femme élevée à la campagne par son père, autrefois pianiste célèbre en Europe, et qui devient la protégée du Maestro Goronof avant de lui faire de l'ombre sur la prestigieuse scène du Carnegie Hall. Toutefois, les péripéties du début s'enchaînent avec suffisamment d'assurance et la caractérisation des personnages oscille assez plaisamment entre stéréotypes et touches plus originales. Surtout, Borzage laisse toute sa place à la musique : le chemin balisé qui nous mène de l'audition au premier concert, en passant par les nombreuses répétitions, grâce sans doute à la sensibilité du cinéaste, évite les raccourcis et les escamotages habituels.

    Puis arrive le grand soir : Goronof dirige son élève sur scène pour la première fois et devant le tout New York. La séquence marque le point de bascule du récit et, malheureusement, celui du film qui, à partir de là se désagrège totalement. La bienveillance que l'on pouvait avoir pendant la première partie est mise à trop rude épreuve. La longueur de cette séquence au Carnegie Hall commence par nous intriguer mais nous nous rendons vite compte que le changement de statut des personnages qu'elle est chargée d'illustrer passe sans originalité aucune par la lourde mise en scène d'un combat, au cours duquel s'oppose de façon bien improbable la pianiste virtuose et son maître à l'oeil tout à coup noir.

    Ici, comme en bien d'autres occasions, Borzage surligne par les dialogues l'importance du moment, qui ne devrait être exprimée que par l'image. Par exemple, la communication extra-sensorielle qui s'établit entre Goronof et Myra, au piano tous les deux, à une centaine de kilomètres l'un de l'autre, est explicitée par la mère du premier, dont l'irruption ne semble justifiée que par cette fonction didactique : "Écoutez, elle lui parle... il lui répond...". Dans les deux séquences de concert, le public se charge de nous dire ce que l'on doit ressentir. Les personnages, de leur côté, ne parviennent plus à nous intéresser. L'inconséquence parfois vacharde du fils et de la mère Goronof se transforme en prise de conscience douloureuse pour l'un et en clairvoyance pleine de sagesse pour l'autre. Du point de vue de la construction dramatique, les ellipses couvrant plusieurs années sont sans effet, ne relevant que de la plus plate facilité : pendant six ans, Myra n'a pas touché à son piano de salon et c'est une simple demande de sa petite fille qui la pousse à rejouer ; après un saut de vingt ans, les enjeux et les caractères ne varient pas d'un pouce, les conversations semblent immédiatement reprendre le même cours.

    Au final, I've always loved you s'abîme dans les pires conventions du mélodrame et fait sienne la moins aimable des idéologies du genre, celle qui rend possible le triomphe des personnages les plus forts par le renoncement et l'effacement des plus faibles. Du désastre de cette dernière heure, sauvons éventuellement l'interprète de Myra, Catherine McLeod.